Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Hugues Portelli, rapporteur. La commission a émis un avis très largement défavorable sur cet amendement.
Il a été question, voilà quelques instants, du respect que nous devions tous à la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Je rappelle toutefois que nous sommes ici dans une enceinte parlementaire. Or, le Parlement, lorsqu’il a estimé dans le passé – ce qui lui est arrivé assez souvent – qu’il n’était pas d’accord avec la façon dont le Conseil interprétait la Constitution ou une loi organique, ne s’est jamais senti gêné pour modifier la Constitution ou la loi organique, car le pouvoir constituant et le pouvoir législatif organique lui appartiennent en premier et dernier ressorts.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Clotilde Valter, secrétaire d'État. L’article 1er constitue le cœur de la proposition de loi organique. Il vise en effet à supprimer l’obligation, pour le Gouvernement, de présenter, à l’appui de ses projets de loi, des études d’impact comportant des éléments précis relatifs à l’évaluation des coûts et des bénéfices attendus, aux conséquences sur l’emploi public et aux consultations menées sur le texte.
Cet article a donc pour objet de vider de sa substance l’obligation qui pèse sur le Gouvernement d’éclairer le Parlement de la façon la plus complète possible, tout en maintenant suffisamment de souplesse pour ne pas créer un système basé sur un formalisme inutile.
La jurisprudence du Conseil constitutionnel, sur laquelle se fondent les auteurs de cette proposition de loi organique pour justifier leur position, paraît conforme à la volonté du constituant, qui a entendu privilégier une approche souple de l’obligation faite au Gouvernement. Ce dernier ne souhaite pas revenir sur le contenu de la loi organique qui constitue une garantie démocratique.
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.
M. Pierre-Yves Collombat. On nous dit – tout du moins ceux qui sont de bonne foi – que notre diagnostic est bon, mais que nos remèdes sont mauvais. Dès lors, je pose la question : quel autre choix s’offre à nous ? Faire une loi constitutionnelle, me dit M. Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Tout à fait !
M. Pierre-Yves Collombat. Mais qui contrôlera cette loi, sinon le Conseil constitutionnel ? Cela ne changera donc rien ! L’évaluation des conséquences des dispositions envisagées sur l’emploi public, par exemple, est une obligation – que le Gouvernement l’ait inscrite dans le texte concerné ou non !
Vous pourrez avoir la loi constitutionnelle la plus complète possible, avec de nombreuses dispositions concernant l’environnement, la Lune et le Soleil (Sourires.), si le Conseil constitutionnel décide de s’asseoir dessus, si je puis me permettre cette expression, il ne se passera rien du tout !
Par ailleurs – je suis d’accord avec Jean-Pierre Sueur sur ce point –, la vérité ne tombera pas du ciel, mais surgira d’un débat informé. S’il est une solution, c’est de donner au Parlement les moyens d’obtenir ces informations.
Toutefois, pour arriver éventuellement, à l’avenir, à la mise en place d’un tel mécanisme, il faut déjà commencer par faire le vide, par nettoyer la place et par reconnaître que le dispositif actuel n’est pas bon, qu’il s’agit d’un leurre, d’une illusion. Ce n’est qu’en dissipant d’abord les illusions que l’on pourra peut-être espérer un jour arriver à un système qui fonctionne.
Mais les choses vont continuer leur train, dans la mesure où le Gouvernement peut faire exactement ce qu’il veut, le Conseil constitutionnel – par pragmatisme – soutenant tout ce qu’il fait, dit ou veut !
Tout se passe comme si nous étions encore en 1958, au moment où les institutions étaient menacées. Il s’agissait alors de protéger l’exécutif d’un pouvoir législatif envahissant. Comme le disait Alain Peyrefitte à l’époque, la Constitution a été faite pour gouverner sans majorité.
Aujourd’hui, l’exécutif gouverne avec des majorités « en béton » qui suivent ses directives, quoi qu’il se passe ! Se pose donc le problème inverse de celui auquel était confronté le constituant de 1958. Or les exégèses du Conseil constitutionnel sont encore les mêmes que celles de 1958, ce qui est tout de même un peu fort ! C’est de cela que nous sommes en train de mourir ! Il faudra bien que vous le réalisiez un jour !
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.
M. Jacques Mézard. Madame la secrétaire d’État, je vois que vous appréciez votre premier contact avec la Haute Assemblée, et je m’en réjouis. (Sourires.)
Mes chers collègues, nous sommes au cœur d’un vrai débat parlementaire, que veulent bien évidemment éluder ceux qui sont aux responsabilités. Et ceux qui se disent qu’ils pourraient y revenir bientôt sont particulièrement prudents, car ils ont bien l’intention, madame la secrétaire d’État, de faire la même chose que ce que vous êtes en train de faire.
M. Philippe Kaltenbach. Voire pire ! (Sourires.)
M. Jacques Mézard. Peut-être, cela dépend.
M. Pierre-Yves Collombat. Ce sera tout de même difficile ! (Nouveaux sourires.)
M. Jacques Mézard. Nous sommes dans le cynisme. Que veut le Gouvernement ? Il souhaite pouvoir continuer à déposer des études d’impact réalisées à la va-vite, n’importe comment. Il est d’ailleurs amusant de constater – je l’ai dit à propos de la fusion des régions – que le Gouvernement fait travailler a posteriori France Stratégie pour connaître les vraies conséquences de la loi après qu’elle est votée. Mais pas avant, surtout pas ! C’est original !
Le Gouvernement veut pouvoir continuer à abuser de la procédure accélérée puisqu’il a été affirmé, au plus haut niveau de l’État, que le Parlement n’allait pas assez vite. Il faudra bientôt que nous votions la loi la veille du dépôt des textes ! Or on nous donne des catalogues que nous devons absorber en quelques jours. Et si ce n’est pas bien fait, on déclare devant l’opinion publique que le Parlement travaille mal, qu’il passe son temps à parler pendant des heures au lieu de voter sans discussion les excellents projets de loi qui lui sont soumis. C’est cela, la démocratie parlementaire ?
Oui, mon cher Philippe Kaltenbach, il s’agit bien de cynisme. Je vous le dis amicalement – d’ailleurs, vous le savez – notre texte reprend un amendement – on relevait des signataires éminents – que votre groupe avait déposé dans cette enceinte même voilà quelques années à peine.
Cela signifie que, une fois le parti auquel vous appartenez au Gouvernement, vous piétinez vos prises de position antérieures. Tant que les choses iront ce train sous le régime de la Ve République, ne vous étonnez pas que ça aille de plus en plus mal !
En 2009, vous disiez au gouvernement Fillon qu’il fallait limiter les études d’impact à tel ou tel aspect – au moins Jean-Pierre Sueur est-il cohérent sur ce point – et, aujourd’hui, vous revendiquez l’inverse. Vous faites le maximum que pour notre texte ne soit pas adopté, parce qu’il vous gêne ! Vous voudriez que j’approuve ce que vous faites ? Bien au contraire, je trouve que c’est très mal ! Non seulement c’est contraire au déroulement normal de l’examen d’un projet de loi devant le Parlement, mais cela permet au Gouvernement de faire ce qu’il veut en s’appuyant sur cette technocratie dont nous subissons les textes et les excès au quotidien.
Vous voulez vider notre proposition de loi organique de son contenu ? Nous l’avions compris. Ce n’est pas la première fois ; nous en avons l’habitude depuis deux ans et demi et cela continuera – je n’ai aucun doute là-dessus. Toujours est-il que ce que vous faites est contraire aux convictions et aux principes dont vous avez, dans le passé, été les premiers défenseurs. Et cela, ce n’est pas bien ! Je vous le dis en face, cela ne vous honore pas !
Monsieur Sueur, vous, vous êtes cohérent. Il faudrait déposer une proposition de loi constitutionnelle ? Mais que ne l’avez-vous fait ? Président de la commission des lois, vous aviez beaucoup de pouvoirs. Vous aviez, bien plus que nous aujourd’hui, les moyens de conforter l’action du Parlement.
À cause de tout cela, chaque jour, dans l’opinion, dans les médias, c’est le procès du parlementarisme, ce qui est dangereux pour la démocratie ! Et par ce que vous faites, monsieur Kaltenbach, vous y contribuez. Je suis aussi là pour vous le dire ! (Applaudissements sur les travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Kaltenbach, pour explication de vote.
M. Philippe Kaltenbach. Dans la mesure où j’ai été mis en cause par Jacques Mézard, je tiens en fait à lui répondre, madame la présidente.
Mon cher collègue, rassurez-vous : si j’avais assez de poids politique pour remettre en cause à moi seul le parlementarisme, cela se saurait ! (Sourires.) Mais c’est loin d’être le cas.
J’en suis d’accord, le dispositif actuel n’est pas parfait. C’est évident ! Est-il inutile pour autant ? Nous ne le pensons pas.
Voilà sept ans, c’est vrai, le groupe socialiste du Sénat défendait d’autres positions. Depuis lors, nous avons pu pratiquer l’étude d’impact, avec ses aspects positifs, mais aussi ses insuffisances. Aujourd’hui, nous jugeons globalement qu’une étude d’impact la plus détaillée possible est utile au travail du Parlement.
Il est normal de pouvoir évoluer dans ses positions, mon cher collègue !
Oui, l’étude d’impact est un plus. Oui, elle pourrait être mieux faite - nous pouvons y travailler ensemble. Bien sûr, nous pourrions avoir une meilleure information, être avertis plus en amont et disposer de plus de moyens ! Le groupe socialiste est d’accord. Mais ce n’est pas à l’occasion de l’examen d’une proposition de loi d’humeur, qui provoque le débat, que l’on réglera la question au fond.
Le groupe socialiste du Sénat, sur l’initiative de son président, Didier Guillaume, a lancé des consultations pilotées par Gaëtan Gorce, dans le cadre d’une réflexion portant sur une redéfinition du parlementarisme pour le XXIe siècle et un meilleur fonctionnement des institutions, de façon à aboutir à des propositions concrètes.
Nous en sommes tous conscients, il convient de faire évoluer le fonctionnement de nos institutions, qui doivent devenir plus démocratiques, en associant davantage les citoyens et en faisant mieux travailler le Parlement. J’espère que ce travail de réflexion mené par Gaëtan Gorce débouchera sur des conclusions qui nous permettront de débattre dans cet hémicycle.
Quoi qu’il en soit, je le répète, on ne peut pas traiter les dysfonctionnements de la Ve République à l’occasion d’une proposition de loi qui, je suis désolé de devoir le dire, prend le problème par le petit bout de la lorgnette !
Vous avez en effet mis les pieds dans le plat, monsieur Mézard. Certes, il faut le poursuivre le débat que vous avez ainsi lancé, mais sans saboter pour autant les études d’impact. Il convient de réfléchir ensemble à un meilleur fonctionnement des institutions et du parlementarisme et à une démocratie qui permette de mieux associer les citoyens.
Le groupe socialiste travaille dans ce sens. À la suite des travaux menés par Gaëtan Gorce, nous formulerons des propositions, pour défendre le bicamérisme et le parlementarisme et renforcer notre fonctionnement démocratique.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 2.
J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste et républicain.
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable et que celui du Gouvernement est favorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 209 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 179 |
Pour l’adoption | 161 |
Contre | 18 |
Le Sénat a adopté.
En conséquence, l'article 1er est supprimé.
La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Madame la présidente, je sollicite une suspension de séance de dix minutes.
Mme la présidente. Mes chers collègues, la demande étant de droit, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures cinq, est reprise à dix-huit heures quinze.)
M. Jacques Mézard. Je voudrais d’abord faire remarquer une chose : nos excellents collègues du groupe socialiste et républicain étaient tellement peu nombreux qu’ils ont dû recourir au scrutin public pour réussir à vider notre texte de sa substance. Quand on donne des leçons sur la présence des sénateurs en séance, quand on se répand sur la nécessité d’assister aux débats en plus grand nombre, il faut, mes chers collègues, essayer de joindre les actes à la parole !
Mme Éliane Assassi. C’est vrai !
M. Philippe Kaltenbach. Nous sommes là, nous !
M. Jean-Pierre Sueur. Eh oui !
M. Jacques Mézard. Et nous vous en félicitons ! Cela illustre néanmoins parfaitement la pratique de certaines méthodes, méthodes que vous critiquez d’ailleurs à juste titre, étant tous deux souvent présents en séance.
Pour ce qui nous concerne, nous avons fait plus d’efforts cet après-midi ; c’est bien normal : il s’agit de l’ordre du jour réservé à notre groupe. Mais, de grâce, épargnez-nous à l’avenir vos discours itératifs sur le sujet.
Je souhaitais surtout prendre la parole pour retirer la présente proposition de loi, madame la présidente. Je ne suis aucunement dupe de ce qui se passe. Je le regrette néanmoins ; il s’agit là d’un débat de fond, qui a trait au fonctionnement du Parlement.
J’ai malgré tout été très heureux du travail réalisé par M. le rapporteur, sur le plan juridique, notamment constitutionnel. J’ai apprécié ce qu’il nous a indiqué à propos du rôle du Parlement, de sa capacité à s’exprimer en direction du Conseil constitutionnel.
D’aucuns l’oublient trop : nous passons de plus en plus du gouvernement de la République, traditionnel, au gouvernement des juges, ce qui n’est pas forcément le souhait de nos concitoyens.
Cela étant, continuer la discussion sur un texte privé de son article 1er n’a guère de sens. Le groupe socialiste et républicain aura réussi à contenter le Gouvernement ; c’est d’ailleurs son rôle principal. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain.) Je n’en dirai pas plus, ce serait désobligeant, et je respecte trop l’ensemble de mes collègues sénateurs pour ce faire.
Quant au Gouvernement, il pourra continuer à produire des études d’impacts qui ne servent à rien, dans lesquelles on ne trouve strictement rien, pour des textes sur lesquels il choisit d’engager la procédure accélérée, ce qui lui facilite encore les choses.
Je vous le dis, madame la secrétaire d’État, chers collègues du groupe socialiste et républicain, le jour où vous rejoindrez les travées d’une opposition, je ne manquerai pas, si je suis encore là, de vous rappeler ces excès.
Mme Françoise Laborde. Nous serons là !
M. Jacques Mézard. En tout cas, nous ferons le maximum pour continuer à siéger ici !
M. Philippe Kaltenbach. Nous n’en doutons pas !
M. Jacques Mézard. Je sais que cela ne vous fait pas toujours plaisir, mais nous sommes résistants ; et cela dure depuis 1892, quel que soit le régime ! (Sourires sur les travées du RDSE et du groupe socialiste et républicain.) Ce n’est d’ailleurs pas toujours facile, notamment quand vous êtes au pouvoir, chers collègues socialistes…
Mais j’aurai au moins eu la satisfaction – et c’est déjà beaucoup – de dire ce que j’avais à dire.
Madame la présidente, je retire notre texte, ce qui clôt le débat !
Mme la présidente. La proposition de loi organique visant à supprimer les alinéas 8 à 10 de l’article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution pour tenir compte de la décision du Conseil constitutionnel du 1er juillet 2014 est donc retirée.
Madame la secrétaire d’État, je salue votre première intervention dans notre hémicycle et vous souhaite une bonne continuation.
Mme Clotilde Valter, secrétaire d'État. Je vous remercie, madame la présidente.
8
Dépôt d’un document
Mme la présidente. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre l’avenant n° 1 à la convention du 17 décembre 2014 entre l’État et BPI-Groupe, action « Fonds national d’innovation », « Partenariats régionaux d’innovation » et « Fonds d’innovation sociale ».
Acte est donné du dépôt de ce document.
Il a été transmis à la commission des finances, à la commission des affaires sociales et à la commission des affaires économiques.
9
Candidatures à un organisme extraparlementaire
Mme la présidente. M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation de sénateurs appelés à siéger au Conseil supérieur de la coopération.
La commission des affaires économiques propose la candidature de M. Jean-Jacques Lasserre, pour siéger comme titulaire, et celle de M. Marc Daunis, pour siéger comme suppléant au sein de cet organisme.
La commission des affaires sociales propose, pour sa part, la candidature de M. Jean-Pierre Godefroy, pour siéger comme titulaire, et celle de Mme Anne Emery-Dumas, pour siéger comme suppléante au sein du même organisme extraparlementaire.
Ces candidatures ont été publiées et seront ratifiées, conformément à l’article 9 du règlement, s’il n’y a pas d’opposition à l’expiration du délai d’une heure.
10
Communications du Conseil constitutionnel
Mme la présidente. Le Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le 18 juin 2015, qu’en application de l’article 61-1 de la Constitution, le Conseil d’État a adressé au Conseil constitutionnel quatre décisions de renvoi de questions prioritaires de constitutionnalité portant sur :
- les dispositions de l’article 1er de la loi n° 2010-729 du 30 juin 2010 (Produits à base de bisphénol A) (2015-480 QPC) ;
- les dispositions du IV de l’article 1736 du code général des impôts, dans sa rédaction issue de la loi de finances rectificative pour 2008 (Recouvrement de l’impôt – Infractions commises par les tiers déclarants) (2015-481 QPC) ;
- les dispositions du tableau du a) du A du 1 de l’article 266 nonies du code des douanes (Taxe sur les déchets non dangereux) (2015-482 QPC) ;
- le a) du 3° du II de l’article L. 136 7 du code de la sécurité sociale (Contribution sociale sur les produits de placement) (2015-483 QPC).
Le texte de ces décisions de renvoi est disponible à la direction de la séance.
Acte est donné de ces communications.
11
Débat sur le thème : « comment donner à la justice administrative les moyens de statuer dans des délais plus rapides ? »
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat sur le thème : « Comment donner à la justice administrative les moyens de statuer dans des délais plus rapides ? », organisé à la demande du groupe du RDSE.
La parole est à M. Jacques Mézard, au nom du groupe du RDSE.
M. Jacques Mézard, au nom du groupe du RDSE. Je voudrais avant toutes choses remercier vivement Mme la garde des sceaux. Nous savons en effet l’effort qu’elle fait pour être parmi nous ce jour, et nous l’apprécions d’autant plus que tous les ministres ne nous honorent pas souvent de leur présence…
Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, dans l’ordre du jour réservé à notre groupe, nous avons souhaité aborder la question des délais de jugement devant les juridictions administratives et, par là même, les moyens de les rendre plus rapides. Nous avons le souhait de connaître la position du Gouvernement sur ce qui est devenu un problème.
Tribunaux administratifs, cours administratives d’appel et bien sûr Conseil d’État : c’est le triptyque institutionnel qui constitue la justice administrative de notre pays, de la première instance en passant par l’appel, jusqu’à la cassation.
La justice administrative n’est pas, comme certains voudraient le laisser entendre, une exception française de plus. Il suffit de penser au Conseil d’État belge ou au Consiglio di Stato italien pour s’en convaincre ; il faut dire, et c’est le jour pour se le rappeler, que Napoléon était passé par là ! (Sourires.) Je ne parle même pas de l’Allemagne, qui ne connaît pas moins de cinq ordres juridiques distincts.
La justice administrative n’en est pas moins une caractéristique majeure de notre système juridique. Son organisation, son fonctionnement, son mode de recrutement par le biais de concours spécifiques, la porosité pouvant exister avec le corps préfectoral, notamment, ainsi que son droit d’origine jurisprudentielle la distinguent de l’ordre judiciaire classique, souvent plus familier à nos concitoyens.
Depuis quelques années, cette justice administrative, garante tant du respect des libertés face à la puissance publique – on nous l’a rappelé lors de l’examen du projet de loi relatif au renseignement – que de la protection des prérogatives de cette même puissance publique contre les intérêts particuliers, a vu son contentieux croître sans discontinuer, tandis que ses moyens financiers et humains restaient assez constants.
Ainsi, ce sont environ 200 000 décisions qui sont rendues chaque année dans ces juridictions, pour l’essentiel en première instance. Autant dire que l’engorgement des juridictions administratives est, non pas toujours, mais très souvent, une réalité. À cela s’ajoute, ce qui n’arrange pas les choses, la lenteur due à la multiplication des expertises, lenteur parfois programmée, qui soulève également la question de la qualité desdites expertises.
Si de louables efforts ont été réalisés par les juridictions afin de réduire les délais de jugement et de rajeunir le stock d’affaires pendantes, la situation pose toujours problème.
Je tiens à dire très clairement que ce débat n’a pas pour objet de critiquer les juridictions administratives. Si la durée des procédures, de plus en plus nombreuses et souvent systématiques, bloque le développement de ce pays, la responsabilité en incombe d’abord aux gouvernements successifs et à nous-mêmes, parlementaires.
À force de multiplier les lois, les règlements, les normes, les schémas - prescriptifs, ou non, mais sur lesquels on se fonde pourtant - et les documents d’urbanisme, notre législation est devenue un maquis dans lequel se réfugient tous ceux qui ont un intérêt, le plus souvent personnel, parfois politique – cela peut être dans le meilleur sens du terme, d’ailleurs –, à bloquer un dossier.
Constamment, le pouvoir exécutif et le législateur fabriquent des mines qui explosent à la figure des porteurs de projet. La loi dite « Grenelle de l’environnement », adoptée avec les meilleures intentions du monde, en est l’illustration : les fils des trames vertes et bleues sont en train d’enserrer de multiples initiatives, empêchant ainsi tout mouvement.
De la même manière, ce n’est point la faute des juridictions administratives si nous assistons à une inflation constante du contentieux, depuis les points du permis de conduire jusqu’aux nouveaux droits accordés aux citoyens par la puissance publique elle-même, sur le logement ou la sauvegarde de l’emploi, par exemple.
Quand l’exécutif et le législateur créent de nouvelles sources de contentieux, il paraîtrait judicieux et de bon sens de donner aux juridictions administratives les moyens suffisants pour y répondre dans des délais acceptables. Le contentieux administratif doit en effet permettre de résoudre des conflits et non de les créer, de donner à l’administration les moyens de faire retomber la pression par l’usure du temps, même si ce n’est pas non plus la meilleure solution.
Ce n’est pas davantage la responsabilité des juridictions administratives si gouvernements et législateur s’ingénient à créer une kyrielle d’organismes divers, autorités administratives indépendantes – nous nous en occupons dans une commission d’enquête dédiée –, commissions ou autres comités ayant qualité pour prendre des décisions susceptibles de recours, voire de prononcer des sanctions. Hier, lors de son audition par la commission d’enquête que je viens d’évoquer, et dont je suis le rapporteur, le président de l’Autorité de la concurrence nous indiquait avoir infligé 1 milliard d’euros d’amendes. Quelle juridiction pourrait se prévaloir d’un tel succès, madame la garde des sceaux ?
Tous ces organismes s’infiltrent par leurs décisions dans le processus juridictionnel. Cela complique encore le cheminement des dossiers et allonge considérablement la durée des procédures. On peut citer à l’appui de notre propos l’exemple de l’urbanisme commercial, avec ses commissions départementales et sa commission nationale. Certains membres de cette dernière instance, et parmi les plus éminents, reconnaissent d’ailleurs que, lorsqu’il y aura des SCOT partout, leur utilité sera moins évidente...
Il faut ajouter à cela le processus du traitement des dossiers par les juridictions administratives et le contentieux du permis de construire. Aujourd’hui, il n’est pas rare de voir certains dossiers de contentieux d’urbanisme, pour ne citer que ce domaine, s’étaler sur huit à dix ans.
Madame la garde des sceaux, vous êtes une ministre d’importance, dans le bon sens du terme. Le Gouvernement veut réformer, faire voter des lois dans tous les domaines. Ces réformes sont-elles simplificatrices ? C’est parfois le cas. Le plus souvent, cependant, elles viennent compliquer davantage encore le fonctionnement de nos institutions. Plus vous créez d’autorités administratives indépendantes, de hauts conseils – formule à la mode – ou autres comités Théodule, plus la situation devient compliquée et source de contentieux.
Il n’est guère de projet important pour une collectivité locale, pour une entreprise, pour l’État, qui ne suscite de recours, soit en vertu du principe du « NIMBY » – pas chez moi, mais chez le voisin, c’est toujours mieux ! –, soit pour préserver un intérêt strictement personnel ou corporatiste. Cela peut être aussi la déclinaison d’une idéologie.
Résultat ? Quand il faut trois ou quatre ans dans les pays voisins pour juger tous les recours, il faut souvent le double en France. Cela a des conséquences catastrophiques pour le développement économique de notre pays, pour la vie de nos territoires, pour la modernisation de nos équipements, pour l’emploi.
Dans une démocratie, il est naturel, il est juste que tout citoyen puisse exercer une voie de recours contre une décision lui portant grief ou que toute association justifiant d’un intérêt à agir puisse faire valoir ses droits. Il ne pourrait y avoir d’entrave à l’exercice de ce droit fondamental.
Dans une démocratie, il est aussi naturel, aussi juste que ceux qui exercent des recours abusifs, qualifiés comme tels par les juridictions, soient sanctionnés financièrement et parfois pénalement, comme cela a pu être le cas contre les auteurs de recours frauduleux s’agissant des permis de construire à Marseille.
Dans une conjoncture économique difficile, et durablement difficile, la durée de nos procédures constitue un handicap pour le pays. Il convient de mettre un terme à cette situation. Il s’agit non pas de faire obstacle aux recours, mais de pouvoir prendre des décisions plus rapides, quel que soit leur sens. Et quand les décisions sont rendues, madame la garde des sceaux, il est important que l’État fasse le nécessaire pour qu’elles soient appliquées dans les meilleurs délais, et non en fonction de la plus ou moins grande capacité des opposants à mobiliser les médias ou les équilibres politiques ! Quoi de pire pour un pays démocratique que de ne point avoir la capacité de faire exécuter les décisions de justice ?
Lors de l’examen du projet de loi Macron, un débat s’est instauré sur la fixation d’un délai maximum pour que les juridictions administratives statuent sur certains dossiers. Le ministre de l’économie a répondu en indiquant qu’une mission parlementaire pourrait travailler sur ce thème – il me semble d’ailleurs le lui avoir susurré…C’est une des pistes de réflexion. Cependant, madame la garde des sceaux, ce débat a pour objet d’attirer de nouveau l’attention du Gouvernement sur ces questions d’une cardinale importance.
Face à une situation qui suscite tant de difficultés pour notre pays en période de crise économique, quelles sont les réponses du Gouvernement ? Il importe non pas d’agir à tort et à travers, mais de rendre des décisions justes et rapidement. (Applaudissements sur les travées du RDSE. – M. Jean-Pierre Sueur applaudit également.)