Mme Éliane Assassi. Cela fait peur !

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Deux difficultés se présentent, auxquelles s’applique le même raisonnement : elles concernent le droit d’asile et le regroupement familial.

M. le président. Veuillez conclure, monsieur le président de la commission !

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Dans les deux cas, la Constitution impose des limites à ce que nous pourrions voter, chaque année, dans une loi fixant le nombre d’immigrés réguliers par catégorie. Je l’admets !

Mais cela ne nous dispense pas de définir des objectifs. Nous le faisons bien pour l’assurance maladie : quand nous votons l’ONDAM, l’objectif national de dépenses de l’assurance maladie, nous savons que, les remboursements de soins correspondant à des droits de nos concitoyens, le chiffre que nous adoptons pourra ne pas être totalement respecté, par exemple en cas d’épidémie de grippe.

De la même façon, nous devons pouvoir fixer, dans la loi annuelle relative au contrôle de l’immigration, des objectifs qui respectent tous les droits en matière de regroupement familial, mais qui permettent aussi d’évaluer, dans le cadre des politiques menées et des conditions du regroupement familial, ce qu’il sera possible de faire dans l’année à venir. Cela n’implique nullement de violer les dispositions de la Constitution ou de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales relatives au regroupement familial !

C’est la raison pour laquelle je propose une rectification à l’amendement n° 1 rectifié ter, si son auteur en est d’accord, afin d’ajouter, au dernier paragraphe, que l’objectif en matière de regroupement familial est établi « dans le respect des principes qui s’attachent à ce droit ». Après tout, c’est le seul point qui sépare notre amendement de celui qu’a présenté Michel Mercier...

Cela ne nous empêche pas, dans le cadre de notre politique de l’immigration – nous allons d’ailleurs le faire dans le texte relatif au contrôle de l’immigration –, de définir les conditions d’un regroupement familial resserré.

Mais, j’y insiste, nous voulons préciser que l’objectif chiffré en matière de regroupement familial est établi dans le respect des principes qui s’attachent à ce droit. Dans l’esprit des auteurs de l’amendement, notamment de Roger Karoutchi, cela va certainement de soi ; il pourra nous le confirmer. Il n’a certainement pas entendu remettre en cause des droits qui sont consacrés par la Constitution et par l’article 8 de la CEDH...

J’espère que cet amendement, ainsi rectifié, pourra recueillir un large accord.

M. le président. Mes chers collègues, je tiens à attirer votre attention sur le fait que le temps de parole est désormais restreint, décision prise sous l’autorité de M. Karoutchi… (Sourires.)

M. Roger Karoutchi. Je la respecte ! (Nouveaux sourires.)

M. le président. Je vous invite tous, y compris M. le président de la commission des lois, avec tout le respect que j’ai pour lui, à respecter le nouveau temps de parole imparti.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Le président de la commission intervient aussi souvent qu’il le souhaite !

M. le président. À défaut, nous risquons un dérapage non pas verbal, mais temporel, ce qui nous contraindrait à aller ensuite très vite.

Monsieur Karoutchi, que pensez-vous de la rectification proposée par M. le président de la commission ?

M. Roger Karoutchi. J’y suis favorable, et je rectifie mon amendement en ce sens, monsieur le président.

M. le président. Je suis donc saisi d’un amendement n° 1 rectifié quater, présenté par MM. Karoutchi, Frassa et Cambon, Mme Canayer, MM. César et Danesi, Mmes Deroche, Des Esgaulx et Di Folco, MM. Dufaut, J. Gautier et Gilles, Mme Giudicelli, M. Joyandet, Mme Lamure, MM. Laufoaulu, de Legge, Retailleau, Saugey et Soilihi, Mme Troendlé, MM. Lefèvre, B. Fournier, Mayet, Calvet, Dallier, Mandelli, Bouchet, Lemoyne, Genest, Allizard, Pierre, Nougein, Vogel, Masclet, Pillet, Morisset et Doligé, Mmes Procaccia et Duchêne, M. Duvernois, Mme Kammermann, MM. Falco et Charon, Mme Gruny, MM. Houel, Houpert, Kennel et D. Laurent, Mme Lopez, MM. A. Marc, Portelli, Raison et Revet, Mmes Mélot et Micouleau, MM. Bouvard et Chaize, Mme Estrosi Sassone, MM. J.P. Fournier, Laménie, Lenoir, Mouiller, Nègre, Savary et Pellevat, Mme Keller, M. Chasseing, Mme Imbert, M. Pointereau, Mme Morhet-Richaud, MM. Cornu et Delattre, Mmes Deseyne, Duranton et Primas et MM. Gournac, Vasselle et Gremillet, et ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

L’article L. 111-10 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est ainsi rédigé :

« Art. L. 111-10. – Les orientations pluriannuelles de la politique d’immigration et d’intégration peuvent faire l’objet d’un débat annuel au Parlement.

« Le Parlement prend alors connaissance d’un rapport du Gouvernement qui indique et commente, pour les dix années précédentes :

« a) Le nombre des différents visas accordés et celui des demandes rejetées ;

« b) Le nombre des différents titres de séjour accordés et celui des demandes rejetées et des renouvellements refusés ;

« c) Le nombre d’étrangers admis au titre du regroupement familial et des autres formes de rapprochement familial ;

« d) Le nombre d’étrangers admis aux fins d’immigration de travail ;

« e) Le nombre d’étrangers ayant obtenu le statut de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire, ainsi que celui des demandes rejetées ;

« f) Le nombre d’attestations d’accueil présentées pour validation et le nombre d’attestations d’accueil validées ;

« g) Le nombre d’étrangers ayant fait l’objet de mesures d’éloignement effectives comparé à celui des décisions prononcées ;

« h) Les procédures et les moyens mis en œuvre pour lutter contre l’entrée et le séjour irréguliers des étrangers ;

« i) Les moyens mis en œuvre et les résultats obtenus dans le domaine de la lutte contre les trafics de main-d’œuvre étrangère ;

« j) Les actions entreprises avec les pays d’origine pour mettre en œuvre une politique de gestion concertée des flux migratoires et de codéveloppement ;

« k) Les actions entreprises pour favoriser l’intégration des étrangers en situation régulière ;

« l) Le nombre des acquisitions de la nationalité française, pour chacune des procédures ;

« m) Des indicateurs permettant d’estimer le nombre d’étrangers se trouvant en situation irrégulière sur le territoire français.

« Le Gouvernement présente, en outre, les conditions démographiques, économiques, géopolitiques, sociales et culturelles dans lesquelles s’inscrit la politique nationale d’immigration et d’intégration. Il précise les capacités d’accueil de la France. Il rend compte des actions qu’il mène pour que la politique européenne d’immigration et d’intégration soit conforme à l’intérêt national.

« L’Office français de protection des réfugiés et apatrides et l’Office français de l’immigration et de l’intégration joignent leurs observations au rapport du Gouvernement.

« Le Sénat est consulté sur les actions conduites par les collectivités territoriales compte tenu de la politique nationale d’immigration et d’intégration.

« Le Parlement détermine, pour les trois années à venir, le nombre des étrangers admis à s’installer durablement en France, pour chacune des catégories de séjour à l’exception de l’asile, compte tenu de l’intérêt national. L’objectif en matière de regroupement familial est établi dans le respect des principes qui s'attachent à ce droit. »

Quel est l’avis du Gouvernement sur cet amendement ainsi rectifié ?

Mme Clotilde Valter, secrétaire d'État. Le Gouvernement maintient son avis défavorable, monsieur le président.

M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.

M. Roger Karoutchi. Pour répondre au président Philippe Bas, qui a fait une bien belle démonstration, il ne s’agit bien sûr pas, dans mon esprit, de remettre en cause un droit constitutionnel, mais bien, s’agissant non pas des seuls conjoints, mais de l’extension au-delà de ce que prévoient les directives européennes, de voir quelles mesures nous pourrions prendre, dans le respect du principe constitutionnel du regroupement familial.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 1 rectifié quater.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, l’article 1er A est ainsi rédigé et l’amendement n° 149 rectifié n’a plus d’objet.

TITRE Ier

L’ACCUEIL ET LE SÉJOUR DES ÉTRANGERS

Chapitre Ier

L’accueil et l’intégration

Article 1er A (nouveau)
Dossier législatif : projet de loi relatif au droit des étrangers en France
Article 1er

Article additionnel avant l’article 1er

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.

L'amendement n° 5 rectifié ter est présenté par MM. Karoutchi et Cambon, Mme Canayer, MM. César et Danesi, Mmes Deroche, Des Esgaulx et Di Folco, MM. Dufaut, Frassa, J. Gautier et Gilles, Mme Giudicelli, M. Joyandet, Mme Lamure, MM. Laufoaulu, Lefèvre, de Legge, Retailleau et Soilihi, Mme Troendlé, MM. B. Fournier, Mayet, Calvet, Dallier, Mandelli, Bouchet, Lemoyne, Genest, Allizard, Pierre, Vogel, Pillet, Morisset, Doligé et Charon, Mmes Procaccia et Duchêne, M. Duvernois, Mme Kammermann, MM. Falco et Bonhomme, Mme Gruny, MM. Houel, Houpert, Kennel et D. Laurent, Mme Lopez, MM. A. Marc, Portelli, Raison et Revet, Mmes Mélot et Micouleau, M. Chaize, Mme Estrosi Sassone, MM. Laménie, Lenoir, Mouiller, Nègre, Pellevat, Savary, Chasseing et Cornu, Mmes Imbert et Morhet-Richaud, MM. Pointereau et Delattre, Mme Deseyne, M. Dassault, Mme Duranton et MM. Vaspart, Gournac, Vasselle et Gremillet.

L'amendement n° 150 rectifié est présenté par MM. M. Mercier, Zocchetto et les membres du groupe Union des Démocrates et Indépendants - UC.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Avant l’article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

La section 1 du chapitre Ier du titre Ier du livre II du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est complétée par un article L. 211-1-… ainsi rédigé :

« Art. L. 211-1-… – L’étranger qui souhaite s’installer durablement sur le territoire français doit, avant son entrée en France, apporter la preuve de sa capacité d’intégration à la société française. Il doit justifier, à cette fin :

« 1° D’une connaissance suffisante de la langue française ;

« 2° D’une adhésion aux valeurs de la République et aux valeurs essentielles de la société française ;

« 3° De sa capacité à exercer une activité professionnelle ou, s’il ne l’envisage pas, de son autonomie financière. »

La parole est à M. Roger Karoutchi, pour présenter l'amendement n° 5 rectifié ter.

M. Roger Karoutchi. Il s’agit de déterminer les conditions qui peuvent être exigées d’un étranger avant de l’autoriser à s’installer sur le territoire national.

Il serait notamment demandé de justifier d’une connaissance suffisante de la langue française - elle pourrait correspondrait au niveau A2 -, de l’adhésion aux valeurs de la République et de la capacité à exercer une activité professionnelle.

Pour être clair, ces conditions s’appliquent aux étrangers qui souhaitent venir sur le territoire national. Je précise, monsieur Kaltenbach, qu’elles ne concernent pas les personnes relevant du droit d’asile ou du regroupement familial. Je reconnais, cela étant, que le niveau A2 exigé pour la connaissance du français ne peut pas vraiment être considéré comme « suffisant ».

M. le président. La parole est à M. Michel Mercier, pour présenter l'amendement n° 150 rectifié.

M. Michel Mercier. Il est défendu.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. François-Noël Buffet, rapporteur. Favorable !

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur. Le Gouvernement est défavorable à ces amendements identiques, qui tendent à instaurer l’obligation pour le migrant de faire la preuve de sa capacité d’intégration dans la société française avant sa venue en France, cette obligation étant appréciée avant la délivrance d’un visa de long séjour et comme condition d’obtention de celui-ci.

Bien entendu – je veux vous rassurer, monsieur Karoutchi –, le Gouvernement est tout à fait sensible à la nécessité d’assurer une préparation beaucoup plus efficace de la migration dès le pays d’origine, afin de favoriser une installation rapide en France et une véritable capacité d’intégration.

Si je suis en désaccord avec vous, c'est non pas sur l’objectif, mais sur les modalités que vous proposez pour permettre cette appropriation, modalités que nous considérons comme peu réalistes et inappropriées.

En premier lieu, vous reprochez au Gouvernement de vouloir remplacer le dispositif actuel dit du « pré-CAI », c'est-à-dire précontrat d’accueil et d’intégration, qui consiste en une initiation à la langue française et aux valeurs de la République.

Ce dispositif a fait l’objet d’une évaluation par les inspections générales de l’administration et des affaires sociales, qui ont mis en exergue son caractère inégalitaire. Il n’est d’ailleurs pas mis en œuvre dans tous les pays d’origine et est considéré comme inefficace. Son contenu est redondant avec les formations dispensées à l’arrivée en France.

C'est la raison pour laquelle le Gouvernement souhaite lui substituer un dispositif plus juste et plus opérationnel. Il consistera, comme le pratiquent désormais la majorité des pays européens, en la mise à disposition d’informations juridiques, administratives et pratiques utiles à l’étranger pour connaître l’organisation de la vie en France.

Seront ainsi présentés l’ensemble du parcours d’intégration, les obligations que le migrant devra accomplir ainsi que les démarches pratiques à effectuer pour accéder le plus rapidement possible à l’autonomie, notamment en matière de santé et d’éducation. Ce support d’information sera traduit et diffusé de façon dématérialisée.

Je le redis, nous voulons substituer à un dispositif inefficace une information plus large et mieux actualisée, indiquant clairement aux candidats à la migration leurs droits et leurs devoirs.

Les étrangers s’engageront ainsi dans un parcours d’intégration républicaine bien mieux préparé, caractérisé par des prestations renforcées à l’arrivée en France et par un relèvement du niveau d’exigence linguistique attendu. Un tel dispositif sera beaucoup plus efficace.

En second lieu, les conditions auxquelles vous entendez soumettre la délivrance des visas de long séjour sont manifestement inappropriées. Vous souhaitez ainsi que le demandeur justifie d’une maîtrise de la langue française du niveau B1, correspondant à une communication élaborée, soit le niveau exigé aujourd’hui pour une naturalisation, acte qui – vous en conviendrez, monsieur Karoutchi – suppose une intégration plus profonde dans notre société qu’un visa de long séjour.

Il ne nous paraît pas envisageable de s’opposer à la délivrance de visa de long séjour à un conjoint de Français au motif, par exemple, qu’il n’aurait pas atteint le niveau susmentionné de maîtrise de la langue, sauf à méconnaître son droit à mener une vie familiale normale, étant entendu que, par ailleurs, il pourra tout à fait acquérir ce niveau de langue ultérieurement.

Conditionner l’obtention d’un visa de long séjour à la maîtrise du même niveau de langue que celui qui est requis pour une naturalisation n’est pas une mesure d’une grande lisibilité.

L’intégration est indissociable de l’accueil. Elle ne saurait être appréciée de façon abstraite, a priori, sauf à vouloir, en réalité, en faire une barrière. Au contraire, elle doit se concevoir dans le cadre d’un parcours jalonné d’étapes successives, et c’est précisément ce que prévoit le projet de loi qui vous est soumis, mesdames, messieurs les sénateurs.

M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.

M. Pierre-Yves Collombat. Je suppose que la laïcité fait partie des valeurs de la République. Mais je m’interroge : la formation sera-t-elle différente pour ceux qui veulent s’installer en Alsace-Moselle ? (Sourires sur les travées du groupe CRC.)

Ma remarque a pour objet de vous faire comprendre, mes chers collègues, que ce qui peut apparaître comme allant de soi ne va pas forcément de soi !

Je veux bien que l’on continue à faire des lois, mais tout cela ne me paraît vraiment pas opportun et, en tout cas, pas très efficace !

M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.

M. Roger Karoutchi. Je le reconnais, parler des valeurs de la République au Sénat, c’est provoquer immédiatement le débat, tant il est vrai que personne ne met la même chose sous ce vocable.

C'est parfait : continuons ainsi, et il n’y aura bientôt plus ni République ni valeurs ! (M. Cédric Perrin applaudit.- Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain.) Chers collègues, je vois bien qu’ici, on est dans une bulle…

Monsieur le ministre, je n’aurais pas déposé cet amendement si, depuis des années, dans tous les rapports que je remets au nom de la commission des finances, notamment sur l’Office français de l’immigration et de l’intégration, l’OFII, je ne dénonçais pas l’insuffisance des moyens consacrés à l’intégration dans la République.

On peut avoir des désaccords sur le problème de l’immigration ou sur le nombre d’étrangers qui entrent en France, mais, c’est un fait, et je le répète depuis des années, l’OFII n’a pas les moyens de sa mission.

Les rapports que j’ai faits ont rempli des tiroirs, mais pour autant n’ont servi à rien. On ne cesse de dire depuis des années que l’OFII ne parvient pas à assurer un niveau suffisant de cours de français. Certes, le Gouvernement a relevé le niveau à A2, contre A1 actuellement, mais sans examen. Seule compte l’assiduité aux cours, et peu importe le niveau réellement atteint au terme de la formation.

Arrêtons avec l’irréalisme ! Franchement, en quoi est-il surnaturel de demander à ceux qui veulent s’intégrer dans notre pays d’avoir un niveau minimum de maîtrise de la langue française – je ne leur demande pas de s’exprimer comme Zola ou Balzac ! – pour se débrouiller, ne pas être tenus par des réseaux et faire eux-mêmes les démarches qui leur sont nécessaires ?

Monsieur Collombat, les personnes qui veulent s’installer en France et qui doivent s’intégrer doivent savoir ce qu’est la République et ce que sont ses valeurs. Vous avez ironisé en faisant allusion à l’Alsace-Moselle ; personnellement, cela ne me fait pas rire, car certains étrangers arrivés dans notre pays ne veulent pas de la République et n’aiment pas la France. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Monsieur Karoutchi, je suis absolument d’accord avec vous sur un point : nous ne voulons pas accueillir des personnes qui refusent la République et ses valeurs et qui n’aiment pas la France, car c’est la meilleure manière de rendre impossible la conduite d’une politique migratoire digne de ce nom. Il n’y a pas, d’un côté, ceux qui sont prêts à accepter cela et, de l’autre, ceux qui sont résolument déterminés à l’empêcher.

Hier, je disais la volonté du Gouvernement d’obtenir un consensus sur ces questions : il n’est pas nécessaire de créer sur ce sujet des clivages qui n’ont pas lieu d’être. Je le redis, je n’ai rien à retirer à la fin de votre propos.

Néanmoins, à partir du moment où l’on est d’accord sur l’objectif, il faut s’interroger sur la meilleure manière de l’atteindre. Certaines personnes arrivent aujourd’hui en France sans connaître notre langue, mais sont tout à fait désireuses de s’intégrer dans notre pays, d’adhérer aux valeurs de la République : elles pourront facilement apprendre le français si on permet à ceux qui sont chargés de la mise en œuvre du contrat d’accueil et d’intégration de mettre en place des conditions favorables à un tel apprentissage.

C'est d’ailleurs la raison pour laquelle, monsieur Karoutchi, nous avons relevé le niveau de langue exigé, en allant au-delà du niveau imposé par François Fillon, qui avait institué une mesure tout à fait positive avec le contrat d’accueil et d’intégration, en 2003.

Si l’on fait de la condition de la maîtrise de la langue française au niveau exigé pour la naturalisation la condition de l’obtention d’un titre de séjour, on est dans une tout autre démarche : l’objectif n’est plus de permettre l’apprentissage de la langue française, mais de rendre impossible la délivrance du titre de séjour en faisant de la langue un obstacle. C’est la différence qui nous sépare.

Je le répète, je ne suis pas en désaccord avec le propos que vous avez tenu à la fin de votre intervention ; en revanche, je ne partage pas votre point de vue sur les modalités. Pour moi, la langue ne peut pas être un obstacle à l’intégration ou à l’arrivée dans notre pays ; elle doit, au contraire, être un instrument de l’intégration sur le territoire national.

Ne créons pas sur ce sujet des clivages qui n’existent pas !

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.

M. Guy-Dominique Kennel, rapporteur pour avis de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. En matière d’exigence linguistique, il faut savoir de quoi l’on parle. Je l’ai dit hier, parlant au nom de la commission de la culture, lors de la discussion générale, la France est le pays d’Europe qui a le niveau d’exigence linguistique le plus bas : nous demandons le niveau A1. 1, qui ne figure même pas dans le référentiel européen.

Je voudrais, mes chers collègues, vous rappeler à quoi correspondent les niveaux A1 et A2, car cela ne vous dit sans doute rien.

En ce qui concerne l’écriture, pour atteindre le niveau A1, il faut, au bout d’un an, savoir écrire une carte postale simple et porter des détails personnels dans un questionnaire, par exemple, inscrire son nom, sa nationalité et son adresse sur une fiche d’hôtel.

Franchement, j’estime que la France devrait avoir un niveau d’exigence plus élevé !

Monsieur le ministre, je vous l’ai dit hier soir, c'est à vous d’en décider, car cela relève du domaine réglementaire. Mais cela me paraît important pour accueillir des étrangers chez nous et faire en sorte qu’ils puissent s’insérer. Je rappelle que, dans un rapport conjoint publié en octobre 2013, l’Inspection générale de l’administration et l’Inspection générale des affaires sociales constataient que les efforts étaient insuffisants en matière de formation linguistique, alors même que la langue demeure l’obstacle principal à l’intégration.

Alors, soyons un peu plus ambitieux et faisons en sorte que l’intégration soit réussie. Car, que ce soit pour une recherche d’emploi ou tout simplement pour les démarches du quotidien, il faut avoir un minimum de connaissance de la langue, ce qui nécessite de relever le niveau de A1 à A2.

Précisément, à quoi correspond le niveau A2 ? Il s’agit de pouvoir écrire des notes, des messages simples et courts, une lettre personnelle très élémentaire consistant, par exemple, à dire « merci ».

C’est pourquoi, franchement, monsieur le ministre, je vous serais reconnaissant d’être un peu plus exigeant !

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Monsieur Kennel, je veux tout de même rappeler les faits.

Le niveau de langue exigé, avant que ce texte ne soit présenté à la délibération de la Haute Assemblée, était le niveau A1.1. À quoi correspond ce niveau, qui, d’ailleurs, n’a pas été inclus dans le contrat d’accueil et d’intégration par le gouvernement actuel mais par un précédent, qui était soutenu par une autre majorité ?

M. Guy-Dominique Kennel, rapporteur pour avis. On vous demande de faire mieux !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je vous confirme que nous essayons, dans tous les domaines, de faire mieux que la précédente majorité ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

J’en reviens au niveau A1.1. …

M. Guy-Dominique Kennel, rapporteur pour avis. Il n’existe pas !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Monsieur Kennel, ma réponse vous intéresse-t-elle ?

M. Guy-Dominique Kennel, rapporteur pour avis. Poursuivez, je vous en prie, monsieur le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Le niveau A1.1 a été inclus par M. Fillon dans le contrat d’accueil et d’intégration en 2003…

M. Alain Marc. Mais la problématique n’est plus la même ! Douze années ont passé…

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Laissez-moi vous donner tous les éléments, mesdames, messieurs les sénateurs. Vous pourrez, bien entendu, les contester ensuite ; je ne doute d’ailleurs pas une minute que vous le ferez !

Ce niveau A1.1, disais-je, correspond à un niveau extrêmement rudimentaire, qui ne permet quasiment pas à l’étranger de communiquer dans la société française. Il n’est d’ailleurs pas référencé dans le cadre européen commun de référence pour les langues, qui commence au niveau A1.

La France est, avec le Luxembourg, le seul pays de l’Union européenne à exiger un niveau aussi faible. Ainsi, on demande le même niveau pour un renouvellement de titre de séjour au bout d’un an que pour l’établissement de la carte de résident au bout de cinq ans ; en outre, son atteinte n’est pas sanctionnée.

Constatant que ce niveau n’était pas du tout à la hauteur de l’ambition d’un véritable contrat d’intégration, nous avons décidé, dans ce texte, de relever le degré d’exigence existant pour le fixer au niveau A2, qui conditionnera la délivrance de la carte de résident.

Selon la nomenclature, ce niveau rapproche l’étranger de l’autonomie, puisque celui-ci peut alors comprendre et exprimer des messages plus élaborés relatifs à sa vie quotidienne ; il peut aussi accomplir sans aucune aide toutes les tâches administratives. C’est le niveau en vigueur chez de nombreux voisins européens, tels que l’Italie et l’Autriche.

Ce renforcement de l’effort de formation linguistique nécessite une mesure nouvelle de 21 millions d’euros sur cinq ans, dans le cadre d’une montée en charge progressive du dispositif. Il s’agit donc d’un effort important mais réaliste, et qui permet d’obtenir le niveau de langue que je viens d’indiquer, conformément à la nomenclature.

Cela ne correspond donc pas à ce que vous venez de dire, monsieur le sénateur. Or, sur ces sujets, il convient d’être extrêmement précis et de donner des éléments incontestables, de sorte que nous sachions de quoi nous débattons. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.

M. Jean-Yves Leconte. Je vous remercie, monsieur le ministre, d’avoir rappelé le contenu du cadre européen commun de référence des langues, qui avait été un peu caricaturé auparavant.

Par ailleurs, je souhaite faire valoir le témoignage d’un Français qui a longtemps vécu à l’étranger. Finalement, mes chers collègues, la langue s’apprend dans le pays, donc il est légitime d’augmenter le niveau d’exigence avec la durée du séjour et à mesure que les cartes successives sont délivrées. Je rejoins d’ailleurs M. Karoutchi sur le niveau que nous exigeons des personnes qui résident longtemps en France.

Toutefois, la meilleure manière de faire apprendre, comprendre et partager nos valeurs consiste à ne pas poser d’exigence a priori ; je le répète, c’est dans le pays que l’on apprend le mieux la langue. Par ailleurs, il faut s’assurer que l’on respecte les droits des étrangers.

Ce sont donc les valeurs vécues, et non théoriques, qui se partagent et qui permettent de s’intégrer.