M. Christian Favier. L’article 8 prévoit que l’étranger doit pouvoir justifier « à tout moment » qu’il continue de satisfaire aux conditions fixées pour la délivrance de son titre de séjour, faute de quoi celui-ci peut lui être retiré ou ne pas être renouvelé. À l’évidence, l’objectif de cet article est d’inciter à la pratique de contrôles inopinés et de précariser le statut des étrangers en situation régulière.

Afin de limiter les effets de l’application de son dispositif, nous proposons d’encadrer a minima ces mesures de contrôle, en prévoyant la saisine obligatoire de la commission départementale du titre de séjour. Déjà saisie en cas de refus de délivrance d’un titre de séjour par le préfet, cette commission, composée de personnalités indépendantes, apporterait un élément sécurisant dans le parcours administratif des étrangers.

M. le président. L'amendement n° 164, présenté par Mmes Benbassa, Aïchi, Archimbaud, Blandin et Bouchoux et MM. Dantec, Desessard, Gattolin, Labbé et Placé, est ainsi libellé :

I. – Alinéas 2 à 4

Remplacer ces alinéas par un alinéa ainsi rédigé :

« Art. L. 313-5-1. – Si l’étranger titulaire d’une carte de séjour pluriannuelle cesse de remplir les conditions exigées pour sa délivrance, la carte de séjour peut lui être retirée ou son renouvellement refusé. »

II. – Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

... – Au premier alinéa de l’article L. 312-2 du même code, les mots : « lorsque celle-ci envisage de refuser de délivrer ou de renouveler une carte de séjour temporaire à un étranger mentionné à l’article L. 313-11 » sont remplacés par les mots : « lorsque celle-ci envisage de refuser de délivrer de retirer ou de renouveler une carte de séjour temporaire prévue à l’article L. 313-11, une carte de séjour pluriannuelle ».

La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Il s’agit d’un amendement de repli par rapport à notre demande de suppression de l’article 8. Il tend à prévoir que seule la carte de séjour pluriannuelle puisse être retirée ou son renouvellement être refusé à son titulaire si celui-ci cesse de remplir les conditions exigées pour sa délivrance.

De plus, l’amendement vise à prévoir la saisine obligatoire de la commission départementale du titre de séjour avant toute décision de retrait d’un titre de séjour temporaire ou d’une carte de séjour pluriannuelle.

M. le président. L'amendement n° 129, présenté par MM. Kaltenbach et Leconte, Mme Tasca, MM. Sueur, Delebarre, Marie, Desplan et Sutour, Mmes S. Robert, D. Gillot, Jourda, Yonnet, D. Michel et Cartron, M. Courteau, Mme Khiari, M. Yung et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

Alinéa 2, première phrase

après le mot :

doit

rédiger ainsi la fin de cet alinéa :

être en mesure de justifier qu'il continue de remplir les conditions requises pour la délivrance de cette carte. L'autorité administrative peut procéder aux vérifications utiles pour s'assurer du maintien du droit au séjour de l'intéressé et, à cette fin, convoquer celui-ci à un ou plusieurs entretiens.

La parole est à M. Philippe Kaltenbach.

M. Philippe Kaltenbach. L’article 8 tend à organiser les contrôles mis en œuvre par l’autorité administrative pour vérifier la régularité du séjour de l’étranger.

Tel qu’il était initialement rédigé, cet article n’était pas satisfaisant. Dans sa version première, il prévoyait en effet que l’étranger titulaire d’une carte de séjour temporaire ou pluriannuelle devrait pouvoir justifier à tout moment qu’il continuait de satisfaire aux conditions fixées pour la délivrance de la carte. L’article instaurait ainsi un contrôle permanent et faisait peser sur l’étranger une présomption de présence irrégulière sur le territoire national, que nos collègues députés ont jugé avec raison excessive.

Avec l’accord du Gouvernement, l’article a été récrit dans un sens plus neutre et plus objectif. Il impose désormais à l’étranger d’ « être en mesure de justifier qu’il continue de remplir les conditions requises pour la délivrance de cette carte » et prévoit que « l’autorité administrative peut procéder aux vérifications utiles pour s’assurer du maintien du droit au séjour de l’intéressé et, à cette fin, convoquer celui-ci pour un ou plusieurs entretiens ».

Malheureusement, la commission des lois du Sénat a souhaité revenir au texte initial du projet de loi. Nous sommes convaincus que c’est inutile, et même contreproductif.

La rédaction résultant des travaux de l’Assemblée nationale permet de s’assurer de manière effective de la régularité du séjour de l’étranger. Si la demande lui en est faite, l’étranger devra justifier qu’il continue de remplir les conditions requises pour la délivrance de sa carte de séjour et l’autorité administrative pourra procéder aux vérifications nécessaires et surtout entendre l’intéressé.

La rédaction que le rapporteur propose de rétablir apporte-t-elle un « plus » ? À l’évidence non, puisqu’elle fait peser une suspicion permanente sur l’étranger, ce qui n’est pas de nature à favoriser son intégration. Par ailleurs, elle supprime toute marge d’appréciation pour l’autorité administrative. Nous avions pourtant cru comprendre que le rapporteur y était très attaché.

Le groupe socialiste et républicain croit donc utile de revenir au dispositif proportionné issu des travaux de l’Assemblée nationale.

M. le président. L'amendement n° 113, présenté par MM. Kaltenbach et Leconte, Mme Tasca, MM. Sueur, Delebarre, Marie, Desplan et Sutour, Mmes S. Robert, D. Gillot, Jourda, Yonnet, D. Michel et Cartron, M. Courteau, Mme Khiari, M. Yung et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

Alinéa 3, première phrase

Après les mots :

contrôles ou

insérer les mots :

, sans motif légitime,

La parole est à M. Philippe Kaltenbach.

M. Philippe Kaltenbach. L'alinéa 3 de l’article 8 prévoit que l'étranger peut se voir retirer son titre de séjour ou voir le renouvellement de celui-ci refusé s'il cesse de remplir l'une des conditions exigées pour la délivrance de cette carte, s’il fait obstacle aux contrôles ou s’il ne défère pas aux convocations.

L’appréciation de la troisième de ces hypothèses est empreinte de subjectivité. En outre, le simple fait de ne pas déférer à une convocation peut s’expliquer par une absence parfaitement licite et légitime du territoire français, voire du domicile, en cas de maladie ou d’hospitalisation par exemple.

Le présent amendement vise donc à mieux garantir les droits de l'étranger en prévoyant que la carte de séjour peut lui être retirée s'il ne défère pas aux convocations, sans motif légitime. Cela veut dire que, si un motif légitime a empêché l’étranger de se présenter à une convocation, son titre de séjour ne pourra pas lui être retiré. Cette précision utile vise donc à mieux protéger l’étranger.

M. le président. L'amendement n° 52 rectifié, présenté par MM. Leconte et Yung et Mmes Yonnet, Espagnac, Jourda et Lepage, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 3

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« La décision de retrait ou de refus de renouvellement de la carte de séjour ne pourra intervenir avant un délai de six mois après la date à laquelle l’étranger a été mis à même de présenter ses observations, ou à la date d’expiration de cette carte si elle est antérieure.

La parole est à M. Jean-Yves Leconte.

M. Jean-Yves Leconte. La mise en place du titre de séjour pluriannuel se conjugue avec les dispositions prévues à l’article 8 et à l’article 25 qui visent à la fois à instaurer une procédure de contrôle et à ouvrir à l’autorité administrative de nouveaux droits lui permettant de recueillir certaines informations sur la manière dont vit la personne bénéficiaire de ce titre de séjour et sur ses activités pendant la durée de ce titre.

Si l’autorité administrative juge que cette personne ne répond plus aux critères qui ont permis la délivrance de cette carte de séjour, une procédure rapide d’annulation du titre est mise en œuvre.

Or si l’on veut que l’intégration fonctionne bien, il importe de sécuriser les procédures. En effet, la vie n’est pas une ligne droite, des changements peuvent intervenir. Un conjoint de Français peut divorcer, un étudiant peut attendre un enfant et interrompre provisoirement ses études. Il ne faut pas que les événements de la vie conduisent à précariser les intéressés.

L’amendement n° 52 rectifié a donc pour objet de sécuriser la procédure de retrait ou de non-renouvellement de carte de séjour prévue à l’article 8 du projet de loi.

L’alinéa 3 de l’article 8, dans sa rédaction actuelle, se borne à prévoir qu’une décision motivée de retrait ou de non-renouvellement est adressée après que l’étranger « a été mis à même de présenter ses observations » sur les informations recueillies par l’autorité administrative. Afin de respecter le principe du contradictoire et de ne pas faire de la carte pluriannuelle un titre qui pourrait être retiré à tout moment alors que la personne étrangère pourrait prétendre au droit au séjour sur un autre fondement que celui sur lequel il a été initialement délivré, il est nécessaire de permettre à l’intéressé de disposer d’un délai durant lequel il pourra faire valoir son droit au séjour auprès de l’autorité préfectorale.

Notre amendement prévoit un délai de six mois ou jusqu’à l’expiration de la date de validité de la carte de séjour initiale, si cette dernière est encore valable plus de six mois.

L’idée est de remplacer un an « dur » par quatre ans « mous », durée qui peut toujours être remise en cause si les conditions exigées pour la délivrance du titre ne sont plus réunies. Sur quatre ans, beaucoup de choses peuvent bien entendu évoluer. Il s’agit de permettre à la personne de présenter ses observations sur le dossier constitué par l’autorité administrative, mais aussi éventuellement de se mettre de nouveau en situation de bénéficier d’un titre de séjour pluriannuel.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. François-Noël Buffet, rapporteur. L’adoption des amendements nos 67 et 164 aurait pour conséquence de supprimer les précisions relatives au contrôle réalisé a posteriori de la délivrance de la carte de séjour temporaire, ce qui, évidemment, n’est pas souhaitable. En effet, l’autorité administrative doit être en mesure de procéder à ces contrôles tout en respectant les droits des personnes concernées, notamment le droit à une procédure contradictoire.

Ces amendements prévoient également la saisine de la commission départementale du titre de séjour pour le retrait ou le refus de renouvellement de la carte de séjour pluriannuelle. Cette disposition alourdirait considérablement la procédure de retrait. Elle serait également redondante avec la procédure du contradictoire prévue à l’article 8.

L’amendement n° 129 prévoit que l’autorité administrative « peut » procéder aux contrôles et non qu’elle « procède » à ces contrôles. Or l’article 8 a bien pour objet de prévoir des contrôles a posteriori de la délivrance des titres de séjour afin de s’assurer – on l’a déjà expliqué – que leurs titulaires continuent de remplir les conditions de délivrance.

La notion de « tout moment » ne fait peser aucune présomption sur les étrangers. Elle permet simplement de poser le principe selon lequel le titre de séjour peut être retiré dès lors que la personne concernée ne respecte plus les conditions d’attribution.

Sur l’amendement n° 52 rectifié, je souligne que le délai de six mois qu’il prévoit pour la procédure du contradictoire réduirait grandement l’efficacité de cette procédure. Il suppose, en outre, d’attendre six mois avant de retirer son titre de séjour à un étranger représentant éventuellement une menace pour l’ordre public, ce qui semble beaucoup trop long.

Enfin, l’amendement n° 113 précise que des « motifs légitimes » peuvent justifier que l’étranger ne défère pas aux convocations de l’autorité administrative.

Or quatre garanties sont déjà accordées aux étrangers risquant de se voir retirer leur titre de séjour pour ne pas s’être présentés aux convocations : premièrement, une procédure contradictoire est prévue ; deuxièmement, ce retrait de titre pour non-présentation aux convocations ne serait qu’une faculté pour la préfecture ; troisièmement, le terme de « convocations » est au pluriel, ce qui signifie que le simple fait de ne pas répondre à une convocation n’entraînerait pas ipso facto le retrait du titre ; enfin, quatrièmement, la proportionnalité de la décision de retrait serait vérifiée par le juge en cas de contentieux.

Il ne semble donc pas nécessaire d’introduire une cinquième garantie dans ce dispositif déjà bien sécurisé. Celui-ci est équilibré en l’état et permettra de lutter contre l’ensemble des comportements qui pourraient être clairement dilatoires ou non-coopératifs

Pour l’ensemble de ces raisons, la commission est défavorable aux amendements nos 67, 164, 129, 113 et 52 rectifié.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Après les explications du rapporteur, j’irai à l’essentiel.

Le Gouvernement est favorable aux amendements nos 113 et 129 présentés par M. Kaltenbach, qui sont pertinents par les orientations qu’ils prévoient. En précisant clairement les pouvoirs de l’administration, ils renforcent la cohérence du texte.

À l’inverse, les amendements nos 67, 164 et 52 rectifié paraissant de nature à nuire à la capacité de contrôle de l’administration, j’y suis donc défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 67.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 164.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 129.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 113.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 52 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 8, modifié.

(L'article 8 est adopté.)

Article 8
Dossier législatif : projet de loi relatif au droit des étrangers en France
Article 8 bis

Article 8 bis A (nouveau)

I. – L’article L. 313-3 du même code est ainsi modifié :

1° Après le mot : « temporaire », sont insérés les mots : « ou la carte de séjour pluriannuelle » ;

2° Après le mot : « refusée », sont insérés les mots : « ou retirée ».

II. – L’article L. 313-5 du même code est ainsi modifié :

1° Le premier alinéa est ainsi rédigé :

« La carte de séjour temporaire ou la carte de séjour pluriannuelle peut être retirée à l’étranger condamné sur le fondement des articles 222-34 à 222-40, 224-1-A à 224-1-C, 225-4-1 à 225-4-4, 225-4-7, 225-5 à 225-11, 225-12-1 à 225-12-2, 225-12-5 à 225-12-7, 225-13 à 225-15, du 7° de l’article 311-4 et des articles 312-12-1 et 321-6-1 du code pénal. » ;

2° Au deuxième alinéa, après le mot : « temporaire », sont insérés les mots : « ou la carte de séjour pluriannuelle » ;

3° Au troisième alinéa, après le mot : « temporaire », sont insérés les mots : « ou de sa carte de séjour pluriannuelle » ;

4° Au dernier alinéa, après le mot : « code », sont inséré les mots : « ou la carte de séjour pluriannuelle générale portant la mention “étudiant” ».

M. le président. L'amendement n° 195, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Alinéa 6

Remplacer les mots :

condamné sur le fondement des

par les mots :

ayant commis les faits qui l’exposent à l’une des condamnations prévues aux

La parole est à M. le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. J’ai le sentiment, en présentant cet amendement, de me trouver à contre-emploi, si je puis dire, compte tenu de la façon dont un certain nombre de sénateurs se représentent la position gouvernementale sur la question des migrations.

Cet amendement vise à rétablir la possibilité de procéder au retrait d’une carte de séjour temporaire ou d’une carte de séjour pluriannuelle lorsqu’un étranger a commis des faits constitutifs d’une des infractions citées à l’article L. 73-5 du CESEDA sans qu’il soit nécessaire pour cela d’attendre une condamnation définitive.

La commission des lois a, pour des raisons que je ne comprends pas, sur l’initiative du rapporteur – excellent au demeurant – voulu clarifier les dispositions du projet de loi relatives à la réserve d’ordre public, notamment l’article L. 313-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile qui énonce une réserve générale d’ordre public, et l’article L. 315-5 qui autorise le retrait du titre de séjour d’un étranger ayant commis des faits relevant d’infractions prévues par le code pénal.

La préoccupation qui est la vôtre est partagée par le Gouvernement : le droit au séjour que nous demandons doit assurer un équilibre rigoureux entre les droits et les devoirs. Ce n’est pas parce le texte s’intitulait initialement « projet de loi relatif au droit au séjour des étrangers en France » qu’il visait à ne traiter que des droits et non pas des devoirs, contrairement à ce que certains ont pu comprendre, ce qui a conduit au changement de l’intitulé de ce projet de loi.

D’un côté, nous nous devons de reconnaître un droit au séjour aux étrangers qui remplissent les critères et nous devons aussi les accueillir dans les meilleures conditions.

De l’autre côté, les étrangers doivent, comme tout un chacun, respecter nos lois et l’ordre public. Il est légitime que ceux qui manqueraient à ces devoirs élémentaires et troubleraient l’ordre public puissent se voir retirer leur droit au séjour. Si nous ne le faisions pas, plus rien n’aurait de sens !

Or, dans le même temps où votre commission des lois allongeait la liste des infractions susceptibles de justifier d’un retrait de carte de séjour, elle a prévu que le retrait ne pouvait intervenir qu’après condamnation définitive, exigence qui n’est pas énoncée par le texte aujourd'hui applicable.

Celui-ci prévoit en effet que la procédure de retrait peut être engagée dès la commission des faits relevant d’une infraction pénale visée par le CESEDA, sans qu’il soit nécessaire d’attendre la condamnation définitive.

Monsieur le rapporteur, vous avez donc réduit considérablement, par l’amendement que vous avez introduit, la portée de cet article, contre la volonté de fermeté du Gouvernement, notamment du ministère de l’intérieur, en ces matières.

La rédaction de la commission, si elle devait être maintenue, ne permettra plus de procéder à des retraits de titre de séjour dans certains cas de menaces évidentes à l’ordre public. Compte tenu de la responsabilité qui est la mienne en tant que ministre de l’intérieur, ainsi que de la détermination et de la fermeté qui m’animent, je ne peux pas me satisfaire de cet amendement voté par la majorité sénatoriale.

J’ajoute qu’aucun principe constitutionnel, conventionnel ou jurisprudentiel n’exigeait de revenir à une telle disposition. J’aurais d'ailleurs totalement compris que ce fût le cas si de tels principes s’appliquaient. Mais si des considérations de cette nature s’étaient imposées, je n’aurais pas proposé que le texte initial du Gouvernement fût écrit de la manière dont il l’a été.

Le Conseil constitutionnel a été extrêmement précis sur cette question. Dans sa décision du 13 mars 2003, il a en effet estimé que le pouvoir de retirer la carte de séjour temporaire prévu à l’article L. 313-5 n’était pas contraire aux principes de valeur constitutionnelle, s’agissant d’un pouvoir de police administrative exercé en raison de la menace à l’ordre public que représentent les faits en cause. Lorsque le Gouvernement et le ministère de l’intérieur adoptent une démarche de fermeté, c’est systématiquement en conformité avec les principes constitutionnels, ce qui est toujours mieux.

En outre, le principe de la présomption d'innocence n’est en rien méconnu, car il ne s’agit pas de se placer sur le terrain de la sanction pénale, mais il s’agit uniquement de se placer sur celui de la police administrative. Dans le cadre de ce dernier pouvoir, l’intéressé a la possibilité, comme la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations le prévoit de façon obligatoire, de présenter ses observations avant que l’administration ne prenne sa décision.

Il est éminemment souhaitable, et je voudrais vraiment en convaincre la majorité sénatoriale, que, face à un risque avéré de trouble important à l’ordre public, compte tenu du contexte particulier que nous connaissons au regard de menaces incontestables, l’autorité préfectorale puisse prendre sans retard les mesures nécessaires pour sauvegarder l’ordre public et, en l’occurrence, retirer le titre de séjour. Je tiens beaucoup, pour cette raison, à ce que le Sénat adopte cet amendement n° 195.

Je rappelle que l’article L. 313-5 du CESEDA vise des faits dont la gravité ne fait aucun doute : trafic de stupéfiants et recel – ce n’est pas rien –, traite des êtres humains, proxénétisme, exploitation de la mendicité, vol commis dans les transports en commun, demande de fonds sous contrainte, prostitution de mineurs ou de personnes particulièrement vulnérables, réduction en servitude ou en esclavage, travail forcé, c'est-à-dire tous les sujets sur lesquels j’ai demandé à mon administration, à la police et à la gendarmerie de se mobiliser.

Dans tous ces cas, l’administration doit pouvoir se fonder sur la commission, par l’intéressé, de faits qui l’exposent aux condamnations visées et dont peuvent attester, par exemple, les procès-verbaux, sans qu’il y ait lieu d’attendre le terme de la procédure judiciaire.

Vraiment, mesdames, messieurs les sénateurs, la fermeté du Gouvernement en matière de lutte contre la délinquance justifie que vous reveniez sur la disposition adoptée en commission, dont je ne comprends ni la philosophie ni l’opportunité !

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. François-Noël Buffet, rapporteur. C’est peut-être le seul moment de l’examen du projet où j’apparaîtrai comme un dangereux laxiste, puisque, depuis hier, on ne cesse de dire, à l’inverse, que je suis un abominable personnage, qui durcit les dispositions du texte, qui est très méchant avec les étrangers et qui ne les aime pas… (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.) Au reste, laissons dire ! Ces accusations ne sont pas très graves.

Je vais expliquer pourquoi la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement. Je tâcherai, en dépit de la grande technicité de mon propos, d’être aussi pédagogique que possible.

Cet amendement vise à retirer les titres accordés aux personnes ayant commis des faits les exposant à certaines condamnations pénales.

En réalité, aujourd'hui, il existe deux régimes juridiques permettant de retirer un titre de séjour.

Le premier découle des dispositions de l’article L. 313-3 du CESEDA, qui prévoient un retrait en cas de menace pour l’ordre public sans condamnation pénale préalable. L’existence d’une menace pour l’ordre public caractérisé permet à l’autorité administrative de retirer le titre de séjour sans autre forme de procès. D’ailleurs, la commission a renforcé ce pouvoir dont bénéficie l’administration, puisqu’elle l’a étendu aux cartes de séjour temporaire.

Le second régime est défini par les dispositions de l’article L. 313-5 du même code, qui visent une liste limitative d’infractions, comme le trafic de stupéfiants – M. le ministre l’a rappelé. En l’état du droit positif, le simple fait d’être « passible » d’une condamnation peut justifier le retrait d’un titre de séjour. Cette possibilité existe donc d'ores et déjà !

Toutefois, cette procédure est peu utilisée par les préfets, car elle est peut-être un peu fragile sur le plan juridique. En effet, en l’absence de condamnation judiciaire, comment prouver qu’un individu a réellement commis les faits qui lui sont reprochés ? La question n’est pas que théorique. La circulaire du 20 janvier 2014 prévoit qu’un simple rapport administratif des services de police peut justifier le retrait du titre de séjour, en dépit de sa valeur probante limitée. En outre, il n’appartient pas au préfet de constater des infractions pénales, même dans le cadre d’une procédure administrative.

À cet égard, la proposition du Gouvernement de préciser que la personne doit avoir « commis les faits » ne modifie pas, à mon avis, le risque d’insécurité juridique tel qu’il existe aujourd'hui. C’est pourquoi la commission des lois a souhaité que le recours à l’article L. 313-5 du CESEDA ne soit possible qu’après l’existence d’une condamnation pénale. Avant celle-ci, le préfet pourra toujours utiliser, quelles que soient les circonstances, le premier régime de retrait de titre – celui de l’article L. 313-3 du CESEDA – en cas de menace à l’ordre public. L’action de l’administration sur le plan de la prévention et de la sécurité publique sera donc non pas affaiblie, mais renforcée, son cadre juridique ayant été consolidé.

Telles sont les raisons pour lesquelles la commission des lois a émis un avis défavorable sur l’amendement du Gouvernement. Au demeurant, si le Sénat estime que je suis trop laxiste, je me soumettrai à sa décision !

M. le président. La parole est à M. Éric Doligé, pour explication de vote.

M. Éric Doligé. Pour commencer, monsieur le ministre, j’ai écouté avec beaucoup d’attention votre intervention. Non, vous n’êtes pas à contre-emploi ; vous êtes même « à plein emploi », si j’ose dire ! En effet, il est de votre responsabilité de montrer votre fermeté.

D’ailleurs, j’avoue que les arguments que vous avez employés ont continué à me convaincre de la nécessité de voter votre amendement. En effet, il me semble important de préciser qu’il est possible de retirer rapidement la carte de séjour remise à un étranger ayant troublé l’ordre public en vertu des articles rappelés dans l’objet de l’amendement.

J’espère que le Sénat vous suivra sur cette position, qui est extrêmement importante.

J’ai bien écouté l’explication de M. le rapporteur de la commission des lois – dont je ne fais pas partie. L’avis rendu m’a convaincu sur le plan technique, mais pas suffisamment pour remettre en cause ma décision. Bien évidemment, je le prie de bien vouloir m’en excuser !

L’intervention à la fois technique et politique de M. le ministre a achevé de me déterminer à voter cet amendement. Je pense qu’un certain nombre de mes collègues en feront autant !

M. le président. La parole est à M. Michel Mercier, pour explication de vote.