Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. Oui !
M. Richard Yung. … ainsi qu’à la baisse des taux d’intérêt. Réjouissons-nous que les étoiles soient bien alignées pour notre pays !
M. Philippe Dallier. Inquiétons-nous, au contraire !
M. Richard Yung. Ceux qui aiment la France se réjouissent de cette configuration. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Par ailleurs, je note que l’exercice 2014 a connu deux événements exceptionnels en dépenses. Outre le versement de la dernière tranche de la dotation en capital au Mécanisme européen de stabilité – 3,3 milliards d’euros, ce n’est pas rien –, le Gouvernement a procédé au lancement du deuxième programme d’investissements d’avenir, qui a donné lieu à une controverse avec la Cour des comptes sur les modalités de comptabilisation.
La Cour des comptes considère en effet que les dépenses liées aux investissements d’avenir, soit 12 milliards d’euros, doivent être comptabilisées comme des dépenses ordinaires, alors qu’il s’agit d’une garantie donnée par l’État sur un emprunt, et que les décaissements correspondant à ces investissements sont réalisés par les opérateurs gestionnaires. Il faudra clarifier cette situation à l’avenir.
M. Roger Karoutchi. Oui !
M. Richard Yung. Pour toutes ces raisons (Exclamations moqueuses sur les travées du groupe Les Républicains.),…
M. Didier Guillaume. Et pour beaucoup d’autres, mais le temps est compté !
M. Richard Yung. … et pour d’autres que je garde en réserve pour l’an prochain (Sourires.), le groupe socialiste et républicain votera le projet de loi de règlement du budget et d’approbation des comptes de l’année 2014. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à M. Vincent Delahaye.
M. Vincent Delahaye. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je commencerai par exprimer des remerciements et des regrets.
Je remercie tout d’abord la commission des finances d’avoir, pour la première fois, organisé des auditions dans le cadre de l’examen de ce projet de loi, même si les interlocuteurs sollicités n’ont pas toujours été à même de répondre aux questions précises qui leur étaient posées. Pour autant, cette initiative constitue un progrès.
Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. Oui !
M. Vincent Delahaye. Je regrette en revanche que nous disposions de trop peu de temps en séance publique pour débattre sur l’orientation des finances publiques et de ce projet de loi de règlement du budget et d’approbation des comptes de l’année 2014.
M. Michel Berson. Vous disposez de douze minutes !
M. Vincent Delahaye. Certes, c’est le temps qui m’est imparti, mais je compte reprendre la parole lors de la discussion des articles. De toute manière, quel que soit le temps de parole imparti aujourd’hui, c’est trop peu, mes chers collègues, compte tenu du sujet.
En effet, nous passons un temps infini à examiner des projets de loi de finances et des prévisions, alors que nous consacrons un temps infime à la réalité des comptes. Cela ne se passe pas ainsi dans les entreprises : lors des assemblées générales, on débat au moins autant des comptes que des budgets.
À mon sens, nous devrions préférer la réalité à la fiction et passer plus de temps sur la réalité, c’est-à-dire sur le projet de loi de règlement.
Monsieur le secrétaire d'État, vous avez déclaré à l’instant que tout n’allait pas si mal et que cela irait encore mieux demain. Permettez-moi de ne pas partager du tout cette vision des choses. Pour moi, cela ne va pas mieux : le déficit ne cesse d’augmenter.
M. Vincent Delahaye. Or le déficit, c’est le résultat des comptes. La Cour des comptes l’a confirmé. Certes, elle n’est pas d’accord avec le Gouvernement, mais je lui fais tout de même un peu plus confiance qu’à vous en ce qui concerne les comptes de l’État.
M. Didier Guillaume. C’est nouveau ! Il y a deux ans, ce n’était pas le cas !
M. Vincent Delahaye. Non, ce n’est pas nouveau ; c’était déjà vrai avant. Malheureusement, 2014 montre une inversion de tendance.
M. Philippe Dallier. Oui !
M. Vincent Delahaye. Il est vrai que le déficit avait beaucoup augmenté à la fin des années deux mille : de 2000 à 2009, le déficit moyen était de 64 milliards d’euros, alors qu’il était de 48 milliards d’euros entre 2000 et 2008. Cette année, il s’élève à 85,5 milliards d’euros, soit 10 milliards d’euros de plus qu’en 2013. Si ce n’est pas une inversion de tendance, cela y ressemble fort…
Un tel déficit représente trois mois et demi de dépenses. Je ne sais pas si nos concitoyens en ont conscience, mais cela signifie que, à partir de la mi-septembre, toutes les administrations publiques vivent à crédit. Cela ne peut pas durer. De ce point de vue, les comptes de l’année 2014 sont calamiteux.
Bien sûr, avec un tel déficit, la dette s’envole. Aujourd’hui, elle s’élève à 2 089 milliards d’euros, soit sept années de recettes de l’État. Au mois de mai 2012, lorsque François Hollande a été élu Président de la République, elle atteignait 1 730 milliards d’euros. Elle a donc progressé de 350 milliards d’euros en trois ans... Ce résultat est loin d’être fabuleux.
Pour l’instant, la France est anesthésiée par des taux d’intérêt très bas,...
M. Philippe Dallier. Oui !
M. Vincent Delahaye. ... au point de considérer que, plus on s’endette, moins cela coûte. C’est ce que vous affirmiez encore à l’instant, monsieur le secrétaire d'État, en évoquant les économies qui avaient été réalisées.
Attention ! Si les taux d’intérêt, qui sont aujourd'hui très bas, remontaient, ne serait-ce que légèrement, cela aurait des conséquences sensibles et nous entendrions, sur un certain nombre de travées de cet hémicycle, que les marchés nous assassinent.
M. Roger Karoutchi. Oui !
M. Vincent Delahaye. Selon Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France, et je partage son point de vue, une hausse permanente de 1 % des taux d’intérêt entraînerait une hausse des charges de 40 milliards d’euros sur cinq ans. Monsieur le secrétaire d'État, il faut en avoir conscience lorsque l’on compare cette évaluation aux 3 milliards d’euros d’économies sur les taux d’intérêt que nous avons réalisées cette année.
Il n’est pas impossible que les taux d’intérêt augmentent, ne serait-ce que de 1 %, et passent à 2 % ; ce n’est pas une vue de l’esprit, le risque est bien réel pour la France.
Monsieur le secrétaire d'État, alors que le déficit reste très élevé et que la dette s’envole, les dépenses sont, selon vous, « maîtrisées ». Pour ma part, je ne considère pas que ce soit le cas.
Les dépenses des administrations publiques augmentent aujourd’hui plus vite que l’inflation, qui est très faible cette année. Il n’en est cependant pas de même pour les collectivités locales, auxquelles des efforts importants ont été demandés. Les collectivités locales ont réalisé des économies, diminué leurs dépenses, mais les documents élaborés par le Gouvernement présentent cette situation comme une conséquence du cycle électoral. Je trouve cela un peu réducteur et presque injurieux vis-à-vis des élus locaux, qui accomplissent des efforts au quotidien pour essayer de réduire la dépense publique.
Malheureusement, la dépense publique continue de s’envoler. La France détient, je crois, le record mondial du taux de dépenses publiques par rapport à sa richesse, celui-ci passant en 2014 de 57 % à 57,5 %. Notre pays se trouve aujourd’hui devant le Danemark.
M. Philippe Dallier. Et parlez de la Finlande !
M. Vincent Delahaye. Il faut y faire très attention, mes chers collègues : nous ne pouvons continuer sur cette voie.
Je m’interroge sur la sincérité des dépenses.
Nous sommes confrontés à des sous-budgétisations régulières. Je pense aux OPEX. Dans ce domaine, les objectifs sont systématiquement dépassés de 600 millions d’euros à 700 millions d’euros. Je pense également aux prestations sociales – RSA, AME, etc. –, qui sont systématiquement sous-budgétées en début d’année et dont la dépense se révèle dans les faits beaucoup plus élevée.
Le rapporteur général a aussi souligné la sous-budgétisation des investissements d’avenir.
Il faut encore mentionner les charges à payer. D’aucuns les ont évoquées, mais il faut y revenir. Tout le monde ne comprend pas de quoi il retourne : il s’agit de services faits de 2014 dont on reporte le coût sur l’année 2015. Cette année, ce sont plus de 11 milliards d’euros de charges qui sont reportés sur l’exercice 2015. Ces charges impayées augmentent d’une année sur l’autre.
Monsieur le secrétaire d'État, vous nous opposerez qu’il en est ainsi chaque année, mais, cette année, le montant de ces charges augmente de 2 milliards d’euros. En d’autres termes, sur la base de l’exercice 2013, les dépenses auraient augmenté de 2 milliards d’euros. L’évolution des dépenses serait donc moins maîtrisée que ce que vous prétendez.
J’en viens aux recettes. Elles sont inférieures de 10 milliards d’euros aux prévisions. Cette baisse concerne surtout l’impôt sur les sociétés, ce qui est à mon sens très inquiétant, non seulement pour aujourd’hui, mais aussi pour demain. C’est en effet le signe que l’état et le taux de rentabilité de nos sociétés ne sont pas bons.
Sur le volet « recettes », de nombreux autres éléments m’inquiètent également, notamment le fait que, même si les recettes sont moindres, le taux des prélèvements obligatoires atteint un record et représente 44,9 % de la richesse nationale.
Oui, les dépenses publiques, les prélèvements obligatoires, mais aussi le taux de chômage, qui n’a jamais été aussi élevé en France qu’aujourd'hui, ont atteint des niveaux records. Monsieur le secrétaire d’État, si j’étais vous, je serais inquiet, car le gouvernement auquel vous appartenez va détenir tous les records en France !
Mais tous ces records – dépenses publiques, prélèvements obligatoires et chômage - sont liés. Si l’on n’inverse pas rapidement la tendance, la situation ne s’améliorera malheureusement pas pour la France ni pour nos concitoyens, notamment pour ceux d’entre eux qui souffrent le plus, les chômeurs. Et ce n’est pas l’augmentation des crédits que vous nous annoncez en faveur des emplois aidés qui nous permettront de nous en sortir !
Alors que les recettes rentrent mal, que les dépenses augmentent plus vite que l’inflation, que le déficit repart à la hausse, que la dette s’envole, je ne vois pas comment vous pouvez nous dire que la situation est bonne. Pour ma part, je pense qu’elle est mauvaise. Pour cette raison, le groupe UDI-UC votera contre ce projet de loi de règlement, comme il a voté contre le projet de loi de finances initiale.
J’en viens maintenant aux orientations pour 2016. Vous nous annoncez une reprise de la croissance en 2016, monsieur le secrétaire d’État, je veux bien y croire. Je rappelle toutefois que, contrairement à ce que vous avez déclaré à l’instant, tout le monde n’était pas d’accord sur le fait que la croissance allait repartir à la hausse en 2014. Certains d’entre nous ici ont dit l’inverse. À cet égard, je vous invite à relire nos interventions, monsieur le secrétaire d’État, en particulier la mienne. Pour ma part, j’ai toujours soutenu que, en matière de croissance, il valait mieux être prudent que trop optimiste.
Notre taux de croissance en 2014 s’est établi à 0,2 %, soit quatre fois moins que la moyenne européenne, laquelle se situait à 0,9 %. Alors que nous avons été le mauvais élève de la classe en 2014, nous le serons encore en 2015 : le taux de croissance de la zone euro sera en moyenne de 1,5 %, mais le nôtre devrait se situer autour de 1 %.
Ce qui m’inquiète le plus, c’est que, en France, la croissance repose malheureusement sur la consommation, et non sur l’investissement. En outre, nous consommons à crédit. Je pense donc que la croissance est très fragile et qu’elle ne sera pas durable, même si je ne souhaite pas de mauvais lendemains à notre pays et aux Français.
Que faut-il donc faire ? Je suis de ceux qui pensent qu’il faut réellement réduire la dépense publique, et pas uniquement celle des collectivités locales, lesquelles ont déjà réduit leurs dépenses.
Des réformes de fond sont nécessaires. On parle souvent de réformes structurelles. Pour ma part, j’emploie les termes « réforme de fond », car je sais, monsieur le secrétaire d’État, que vous n’aimez pas le mot « structurel », même si vous l’avez employé pour qualifier le déficit. Quand j’évoque des économies structurelles, vous me dites que vous ne savez pas ce que c’est. Les économies structurelles, monsieur le secrétaire d’État, ont un caractère pérenne, elles durent. Il ne s’agit pas d’économies que l’on réalise en renonçant à des investissements afin de financer des prestations sociales. Or des économies pérennes s’appuient sur des réformes de fond.
Nous savons quelles réformes doivent être réalisées : il faut instaurer la TVA sociale, revenir sur les retraites par répartition et mettre en œuvre un régime de retraites à points, simplifier le code du travail pour libérer un peu les énergies, procéder à la réforme fiscale qui nous avait été un temps annoncée pour rendre l’impôt plus efficace économiquement, sans doute revoir les conditions d’octroi de certaines prestations sociales, comme l’aide médicale de l’État.
Bref, de nombreuses réformes sont à faire. Je pense malheureusement que le Gouvernement n’aura ni le courage ni la volonté de les mener à bien.
Je suis donc également inquiet pour les comptes de 2016. J’espère me tromper, car, non, je ne souhaite pas de malheur à notre pays.
En conclusion, il est grand temps pour le Gouvernement d’agir réellement et non pas de faire semblant, puisque telle est l’impression qu’il donne aujourd'hui. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Dallier.
M. Philippe Dallier. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, on m’avait accordé un temps de parole de douze minutes, il sera finalement de dix-neuf minutes. Je ne l’utiliserai peut-être pas dans son intégralité, car je concentrerai mon propos sur le projet de loi de règlement, tout en regrettant, à l’instar de mes collègues André Gattolin et Vincent Delahaye, le peu de temps que nous y consacrerons : deux heures et demie !
M. Philippe Dallier. Je ne vous le reproche pas personnellement, monsieur le secrétaire d’État ! Je constate simplement que, si nous passons un mois sur le projet de loi de finances initiale, qui n’est après tout, pour important qu’il soit, qu’un exercice de prévision, nous ne consacrons en revanche qu’un bref moment au projet de loi de règlement. Je le déplore, car ce dernier me paraît presque plus important dans la mesure où il constate le niveau de performance et fixe, entre autres, le montant réel du déficit. Avant cela, nous ne sommes que dans les hypothèses.
De ce point de vue, l’année 2014 nous aura réservé des surprises, monsieur le secrétaire d’État, et elles ne sont malheureusement pas bonnes.
Aussi, je crains fort que nous ne démontrions une fois de plus cet après-midi qu’il est possible de faire dire des choses radicalement différentes aux mêmes chiffres, tant notre appréciation sur l’exécution du budget de 2014 diverge de la vôtre. Entre la vision de notre collègue Richard Yung et la nôtre, c’est même le grand écart. Je pense, cher collègue, que vos critiques ne s’appuient pas sur les bons chiffres, comme je vais essayer de vous le démontrer.
Alors, qui a raison ? Il me suffirait presque, pour vous convaincre que notre vision est la bonne, de vous renvoyer à l’appréciation portée par la Cour des comptes, …
M. Richard Yung. Vous ne vous y référez que lorsqu’elle vous arrange !
M. Philippe Dallier. … laquelle est, mes chers collègues, d’une rare sévérité, et de m’arrêter là. Mais j’irai plus loin.
La Cour le dit très clairement : le déficit de l’État, mon cher collègue, s’étant accru de 10,7 milliards d’euros – ce n’est pas une paille ! – entre 2013 et 2014 (M. Richard Yung proteste.), somme que l’on peut cependant ramener à 5,5 milliards d’euros …
M. Richard Yung. On est d’accord !
M. Philippe Dallier. … – vous le voyez, je suis précis – en déduisant les investissements d’avenir, il y a une rupture avec les années précédentes, le déficit ayant toujours reculé depuis 2010.
Les chiffres sont là : le déficit du budget de l’État est bien reparti à la hausse en France, et notre pays est le seul dans cette situation en Europe, avec la Croatie.
Quant au déficit public dans son ensemble, celui des administrations publiques, il diminue, très légèrement, de 1,6 milliard d’euros. Je ne peux toutefois pas m’empêcher, mes chers collègues, de rapprocher ce chiffre de celui de la baisse des dotations de l’État aux collectivités locales, qui fut de 1,5 milliard d’euros. Autant dire – c’est un raccourci, je le reconnais – que c’est à elles, et à elles seules, que vous devez le fait que le déficit ne se soit pas aggravé en 2014 également.
Les collectivités locales, malgré tout le mal que l’on en dit dans les médias – elles seraient trop dépensières, mal gérées, les élus seraient incapables de se réformer –, vous auront été bien utiles en 2014 pour contenir le déficit, comme le note la Cour des comptes. Si j’ai bien lu, il en sera peut-être de même en 2016, puisque les économies que l’État porte à son crédit – 3,6 milliards d’euros – correspondent à peu près à la baisse des dotations de l’État que ces mêmes collectivités locales vont encore subir.
Or, monsieur le secrétaire d’État, la médaille a un revers. Dès l’année dernière, les collectivités locales ont commencé à réduire leurs dépenses d’investissement, ce qu’elles continueront de faire jusqu’en 2017. Comme le montre une très intéressante étude que la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation est en train de réaliser, cette réduction ne sera pas sans effet sur la croissance - on évoque ainsi une perte de 0,6 % de PIB. Elle ne sera pas non plus sans effet sur l’emploi - les responsables de la Fédération nationale des travaux publics anticipent la suppression de 60 000 postes dans le secteur. Est-ce vraiment ce que vous voulez, monsieur le secrétaire d’État ?
Revenons à l’exercice 2014, qui s’annonçait sous de bien meilleurs auspices dans le projet de loi de programmation de 2012, lequel prévoyait un déficit public de 2,2 % par rapport au PIB. La logique était simple : on allait augmenter les impôts, faire rentrer les recettes et donc mécaniquement réduire le déficit. Un an plus tard, à l’automne 2013, les 2,2 % s’étaient transformés en 3,6 % dans le projet de loi de finances initiale pour 2014.
Au final, nous en sommes à 4 %. Et je passe sur l’épisode de la fin de l’année dernière, où le pire avait été envisagé dans le projet de loi de finances rectificative. À deux semaines de la fin de l’année, on évoquait un déficit de 4,3 % ou de 4,4 %. Au bout du compte, on se demande si on ne s’est pas juste fait peur afin de pouvoir annoncer ensuite que le déficit n’était finalement pas aussi catastrophique que prévu…
Dans ces conditions, comment considérer que 2014 fut une année budgétaire satisfaisante, ou même passable ? C’est d’autant moins possible, à notre sens, que nous ne cessons de nous éloigner des prévisions pluriannuelles pourtant régulièrement réajustées pour tenir compte de ces évolutions.
Pourtant, en 2014, la conjoncture a été indéniablement plus favorable sur certains points, mes chers collègues, que les années précédentes. (M. Richard Yung s’exclame.) Elle a été marquée par la baisse de l’euro, celle des taux d’intérêt et des prix des matières premières, notamment du pétrole.
Monsieur le secrétaire d’État, vous avez à maintes reprises pointé ces facteurs, censés être les signes avant-coureurs d’une reprise. Ils devaient même permettre d’inverser la courbe du chômage. Mais non, rien n’y a fait ! Pour notre économie, 2014 a été une nouvelle année noire, et le terme n’est selon moi pas trop fort.
Le taux de croissance a péniblement atteint 0,2 %, contre 0,4 % en 2013. Le nombre d’entreprises ayant déposé leur bilan s’est élevé à près de 64 000, comme en 2013, et le nombre de chômeurs n’a fait que progresser, pour atteindre, depuis peu, 3,5 millions de personnes, s’agissant de celles qui sont complètement privées d’emploi. En 37 mois de gouvernement Ayrault puis Valls, nous aurons connu 32 mois de hausse consécutive du chômage !
Oui, en 2014, la situation économique et budgétaire de la France s’est bien dégradée, contrairement à ce qui s’est passé chez nombre de nos voisins, lesquels connaissent, eux, des améliorations.
Je n’évoquerai pas l’Allemagne, car, dès que l’on en parle, certains prennent peur.
M. Didier Guillaume. Pas du tout !
M. Philippe Dallier. Pas vous en particulier, mon cher collègue, mais certains…
Je rappellerai simplement que, en 2014, l’Allemagne a connu un excédent budgétaire de 0,7 %. Je dois dire que cela laisse rêveur de ce côté-ci du Rhin !
Alors, ne nous comparons pas à l’Allemagne et contentons-nous de la moyenne des pays de l’Eurogroupe. Hélas, même constat : avec un taux de croissance de 0,2 % en 2014, nous avons décroché par rapport à la moyenne de la zone euro, dont le taux de croissance s’établissait à 0,9 %. Si nous nous comparons à l’ensemble de l’Union européenne, c’est encore pire, la moyenne dans l’Union européenne ayant été de 1,4 %.
Pourquoi, alors que nous avons bénéficié dans l’eurozone des mêmes avantages conjoncturels que nos voisins, faisons-nous nettement moins bien qu’eux ? Telle est bien la question que nous devons nous poser.
M. Didier Guillaume. L’héritage était lourd ! (Rires.)
M. Philippe Dallier. Je vous reconnais bien là, cher collègue ! (Nouveaux sourires.) Je ne reviendrai pas sur le débat que nous avons eu en commission des finances, car il me faudrait plus de dix-neuf minutes, mais je vous dirai la même chose, en plus synthétique.
Pour nous, la réponse est claire : c’est bien la politique conduite par ce gouvernement qui explique ces mauvais résultats.
En 2014, malgré la montée en puissance du CICE, dont le coût s’est révélé cependant inférieur à la prévision, le taux de marge de nos entreprises a continué de stagner à 29,7 %, contre 29,8 % en 2013, soit son plus bas niveau historique depuis les années quatre-vingt. Voilà notre principal problème.
Nos entreprises ne sont toujours pas suffisamment compétitives pour regagner des parts de marché, …
M. Jean-Pierre Bosino. Ce n’est jamais assez !
M. Philippe Dallier. … remplir leurs carnets de commandes et finalement embaucher.
Pourtant, depuis le 31 décembre 2013, jour du fameux tournant social-libéral du Président de la République, nous sommes à peu près tous d’accord – à l’exception de nos collègues du groupe CRC – sur le constat. Encore faudrait-il en tirer les conséquences avant qu’il ne soit trop tard.
Le véritable matraquage fiscal des années 2012 et 2013 qu’ont subi nos entreprises et les Français a étouffé la croissance. Or, sans croissance, nous le savons, nous ne résorberons pas notre déficit, nous ne réduirons pas notre dette et la courbe du chômage ne s’inversera pas. Le taux des prélèvements obligatoires n’a d’ailleurs pas diminué en 2014. Il est resté stable, à 44,7 % du PIB, ce qui nous vaut d’occuper la deuxième place sur le podium mondial, après le Danemark. Et il ne diminuera quasiment pas d’ici à la fin du quinquennat, puisqu’il devrait s’établir à 44,5 % en 2017, contre 42,6 % en 2011.
Dans ces conditions, mes chers collègues, comment espérer que la croissance reparte ?
Nous le savons bien, la croissance ne se décrète pas, pas plus que la confiance des acteurs économiques, à qui il ne suffit pas d’adresser des déclarations d’amour enflammées, comme l’a fait l’an dernier le Premier ministre, Manuel Valls. Il faut des actes. Mais où sont-ils ? Il faut de véritables réformes structurelles. Où sont-elles ? Ce n’est pas la loi Macron, même améliorée par le Sénat, qui permettra sérieusement de relancer la croissance.
Tant que nous n’allégerons pas très significativement les charges pesant sur les entreprises, tant que nous ne réformerons pas sérieusement le marché du travail pour lui donner plus de flexibilité, la croissance ne repartira pas, ou alors très mollement, sous l’effet d’une reprise qui viendrait d’ailleurs, ce que semble espérer le Gouvernement.
Et quand bien même elle repartirait, nous savons que ce n’est pas avec 1,5 % ou 2 % de croissance dans les années à venir, si tant est que nous les atteignions, que nous réglerons dans la durée nos problèmes.
Avec 0,2 % de croissance en 2014, nous ne pouvons que constater les dégâts, parmi lesquels figure la baisse des recettes fiscales liée à l’érosion des bases taxables.
De ce point de vue, 2013 avait été une très mauvaise année. Eh bien, malheureusement, 2014 ne fut guère meilleure. Par rapport à la loi de finances initiale, les recettes furent en retrait de près de 12 milliards d’euros, notamment celles qui proviennent de la TVA et de l’impôt sur les sociétés. Malgré les beaux discours, nous ne pouvons nous affranchir de la fameuse courbe de Laffer, qui démontre que trop d’impôt tue l’impôt, comme nous ne cessons de le répéter.
Du reste, en surévaluant imprudemment les recettes en loi de finances initiale, ce qui évite aussi de devoir trop travailler sur la réduction de la dépense, au bout de l’exercice, on creuse le déficit. C’est ce qui s’est produit en 2014, dans des proportions très importantes.
Je dirai maintenant un mot sur la dépense publique.
Le Gouvernement se targue en ce domaine de bons résultats : il aurait maîtrisé les choses au plus près.
Rappelons d’abord que la dépense publique, au sens large, ne diminue pas : elle progresse moins vite que les années antérieures, la hausse en volume se chiffrant à 0,4 %, contre 1,1 % en moyenne entre 2012 et 2013. C’est effectivement mieux. Toutefois, cette modération est d’abord due à la réduction des dépenses des collectivités locales, de 0,3 % en 2014, et à l’effet conjoncturel de la baisse des taux d’intérêt, qui pourrait bien ne pas durer.
Malgré cela, la France est devenue l’an dernier, avec un montant de dépenses publiques représentant 57,5 % du PIB, le pays le plus dépensier du monde, après la Finlande et ex aequo avec le Danemark.
Pourtant, le Gouvernement se décerne un satisfecit en annonçant que les dépenses de l’État ont diminué de 3,3 milliards d’euros par rapport à 2013. Or la Cour des comptes – encore elle ! – remet en cause ce résultat, affirmant que les dépenses n’ont été au final que « stabilisées » grâce à des artifices. Ce n’est pas moi qui le dis, mais la Cour des comptes qui les pointe ! En l’occurrence, le Gouvernement a sciemment procédé à des débudgétisations et à des reports de crédits sur 2015.
Les débudgétisations passent par le recours au programme d’investissements d’avenir, ou PIA, qui se situe en dehors du budget de l’État. On a parlé des 2 milliards d’euros qui ont été alloués au budget de la défense en utilisant ce PIA en lieu et place des ressources prévues initialement, qui devaient être tirées de la fameuse vente de fréquences hertziennes, mais elle n’a pas été réalisée, comme nous l’avions annoncé.
Quant aux reports de crédits, la Cour les chiffre à la somme record, depuis cinq ans, de 2,35 milliards d’euros sur 2015.
Enfin, cette toute relative baisse des dépenses repose très largement sur un contexte macroéconomique très favorable, notamment la baisse des taux d’intérêt et la diminution consécutive de la charge de la dette, qui a permis à elle seule d’économiser 1,7 milliard d’euros l’an dernier.
Je dirai un mot également sur la sous-budgétisation chronique de certains postes, qui n’est certes pas une nouveauté, mais qui n’est pas non plus un signe de bonne gestion. Ainsi, pour les opérations extérieures, les OPEX, on a atteint un record l’an dernier, puisque les dépenses se sont élevées à 1,1 milliard d’euros, alors que 450 millions d’euros seulement étaient inscrits au budget : l’écart entre les dépenses prévues et les dépenses constatées s’élève donc à 650 millions d’euros.
On pourrait parler des aides personnelles au logement, dont la charge est sous-évaluée de manière récurrente. Cela conduit – ce n’est pas normal, monsieur le secrétaire d’État – à une reconstitution de dettes vis-à-vis du Fonds national d'aide au logement, le FNAL, qu’il faudra bien payer un jour ! En fonction de ce que nous avons inscrit au budget 2015 et de la conjoncture, qui n’est pas bonne, ce n’est manifestement pas cette année que ce rattrapage sera effectué.
C’est aussi le cas pour l’hébergement d’urgence qui, de dégel en décret d’avances, jusqu’à la loi de finances rectificative, n’a jamais bénéficié de crédits à la hauteur des besoins, lesquels pourraient être, à l’évidence, mieux anticipés. On sait bien que c’est un sujet difficile, toutefois la sous-budgétisation est manifeste chaque année.
Enfin, je ne peux pas terminer mon propos sans évoquer le poids de la dette publique. Elle a, en 2014, franchi le seuil symbolique des 2 000 milliards d’euros, ce qui a représenté 95,6 % du PIB.
Malheureusement, la situation empire ces derniers mois, comme en témoignent les chiffres du premier trimestre de cette année publiés mardi dernier par l’INSEE. La dette a augmenté de 51,6 milliards d’euros pour atteindre quasiment 2 100 milliards d’euros et 97,5 % du PIB. C’est la plus forte hausse constatée depuis le début du quinquennat !
Pourtant, cette hausse continue de notre stock de dette – il ne date pas d’hier, je vous l’accorde – ne nous a coûté en 2014 que 44,3 milliards d’euros, c’est-à-dire exactement la même somme qu’en 2008. En effet, en 2008, la dette de l’État était de 1 016 milliards d’euros ; en 2012, elle s’élevait à 1 386 milliards d’euros ; en 2014, elle a atteint 1 602 milliards d’euros. Or, pour une somme qui a augmenté de 60 %, nous payons les mêmes intérêts. C’est la fameuse insoutenable légèreté de la dette, laquelle dure encore un peu, mais pour combien de temps ? Ces taux historiquement bas sont une aubaine budgétaire, mais ils sont aussi un puissant anesthésiant : il ne faudrait pas s’y laisser prendre.
Les chiffres donnés très récemment par le directeur de l’Agence France Trésor lors d’une audition par la commission des finances font froid dans le dos, mes chers collègues.
En fonction de la structure actuelle de notre dette, dont la maturité moyenne est de sept ans, une simple augmentation de 100 points de base des taux d’intérêt coûterait 2,4 milliards d’euros la première année, 5,3 milliards d’euros la seconde, 7,4 milliards d’euros la troisième, etc. Pourtant, 100 points de base, ce n’est rien ! Dans le passé, nous avons connu des volatilités de taux beaucoup plus importantes. Puisque l’actualité nous amène à beaucoup parler de la Grèce, je crois que nous avons une terrible épée de Damoclès au-dessus de nos têtes.
L’incertitude qui règne en Europe sur l’avenir de notre monnaie commune, la chute de la bourse de Shanghai et les inquiétudes sur la croissance en Asie, où les bulles immobilière et financière viennent d’exploser, la crise au Moyen-Orient, où se situent les plus grandes réserves de pétrole et de gaz, tout cela n’est pas pour nous rassurer. Cela devrait nous conduire à prendre d’urgence des mesures fortes pour diminuer nos dépenses, abaisser les charges pesant sur nos entreprises et relancer la croissance, seule manière de réduire notre endettement.
Rappelons également, parce qu’il est bon de le faire ici, au Sénat, et parce qu’elles sont trop souvent pointées du doigt, que la dette des collectivités locales ne représente que 9 % de la dette publique, contre 80,5 % pour l’État et 10,5 % pour les autres administrations.
Oui, mes chers collègues, le piège de la dette est peut-être en train de se refermer sur nous lentement, silencieusement, sournoisement. Il est temps que nous en prenions véritablement conscience et que nous agissions en conséquence ! De ce point de vue, nous ne pouvons pas dire que 2014 ait été une année rassurante.
C’est pourquoi, mes chers collègues, le groupe Les Républicains votera contre ce projet de loi de règlement des comptes de l’année 2014, qui retrace les résultats de la politique budgétaire du gouvernement, que nous désapprouvons en grande partie, pour toutes les raisons que j’ai évoquées. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)