M. Philippe Bas, rapporteur. Je salue également les inflexions très importantes qui viennent d’être apportées, avec pragmatisme, à la politique de la nation, dont la priorité est désormais donnée à l’éradication de l’organisation criminelle qui s’est abusivement donné le nom d’État islamique. Cette organisation se rend coupable de crimes contre l’humanité. La combattre jusqu’à son élimination est un objectif qui doit dorénavant l’emporter sur tous les autres dans notre politique en Syrie. De même, la volonté de fortifier notre coopération avec la Russie au Proche-Orient et l’appel au Conseil de sécurité des Nations unies constituent des évolutions qui méritent d’être approuvées.
À l’évidence, la lutte contre le terrorisme, ce n’est pas seulement l’état d’urgence, c’est aussi la politique étrangère, la politique européenne et l’action de nos forces armées, dont l’engagement vient d’être accru au Proche-Orient.
Vous nous avez saisis d’un texte très important. Il ne vise pas seulement à proroger l’état d’urgence. Il vise à étendre les pouvoirs exceptionnels confiés au ministre de l’intérieur et aux préfets quand l’état d’urgence est déclaré ainsi qu’à conforter la légalité des mesures prises dans ce cadre juridique et les modalités de leur contrôle juridictionnel. Sur ces points, je veux poser trois préalables.
Tout d’abord, l’état d’urgence, ce n’est en aucun cas la suspension de l’État de droit ; c’est au contraire son prolongement dans des circonstances exceptionnelles qui le menacent en mettant en péril la sécurité publique, sans laquelle l’exercice des libertés publiques deviendrait impossible. La déclaration d’urgence, son champ d’application et les mesures d’interdiction, de perquisition ou d’assignation à résidence susceptibles d’être prises en cette situation sont toutes passibles de recours devant le tribunal administratif ou le Conseil d’État et seront annulées si elles ne sont pas strictement justifiées et proportionnées aux circonstances qui les fondent.
Ensuite, dans le contexte que nous connaissons, j’ai estimé que notre travail législatif, lui-même contraint par l’urgence puisque l’état d’urgence tomberait le 26 novembre à zéro heure si le législateur n’autorisait pas sa prorogation, devait reposer sur un processus coopératif lui-même exceptionnel – mais éventuellement reproductible – entre le Gouvernement, l’Assemblée nationale et le Sénat. C’est ce que nous avons fait, depuis dimanche dernier, afin de forger un large accord entre le Gouvernement, les rapporteurs des deux assemblées et les assemblées elles-mêmes sur la rédaction du texte qui nous est soumis.
Je suis allé jusqu’à proposer au Gouvernement un amendement, à mes yeux très important, affirmant le rôle du juge judiciaire dans le cadre des perquisitions administratives autorisées par l’état d’urgence. Vous l’avez rappelé, monsieur le Premier ministre, cet amendement a été voté à l’unanimité par l’Assemblée nationale et son origine sénatoriale a loyalement été reconnue. Comme nous l’avons fait pour la loi relative au renseignement, il traduit la vigilance du Sénat dans l’application de l’article 66 de notre Constitution. L’autorité judiciaire, gardienne des libertés individuelles, doit voir ses prérogatives reconnues, même lors de la mise en œuvre des pouvoirs exceptionnels de la loi de 1955.
De la même façon, j’ai donné mon plein accord à toutes les dispositions qui facilitent le contrôle de la légalité des actes pris dans le cadre de l’état d’urgence, afin de rendre le contrôle des tribunaux administratifs et du Conseil d’État plus rapide et plus effectif.
Enfin, je veux soulever la question de la conformité, à la Constitution et à la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, de la loi de 1955, telle qu’elle a été modifiée par l’ordonnance de 1960 – donc, sous le régime de la Ve République – et telle qu’elle va l’être de nouveau, de manière substantielle aussi, si nous adoptons le présent projet de loi.
Notons déjà qu’en supprimant la possibilité d’une censure de la presse et des publications, le projet de loi élimine une difficulté possible. De même, en précisant les conditions de la légalité des décisions du pouvoir exécutif, il évite qu’on reproche au législateur de n’avoir pas pleinement satisfait aux obligations de l’article 34 de la Constitution, qui lui impose de fixer les règles relatives au respect des libertés publiques et de le faire lui-même, sans déléguer cette mission au pouvoir réglementaire.
Au-delà de ces aménagements législatifs importants, je veux souligner que la loi de 1955 est compatible avec la convention européenne des droits de l’homme, dont l’article 15 prévoit expressément la possibilité de restrictions aux libertés en cas de danger public menaçant la vie de la nation.
Je veux également souligner que le Conseil d’État, tout récemment, dans son avis du 17 novembre, s’est prononcé favorablement sur la constitutionnalité du texte qui nous est soumis et qui réforme en profondeur la loi de 1955.
Je veux souligner enfin que le Conseil constitutionnel, dans une décision de 1985, a déjà eu l’occasion d’affirmer que le défaut de référence à l’état d’urgence dans la Constitution n’avait pas eu pour effet d’abroger la loi de 1955, ainsi implicitement acceptée par le Conseil.
J’entends cependant des interrogations et, parfois, la crainte que, saisi par la voie d’une question prioritaire de constitutionnalité à l’occasion de la contestation d’une mesure prise dans le cadre de l’état d’urgence – possibilité de recours qui n’existe que depuis 2008 –, le Conseil constitutionnel n’en vienne, contre toute prévision, à prononcer l’inconstitutionnalité de telle ou telle disposition de la loi de 1955 que nous devons modifier. Je vous dis tout de suite que je ne crois pas à cette éventualité. Toutefois, monsieur le Premier ministre, si vous partagez ces interrogations, il vous est facile de les lever immédiatement. Il vous suffit pour cela d’user du pouvoir que vous donne la Constitution de saisir, dès après le vote, le Conseil constitutionnel, qui ne manquerait pas de vous répondre en temps utile, dans des délais garantissant la prorogation de l’état d’urgence à compter du 26 novembre.
Je voudrais dire aussi – ce point est pour moi essentiel – que les pouvoirs exceptionnels que l’état d’urgence confère au Gouvernement et aux préfets ne sont concevables, dans le respect de la Constitution, que parce qu’ils sont temporaires, et non permanents. Cela implique tout d’abord le contrôle du Parlement, que l’Assemblée nationale a renforcé, contrôle qui est garant de la protection des libertés de nos concitoyens. Il n’y a pas de prorogation sans loi et pas de loi sans justifications suffisantes de la part du Gouvernement. Cela implique ensuite la perspective d’un retour à la normale, comprenant la plénitude des garanties que notre État de droit fait respecter pour la défense des libertés individuelles et collectives. C’est dire que l’approbation donnée par la commission des lois à ce texte n’emporte pas mandat donné par le Sénat au Gouvernement de rendre permanent tout ou partie des pouvoirs donnés à la police par la déclaration de l’état d’urgence.
Ces préalables étant posés, mes chers collègues, je veux vous rendre compte brièvement des travaux de la commission des lois. Elle a adopté le projet de loi, sans le modifier, en tenant compte des amendements votés, avec son accord, à l’Assemblée nationale. Elle a ainsi estimé que le délai de trois mois était justifié. Il aurait pu être de six mois, mais ce délai plus court permet un meilleur contrôle du Parlement sur l’éventuelle prolongation de l’état d’urgence. La commission a également été très attentive à toutes les dispositions qui renforcent les pouvoirs exercés par l’exécutif dans le cadre de l’état d’urgence, comme à celles qui améliorent les contrôles de légalité des mesures prises en exécution de la loi de 1955.
Bien évidemment, la commission des lois s’organisera, si le texte est adopté, pour assurer le suivi continu de ces mesures. C’est donc à une très large majorité qu’elle a approuvé ce texte essentiel pour la lutte contre le terrorisme.
Après les crimes de masse odieux perpétrés le 13 novembre dernier, le Sénat, parce qu’il entre dans sa vocation de trouver le meilleur équilibre entre les nécessités de la lutte contre le terrorisme et l’exigence de la protection des libertés publiques, estime avoir joué son rôle, en veillant à ce que cet équilibre ne soit pas exagérément modifié par la mise en œuvre de l’état d’urgence. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, de l'UDI-UC, du RDSE et du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur plusieurs travées du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Michel Mercier. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)
M. Michel Mercier. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, les temps que nous vivons nous conduisent à redécouvrir les fondamentaux de notre République. En lisant la presse, en écoutant la radio ou en regardant la télévision, on s’aperçoit que beaucoup de nos jeunes concitoyens viennent répondre à une question que nous nous sommes posée pendant longtemps : qu’est-ce qu’une nation ? Dans leurs réponses, on retrouve ce que disait en 1882, à quelques pas d’ici, Ernest Renan : une nation, c’est d’abord un plébiscite de tous les jours, le désir de vivre ensemble, un mode de vie pour lequel nous sommes prêts à combattre. Les événements nous imposent cette exigence.
Monsieur le Premier ministre, je n’appartiens pas à votre majorité, mais, je vous le dis, le Gouvernement que vous dirigez a pris, sous l’autorité du Président de la République, les mesures que les événements exigeaient, les décisions qui s’imposaient à tous les républicains.
Au nom de mon groupe, je veux exprimer notre admiration, notre respect et nos félicitations à tous ceux qui, depuis une semaine, sont sur la brèche. Les forces de l’ordre – police, gendarmerie, douanes –, les magistrats, les médecins, tout le personnel hospitalier et l’ensemble des fonctionnaires méritent notre reconnaissance et notre soutien. Nous pouvons ainsi constater l’importance de leur rôle pour le fonctionnement même de la République. (Applaudissements.)
Mes chers collègues, ces derniers jours, de nombreux sondages ont été publiés indiquant que nous serions prêts à accepter une situation où nous aurions moins de libertés pour plus de sûreté. Pour ma part, je crois profondément que liberté et sûreté sont sœurs jumelles. Il ne peut y avoir de liberté sans sûreté, mais un État dont la seule valeur serait la sûreté ne serait plus la République ! (Applaudissements sur plusieurs travées de l’UDI-UC, du groupe écologiste et du CRC.)
Permettez-moi de rappeler que, pour Benjamin Franklin, qui écrivait il y a quelques années lui aussi, un peuple prêt à abandonner « un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre ». Le Gouvernement ne nous demande pas, dans le texte qu’il nous soumet, de supprimer une liberté, mais il nous demande de lui accorder des moyens suffisants pour assurer la sécurité, c’est tout autre chose !
Tout à l’heure, notre groupe – mais il ne sera pas le seul – répondra positivement à la demande que vous nous adressez, monsieur le Premier ministre, parce que la mise en œuvre de l’état d’urgence a pour but d’assurer le respect des libertés fondamentales et de toutes nos valeurs, grâce au renforcement de la sécurité dans notre pays. La nécessité de ce renforcement s’affirme, cela a déjà été dit, sur le plan tant du droit européen que du droit interne.
Sur le plan du droit européen, il s’agit bien sûr de la mise en œuvre du registre des noms de passagers, le PNR. Il faut à tout prix que les États membres de l’Union européenne donnent un vrai sens à l’affirmation qui figure dans le préambule des traités fondateurs, selon laquelle tous les pays fondateurs de l’Union européenne entendent construire une union toujours plus forte. Si ces mots ont un sens, ils doivent faire en sorte que, à l’intérieur des frontières de l’Union, on puisse construire une Europe forte, solide et libre. Oui, Schengen doit reprendre du sens ! Oui, il faut contrôler l’ensemble des frontières extérieures de l’Union ! Oui, le PNR doit être rapidement adopté par le Parlement européen !
Sur le plan du droit interne, vous nous dites qu’il est nécessaire que le Gouvernement dispose d’un arsenal juridique adapté pour être efficace dans l’action. Nous sommes prêts à vous donner ces moyens.
Proroger l’état d’urgence paraît normal. On peut certes s’interroger sur le fait de savoir si une durée de trois mois est suffisante, mais seule la situation nous permettra de le dire demain. Faisons donc confiance au Gouvernement pour demander la suppression de l’état d’urgence dès qu’il ne sera plus nécessaire.
En ce qui concerne l’adaptation des moyens d’action que vous nous demandez, nous n’avons pas non plus d’objection à opposer. Je tiens à souligner que les plus lourdes de ces mesures ne visent pas tous les citoyens, qu’il s’agisse des perquisitions de jour comme de nuit, des assignations à résidence, du port éventuel d’un bracelet électronique, mais uniquement les personnes dont l’administration peut, à juste titre, estimer qu’elles représentent une menace pour la sûreté publique. D’autres mesures peuvent avoir un caractère plus général.
Je voudrais toutefois insister sur un point. Si l’état d’urgence confère des pouvoirs supplémentaires à l’autorité administrative, la loi sur l’état d’urgence ne modifie pas le droit de la République. Toutes les mesures prises dans ce cadre peuvent être soumises au contrôle du juge administratif. De ce point de vue, si l’on se réfère à l’histoire de la juridiction administrative, c’est là que l’on trouve les plus belles pages. En effet, le juge administratif est devenu le juge des libertés publiques en développant des constructions jurisprudentielles audacieuses lorsqu’il a été amené à statuer sur des mesures prises dans le cadre de circonstances exceptionnelles. Cet exemple le montre bien, l’état d’urgence, c’est aussi l’État de droit, organisé.
Sans entrer dans le détail, permettez-moi de rappeler que, dans son arrêt Rolin et Boisvert du 24 mars 2006, portant sur des mesures prises lors de la dernière mise en œuvre de l’état d’urgence à la suite de violences urbaines, l’assemblée du contentieux du Conseil d’État s’est livrée à un contrôle de proportionnalité des mesures de police administrative prises pour répondre à une menace réelle.
Par conséquent, nous devons dire oui à des pouvoirs nouveaux pour les autorités de police et oui au maintien de notre système de protection des libertés publiques !
Monsieur le Premier ministre, vous nous avez dit que vous auriez peut-être besoin d’autres mesures, de nature constitutionnelle cette fois. Nous n’allons pas vous répondre tant que vous ne nous avez pas présenté de demande précise. Nous préférons attendre, et nous nous prononcerons en fonction du précepte qui fonde notre action : voir, juger, agir.
Permettez-moi toutefois de vous faire une suggestion. Depuis vendredi dernier, toutes les actions qui sont menées sont dirigées par le parquet de Paris, qui agit en flagrance, c’est-à-dire seul – les juges du siège n’ont pas à intervenir puisqu’il s’agit de flagrants délits, et c’est normal ! Si vous voulez consolider toutes les situations juridiques, il convient donc de consolider le statut du parquet, qui est un acteur essentiel dans la lutte contre le terrorisme, en mettant enfin en œuvre les propositions que nous vous avons faites en 2013. Je suis sûr que vous y avez déjà pensé et que vous aurez à cœur de nous faire part de vos intentions d’ici à quelques jours. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et du groupe Les Républicains, ainsi que sur quelques travées du groupe socialiste et républicain.)
Aujourd’hui, le Sénat va vous donner des moyens nouveaux, immenses : jamais, probablement, un Gouvernement n’aura disposé d’autant de pouvoirs en temps de paix. Ces moyens, nous vous les accordons pour l’action. C’est nous qui vous les accordons formellement, mais ce sont nos concitoyens qui vous attendent, qui nous attendent tous ! Les moyens juridiques que nous vous donnons ne sont pas forcément ceux qu’imaginent nos concitoyens, mais ils pensent que, après notre vote qui va être largement majoritaire, vous avez le devoir d’agir, parce que vous aurez obtenu tout ce que vous avez demandé. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC, du groupe Les Républicains, du RDSE et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, il y a tout juste une semaine, des attentats d’une violence inouïe allaient malheureusement se produire dans notre capitale.
Quelques jours plus tard, l’émotion est encore lourde. Un sentiment mêlé d’incompréhension, de profonde tristesse et d’impuissance est diffus dans l’atmosphère de notre pays meurtri et du monde entier solidaire qui l’accompagne dans son deuil. Dans ce climat de tension, de peur, le rôle du politique, des membres du Gouvernement et du Président de la République est primordial.
Quelques heures après ces actes de guerre, l’état d’urgence a été décrété en conseil des ministres. La gravité des événements exigeait, nous l’avons dit, l’application de cette disposition exceptionnelle permise par la loi du 3 avril 1955. Comme l’indique son article 1er, l’état d’urgence « peut être déclaré [...] soit en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public, soit en cas d’événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique ».
Toutefois, s’il est incontestable que la situation, pendant les attentats et juste après, exigeait l’état d’urgence, permettez-nous d’émettre un doute quant à sa prolongation pendant trois mois. Les notions de « péril imminent » et de « calamité publique », visées par l’article 1er, nous invitent à nous interroger sur l’installation dans la durée de cette mesure exceptionnelle qui vient affecter l’équilibre des pouvoirs au bénéfice de l’exécutif.
Nous estimons, bien entendu, que des mesures très larges doivent être prises pour faire face à la situation, mais ne peuvent-elles pas l’être dans le cadre de notre droit commun, avec un contrôle de l’autorité judiciaire ?
En parallèle à l’action nécessaire, il est de la responsabilité du politique, d’autant plus lorsqu’il est issu de la gauche progressiste, de se montrer autrement rassurant, en réaffirmant certaines valeurs et en éclairant les débats.
Si nos concitoyens sont demandeurs de sécurité, c’est avant tout pour pouvoir continuer de jouir de leurs libertés. N’est-ce pas précisément pour conserver leurs libertés que nos concitoyens souhaitent une intervention de l’État ? Dès lors, cette intervention ne devrait-elle pas s’apparenter à autre chose qu’à une surenchère sécuritaire qui dépasse l’objet de l’urgence ? Réduire nos libertés, n’est-ce pas là le projet politique et idéologique de Daech ? Vous nous accorderez le droit, monsieur le Premier ministre, de nous interroger.
La clé de voûte de ce projet de loi semble reposer sur une immense confusion pour les parlementaires et pour les citoyens : on nous enjoint de voter une loi supposée contribuer à la lutte contre le terrorisme, alors qu’il s’agit, en réalité, d’une loi sur l’ordre public, d’une loi gravée dans le marbre pour les années à venir, qui pourra s’appliquer à d’autres situations, à d’autres états d’urgence.
Il s’agit, avec cette loi, de suspendre pendant trois mois l’État de droit, de mettre entre parenthèses la chaîne judiciaire. Je souhaiterais être claire et précise pour que nos concitoyens sachent exactement de quoi nous débattons aujourd’hui.
Premièrement, souhaitons-nous prolonger l’état d’urgence, qui, en l’état de la loi du 3 avril 1955, est limité à douze jours, à trois mois ?
M. Philippe Dallier. Oui !
Mme Éliane Assassi. Deuxièmement, souhaitons-nous modifier le contenu de cette même loi, en intégrant de nouvelles dispositions sécuritaires ?
M. Philippe Dallier. Oui !
Mme Éliane Assassi. Si, concernant l’extension temporelle de l’état d’urgence, comme je l’ai évoqué plus tôt, la réponse n’est pas évidente, il faut tout au moins permettre au Parlement d’être informé, mais aussi d’interrompre par un vote l’état d’urgence.
La situation est encore moins claire en ce qui concerne les modifications matérielles de la loi. Si nous pouvons nous féliciter de la suppression de la censure de la presse et de l’instauration d’une information du Parlement, nous ne partageons pas la défiance généralisée à l’égard de notre système judiciaire qu’instaurent plusieurs dispositions, dont certaines ont été ajoutées par l’Assemblée nationale. Je pense, en particulier, à l’élargissement du régime d’assignation à résidence à toute personne dont le comportement semble menaçant, accompagné de mesures de placement sous surveillance électronique mobile – le fameux bracelet électronique. Comme d’autres orateurs, je vais citer Benjamin Franklin, pour qui « un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre, et finit par perdre les deux ».
Monsieur le Premier ministre, vous avez dit que « la sécurité est la première des libertés ». Cette phrase, je l’imagine, a été réfléchie au regard de l’histoire du XXe siècle. Vous avez reproché hier à certains députés de « s’enfermer dans le juridisme ». Pensez-vous qu’il soit acceptable de tenir de tels propos dans l’enceinte où se rédige la loi ? Le pouvoir exécutif détiendrait-il seul le pouvoir d’écrire cette loi ? Le débat doit vraiment avoir lieu, c’est la force de la démocratie, c’est notre force face au djihadisme !
Nous nous opposons à ces dispositions dont on voit aisément poindre les limites et les dérives pour notre démocratie. Notre opposition est d’autant plus ferme que nous sommes convaincus que la solution, à terme, n’est pas là. Comme le souligne l’ancien juge antiterroriste Marc Trévidic, dans la lutte contre le terrorisme, une seule cause majeure explique les insuffisances des forces de l’ordre : le manque de moyens humains et matériels de nos services de renseignement et de nos autorités judiciaires spécialisées. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Sur le plan extérieur, c’est la large coalition internationale, sous l’égide de l’ONU, qui permettra de détruire Daech et d’enclencher la reconstruction de la région. Nous appelons l’Union européenne à agir, elle aussi, dans ce sens.
D’un point de vue national, la question de la transformation profonde de la société pour renouer avec le lien social est plus que jamais d’actualité. Tous les moyens doivent être mis sur l’éducation et la culture. Interrogeons-nous : comment réagit la jeunesse des quartiers dont nous avons tant parlé en janvier ? Croyez-moi, il y a urgence, grande urgence à redonner espoir aux quartiers populaires, car rien n’a bougé de ce côté-là.
L’heure est grave, non seulement en France, mais également dans d’autres pays. Il n’est qu’à voir ce qui s’est passé ce matin au Mali. Mais ne cédons pas à l’émotion. Les guerres sont dues à une connivence contre nature entre raison, désir et colère, explique le philosophe Alain dans son essai Mars ou la guerre jugée. Ne cédons pas non plus à cette colère bien compréhensible et aux facilités de la rhétorique « martiale », sous couvert d’unité nationale ou d’union sacrée, laquelle a permis, ne l’oublions pas, monsieur le Premier ministre, les massacres de la guerre de 1914-1918 après l’assassinat de Jaurès. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Dallier. Il fallait oser !
Mme Éliane Assassi. En rappelant que la pluralité des points de vue est la pierre angulaire de notre démocratie, que ces assaillants terroristes veulent détruire, permettez-moi, mes chers collègues, d’opposer à ces discours de guerre une logique de paix : la lutte déterminée contre Daech doit conduire à la paix. Il faut le dire et le redire !
Dans cet état d’esprit, nous défendrons quelques amendements pour instaurer un minimum de débat, même dans l’urgence. Nous rappellerons que la France est attaquée, parce qu’elle est symbole de liberté dans ce monde.
Le texte qui nous est soumis s’inscrit dans un projet de société qui dépasse de toute évidence l’objectif de l’urgence. Ce projet de société n’est pas le nôtre, ni celui de nombreux démocrates, qui s’interrogent depuis deux jours.
Mes chers collègues, l’exercice de la démocratie n’est jamais facile, mais, au sein du groupe CRC, celle-ci s’impose toujours, particulièrement sur des sujets aussi sensibles que celui qui nous occupe aujourd’hui. Ce qui rassemble les membres de mon groupe est fort, et c’est ce qui nous permet d’exprimer parfois des votes différenciés dans le plus strict respect les uns des autres. Tel sera le cas aujourd’hui, avec des abstentions et des votes en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC – Mme Esther Benbassa applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Didier Guillaume.
M. Didier Guillaume. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les secrétaires d’État, mes chers collègues, la semaine dernière, la France a été attaquée, martyrisée, mais elle reste debout !
La France est debout, parce que la France est la France !
La France est debout, parce que ses dirigeants ont fait front et assumé la situation. Dès vendredi soir, le Président de la République a pris les bonnes décisions : il a fait preuve de compassion et a décidé une action immédiate.
Vous-même, monsieur le Premier ministre, avez déclaré dans votre intervention, tout à l’heure, que la France ne pliait pas. Effectivement, vous n’avez pas plié, à la tête de votre gouvernement, pour faire respecter nos règles, mettre fin à ce drame et traquer sans relâche les terroristes.
Le Gouvernement a été exemplaire, notamment le ministre de l’intérieur. M. Cazeneuve est un grand ministre, qui a porté haut la voix de la France à Bruxelles, et qui continuera, j’en suis sûr, à assumer son rôle régalien. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du RDSE et sur certaines travées de l’UDI-UC.)
La France est debout, parce que ses parlementaires sont debout, quels que soient les groupes politiques auxquels ils appartiennent. Lundi, au Congrès de Versailles, les parlementaires de la République française ont donné un formidable exemple de vie, de débat démocratique et de concorde nationale.
À cet égard, je tiens à saluer les présidents de groupe politique du Sénat, Bruno Retailleau, François Zocchetto, Éliane Assassi, Jacques Mézard, et Corinne Bouchoux. Je pense que toutes et tous avons pu être fiers de les entendre s’exprimer à la tribune du Congrès. (Applaudissements.)
Je le répète, la France est debout, et elle l’est, parce que ses maires et ses élus locaux sont debout : ils représentent le maillon local essentiel de la République. (Mme Sophie Joissains applaudit.)
À ce titre, je salue tout particulièrement François Baroin, président de l’Association des maires de France. La manifestation organisée mercredi matin au Palais des Congrès de Paris était exceptionnelle de dignité et de sobriété. Il s’en est dégagé une force montrant que les maires de France étaient là, solidaires, pour témoigner, pour accompagner, assumant le fait qu’ils seraient debout, dans leur commune, pour faire respecter l’État de droit.
À mon sens, l’unité nationale suppose que trois éléments soient réunis : l’exemplarité dans nos comportements, l’efficacité dans notre action et la proximité avec nos concitoyens.
Si la France est debout, elle l’est aussi parce que les Françaises et les Français sont debout. Certes, ils sont inquiets et ils s’interrogent, mais ils ont réagi.
Encore une fois, notre pays s’est levé. De nombreux rassemblements dans nos villes, des témoignages de solidarité par centaines de milliers sur les réseaux sociaux et sur internet, une véritable déclaration d’amour de Magyd Cherfi, le chanteur de Zebda, dans le journal Libération cette semaine (M. Stéphane Ravier proteste.) : notre nation a crié sa souffrance et son envie de résister.
Comme depuis quelques jours, ce soir encore, les Français vont former une grande chaîne d’union pour que la République reprenne force et vigueur.
Oui, la France est belle, lorsqu’elle est solidaire !
La France est debout, parce que ses services publics ont résisté et ont été d’une efficacité incroyable.
Notre volonté, votre volonté, monsieur le Premier ministre, implacables et indispensables, de combattre le terrorisme ont été traduites par l’action des forces de sécurité.
Nous l’avons tous déjà fait, mais je crois qu’il faut saluer de nouveau nos militaires, notamment ceux qui interviennent sur des théâtres d’opérations extérieures – nous pensons à eux ! –, et les forces de l’ordre républicaines que sont les policiers, les gendarmes, les troupes d’élite. Nous avons pu constater avec quel courage et quelle fierté ces femmes et ces hommes dépassaient leur propre personne pour protéger leurs compatriotes. L’intervention à Saint-Denis, mercredi matin, était en tout point remarquable.
Je tiens évidemment à rendre hommage aux professionnels de santé et aux pompiers, et j’ai une pensée particulière pour les services de renseignement.
La loi que nous avons votée voilà quatre mois va encore les renforcer. Cette semaine, les informations qu’ils ont recueillies ont permis la neutralisation des terroristes de Saint-Denis. Cet épisode montre que nos services de renseignement sont précis et efficaces. Rendons-leur hommage ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Soyons fiers d’être Français et arrêtons de céder à notre penchant naturel, véritable sport national, de tout critiquer, de tout décrier.
De cette tribune, je tiens à lancer un appel à l’ensemble des jeunes Françaises et Français : soyez patriotes ! Défendez le patriotisme ! Promouvons ensemble ce sentiment !