M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Raffarin, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. Jean-Pierre Raffarin. Ma question s'adresse à M. le Premier ministre.
Monsieur le Premier ministre, dans ces circonstances graves, vous pouvez aussi compter sur notre groupe pour rester rassemblés autour des valeurs et des institutions de la Ve République, auxquelles nous sommes attachés. Nous le voyons bien, aujourd'hui, il faut nous rassembler autour de ces institutions.
Hier, lors du Congrès, « l’homme en charge de l’essentiel », pour reprendre l’expression du général de Gaulle parlant du Président de la République, nous a annoncé un fort changement dans la politique étrangère, notamment en ce qui concerne la situation en Syrie.
J’aborderai trois sujets. Les deux premiers sont très clairs.
D’abord, la définition de l’ennemi est claire : l’ennemi, c’est l’État islamique. Nous avons hiérarchisé nos adversités. Désormais, nous voulons une stratégie sur un territoire, avec un adversaire. Nous sortons du « ni Daech ni Bachar ».
Ensuite, le périmètre des alliances est aussi clair : nous voulons qu’il y ait une seule coalition. Cela implique l’intégration de la Russie, afin que nous soyons rassemblés sur le terrain. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
Enfin, le troisième point a trait à la solution politique. C’est l’objet de ma première question, monsieur le Premier ministre. Que pensez-vous des négociations de Vienne ? Où allons-nous ? Comment – c’est, selon moi, l’élément majeur – peut-on associer les sunnites à l’exercice des responsabilités dans le territoire syrien ?
Monsieur le Premier ministre, quel bilan tirez-vous de nos frappes militaires ? En ce domaine, nous avons besoin de réponses précises, car nous sommes engagés dans une bataille qui exige l’efficacité. Les récentes frappes ont été spectaculaires. Pouvez-vous nous indiquer quels en sont les résultats et le bilan que vous faites de notre action militaire contre Daech ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin, j’apprécie votre engagement. Vous avez rappelé nos principes républicains, la solidité de nos institutions, celles de la Ve République. Je partage l’idée que, dans de tels moments, le chef de l’État incarne effectivement l’essentiel. Je crois que c’est ainsi que nous avons ressenti hier les choses et, au-delà du Congrès, que nos compatriotes les ont perçues.
L’ennemi, c’est Daech. Nous n’avons jamais changé de position. (Murmures sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.) L’ennemi, c’est Daech. L’État islamique nous a visés au mois de janvier 2015, parce que nous sommes la France. (M. Ladislas Poniatowski s’exclame.) Nous sommes un peuple debout qui parle au monde, un peuple libre.
Vous le savez, nous avons décidé dès 2014 d’intégrer une coalition, à laquelle nous avons contribué, afin de frapper l’État islamique en Irak. Nous l’avons fait avec le soutien d’un certain nombre de nos amis traditionnels, de pays de la région, à la demande du pouvoir irakien, avec le soutien aussi des Kurdes. Des résultats ont été obtenus sur le terrain, même si nous avons toujours dit que ce serait long et difficile et qu’il fallait d’abord contenir Daech.
Il faut aussi sans cesse rappeler que l’épicentre de l’État islamique est en Irak. C’est là où il est d’abord né, du démembrement de l’Irak, ainsi que des conséquences de l’intervention américaine. Mossoul est leur capitale. Ce n’est pas un village, vous le savez. Ce sont sans doute 300 000 habitants et des moyens financiers tout à fait considérables que Daech a accaparés et qui nourrissent aujourd'hui le terrorisme.
Nous avons décidé voilà encore quelques semaines, malgré les difficultés que cela peut représenter vu la situation en Syrie, de frapper Daech. C’est cela, notre objectif. Toujours. C’est l’ennemi.
J’étais moi-même voilà quelques semaines avec le ministre de la défense Jean-Yves Le Drian au Caire, à Riyad et en Jordanie. Nous avons précisément dit – ce sont vos propos, ainsi que ceux du Président de la République – que Daech était notre ennemi. Nous continuerons donc à frapper.
Monsieur Raffarin, vous connaissez bien ces questions. Le ministre de la défense se tient évidemment à votre disposition. Les sites que nous frappons, comme nous l’avons notamment fait à Raqqa, sont des centres de commandement, des camps d’entraînement. Ils correspondent à des objectifs que nous avons définis. Je ne doute pas des résultats que nos avions ont obtenus. Mais, à ce stade, je veux rester prudent et discret, vu les circonstances et les autres frappes que nous avons à effectuer.
Par ailleurs, s’il y a un changement sur le périmètre des alliances, ce n’est pas du fait de la diplomatie française ; ce sont les circonstances qui l’ont imposé.
Il y a une prise de conscience dans d’autres capitales. Ce qui s’est passé au cours de la nuit de vendredi dernier à Paris renvoie à la série d’attentats qui ont frappé ailleurs, dans un certain nombre de pays, comme la Turquie ou le Liban.
Je pourrais aussi évoquer l’avion de la compagnie russe. Monsieur Raffarin, vous êtes fin observateur. Vous l’aurez remarqué, c’est seulement ce matin que, pour la première fois, le gouvernement russe a considéré qu’il s’agissait d’un attentat. Je ne doute pas que les Russes ont désormais décidé de frapper aussi Daech. Cela constitue un vrai changement. Jusqu’à maintenant, les frappes russes concernaient en priorité ce que l’on appelle l’opposition modérée à Bachar al-Assad en Syrie.
Je salue ce changement : le Président la République y voit une occasion nouvelle. La France et l’ensemble de la communauté internationale doivent la saisir, d’où la proposition d’une résolution au Conseil de sécurité.
Des rencontres auront lieu la semaine prochaine avec le président Poutine et le président Obama pour créer les conditions de cette coalition unique. Chacun doit y prendre sa place, tant les deux grandes puissances que les États de la région. Sans eux, rien ne sera possible.
Je ne veux pas oublier non plus le nécessaire soutien aux Kurdes, qui se battent sur le terrain avec une vaillance absolument extraordinaire. (Applaudissements.)
J’en viens enfin à la solution politique. Personne ne peut penser que l’on trouvera, à terme – j’insiste sur ce mot –, une solution dans cette région du Levant, marquée par la division entre sunnites et chiites, si Bachar al-Assad se maintient au pouvoir. Toute solution politique devra intégrer cet élément. C’est le sens du processus de Vienne. Certes, la réunion à laquelle Laurent Fabius a participé samedi dernier n’a sans doute pas encore produit les résultats que nous espérions. Toutefois, la constitution d’une large coalition sur le plan militaire permettra, je n’en doute pas, de faire avancer l’indispensable processus politique qui doit s’engager entre des éléments du régime actuel et l’opposition modérée.
Monsieur Raffarin, nos objectifs sont clairs : l’ennemi, c’est Daech. Il est nécessaire de disposer d’une coalition large. La France va pleinement y contribuer, tant par ses frappes que par les initiatives du Président de la République.
Nous devons également avoir une vision à long terme. Trop souvent, dans les interventions menées ces dernières années en Irak ou en Libye, s’il y a eu victoire militaire dans un premier temps, l’erreur a été de ne pas avoir pensé la suite. Nous commettrions une faute stratégique si nous nous en tenions uniquement aux frappes, à une opération militaire, sans penser à la suite, notamment en Syrie. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur certaines travées du groupe écologiste et du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Raffarin, pour la réplique.
M. Jean-Pierre Raffarin. Monsieur le Premier ministre, on emploie beaucoup, dans ces circonstances, le mot de guerre. Si l’on parle ainsi, il faut aller jusqu’au bout. Soit une guerre de cette nature se gagne, soit c’est le malheur !
L’efficacité et le rassemblement sur le terrain sont absolument essentiels pour vaincre. Mais il faudra aussi plus de sécurité sur notre propre territoire, car on ne peut pas faire la guerre à Raqqa et expliquer que l’on va pouvoir vivre tranquillement en France, sans cette conscience des enjeux de sécurité.
Il nous faudra donc, tous ensemble, dans le rassemblement des institutions de la Ve République, mettre notre action à la hauteur de notre vocabulaire ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
grève des médecins
M. le président. La parole est à M. Gilbert Barbier, pour le groupe du RDSE.
M. Gilbert Barbier. Ma question s’adresse à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.
Après le drame qu’a vécu notre pays vendredi, notre première pensée va évidemment aux victimes. Nous exprimons notre compassion aux familles et nos vœux de rétablissement aux nombreux blessés.
Dans la situation d’urgence exceptionnelle que nous avons connue, nous devons souligner l’engagement des services de secours et de santé, qui ont répondu de la plus belle manière en cette délicate circonstance.
Spontanément, des médecins, des infirmiers et des établissements privés ont proposé leurs services et se sont montrés disponibles, même si les établissements de l'Assistance publique-hôpitaux de Paris, l’AP-HP, ont pu faire face.
Plus accessoirement, chacun le sait, dès la connaissance du drame, les professionnels de santé et tous les syndicats médicaux ont suspendu le mouvement revendicatif qu’ils avaient entamé le matin même.
Aujourd’hui, le cours de la vie doit reprendre et, alors que l’Assemblée nationale va débattre cette semaine du projet de loi de modernisation de la santé, vous ne semblez pas écouter les oppositions unanimes qui se sont élevées et qui s’élèveront encore contre ce texte.
Pourtant, ce moment de cohésion nationale que chacun appelle de ses vœux offre l’occasion de rouvrir le dialogue.
Ma question est simple. Madame la ministre, envisagez-vous de reporter l’examen de ce projet de loi, ne serait-ce qu’au-delà du 11 février, date à laquelle sont prévus des états généraux de la santé, organisés sur l’initiative de M. le Premier ministre ? (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes. Monsieur le sénateur, vous avez raison : vendredi soir, alors même que les attentats étaient encore en cours, mais également dans les heures et les jours qui ont suivi, les professionnels de santé ont été absolument extraordinaires et exceptionnels. Je me suis rendue dès samedi, et à plusieurs reprises depuis, dans les hôpitaux de l’AP-HP, les hôpitaux militaires et les hôpitaux de la petite couronne concernés, pour exprimer notre reconnaissance et notre fierté à ces professionnels.
Selon le dernier bilan établi, 221 personnes sont encore hospitalisées dans ces établissements, et 57 sont en réanimation. Pour les seuls hôpitaux de l’AP-HP, le pronostic vital reste engagé pour trois personnes au moins.
Bien entendu, nous devons saluer les professionnels de santé des hôpitaux, de même que les professionnels libéraux et établissements privés qui se sont montrés spontanément disponibles. Même si nous n’avons pas eu besoin de leurs services, je veux les remercier de l’expression de leur solidarité.
L’examen par l’Assemblée nationale du texte de modernisation de notre système de santé, qui devait commencer aujourd’hui, a été reporté de quelques jours. La discussion débutera jeudi, après l’examen du texte sur l’état d’urgence. J’en suis certaine, dans les circonstances que nous connaissons, chacune et chacun aura la volonté de faire en sorte que ce débat soit constructif et fasse apparaître les éléments d’un dialogue qui n’a jamais cessé. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Gilbert Barbier, pour la réplique.
M. Gilbert Barbier. Madame la ministre, je regrette que vous ne répondiez pas à ma question sur un éventuel report du projet de loi.
Si vous ne voulez pas retirer ce texte, retirez au moins son fameux article 18, qui divise le monde médical. Cela vous permettra de retrouver, je crois, une certaine cohésion. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
format de la cop 21 (conférence de paris sur le climat)
M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec, pour le groupe écologiste.
M. Ronan Dantec. Ma question s’adresse à Mme la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Madame la ministre, encore sous le choc des sordides attentats du 13 novembre, le gouvernement français a très vite décidé de maintenir la COP 21 à Paris, soulignant ainsi sa double volonté de ne rien céder sous la pression des terroristes et, surtout, de réaffirmer l’urgence d’un accord sur le climat.
Redisons-le ici à ceux qui pourraient penser qu’il y a aujourd’hui d’autres urgences que le changement climatique : sans stabilisation de la montée des températures sous les deux degrés centigrades, il ne sera pas possible de construire un monde de paix au XXIe siècle ! Faut-il aussi rappeler que les foyers terroristes se trouvent tous, aujourd’hui, dans des territoires durement éprouvés par le dérèglement climatique ? (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.)
À ce stade, les engagements des États sont encore insuffisants ; nous le savons. Aussi, l’une des spécificités intéressantes de cette conférence à Paris est de mettre clairement en exergue le rôle des acteurs non étatiques : associations, collectivités, organisations non gouvernementales… Nous avons insisté sur ce point dans la résolution que nous avons adoptée hier soir.
Ce rôle sera essentiel dans les prochains mois pour renforcer des dynamiques d’action concrète, pour crédibiliser un scénario sous les deux degrés et lutter ainsi contre le climato-fatalisme. C’était notamment le sens du sommet de Lyon, où nous avons eu l’occasion de vous accueillir avec le Président de la République, madame la ministre.
À ce stade, ces acteurs, qui se sont beaucoup investis dans la préparation de Paris Climat 2015, sont très inquiets à l'idée que l’inévitable renforcement de la sécurité autour de l’événement ne remette en cause leur visibilité et leur nécessaire expression.
Je sais que des décisions doivent encore être prises dans la semaine. Mais, madame la ministre, pouvez-vous d’ores et déjà nous assurer de la volonté du gouvernement français de maintenir la présence de ces acteurs, leur expression collective et les événements qu’ils portent, qui forment aujourd’hui le fer de lance de la lutte contre le dérèglement climatique ? (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie.
Mme Ségolène Royal, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie. Monsieur le sénateur Ronan Dantec, après la tragédie qui vient de frapper notre pays, l’annonce du maintien de la conférence sur le climat est un grand moment d’espérance et de solidarité. Plus de cent chefs d’État et de gouvernement seront réunis le 30 novembre prochain. Aucun d’entre eux n’a annulé sa venue depuis vendredi. Au contraire, nous avons reçu de nouvelles réponses positives. Tous les dirigeants de la planète seront donc représentés, pour faire en sorte que cette conférence sur le climat soit enfin un succès.
Vous avez raison de poser la question de la place des citoyens, des associations, des entreprises et des territoires. Vous êtes nombreux, sur ces travées, à vous être engagés pour que des débats aient lieu dans vos territoires.
La présence de ces forces vives de la « société civile » est absolument nécessaire. D’ailleurs, lorsque des décisions ont été prises pour lutter contre la déforestation, les pollutions et la dégradation de l’agriculture, ou encore pour protéger les océans, ce sont très souvent les associations et les citoyens qui se sont mobilisés.
On peut distinguer trois types de manifestations lors de la conférence.
Dans la zone des Nations unies, on ne pourra rentrer qu’avec un laissez-passer et les contrôles seront stricts.
Pour les espaces Générations climat, qui seront ceux du fourmillement d’initiatives citoyennes et de la mise en commun d’expériences et de solutions que vous avez décrits, nous renforcerons bien évidemment les conditions d’accès.
Enfin, pour les manifestations qui se dérouleront sur l’espace public, nous devrons, en lien avec le ministre de l’intérieur, évaluer l’importance des forces de l’ordre nécessaires, afin que le renforcement de la sécurité ne s’effectue pas aux dépens de celle des citoyens dans d’autres zones sensibles du territoire. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur certaines travées du groupe écologiste et du RDSE.)
pacte de stabilité, politique de sécurité et politique sociale
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour le groupe CRC.
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, avant toute chose, je tiens à faire part de toute mon émotion après les terribles attaques terroristes.
La France est en deuil. Le peuple tout entier est solidaire de toutes celles et de tous ceux qui souffrent aujourd’hui dans leur corps ou dans leur cœur.
Le Président de la République a annoncé hier un certain nombre de mesures, dont l’instauration d’un pacte de sécurité. Il a proposé, dans ce cadre, la création de 8 500 postes supplémentaires dans les domaines de la sécurité, de la justice et des douanes. Il a annoncé le maintien des effectifs de l’armée jusqu’en 2019.
Nos concitoyennes et concitoyens exigent en effet que leur sécurité soit assurée face aux actes de guerre terroriste. Ils veulent vivre en paix.
M. François Hollande a prononcé cette phrase d’une grande portée : « Je considère que le pacte de sécurité l’emporte sur le pacte de stabilité. » (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Henri de Raincourt. Ce n’était pas la meilleure !
Mme Cécile Cukierman. Pour la première fois, ce que mes collègues et moi affirmons depuis 2012 est reconnu : le diktat budgétaire est contestable !
Il est affirmé clairement que le maintien et le renforcement des services publics exigent de sortir des contraintes d’austérité imposées par Bruxelles.
Il n’est plus question de montrer du doigt les fonctionnaires. Depuis vendredi, ce sont les services publics et leurs agents – policiers, soldats, pompiers, personnels des hôpitaux et des collectivités territoriales – qui font face à l’urgence et qui font vivre les valeurs de solidarité et de fraternité !
Monsieur le Premier ministre, confirmez-vous devant le Sénat que cet effort budgétaire ne s’effectuera pas au détriment d’autres budgets ?
Enfin, chacun sait que le terreau sur lequel se développe la radicalisation dans notre pays est celui d’une crise sociale et culturelle profonde. Les services publics de l’éducation, de la culture et du sport, de même que l’aide aux associations, doivent jouer un rôle essentiel.
Allez-vous desserrer l’austérité dans ces secteurs-clés pour que, demain et après-demain, les fractures de notre société s’estompent ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement.
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement. Madame la sénatrice Cécile Cukierman, vous avez raison de le souligner : le Président de la République a insisté hier, de manière très concrète, sur le renforcement des forces de sécurité de notre pays, afin de mettre en œuvre une politique résolue de lutte contre le terrorisme, au service des Français.
Je vous le confirme, 5 000 emplois supplémentaires de policiers et de gendarmes seront créés d’ici à deux ans, portant à 10 000 le total des créations d’emplois dans le secteur sur l’ensemble du quinquennat. Cela compensera évidemment ce qui s’est passé lors du quinquennat précédent. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
La justice bénéficiera de 2 500 postes supplémentaires, notamment pour renforcer l’administration pénitentiaire. En outre, 1 000 créations d’emplois bénéficieront à l’administration des douanes, qui est également sollicitée, notamment pour le contrôle aux frontières.
Dès aujourd’hui, et jusqu’en 2019, les effectifs de nos armées seront stabilisés au profit des unités opérationnelles, mais aussi de la cyberdéfense et du renseignement.
Ces différentes mesures complètent celles qui avaient déjà été adoptées au profit de nos services publics de sécurité et de défense.
Cela ne s’effectuera évidemment pas au détriment des autres actions de l’État. L’effort supplémentaire devra être ajouté au budget, en particulier lors de l’examen du prochain projet de loi de finances rectificative, dans les semaines à venir.
En ce sens, le Président de la République a déclaré que le pacte de sécurité l’emportait sur le pacte de stabilité. La Commission européenne a d’ailleurs reconnu le bien-fondé des demandes de notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
sécurité intérieure et lutte contre la radicalisation
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour le groupe socialiste et républicain.
M. Jean-Pierre Sueur. « Parce qu’ils n’aiment personne, ils croient qu’ils aiment Dieu », écrivait Charles Péguy.
Mme Nathalie Goulet. Ah !
M. Jean-Pierre Sueur. Devant l’imposture du djihadisme et l’horreur du terrorisme, nous devons nous battre avec les armes de la République, à commencer par la laïcité.
Vous l’avez dit, monsieur le ministre de l’intérieur, il faut des mesures concrètes et efficaces. Je voulais vous demander de préciser celles que vous avez déjà prises ou allez prendre dans l’immédiat, autour de trois axes.
D’abord, mettre fin aux sites internet qui font l’apologie du terrorisme et du djihadisme. (M. Alain Bertrand applaudit.) La commission d’enquête du Sénat sur l’organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe a montré que c’était le principal facteur de la radicalisation.
Ensuite, donner plus de moyens à nos services de renseignement en matière de décryptage, afin de mieux percer les messages de ceux qui préparent ces attentats et, ainsi, de les prévenir et de les empêcher.
M. André Reichardt. Très bien !
M. Jean-Pierre Sueur. Enfin, interdire le départ de personnes radicalisées depuis la France vers la Syrie et appréhender toutes les personnes de retour de Syrie ayant participé à des actes terroristes ou à leur préparation.
C’est par des mesures concrètes que nous battrons nos ennemis !
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.
M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Monsieur le sénateur Jean-Pierre Sueur, vous m’interrogez sur des points précis.
Que comptons-nous faire pour mettre fin à la diffusion de discours de haine sur des sites ou blogs internet qui appellent ou provoquent au terrorisme ? Tout simplement, appliquer la loi du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, qui prévoit le blocage administratif des sites ! Ainsi, 87 sites et 115 adresses électroniques ont été bloqués. Nous travaillons d’ailleurs avec les opérateurs internet, notamment ceux qui sont situés dans la Silicon Valley, pour procéder plus rapidement au retrait. Cela fonctionne.
Que comptons-nous faire pour empêcher les départs ? Appliquer la loi du 13 novembre 2014, qui prévoit l’interdiction de sortie du territoire ! Ainsi, 190 interdictions ont été mises en œuvre depuis son adoption.
Nous avons également mis en place une interdiction de retour. Des étrangers ayant résidé sur le territoire national sont désormais empêchés d’y revenir. Dans le cadre des dispositions nouvelles que nous allons prendre, nous appliquerons cette disposition aux ressortissants binationaux.
Que comptons-nous faire plus généralement pour lutter contre le terrorisme, notamment pour réussir à lire les messages cryptés ? Appliquer la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement, qui permet désormais aux services compétents d’entrer dans les ordinateurs, en mobilisant des techniques particulières qui n’étaient pas susceptibles d’être utilisées jusqu’à présent ! Ces techniques pourront être utilisées exclusivement dans la lutte contre le terrorisme. C’est le cas du suivi en continu des terroristes ou de l’analyse sur internet d’un certain nombre d’algorithmes.
Chacun l’aura bien compris, en dépit des débats que nous avons eus, ces techniques sont absolument indispensables. Elles permettront de déjouer les actes qui sont aujourd’hui préparés sur internet et dissimulés par les moyens de la cryptologie. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
révision constitutionnelle et mesures de sécurité
M. le président. La parole est à M. Philippe Bas, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Bas. Monsieur le Premier ministre, dans l’épreuve, par-delà l’émotion, les Français montrent une fois de plus leur grandeur, leur dignité, leur force de caractère.
Hier, à Versailles, dans ce haut lieu de l’Histoire de France, la représentation nationale a exprimé l’unité de la Nation. Le Président de la République a annoncé des décisions. Beaucoup reprennent des propositions, récentes ou plus anciennes, que nous avions émises. C’était nécessaire !
Le Président de la République a également annoncé qu’il prendrait l’initiative d’une révision de la Constitution.
Notre collègue Jacqueline Gourault vous a posé une question ; vous n’avez pu y répondre de manière précise. En application de l’article 89 de la Constitution, il vous appartiendra de proposer au Président de la République une telle révision.
Que manque-t-il à notre Constitution pour être efficace dans la lutte contre le terrorisme ? Que proposez-vous de lui ajouter ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. Roger Karoutchi. Très bien.
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur le sénateur Philippe Bas, comme vous, je veux saluer une nouvelle fois la dignité et la force du peuple français.
J’ai eu l’occasion de souligner tout à l’heure à l’Assemblée nationale, dans une autre ambiance, combien nous devions être attentifs – Marisol Touraine l’a rappelé – à la situation des victimes.
Nous, nous allons vite, dans nos analyses et dans l’action. C’est ce que nous proposons, sous l’autorité du Président de la République.
Mais les Français sont choqués ; ils posent des questions, expriment des inquiétudes. Il y a de la peur. Il y a également, bien entendu, de la colère. Je veux penser aux victimes, à leurs familles, à leurs proches. Les corps n’ont pas été rendus ; les obsèques n’ont pas eu lieu. Il faut accompagner ces victimes.
Plusieurs sénateurs du groupe Les Républicains. Répondez à la question !
M. Manuel Valls, Premier ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous le dis du fond du cœur : les Français nous regardent. M. le président du Sénat commence toujours les séances de questions au Gouvernement, en rappelant qu’elles sont télévisées. Pourrions-nous au moins, surtout dans cette séance particulière, nous respecter les uns et les autres ? (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) Je ne donne aucune leçon. Je m’exprime calmement. Et c’est avec ce même calme que je répondrai à M. le sénateur Philippe Bas, si ceux qui ont voulu m’interrompre me le permettent encore. (Mêmes mouvements.)