M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.
Mme Marie-Christine Blandin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, certes, la budgétisation de la redevance d’archéologie préventive, l’élargissement des missions de certains opérateurs ou le rabotage par l’Assemblée nationale de 5 millions d’euros sur le programme 175 contribuent à minorer l’élan que nous avions senti sur ce projet de budget. Mais ne boudons pas notre plaisir : il augmente ! Et les écologistes, convaincus que la culture est un champ essentiel du bien commun, soutiendront par leur vote ce budget.
M. Richard Yung. Très bien !
Mme Marie-Christine Blandin. Dans une interview à un grand quotidien, vous avez parlé avec sensibilité, madame la ministre, de l’accès à la culture, de votre expérience, et de la nécessité de rééquilibrer nos champs d’intervention. Or le poids des habitudes, la difficulté à amorcer des mutations nécessitent une volonté inédite pour que ces changements soient lisibles.
Les musiques actuelles restent le parent très pauvre du spectacle vivant : quelques scènes de musiques actuelles, les SMAC, supplémentaires, ce dont nous nous félicitons, ne rendent pas justice à cette pratique qui concerne plus de 80 % des Français, alors qu’elle ne perçoit que 0,37 % du budget de votre ministère.
Le débat n’est pas entre l’excellence et le bricolage, entre l’élite et le médiocre ; il est entre la culture de quelques-uns pour quelques-uns et la culture de tous, dans sa diversité, avec de multiples chemins d’accès qui mènent à l’universalité, mais n’empruntent pas les mêmes itinéraires.
Après l’exemple des musiques actuelles, encore trop souvent coincées entre risque de tapage nocturne – faute de lieux insonorisés – et menace d’accusation d’emploi dissimulé – faute de souplesse dans la réglementation –, je prendrai le cas des pôles des arts et du cirque : intergénérationnels, mobiles, au plus près des quartiers comme des zones rurales, transversaux dans leurs esthétiques, voilà qu’ils se découvrent les seuls à ne pas bénéficier du petit souffle de hausse ayant profité au spectacle vivant. Ce sont de tels détails qui désarment les plus courageux, ceux qui agissent au plus près des populations.
Pour les quarante ans de l’Orchestre national de Lille, le chef Jean-Claude Casadesus, qui n’a jamais ménagé sa peine, ni pour l’excellence ni pour les publics « empêchés » – en particulier les prisonniers –, dirigeait une symphonie de Gustav Mahler : la salle était comble, mais ô combien homogène, comme si une porte de verre tenait certains publics à distance : la faute à personne, mais la faute à nous tous si les droits culturels, c’est-à-dire la reconnaissance de chacun dans son égale dignité, ne sont pas mis en œuvre avec soin et ne sont pas déclinés avec attention dans les choix budgétaires.
Une autre alerte que je voudrais porter concerne la pauvreté de l’éducation aux médias. Vous le disiez vous-même, madame la ministre, parlant de l’effort significatif que vous accomplissez pour l’éducation artistique et culturelle, dont nous nous félicitons. En ces temps violents, on ne peut pas laisser les jeunes sans outils de décryptage. L’éducation à l’image est un enjeu de société majeur, un facteur d’inclusion et un vecteur de cohésion.
En matière de photographie, je me félicite du renouvellement de l’engagement en faveur du plan pour la photographie, afin de financer des acquisitions et des commandes publiques, des manifestations et festivals, parmi lesquels les Rencontres d’Arles ou l’excellent festival de photojournalisme Visa pour l’image, à Perpignan, qui rencontrent un véritable succès populaire et international.
Sur le volet « Patrimoines », en soutien à la proposition du rapporteur spécial André Gattolin, les écologistes ont déposé un amendement visant à revenir sur le coup de rabot de 5 millions d’euros : son adoption serait un signal fort pour ce secteur.
Une telle mesure permettrait de maintenir les efforts de sauvegarde à un niveau minimal, afin de répondre aux besoins des collectivités. L’inquiétude est grande chez certains professionnels, le risque étant que la baisse des financements n’affecte considérablement des métiers liés à la restauration : fontainiers, maîtres verriers, parqueteurs, doreurs pourraient être frappés de plein fouet par ce désengagement, entraînant une réduction des chantiers, une impossibilité de former des apprentis et une menace de disparition de nombre de savoir-faire. Ces métiers font partie de notre patrimoine immatériel, que la France s’est engagée à préserver.
La culture est la réponse à la violence et à la barbarie obscurantiste, comme au risque d’amalgame et de peur de l’autre. Aux attentats, vous opposez les clowns, le slam, le rock, les marionnettes, le mime, le théâtre populaire, l’opéra, les cafés-concerts, les ateliers d’écriture, les bandes dessinées, avec tous les professionnels, mais aussi les amateurs qui se retrouvent, le soir après le travail ou le week-end, pour permettre au plus grand nombre de s’épanouir et de s’ouvrir à toutes les cultures.
Madame la ministre, une bonne inflexion pour la culture se fait jour. Mais le virage doit être encore plus serré, dans lequel l’attention à tous sera une priorité qui dépasse les mots. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme Françoise Férat.
Mme Françoise Férat. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, Mme Morin-Desailly, au nom du rapporteur pour avis Philippe Nachbar, a employé le terme « trompe-l’œil » pour qualifier l’évolution des crédits de la mission « Culture » qui résume parfaitement notre sentiment.
En effet, à première vue, il y a embellie. Après deux années de baisses sévères et une année de stagnation, les crédits de la mission sont en hausse. Cependant, la satisfaction ne résiste pas longtemps à l’analyse.
Il faut, comme toujours, prendre en compte les évolutions de périmètre ; en l’occurrence, l’incidence de la budgétisation de la redevance d’archéologie préventive, à hauteur de 118 millions d’euros.
Nous soutenons cette mesure, qui améliorera la sécurité financière de celle-ci. Mais, corrigée de la rebudgétisation de la RAP, l’évolution des crédits de la mission apparaît déjà un peu plus modeste, ce qui resterait tout de même encore significatif, à moins de replacer ce chiffre dans une perspective plus large.
Une perspective temporelle d’abord : le budget de la mission ne fait, en réalité, que retrouver son niveau de 2012.
Une perspective territoriale ensuite : l’augmentation des crédits de la mission doit être mise en regard de la baisse des dotations aux collectivités. Que pèse-t-elle face à la réduction du tiers de la DGF ?
La question est d’autant plus fondamentale que le Sénat a fait inscrire dans la loi que les droits culturels des citoyens sont garantis par l’exercice conjoint de la compétence par l’État et les collectivités.
De fait, le budget culturel de l’État est de moins en moins représentatif de l’effort de la nation en la matière. Les financements des collectivités locales sont aujourd’hui largement majoritaires.
M. Assouline nous disait à l’instant que les collectivités « ne doivent pas toujours s’abriter derrière la baisse des dotations pour justifier le recul de leur participation à des projets culturels ». C’est un peu fort ! Comme si elles avaient le choix !
M. David Assouline. Oui, elles l’ont toujours !
Mme Françoise Férat. Mon cher collègue, je vous invite à sortir de Paris et à venir avec moi faire le budget d’une collectivité !
M. David Assouline. Votre populisme vous qualifie !
Mme Françoise Férat. Il est moins prononcé que le vôtre !
M. David Assouline. Ce n’est pas le moment de dire ça, après ce qui s’est passé à Paris !
Mme Françoise Férat. Justement ! Un peu d’humilité…
Face à la baisse brutale de leurs ressources et avec des charges de fonctionnement contraintes, que peuvent faire les collectivités ?
Elles ne peuvent qu’augmenter les impôts locaux, qui explosent, réduire leurs investissements et couper dans la vie associative et culturelle. Dans quelle proportion ? C’est la question, madame la ministre, que je vous posais déjà l’année dernière. Votre réponse est très attendue, parce qu’elle seule donnera un aperçu crédible de l’évolution du financement national de la culture.
Cet effet de trompe-l’œil qui affecte les grandes masses de la mission se retrouve naturellement dans la ventilation de ses crédits.
Ainsi en est-il, par exemple, de la restauration des crédits des conservatoires, une mesure dont nous ne pouvons que nous réjouir et qui est hautement symbolique puisque, l’année dernière, le Sénat avait rejeté les crédits de la mission « Culture » du fait, justement, de la quasi-disparition de ces aides.
Entre temps, le Gouvernement a reconnu que cela avait été une erreur. Nous vous en donnons acte, madame la ministre. C’est courageux.
Le plan Conservatoires sera donc doté en 2016 de 13,5 millions d’euros, 8 millions de plus que l’année dernière, mais deux fois moins qu’en 2012 ! Depuis, des postes ont été supprimés, les tarifs augmentés, et des familles ont renoncé à inscrire leurs enfants…
Encore une fois, l’analyse ne résiste pas à la mise en perspective pluriannuelle, ni territoriale, d’ailleurs, puisque, comme l’a très bien exprimé Jean-Claude Luche, avec la mise en place des schémas départementaux, des intercommunalités pourraient ne pas reconduire leur compétence sur les conservatoires.
Autre exemple, les moyens du plan consacré à l’éducation artistique et culturelle augmentent de 45 %, mais cette hausse représente en réalité 4,5 millions d’euros à l’échelle nationale, à diviser entre tous les départements ; je vous laisse faire le compte…
De même – cette fois, je reprends une démonstration de M. le rapporteur pour avis –, sur 3 millions d’euros d’actions nouvelles pour les arts plastiques, 1 million d’euros vont au déménagement du Centre national des arts plastiques et 1 million d’euros sont affectés à la tour Médicis de Montfermeil. Il ne reste donc plus que 1 million d’euros supplémentaires à partager entre les vingt-deux fonds régionaux d’art contemporain, les FRAC, les quarante-huit centres d’art conventionnés, le réseau des résidences et l’ensemble de la commande publique. Il y a par conséquent beaucoup d’effets d’affichage dans ces crédits…
Néanmoins, nous en convenons, il n’y a pas que cela. Ainsi, nous ne pouvons que nous réjouir de la poursuite de l’effort, pour la troisième année consécutive, en faveur des monuments historiques. De même, nous ne pouvons que nous féliciter des bons résultats de la première année d’exploitation de la Philharmonie de Paris.
Toutefois, tout cela ne peut pas dissiper l’impression de fragilité, d’incertitude qui se dégage de l’ensemble des orientations présentées, incertitude liée à l’absence de priorités clairement définies. Nous attendions du projet de loi relatif à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine qu’il nous fasse sortir du paradigme du saupoudrage, mais ce texte ne semble pas, hélas, évoluer dans cette direction…
L’incertitude touche aussi l’articulation entre grands projets et politique des territoires. La précédente ministre de la culture avait déclaré que le temps des grands investissements était terminé et que l’heure était à l’accompagnement des collectivités. Nous savons que tel n’est pas le cas, de grands chantiers étant encore devant nous ; mais ceux-ci concernent principalement Paris et l’Île-de-France : rénovation du Grand Palais, restauration du château de Fontainebleau, modernisation du musée de Cluny. Dans ces conditions, quelle place restera-t-il à l’accompagnement des territoires, surtout quand on connaît la fâcheuse tendance du financement de ces grands travaux à déraper ?
Tout cela remet en cause la soutenabilité et la sincérité du budget. Cette remise en cause est en outre accentuée par le coup de rabot de 10 millions d’euros – excusez du peu – passé par l’Assemblée nationale sur les crédits de la mission.
M. Michel Bouvard. À ce stade, peut-on encore parler de coup de rabot ?
Mme Françoise Férat. En effet, mon cher collègue, on est au-delà !
Pour toutes ces raisons, le groupe UDI-UC se prononcera contre l’adoption des crédits de la mission « Culture ». (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC. – M. Louis Duvernois applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Sylvie Robert.
Mme Sylvie Robert. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je veux tout d’abord avoir une pensée pour un grand metteur en scène européen qui nous a quittés aujourd’hui, Luc Bondy. Il dirigeait un théâtre tout proche du palais du Luxembourg. On se souvient notamment de sa mise en scène de la pièce de Marivaux Les Fausses Confidences , qui nous a tous marqués, je pense.
« Pour chaque euro supplémentaire investi dans la sécurité, il faut un euro de plus investi dans la culture. Il faut se souvenir de qui nous sommes et investir dans l’innovation, la culture, le sport. » Ces paroles, qui auraient pu être celles d’un artiste habitué à défendre avec ferveur l’importance de l’art et de la culture pour nos sociétés, ont été prononcées par Matteo Renzi, le président du Conseil italien. Bien sûr, si la concentration des efforts sur la sécurité intérieure et extérieure est fondamentale – on le sait –, à long terme, l’investissement dans la culture et l’éducation est aussi essentiel pour permettre à l’homme d’exercer sa liberté.
L’éducation et la culture sont les deux piliers intangibles de l’émancipation de l’individu et de la cohésion collective. En même temps qu’elles ouvrent des horizons et les esprits de chacun, elles créent du commun en luttant contre les amalgames, les préjugés, les dogmes et l’ignorance. Elles abattent les murs invisibles et participent à la destruction de ceux qui se dressent et qui, malheureusement, sont encore nombreux aujourd’hui en Europe et partout dans le monde.
Aussi, face à la barbarie, à la destruction, il faut répliquer par la création, par la vie, par l’imaginaire, car la création est un geste existentiel par lequel l’homme affirme sa présence au monde tout en s’en détachant et en le dépassant. Oui, aujourd’hui, nous avons besoin d’art et de culture pour combattre l’intolérance. Puisque les obscurantistes cherchent à étouffer notre liberté, à décrire le monde de manière manichéenne, consacrons la liberté de création, la liberté de pouvoir représenter le monde sous toutes ses formes !
Le premier article du projet de loi relatif à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine, que nous examinerons en début d’année prochaine, proclame ainsi que « la création artistique est libre ». Cela trouve bien sûr un écho tout particulier dans le monde actuel ; il s’agit non plus de simples mots, mais d’un véritable acte de résistance.
Aussi, madame la ministre, dans un contexte économique contraint, je me réjouis de voir que le budget de la culture est aussi un budget de résistance, car il croît de 2,5 %. D’ailleurs, n’oublions pas que la culture et la création représentent 1,3 million d’emplois en France, deux fois plus que le secteur de l’automobile !
L’une des traductions d’une politique publique de la culture réside bien sûr dans le soutien aux artistes. C’est pourquoi l’augmentation des crédits alloués au programme 131, « Création » est bienvenue. Elle doit se traduire par le soutien aux équipes, aux nouvelles écritures, aux institutions, mais aussi aux lieux de création et de diffusion, toutes esthétiques confondues, sans oublier les arts visuels et plastiques, qui restent les parents pauvres du programme.
Je souhaite aussi saluer les mesures en faveur de la jeune création. Cette nouvelle ligne budgétaire, dotée de 3,5 millions d’euros, sera de nature à apporter une aide précieuse aux résidences d’artistes ; en outre, c’est aussi le signe d’une attention aux jeunes générations, au renouvellement des esthétiques, aux projets faits de croisements, d’hybridations
La création est un mouvement perpétuel, universel, qui innerve chaque lieu, chaque espace, chaque territoire. Ce formidable maillage de la France, constitué d’initiatives multiples, de rêves devenus possibles grâce à l’action concertée des collectivités territoriales et aux financements croisés de l’État, doit être entretenu et conforté ; il y va de notre responsabilité collective.
N’oublions pas non plus les DRAC ; les crédits déconcentrés s’élèveront ainsi à 293 millions d’euros. Ces directions participent à l’engagement public collectif et elles ont besoin de stabilité, de visibilité, à l’heure où de profondes réorganisations sont en cours, à l’instar de la réforme territoriale. J’y insiste, la culture irrigue les territoires et se révèle dans chacun d’eux ; aussi, comme les droits culturels sont désormais une réalité, n’oublions pas de les y mettre en œuvre.
Les investissements importants et continus du Gouvernement au titre de l’éducation artistique et culturelle sont exemplaires. En 2016, le programme « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture » continue de croître. En trois ans, les crédits de ce programme ont ainsi progressé de 30 %. La question de la transmission demeure donc une priorité.
La reconnaissance de l’altérité dans les arts et la culture est une richesse importante. L’artiste embrase et embrasse le monde, nous invitant à refuser ses manquements et à le façonner différemment. Aujourd’hui plus que jamais, mes chers collègues, nous avons besoin des artistes pour sublimer le réel et donner de l’espoir à l’humanité. C’est pourquoi nous voterons les crédits de la mission « Culture ». (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Vincent Eblé, rapporteur spécial. Bravo !
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre Monier.
Mme Marie-Pierre Monier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dans le texte voté par l’Assemblée nationale, les crédits de paiement du programme « Patrimoines » progressent de 15 %, soit une augmentation de 116 millions d’euros par rapport au projet de loi de finances pour 2015.
Tout d’abord, je me réjouis qu’une solution ait été enfin trouvée au problème de sous-financement de l’archéologie préventive, notamment de l’INRAP, problème principalement lié aux difficultés de recouvrement de la RAP. Cette situation mettait l’INRAP dans l’incapacité de mener à bien l’ensemble de ses missions de service public en faveur de l’archéologie préventive.
La budgétisation de la RAP, pour un montant de 118 millions d’euros en 2016, offrira ainsi davantage de prévisibilité à l’INRAP, au Fonds national pour l’archéologie préventive et aux collectivités territoriales dotées de services archéologiques agréés. Cela devrait épargner à la mission « Culture » les aléas récurrents de gestion de cet institut et cela mettra fin à quinze années de rallonges budgétaires sous forme de dotations exceptionnelles de l’État finançant l’archéologie préventive.
À cet égard, je vous félicite, madame la ministre, d’avoir su user de votre force de persuasion pour que, enfin, un gouvernement décide de budgétiser entièrement la RAP. Dorénavant, malgré la pression des lobbies, il faut s’attaquer aux trop nombreuses dérogations à l’acquittement, par les aménageurs, de la RAP.
Ensuite, en tant qu’élue d’un territoire rural, je suis très attachée au maintien de la vitalité des offres culturelles et à la sauvegarde du patrimoine local qui doivent absolument faire l’objet d’un accompagnement dans les territoires ruraux. Pour ces communes, le patrimoine culturel est, vous le savez, un enjeu économique fort.
C’est pourquoi je me réjouis que 70 % des crédits dédiés aux monuments historiques soient destinés aux opérations en région. Ce sont des crédits qui soutiennent directement l’attractivité territoriale et l’emploi. Cet effort rendra possible, en 2016, la poursuite de chantiers importants sur des monuments majeurs.
Certes, on peut regretter la réduction de 5 millions d’euros du programme « Patrimoines » votée en seconde délibération par l’Assemblée nationale ; néanmoins, on ne peut à la fois demander au Gouvernement de maîtriser les dépenses publiques et lui reprocher de prendre des dispositions qui visent à respecter le niveau cible qu’il s’est fixé. D’ailleurs, je note avec satisfaction que ce coup de rabot ne pénalisera pas les crédits déconcentrés ; en effet, madame la ministre, vos services m’ont confirmé que l’intervention de l’État dans les territoires en faveur des monuments historiques serait strictement préservée.
Pour ce qui concerne les crédits déconcentrés, je dois souligner que les DRAC sont confrontées à des situations financières délicates, tenant au manque de visibilité sur le montant réel de leur enveloppe annuelle et à leur niveau d’endettement. Cette situation ne leur permet pas – convenez-en, madame la ministre – d’exercer pleinement leurs missions de sauvegarde du patrimoine et de dynamisme culturel. Pouvez-vous m’apporter des éléments de réponse sur ce point précis, sachant que ce problème est récurrent depuis de très nombreuses années ?
Par ailleurs, pour ce qui concerne les musées de France, après neuf années de baisse, les subventions aux musées nationaux sont en légère hausse, ce que je tiens à saluer. Un petit regret toutefois : le rééquilibrage des crédits en faveur des musées de province, amorcé en 2015, n’est pas confirmé pour 2016.
Enfin, j’aimerais saluer la priorité marquée en faveur de la jeunesse et de l’éducation. En effet, le présent projet de loi de finances affecte des moyens à l’expérimentation de l’ouverture de certains grands musées sept jours sur sept ; cela concernera le Louvre, le musée d’Orsay et le château de Versailles. Cette expérience bénéficiera à des publics scolaires ou éloignés de la culture, ce qui constitue une démarche particulièrement bienvenue.
Ce projet en faveur de l’éducation artistique et culturelle et de de la diversification des publics s’inscrit totalement dans les valeurs que nous défendons, et je m’en réjouis.
J’en termine en disant que, dans le contexte de réforme territoriale et de baisse des dotations, la stabilité, voire la progression, de la plupart des crédits dédiés au patrimoine témoigne de la constance de l’engagement de l’État auprès des acteurs de la préservation et de la mise en valeur du patrimoine si cher aux Français. C’est pourquoi le groupe socialiste soutiendra ce budget. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme Maryvonne Blondin.
Mme Maryvonne Blondin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, selon Milan Kundera, « la culture est la mémoire du peuple, la conscience collective de la continuité historique, le mode de penser et de vivre ». Dans la période tragique que traverse notre pays, ces mots résonnent aujourd’hui avec force et ils nous rappellent l’absolue nécessité que constitue la culture pour notre société.
Certes, nous examinons aujourd’hui le budget de la culture, mais comment ne pas évoquer aussi, en de telles circonstances, les valeurs qui lui sont intrinsèques ? Le budget est le moyen d’en assurer la traduction et, en l’augmentant, madame la ministre, le Gouvernement envoie un signal politique fort aux professionnels et à la société civile. Bien sûr, on peut toujours demander davantage, mais sachons aussi reconnaître l’effort qui est fait !
Vecteur d’ouverture d’esprit, de tolérance, garante du vivre ensemble et de la cohésion sociale, la culture est l’arme privilégiée contre toutes les formes d’obscurantisme, de sectarisme et de crispation qui agitent notre monde contemporain. C’est pour cela qu’elle a toujours été la cible prioritaire des régimes terroristes et dictatoriaux. Souvenons-nous ainsi des périodes sombres de notre histoire, où l’on brûlait les livres, les œuvres d’art, voire les artistes !
Aujourd’hui, Daech détruit systématiquement culture, éducation et femmes, c’est-à-dire tout ce qui est facteur d’ouverture et d’émancipation ! De même, alors que la liberté d’expression, de création, de pensée nous apparaît bien souvent comme acquise, des actes de vandalisme culturel, survenus récemment dans nos territoires, nous rappellent que nous devons être très vigilants !
Pour résister à cette barbarie, nous devons continuer de fréquenter tous les lieux de culture qui permettent la rencontre, le dialogue, le partage. Faisons-en notre acte de résistance, soutenons plus que jamais le secteur culturel ! Face à la peur qu’ils tentent d’instiller, ne renonçons jamais à ce que nous sommes !
Le budget que vous nous présentez, madame la ministre, va dans cette direction, non seulement parce qu’il est en hausse par rapport à l’année dernière, mais également parce que vous avez mobilisé un fonds de solidarité de 4 millions d’euros pour accompagner les acteurs culturels touchés.
L’accessibilité, la démocratisation et la médiation culturelles sont des enjeux plus que jamais d’actualité. L’ancrage fort des lieux d’accès à la culture en tous points du territoire n’est rendu possible que par la collaboration étroite entre l’État et les collectivités.
Notre ancien collègue Robert Badinter le disait, la culture, c’est l’affaire de tous ! Les pactes, partenariats et autres contrats territoriaux que vous avez signés avec les collectivités et les autres ministères en témoignent.
L’accessibilité, c’est aussi celle de tous les publics. Quels que soient l’âge, le handicap, le milieu social, le niveau d’éducation, la situation géographique, chacun doit pouvoir pratiquer une activité ou simplement assister à un spectacle.
Le programme « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture », en hausse, affiche une nette priorité pour les jeunes, que ce soit dans les établissements d’enseignement supérieur ou dans le cadre de l’éducation artistique et culturelle, et c’est bien cela qui leur donnera les outils du sens critique, l’imaginaire, le souci du collectif et, ainsi, en fera les citoyens et citoyennes de demain.
Je n’oublie pas les pratiques amateurs, mais nous aurons l’occasion d’en reparler lors de l’examen d’un prochain texte de loi.
Mes chers collègues, je ne peux qu’exprimer ma satisfaction face à l’augmentation globale de cette mission budgétaire. Je suis de celles et ceux qui affirment que les difficultés actuelles rendent la culture encore plus nécessaire. Celle-ci fait émerger et subsister, pour les réinventer en permanence, les contours d’une société dans toute sa diversité.
D’aucuns affirmeront peut-être que, dans le contexte que nous connaissons, ce budget ne devrait pas être une priorité. Voici ce que répondit Winston Churchill, à qui l’on demandait de couper le budget des arts pour financer l’effort de guerre : « Mais alors, pourquoi nous battons-nous ? »
Mes chers collègues, la bataille que nous devons mener contre le fanatisme et l’intégrisme ne se fera pas seulement par les armes ; elle se fera aussi par la promotion de l’éducation, des idées, de la liberté et par notre goût de la vie à la française ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication. Mesdames, messieurs les sénateurs, je remercie tout d’abord Sylvie Robert d’avoir rendu hommage à Luc Bondy et je tiens également à saluer sa mémoire avant de commencer à évoquer le budget.
Luc Bondy s’est éteint ce matin, à Zurich. C’est une perte immense pour l’Europe, pour la communauté théâtrale, pour toutes celles et ceux qui ont eu la chance de le côtoyer, de travailler avec lui, mais aussi, bien sûr, pour le public qu’il a servi jusqu’au bout, avec un engagement et un courage forçant l’admiration – certains d’entre vous ont sans doute eu l’occasion de le constater. (Applaudissements.)
Depuis 2012, il avait fait de l’Odéon-Théâtre de l’Europe l’un des creusets les plus vibrants, les plus brûlants de la création contemporaine, en y transposant l’esprit qui avait fait les beaux jours de la Schaubühne ou des Wiener Festwochen, qu’il avait magnifiquement dirigées.
Nombre de ses spectacles – Sylvie Robert en a rappelé certains – nous ont marqués : Ivanov, les Fausses Confidences, le Retour ou Tartuffe à l’Odéon, mais aussi, plus éloignées, ses mises en scène historiques comme Terre étrangère, à Nanterre, en 1984.
En cet instant, j’ai une pensée pour sa femme, Marie-Louise, ses enfants, sa famille, pour le personnel du théâtre national de l’Odéon, qui est bouleversé. Je veux dire la tristesse qui nous étreint et leur présente – en mon nom, mais également, je n’en doute pas, en votre nom – mes plus sincères condoléances.
Monsieur le président, madame la présidente de la commission des finances, madame la présidente de la commission de la culture, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi de vous remercier avant toute chose pour la très grande qualité de vos prises de parole. Je vais m’efforcer de répondre à mon tour aux interrogations que vous avez formulées.
Chacun mesure, je le sais, la gravité des circonstances dans lesquelles il vous revient d’examiner le projet de budget de mon ministère pour l’année 2016. Vous y avez tous fait référence.
Hier, la Nation tout entière a rendu hommage à celles et ceux qui ont perdu la vie dans les attentats du 13 novembre.
Ces femmes et ces hommes, qui étaient la jeunesse de France, ont été assassinés alors qu’ils prenaient part à la vie culturelle de notre pays, à ces moments de joie, de liberté, de partage, d’émotion, de convivialité qui donnent de l’épaisseur à notre existence et nous rassemblent par-dessus tout. C’est aussi cet esprit que les terroristes ont voulu abattre. Ils n’y sont pas parvenus, et je crois qu’ils n’y parviendront pas.
La France, en effet, est déterminée à combattre les fanatiques qui ont ordonné et perpétré ces attentats, tout comme l’obscurantisme qui les a inspirés. Ce combat s’incarne aussi, et surtout, dans la culture.
Plus que jamais, la France doit demeurer cette terre de création qu’elle veut être, et n’a jamais cessé d’être. Au fanatisme, nous opposerons donc toujours plus de spectacles, toujours plus de musique, de films ou de livres, toujours plus de diversité, toujours plus de renouvellement créatif.
Plus que jamais, la culture doit être accessible à tous. Auprès de ceux qui se vivent loin de la vie culturelle, mais n’aspirent qu’à y participer, nous devons faire venir la culture.
C’est grâce à une vie culturelle toujours plus riche, plus intense, plus diverse, toujours plus créative et ouverte, que nous pourrons opposer, à ceux qui s’en prennent à la France, un pays toujours plus uni et des citoyens toujours plus libres. Telle est la conviction du Gouvernement, conviction que traduit concrètement ce projet de loi de finances pour 2016.
Pour tendre vers cet objectif, il vous est donc proposé d’augmenter de 2,7 % le budget de mon ministère, en le portant à 7,3 milliards d’euros, auxquels il convient d’ajouter le fonds de soutien du Centre national du cinéma et de l’image animée, le CNC, qui disposera, en 2016, de 672 millions d’euros.
Avant d’évoquer plus précisément les politiques publiques de la culture que je souhaite abonder en priorité et le montant des crédits que le Gouvernement vous propose de leur consacrer, permettez-moi de m’attarder un instant sur les mesures d’urgence que nous avons prises pour protéger la culture et l’aider à faire face aux conséquences des attaques qui nous ont frappés.
J’ai d’abord voulu m’assurer que la sécurité soit renforcée dans les lieux de culture.
En lien avec le ministère de l’intérieur et la préfecture de police de Paris, mon ministère a pris une série de mesures dès le lendemain des attentats. Il les a complétées au fil des jours, en fonction des besoins des établissements publics et privés, des services et des entreprises de spectacle.
Les sites les plus sensibles, qu’ils soient donc publics ou privés, ont fait l’objet d’une attention particulière. Ces mesures de sécurité sont mises en œuvre grâce aux nouveaux moyens financiers et humains déployés, à la demande du Président de la République, dans le cadre de l’état d’urgence.
Ainsi, mesdames, messieurs les sénateurs, le renforcement de la sécurité ne s’oppose pas au renforcement de la culture. Je vous sais convaincus comme moi sur ce point : si l’on veut que les Français se rendent dans les lieux de culture, que les artistes continuent de jouer toujours davantage, il faut commencer par les rassurer et leur garantir qu’ils pourront le faire en toute sérénité.
À la suite des attentats du 13 novembre, les lieux de culture ont connu une baisse sensible de leur fréquentation.
Même si la situation s’est redressée au cours des derniers jours, cette baisse peut menacer la viabilité économique de certaines entreprises, notamment pour le spectacle vivant. C’est pourquoi j’ai annoncé, dès le 16 novembre, la création d’un fonds de soutien exceptionnel dédié au spectacle vivant, pour faire face aux annulations comme au financement de nouvelles mesures de sécurité.
Pour l’instant, ce fonds est doté de 4 millions d’euros, dont 500 000 euros apportés par la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, la SACEM. Ce n’est qu’un début, et j’invite fortement ceux qui le peuvent, contributeurs du monde culturel, donateurs privés, à venir l’abonder. Un amendement au projet de loi de finances rectificative sera d’ailleurs prochainement proposé par le Gouvernement en ce sens.
J’ajoute, avec un soupçon de fierté, que le vendredi même où ces événements tragiques ont eu lieu, l’Assemblée nationale adoptait un amendement parlementaire tendant à créer un crédit d’impôt pour le spectacle vivant. Les professionnels du spectacle peuvent compter sur l’accompagnement et le soutien de mon ministère.
S’agissant des salles de cinéma, les dépenses d’équipement supplémentaires pour la sécurité seront désormais éligibles aux fonds de soutien du CNC. Enfin, un service en ligne est disponible pour tous les organisateurs de manifestations culturelles et les artistes qui en auraient besoin.
Ces efforts s’articulent, bien sûr, avec d’autres dispositifs de financement interministériel et avec les fonds débloqués par le Gouvernement dans le cadre de l’état d’urgence.
Le ministère de la culture est donc mobilisé, aux côtés des artistes, des publics et de l’ensemble des professionnels de la culture, pour aider chacun à passer ces moments difficiles et douloureux.
Mais l’urgence n’est pas tout. Il nous faut également agir sur le moyen et le long terme. C’est tout particulièrement l’ambition de la mission « Culture », dont le Gouvernement vous propose de porter les crédits à 2,7 milliards d’euros.
Conformément aux priorités définies par le Président de la République, et en cohérence avec la réforme de l’intermittence que nous avons engagée, j’ai choisi d’agir prioritairement pour renforcer la participation de tous à la vie culturelle, pour accompagner davantage la création et pour moderniser les politiques publiques du ministère, et ce afin de mieux préparer l’avenir.
Ce projet de budget, enrichi en première lecture par l’Assemblée nationale, est le reflet de ce triple objectif.
Pour renforcer la participation de tous à la vie culturelle, ce qui est notre première priorité, les crédits que nous affectons à la démocratisation culturelle atteindront près de 100 millions d’euros en 2016, contre 75 millions d’euros en 2012.
L’éducation artistique et culturelle représente plus de la moitié de nos financements en la matière : 54,6 millions d’euros y seront consacrés, soit 35 % d’augmentation par rapport à 2015.
Ces crédits en hausse viennent notamment appuyer le retour de l’État dans le financement des conservatoires conventionnés – en progression de 8 millions d’euros –, le renforcement du plan d’éducation artistique et culturelle – porté l’an prochain à 14,5 millions d’euros – ou encore le soutien à des projets d’accès à la pratique orchestrale, comme le Dispositif d’éducation musicale et orchestrale à vocation sociale, ou DEMOS, qui verra ses crédits augmenter de 1 million d’euros.
Nous créerons aussi 65 postes supplémentaires entre 2015 et 2016 pour accompagner l’ouverture, aux enfants et aux publics les plus éloignés de la culture, des musées d’Orsay et du Louvre, ainsi que du château de Versailles.
Les territoires pourront compter sur le soutien de l’État pour développer l’accès de tous à la culture. De fait, les crédits en région augmenteront de 2,2 % par rapport à 2015, pour atteindre 780 millions d’euros.
Je précise, à l’attention de Mme Marie-Pierre Monier qui m’interrogeait sur la visibilité des crédits des DRAC, que les conférences de stratégie et de gestion, telles que l’on nomme ces réunions internes au ministère de la culture, viennent juste de se terminer. Par conséquent, les DRAC se verront notifier le montant annuel de leurs crédits d’ici la mi-décembre. Cela leur permettra, bien évidemment, d’anticiper au mieux la gestion desdits crédits pour 2016.
Par ailleurs, les moyens consacrés aux pactes culturels que j’ai signés avec les collectivités territoriales qui maintiennent leurs efforts en matière de culture, seront renforcés. Les élus qui ont fait, font ou feront le choix de la culture pourront donc compter sur le soutien de l’État.
Je précise qu’à ce jour 45 pactes ont été signés avec des collectivités territoriales pour couvrir environ 3,6 millions d’habitants, ce qui représente 400 millions d’euros de dépenses culturelles stabilisées pour les trois prochaines années.
Bien sûr, l’État n’a pas vocation à se substituer aux collectivités qui réduisent leurs engagements en faveur de la culture, mais je compte beaucoup sur ces pactes, et sur l’implication des collectivités territoriales en faveur de la culture, pour pouvoir rassurer l’ensemble des acteurs culturels locaux.