M. le président. La parole est à M. Jean Bizet, pour le groupe Les Républicains.
M. Jean Bizet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les agriculteurs français sont désabusés, souvent en colère, en proie au désespoir. Ils ont le sentiment que, quoi qu’ils fassent, ce n’est jamais assez ! Ils ont les compétences, les équipements, les atouts, mais la crise que traverse notre agriculture trouve son origine dans le manque d’adaptation de ce secteur à la nouvelle donne européenne et mondiale.
Les quotas laitiers étaient le dernier symbole de la régulation administrative de la production. La PAC plaisait aux Français, parce qu’elle était conçue par eux et pour eux, mais elle a tant évolué qu’elle n’est plus que l’ombre de ce qu’elle fut. Les agriculteurs français espèrent des régulations dont nos partenaires ne veulent plus. Et pendant qu’ils attendent un avenir qui ressemble au passé, nos compétiteurs, eux, avancent et se préparent sans doute mieux que nous.
Le débat d’aujourd’hui doit être politique, dans le sens noble de ce terme, et responsable.
Ma première réflexion porte sur les outils de régulation. Inutile de s’accuser réciproquement et de demander une fois encore le retour des quotas. Je suis désolé de le dire à l’adresse de Michel Le Scouarnec, les quotas, c’est fini ! À vingt-huit, personne n’en veut plus.
M. Claude Bérit-Débat. Même en France, certains n’en voulaient pas !
M. Jean Bizet. Certains mêmes de nos partenaires sont bien décidés à produire beaucoup plus qu’avant. Toutefois, nous avions réussi à faire accepter à Bruxelles un ersatz de régulation par le biais de la contractualisation…
M. Hubert Falco. Tout à fait !
M. Jean Bizet. … et des organisations de producteurs, les OP.
Pas une fois pendant la crise, il ne fut fait mention des OP, ni par les agriculteurs, ni par les syndicats, ni par les autorités publiques. Or il me semble qu’il s’agit là d’un outil utile, qui est malheureusement encore délaissé. Selon moi, l’appropriation de cette nouvelle approche de gestion est vraiment encore insuffisante aujourd'hui. (M. Michel Raison applaudit.)
Dans un an, nous préparerons les contrats laitiers de deuxième génération. C’est un rendez-vous qu’il ne faut pas manquer. Comment comptez-vous, monsieur le ministre, favoriser cette négociation contractuelle ? À entendre votre intervention liminaire, j’ai senti certaines évolutions et j’ai le sentiment que vous avez pris quelques engagements. Comment favoriser les regroupements, même par le biais des organisations de producteurs de bassin, qui donneraient du poids – davantage de poids – aux éleveurs ?
Certains industriels seraient disposés à faire figurer dans les contrats des références aux coûts de production, qui compléteraient les indices de tendance bien connus : il s’agit à mes yeux d’une évolution capitale, qu’il faut encourager.
Ma deuxième série d’observations a trait aux choix stratégiques.
Il n’est pas possible d’admettre sans rien faire que notre agriculture, année après année, soit dépassée par nos concurrents. C’est pourtant bien ce qui se produit, et si le phénomène est à l’œuvre depuis quelques années – je vous le concède, monsieur le ministre –, il prend aujourd’hui une ampleur considérable. (M. Hubert Falco opine.) C’est donc que quelque chose ne va pas. À la vérité, c’est d’un cap, d’une véritable stratégie que nous avons besoin : non pas d’une stratégie fourre-tout, de celles auxquelles nous nous sommes habitués, mais d’une stratégie claire et déterminée, qui impose des choix douloureux.
Les deux voies du succès sont de gagner en compétitivité et de gagner en valeur ajoutée. À plusieurs reprises, monsieur le ministre, vous avez prononcé les mots « compétitivité » et « productivité » ; mais s’il est bon de parler, il est beaucoup mieux d’agir !
Pour y parvenir, je pense qu’il faut accepter des concentrations. Comme nos collègues Michel Raison et Claude Haut nous y invitent dans leur excellent rapport, osons certains regroupements : des regroupements techniques, industriels, des regroupements d’exploitations agricoles, toutes évolutions qui doivent faire l’objet d’expérimentations inspirées de ce que font d’autres pays, qui, eux, gagnent sur les marchés.
M. Joël Labbé. Ce ne sont pas des exemples !
M. Jean Bizet. Certaines régions ont tous les atouts pour être de grandes régions agricoles et pour réussir à s’imposer dans la compétition européenne. Néanmoins, il faut admettre qu’il n’y aura pas d’élevage laitier partout, comme aujourd’hui – sauf si les régions investissent massivement, ce qui n’est pas vraiment le cas.
Ma troisième et dernière série d’observations se rapporte à la politique agricole commune, qui est à bout de souffle, au bout de son exercice.
La PAC d’origine, qualifiée de productiviste, avait des effets pervers, qui ont été corrigés ; la PAC réformée des paiements directs en a tout autant, mais je pense que la PAC compliquée d’aujourd’hui en a encore davantage ! De fait, il est incompréhensible que l’on puisse dépenser 50 milliards d’euros par an pour un tel résultat, en faisant de si nombreux mécontents.
La dernière réforme a été une occasion manquée. D’une part, tous les pays ont tendance à privilégier ce qu’ils ont aujourd’hui plutôt que de se lancer dans des réformes sans savoir ce qu’ils auront demain. D’autre part, on avait promis aux États entrés dans l’Union européenne en 2004 des paiements directs à taux plein à partir de 2013, de sorte qu’il n’était pas possible de leur dire : maintenant que vous y avez droit, on va changer de régime ! Il y a donc une réelle inertie.
Je ne condamne personne, mais cette inertie n’est plus possible : il faut s’atteler à une véritable réforme de la PAC, loin des idéologies dépassées ou dévastatrices.
Je l’ai dit et écrit : paiement unique, paiement inique. Chacun peut comprendre qu’il n’est pas pertinent d’aider l’agriculture lorsque les prix sont rémunérateurs. En revanche, les subventions sont nettement insuffisantes dans une période de crise comparable à celle que nous traversons. À la vérité, l’aide directe doit être de plus en plus conçue de manière contracyclique. Je vais même plus loin : il faut évoluer vers une PAC à connotation assurantielle, comme nos amis américains l’ont fait dans le cadre du Farm bill.
Cette approche me semble beaucoup plus pertinente aujourd’hui, dans l’hypothèse où le traité transatlantique serait signé demain matin. (M. Joël Labbé s’exclame.) La révision à mi-parcours de la PAC doit être l’occasion de l’envisager clairement et de la programmer à l’horizon de 2020.
Telles sont les questions que nous souhaitons aborder avec vous, monsieur le ministre, lorsque sera examinée, dans quelques semaines, la proposition de loi à laquelle certains d’entre nous ont commencé de travailler.
Je répète que je vous ai entendu nommer les deux exigences qui devraient remettre l’agriculture française en compétition avec, notamment, les agricultures allemande, néerlandaise et danoise : compétitivité et productivité. De même, je prends acte des propos de Didier Guillaume et de sa main tendue. Pourquoi pas ? Au Sénat, nous pouvons mener une réflexion qui transcende les clivages politiques.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, l’agriculture est trop importante pour qu’on en fasse de la petite politique ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC, ainsi que sur quelques travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Lasserre, pour le groupe UDI-UC. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)
M. Jean-Jacques Lasserre. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je sais bien que la critique est aisée et l’art difficile. Il reste que votre satisfaction, monsieur le ministre, n’est vraiment pas justifiée par l’état de notre agriculture. Je n’insisterai d’ailleurs pas sur le tableau très préoccupant que les orateurs précédents en ont brossé ; je me bornerai à présenter quatre observations.
Monsieur le président, le principal objectif de la proposition de loi sur laquelle nous travaillerons avec vous devrait être de favoriser un changement du regard dominant porté sur l’agriculture. Je puis vous assurer qu’elle en a grandement besoin !
Voici ma première observation : de grâce, n’opposons pas les solutions. Au contraire, valorisons-les ! En d’autres termes, sortons des procès paralysants qui opposent les différentes solutions s’offrant à nous. Ces oppositions souvent professionnelles, très souvent politiques, sont l’une des causes de la paralysie qui affecte le développement de notre agriculture.
Des solutions très variées et très différentes existent. Ainsi, on oppose beaucoup trop souvent les circuits courts et l’agriculture biologique, solutions que nous jugeons tout à fait convenables, mais dont on sait que la généralisation ne serait pas un remède efficace pour toute l’agriculture, à l’agriculture dite « de production de masse ». Nous devons permettre à ces deux modèles de s’épanouir de concert en se respectant, et surtout en respectant les contraintes environnantes qui s’imposent à eux. Je persiste à penser que c’est possible. Chacune de ces agricultures présente ses inconvénients, qu’il faut surmonter ; à nous de trouver les solutions correspondantes.
Ainsi, les circuits courts, quelles que soient leurs formes, entrent dans une phase qui nécessitera d’autres modes d’organisation, d’autres moyens de mise en marché et des dispositifs de respect de la certification des produits.
Quant à l’agriculture de production de masse, elle a fait d’incontestables efforts : même si tout n’est pas réglé, la profession agricole a bien montré son aptitude à respecter les contraintes environnantes. Nous gagnerions désormais à examiner très concrètement et très lucidement au plan législatif les différents cadres de production que nous pourrions non seulement accepter, mais aussi promouvoir, en matière, par exemple, d’utilisation des intrants et de l’eau.
Il faut réconcilier cette agriculture avec l’opinion ! De fait, les procès qui lui ont été intentés, les mots qui ont été employés à son égard, parfois fondés, le plus souvent démagogiques, ont été beaucoup trop fréquemment destructeurs de notre économie agricole.
Ma deuxième observation porte sur l’agroalimentaire, un secteur qui était un fleuron de notre économie et qui le reste dans certains domaines.
Dans nombre de filières, notamment celles du lait et de la viande, les risques sont réels que l’industrie agroalimentaire rencontre des difficultés d’approvisionnement. L’abandon du métier d’agriculteur est la cause principale de cette situation. Nous devons restaurer les relations de confiance avec l’industrie agroalimentaire, afin de déterminer avec elle les meilleures conditions possible pour assurer le maintien de l’agriculture.
En particulier, nous devons travailler en profondeur sur la notion de contrats. Nous connaissons, monsieur le ministre, la pugnacité avec laquelle vous agissez dans ce domaine. Seulement, nous pensons qu’il faut donner ses chances à chacun des contractants : il est bien évident que des contrats ne peuvent pas tenir si tous les contractants, notamment les agriculteurs, ne sont pas en situation de les négocier et de les honorer.
Par ailleurs, la relation entre l’agroalimentaire et la distribution, abordée jusqu’ici sans grand résultat, doit être redéfinie et codifiée ; à cet égard, j’attends beaucoup de la proposition de loi en cours d’élaboration. Il y a sur ce plan un réel débat politique, non abouti. Cette régulation devra s’appuyer sur une utilisation beaucoup plus encadrée des différents signes de qualité. Sortons le plus vite possible des stratégies trop envahissantes de marketing et d’usage abusif, pour nous recentrer sur les véritables signes de qualité – Dieu sait si, en France, nous en avons ! L’agriculture gagnerait à une telle clarification, tout comme les consommateurs, qui pourraient enfin s’y retrouver.
Ma troisième observation a trait à la sauvegarde des outils de production, qu’ils soient individuels ou collectifs.
Monsieur le ministre, vous savez que, dans toutes les régions de France, il y a extrême urgence. Des points de non-retour sont d’ores et déjà atteints. La population agricole vieillit et, dans le même temps, les outils de production individuels et collectifs deviennent totalement obsolètes, tandis que toute initiative en matière de développement devient de plus en plus difficile.
J’aborderai seulement deux sujets : l’hydraulique et les bâtiments d’élevage.
En ce qui concerne l’hydraulique, sortons, par pitié, des clichés paralysants et de l’exploitation émotionnelle ! L’utilisation de l’eau et la gestion de sa ressource sont actuellement bien maîtrisées sur le plan technique. L’eau restera toujours un facteur de développement et de garantie de celui-ci. Faisons preuve de lucidité et de dynamisme et cessons d’instrumentaliser ces questions à des fins politiques ! (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC. – Mme Sophie Primas applaudit également.)
Pour ce qui est des bâtiments d’élevage, vous savez tous que les contraintes environnementales rendent quasiment impossibles les équipements des exploitations agricoles. Profitons des circonstances présentes pour mettre en cohérence l’intervention de l’État, celle des régions, qui sont désormais renforcées en matière économique et responsables de la gestion des fonds européens, et celle des départements, qui conserveront bien quelques responsabilités.
Ma quatrième observation touche aux coûts de production. Le développement de la compétitivité, laquelle devrait cesser d’être un gros mot, passera forcément par une action sur ces coûts.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Jean-Jacques Lasserre. Examinons-les donc, en particulier ceux qui sont liés à la fiscalité, à la parafiscalité et aux charges sociales.
Tel est, monsieur le président, l’état d’esprit dans lequel les membres de mon groupe travailleront à vos côtés pour préparer la future loi, sur laquelle ils fondent de grandes espérances. Changeons l’état d’esprit au sujet de l’agriculture en nous appuyant sur des éléments que nous avons jusqu’ici trop souvent bannis ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Bailly, pour le groupe Les Républicains.
M. Gérard Bailly. Monsieur le président, je tiens à vous remercier d’avoir suscité ce débat fort intéressant, qui nous a permis d’entendre M. le ministre, lequel, sans doute, reprendra la parole dans quelques instants pour répondre à nos questions.
Monsieur le ministre, vous êtes convenu que tout le secteur de l’élevage était en crise. Sur ma tablette, j’ai consulté une plaquette émanant de votre ministère, selon laquelle quelque 25 000 exploitations d’élevage pourraient déposer le bilan. De fait, la trésorerie de nombre d’éleveurs est dégradée. Il faut dire que, aujourd’hui, les prix de vente sont souvent inférieurs aux coûts de production. Une telle situation ne peut pas durer longtemps. C’est dire si la crise est grave !
Or, malheureusement, cette crise va durer au moins plusieurs mois. En effet, à l’heure où l’on rentre les troupeaux dans les étables, la mévente est complète. Pas plus tard qu’hier, j’ai encore rencontré un marchand de bestiaux : il m’a dit qu’il n’y avait pas de demande et qu’il fallait absolument que les exportations reprennent. Nous espérons vraiment qu’elles vont repartir ! Et je vous remercie, monsieur le ministre, pour tous les efforts que vous accomplissez. Toutefois, il faudrait qu’ils soient plus importants encore pour que la demande se redresse !
Vous savez que, de surcroît, de nombreux territoires ont été frappés par la sécheresse. Aussi, il y a peu de fourrage dans un certain nombre d’exploitations.
De nombreux animaux, peu de fourrage, des prix très bas : dans ces conditions, la situation ne risque pas de s’améliorer, ce qui provoque une vive angoisse et même une désespérance dans le monde agricole.
Quelles sont les causes de cette situation ? Il y a, bien entendu, la fin des exportations vers la Russie ; c’est bien le monde agricole qui paie cette décision politique. Quant aux exportations vers la Chine, elles sont en baisse. La question de la viande dans les cantines a déjà été abordée.
Ce qui nous préoccupe aussi, ce sont toutes ces campagnes de promotion du régime végétarien, qui incitent à manger moins de viande.
M. François Bonhomme. Il ne manquait plus que cela ! (Sourires.)
M. Gérard Bailly. Et par-dessus le marché, voici la fièvre catarrhale ovine ! Vous avez affirmé, monsieur le ministre, qu’elle n’aurait pas de conséquences sur les exportations. Pourtant, on me dit que, dans le Massif central, quelque 25 000 animaux attendent de partir. Pouvez-vous nous donner des éclaircissements à cet égard ?
Ensuite, j’évoquerai – c’est un peu mon dada ! – la course aux prix bas. Mes chers collègues, sachez que les produits agricoles – je ne parle pas des produits alimentaires, mais uniquement des produits agricoles – ne représentent plus aujourd'hui que 4 % des dépenses des ménages.
En lisant, hier, Le Progrès, j’ai encore eu une illustration de cette course aux prix bas à laquelle se livre toute la grande distribution. (M. Gérard Bailly brandit un article de journal.) Leclerc y faisait la publicité de ses produits en affirmant que ceux qu’il proposait étaient 12 % plus chers chez Carrefour et même 17 % plus coûteux chez Casino...
M. Didier Guillaume. Hé oui !
M. Gérard Bailly. Monsieur le ministre, je ne doute pas que vous souhaitiez personnellement la remontée des prix agricoles. Toutefois, comme un certain nombre d’entre nous, je me pose une question : en est-il de même pour le Gouvernement dans son ensemble ? Ces prix bas ne l’arrangent-ils pas ?
M. Claude Bérit-Débat. Mais non ! C’est l’économie de marché.
M. Gérard Bailly. Après tout, avec des prix bas dans le secteur alimentaire, ce sont les pensions de retraite que l’on n’est pas obligé de revaloriser et le SMIC que l’on n’est pas obligé d’augmenter !
Monsieur le ministre, il faudrait que vous tapiez davantage sur la table ! En 2014, les marges des grandes et moyennes surfaces, les GMS, ont augmenté. La même année, alors que le prix du porc a baissé de 33 centimes d’euros à l’entrée des abattoirs, il a augmenté de 28 centimes d’euros dans le réseau de la distribution. Il existe bien un Observatoire de la formation des prix et des marges des produits agricoles et un Médiateur des relations commerciales agricoles, mais on se demande ce qu’ils font réellement.
Les agriculteurs souhaiteraient obtenir des réponses à d’autres questions qu’ils se posent.
Tout d’abord, ils s’interrogent sur l’aide de l’Europe, comme sur celle – trop modeste – de la France, même si chacun connaît la situation financière de notre pays. Monsieur le ministre, quand ces aides seront-elles perceptibles au niveau des exploitations agricoles ?
Par ailleurs, je me suis laissé dire – peut-être n’ai-je pas les bonnes informations – qu’en Rhône-Alpes, pour compléter un dossier, il faut remplir vingt-quatre pages ! (M. le ministre le conteste.) Monsieur le ministre, c’est ce que j’ai pu lire, même si vous me direz peut-être que c’est faux, et c’est la preuve d’une trop grande complexité.
Ensuite se pose la question des vaccins, dont on sait qu’elle aura des incidences sur les exportations. Quand les agriculteurs pourront-ils disposer de suffisamment de vaccins pour leurs exploitations ?
J’ai également souvent évoqué à cette tribune le feuilleton burlesque des loups. Quel est son coût ? N’existe-t-il pas d’autres priorités ? On perçoit un découragement des éleveurs, qui sont méprisés, voire condamnés. Quand reverra-t-on la convention de Berne ?
Monsieur le ministre, vous avez tenu de belles paroles sur l’agriculture, et je vous crois d’ailleurs sincère. Cependant, le budget de l’agriculture baissera tout de même de 2,8 % en 2016 ! Comment trouvera-t-on, dans les semaines à venir, les moyens nécessaires pour développer l’énergie biomasse ou l’énergie photovoltaïque dans les exploitations, ainsi que pour tous les outils de transformation ? Comment favoriser l’adaptation de la fiscalité à l’agriculture ?
Par ailleurs, monsieur le ministre, à quand une Europe avec des salaires harmonisés ? Mes chers collègues, nos agriculteurs auront bien du mal à faire la différence par rapport à la concurrence s’ils paient le double, en France, du prix acquitté ailleurs pour transformer leurs produits !
Il y a également l’exemple de l’Espagne, qui verse 300 euros par vache laitière. Si nous vous avions demandé une telle aide, monsieur le ministre, vous nous auriez sûrement répondu que l’Europe n’autorise pas le versement de primes directes pour des raisons de concurrence. Pourtant, il semblerait que l’Europe le permette en Espagne ! (M. le ministre le conteste.)
Enfin, j’aimerais que vous fassiez le point sur la question du stockage de la viande et du lait.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Gérard Bailly. Je conclurai, monsieur le président, en indiquant que l’Europe s’est d’abord construite sur le fondement de sa politique agricole commune. Or celle-ci est peut-être aujourd'hui agonisante.
Sachez que, dans les élevages agonisants, la foi en l’Europe est malheureusement bien éteinte, comme l’est la foi dans tous les décideurs, en vous, monsieur le ministre, comme en nous tous, élus. C’est donc à nous tous qu’il appartient de réagir plus vigoureusement encore, et vite ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Gremillet, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Daniel Gremillet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre débat d’aujourd’hui prend, en effet, tout son sens au Sénat, compte tenu des incidences de l’agriculture sur l’aménagement du territoire dans l’ensemble de nos régions.
Premièrement, l’enjeu alimentaire n’a jamais été aussi présent. C’est pourquoi nous souhaiterions, monsieur le ministre, que la France affirme davantage sa volonté et sa détermination d’exister en la matière à l’horizon 2020-2030 et jusque dans les années 2050. En effet, c’est maintenant que cela se prépare !
Deuxièmement, s’il existe un secteur stratégique en matière d’aménagement du territoire – nous l’avons tous évoqué –, c’est bien celui de l’élevage.
M. François Marc. Oui, on le sait !
M. Daniel Gremillet. Mesurons bien les conséquences de nos décisions si nous ne sommes plus capables, demain, de donner des perspectives économiques et de bonnes conditions d’existence aux exploitants sur nos différents territoires : combien tout cela coûtera-t-il à la société ? Quel en sera le coût pour la vie locale, pour le monde rural – certains d’entre nous se sont interrogés sur ce sujet –, pour les racines, en quelque sorte, de notre pays ? Il s’agit du fameux principe des « 80-20 » : quelque 20 % de la population ont la charge de 80 % du territoire. Quelles en seront les conséquences financières ?
Troisièmement, toujours en matière d’aménagement du territoire – sur ce sujet, vous n’avez pas de chance, monsieur le ministre –, dont le Sénat a d'ailleurs récemment débattu dans le cadre de la réforme territoriale, nous aurions besoin d’une clarification des compétences entre l’État, l’Union européenne et les régions,…
M. Claude Bérit-Débat. On le fait déjà !
M. Daniel Gremillet. … surtout à l’heure où l’on attribue une compétence économique à ces dernières.
Mes chers collègues, dans les semaines et les mois à venir, la capacité d’intervention des régions aux côtés de l’État sur le plan stratégique, notamment en ce qui concerne les financements, sera significativement perturbée. (M. le ministre le conteste.) Pour les régions qui vont se mettre en place, qu’on ne me dise pas que les choses seront aussi simples que cela ! Nous sommes confrontés à une véritable situation de rupture.
Mes chers collègues, je souhaiterais que vous relisiez, lorsque vous en aurez le temps, le traité de Rome signé le 25 mars 1957, surtout son article 39, qui prévoit que la politique agricole commune doit assurer « un niveau de vie équitable à la population agricole ».
M. Jean Bizet. C’est exact !
M. Daniel Gremillet. À cet égard, comme l’a rappelé Jean Bizet, nous vivons véritablement une rupture : depuis que l’Europe existe, c’est la première fois que les agriculteurs se trouvent seuls face au marché. Quand on se bat, mais que l’on ne réussit pas à gagner, comme sur le dossier laitier, il n’y a plus rien !
M. François Marc. Mais quelles sont vos propositions ?
M. Daniel Gremillet. Elles sont simples, cher collègue !
Monsieur le ministre, lorsque vous avez réuni une table ronde sur le secteur laitier le 24 juillet dernier, vous n’avez apporté une réponse que pour 16 % de l’ensemble des produits. Pour le reste de la filière laitière, ce sont les propositions retenues lors de l’accord du mois de février 2015 qui s’appliquent, à savoir une baisse des prix !
Lorsque vous décidez de demander à la grande distribution de maintenir un statu quo pour l’année 2016 lors de la réunion du 1er octobre dernier, cela veut dire que vous entérinez progressivement une baisse de 5 % des prix pour les 84 % des produits laitiers qui ne sont pas concernés par l’accord du 24 juillet.
Monsieur le ministre, nous estimons que vos propositions conduisent à intégrer la grande distribution dans l’interprofession laitière et le monde paysan.
M. Daniel Gremillet. De grâce, soyez très prudent sur ce dossier.
M. Daniel Gremillet. C’est l’une des recommandations que nous vous faisons, car nous constatons aujourd’hui une situation de grande fragilité.
Monsieur le ministre, le prix n’induit pas forcément le revenu. Prenons l’exemple de l’Allemagne, où 2 % du chiffre d’affaires sont liés au différentiel de TVA. J’aurai d’autres exemples, et les réponses ne peuvent se limiter à la mise en œuvre des circuits courts. Certes, il faut développer ces derniers, mais il faut également travailler sur le dossier de la restauration collective, car les questions de fond se posent aussi au niveau structurel.
Quand seulement 57 % des agriculteurs ont confiance dans notre agriculture, c’est inquiétant.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Daniel Gremillet. Cela montre bien leur ras-le-bol. Pourtant, l’enjeu est très simple. Nous avons besoin, aujourd’hui, de travailler sur le renouvellement des générations. On ne peut continuer avec la politique d’installation actuelle. Il faut imaginer des prêts sur une plus longue durée, mais aussi travailler sur le dossier de l’emploi et sur la fiscalité.
Je terminerai, mes chers collègues, en rappelant le titre du rapport de Michel Raison et de Claude Haut : La France sera-t-elle encore demain un grand pays laitier ? Monsieur le ministre, vous avez rendez-vous avec l’Histoire. En tant que ministre de l’agriculture, mais aussi porte-parole du Gouvernement, vous avez une grande responsabilité : il vous faut imaginer une France qui a de l’ambition pour son agriculture et qui fait confiance aux hommes et aux femmes travaillant sur l’ensemble de ses territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Stéphane Le Foll, ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais tout d’abord me féliciter de ce débat.
Au-delà même des questions de fond qui ont été soulevées – auxquelles je vais bien entendu répondre –, avouez tout de même que, compte tenu de la crise dans laquelle nous nous trouvons et que vivent avant tout les éleveurs, nous essayons d’apporter des réponses à la fois conjoncturelles et structurelles, en prenant des mesures sur les allégements de charges, en mobilisant 350 millions d’euros par an et en créant ainsi un effet de levier de 1 milliard d’euros sur les 3 milliards d’euros investis au total pour les trois ans qui viennent !
Je souhaiterais répondre à plusieurs interventions.
Monsieur Gremillet, vous avez évoqué l’accord sur le lait. Oui, il concernait entre 25 % et 30 % du volume de la collecte laitière.