M. Charles Revet. Très bien !
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Il s’agit aussi, bien entendu, de permettre l’accès effectif aux soins palliatifs pour les patients qui en ont besoin, que ce soit à l’hôpital, en établissement pour personnes âgées dépendantes ou à domicile.
La proposition de loi a pour second mérite de préciser la loi de 2005 et, dans certains cas, d’en renforcer les dispositions. Le texte prend en compte de manière plus affirmée la souffrance du malade en fin de vie et les réponses qui doivent lui être apportées, tout en encadrant précisément la pratique de la sédation profonde, aujourd’hui définie par de simples recommandations de bonnes pratiques.
Nous restons cependant vigilants. L’expérience dans le domaine de l’euthanasie, en particulier celle de la Belgique, prouve que, avec le temps, un renoncement progressif aux critères qui encadrent la loi s’installe et que les pratiques se banalisent. Les rapporteurs ont entendu les médecins qui disent que la privation de la nutrition et l’hydratation entraînent la mort, que la sédation profonde ouvre les portes du décès et peut être considérée, à juste titre, comme un pas de plus vers l’euthanasie.
Le texte vise également à mieux répondre aux situations dans lesquelles le patient n’est plus en situation d’exprimer sa volonté, en renforçant la portée des directives anticipées et le rôle de la personne de confiance. Il faudra aussi témoigner à la personne en fin de vie écoute et respect jusqu’au dernier moment.
La commission des affaires sociales, dans sa majorité, a approuvé la démarche qui sous-tend cette proposition de loi, ainsi que son dispositif, qu’elle juge utile et équilibré. Elle a suivi les conclusions de ses deux rapporteurs en adoptant treize amendements dont les dispositions n’en modifient pas la physionomie générale, prolongent en quelque sorte le travail effectué par Alain Claeys et Jean Leonetti, que je tiens à saluer, et surtout en précisent plusieurs aspects.
Au travers d’améliorations rédactionnelles, la commission a souhaité faire apparaître plus clairement certaines notions, comme l’apaisement de la souffrance ou la manifestation de la volonté du patient avant la suspension des traitements.
Plus substantiellement, elle a jugé nécessaire de préciser les conditions de mise en œuvre de la sédation profonde. Celle-ci nous paraît impérativement devoir répondre aux situations de souffrances réfractaires aux traitements. Nous considérons, mais le temps et l’expérience peuvent nous donner tort, que la rédaction proposée par Gérard Dériot et Michel Amiel garantit qu’elle ne sera pas détournée de son objet.
Enfin, il nous a paru utile de définir la procédure collégiale à laquelle le texte fait une place importante.
Mes chers collègues, même si, en ce début d’examen du texte, nous avons des prises de position différentes, je souhaite que nous convenions que s’il est un droit incontournable, c’est bien celui d’être reconnu dans la dignité de son existence jusqu’au terme de sa vie.
Le débat qui va suivre va être riche et les positions de chacun seront certainement motivées, mais je souhaite que l’équilibre que nous avons recherché recueille finalement votre approbation et vous invite à adopter cette proposition de loi, telle que l’a modifiée notre commission des affaires sociales. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Françoise Gatel.
Mme Françoise Gatel. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, je tiens en préambule à saluer avec une très grande sincérité l’excellent travail de nos collègues rapporteurs, qui a permis d’améliorer le texte issu de l’Assemblée nationale en clarifiant certains points ambivalents.
Aujourd’hui, nous débattons d’un sujet difficile, entouré d’émotions et de convictions et auquel chaque individu, que ce soit pour lui-même ou pour un être cher, sera fatalement confronté.
La mort est un déchirement, un arrachement à la vie, à ceux que nous aimons ; elle est aussi la tragique disparition de ceux qui nous laissent orphelins de leur présence. Toutefois, elle est une issue fatale. L’appréhension de la mort, dans notre société qui sacralise la performance et le progrès, mais sanctionne l’échec, explique la difficulté que représente la question de la fin de vie. Son évocation renvoie à nos valeurs personnelles, mais aussi à celles de notre société.
La mort aujourd’hui est refoulée et devient cette vérité que nous ne pouvons regarder en face. Un sentiment de peur, de gêne, d’échec d’une médecine curative amène à sa mise à l’écart de la vie publique.
Dans les sociétés antérieures, nos parents et nos grands-parents mouraient chez eux, entourés de leur famille et de leur affection. Aujourd’hui, la mort se cache. Elle est une étrangère qu’il s’agit de ne plus voir, un tabou de société, qui explique d’ailleurs que la plupart des personnes meurent à l’hôpital ou en maison de retraite, souvent dans ce que Norbert Elias appelle « la solitude des mourants ».
Faut-il rappeler que, dans notre pays, près de 8 000 personnes résidant en EPHAD décèdent chaque année dans les heures qui suivent leur admission dans le service d’urgence d’un hôpital ?
Pouvons-nous abandonner ceux qui vont mourir à l’acharnement déraisonnable, à la solitude, à la douleur et à la souffrance, car c’est ainsi que les hommes meurent trop souvent ?
Ce texte pose aussi la question de la finalité de la médecine, une médecine curative faite pour sauver et guérir, alors qu’elle doit aussi prendre soin et soulager. Aujourd’hui, le cantonnement des soins palliatifs à la fin de vie, vous l’avez dit, madame la ministre, est générateur d’angoisse pour le patient et ses proches, qui l’associent à une mort imminente.
Les soins palliatifs sont dans notre pays une indignité, malgré la loi de 1999 qui prône l’accès de tous à ces traitements.
La loi Leonetti de 2005 a représenté une avancée majeure ; elle a permis d’améliorer la prise en compte de la volonté du patient et de ses souffrances, en faisant progresser les soins palliatifs et en condamnant l’acharnement thérapeutique. Hélas, mal connue et appliquée, elle se révèle insuffisante. La prise en charge des malades en fin de vie souffre ainsi de plusieurs insuffisances.
La première, ce sont les inégalités multiples et scandaleuses en termes d’accessibilité, puisque seuls 20 % des patients qui pourraient en bénéficier ont accès aux soins palliatifs. Il existe ensuite de très fortes disparités territoriales, puisque quelque 70 % des lits de soins palliatifs sont concentrés dans cinq régions. On constate enfin des inégalités au niveau des structures, car si l’offre hospitalière reste notoirement insuffisante, les structures médico-sociales sont très peu développées et la possibilité de mourir à son domicile, dans son cadre familier, auprès de ses proches, quasi inexistante. Ainsi, quelque 70 % des malades meurent en milieu hospitalier, alors que 70 % des Français affirment vouloir mourir chez eux.
La deuxième insuffisance concerne le manque flagrant de formation des médecins aux soins palliatifs. Le déficit de formation des professionnels de santé et des accompagnants rend la situation actuelle inacceptable et même trop souvent indigne.
Les médecins doivent mieux appréhender la limite entre l’efficacité et l’« obstination déraisonnable », car science sans conscience est vaine. Le serment d’Hippocrate engage à sauver et à guérir ; les médecins, trop souvent encore, refusent d’accepter l’impuissance de la science, mais la médecine se doit d’être curative et palliative.
Malgré une amélioration de la formation, le rapport Sicard de 2013 montre l’ampleur des progrès à entreprendre pour sensibiliser les médecins aux soins palliatifs. Comme le souligne ce document, les personnes malades en fin de vie éprouvent, pour la plupart d’entre elles, le sentiment soit d’être soumises à une médecine qui privilégie la performance technique au détriment de l’attention qui devrait leur être portée, soit d’être purement et simplement abandonnées. Il s’agit ici de soulager avec compétence et d’accompagner avec humanité.
L’Observatoire national de la fin de vie estime ainsi que quelque 80 % des médecins n’ont reçu aucune formation à la prise en charge de la douleur.
Madame la ministre, tant que ce type de formation ne sera pas véritablement intégré dans le cursus et valorisé, tant qu’une véritable culture palliative ne sera pas développée dans notre pays, le changement de pratiques en France face aux situations de fin de vie restera pathétique.
La troisième insuffisance concerne le manque de moyens.
Madame la ministre, nous serons extrêmement vigilants, lors du prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale, au fait que les crédits nécessaires soient alloués aux soins palliatifs, conformément à la volonté annoncée à la fin de l’année dernière par le Président de la République de combler le retard français en la matière.
La quatrième insuffisance porte sur l’information du grand public. L’ensemble des sondages montre l’ignorance actuelle de nos compatriotes sur le dispositif existant. Vous l’avez rappelé, madame la ministre, seuls 2,5 % de nos concitoyens ont rédigé des directives anticipées.
Aujourd'hui, les patients et les familles souhaitent être associés aux décisions qui les concernent et attendent un rééquilibrage entre le savoir médical et les attentes des malades.
La proposition de loi va parfaitement dans ce sens. Force est de constater qu’en devenant contraignantes, les directives anticipées faciliteront la prise de décision qui appartient au médecin et la prise en charge de personnes incapables d’exprimer leur volonté. Chacun de nous songe à la situation dramatique et violente récemment médiatisée, au cœur d’une tourmente juridique et familiale si tragique et si inhumaine.
La loi permettra également de sécuriser les médecins. En ce sens, le principe d’une procédure collégiale assure le médecin d’une sécurité juridique accrue, mais aussi la famille et le patient de la prise en compte de leur volonté légitime d’être entendus.
Ce texte, s’il a pour vertu d’éclaircir certains points importants, soulève également son lot de questions, notamment celle, particulièrement délicate et douloureuse, de la néonatologie, ou celle des personnes hors d’état d’exprimer leur volonté et n’ayant pas rédigé de directive.
De façon plus globale, à partir de quel point peut-on considérer que les traitements n’éviteront pas une issue fatale ? Est-on encore vivant si l'on n’a plus ni conscience ni aucune interaction possible avec le monde autour de soi et que seul le corps subsiste ? Peut-on et doit-on aller plus loin dans certains cas exceptionnels où l’abstention thérapeutique ne suffit pas à soulager les douleurs insupportables ?
Ce texte est critiqué par ceux dont les convictions sont que la vie est sacrée et qu’elle n’appartient pas aux hommes ; il l’est aussi par ceux qui espèrent, au nom de leur liberté individuelle, un droit à mourir.
Toutefois, mes chers collègues, ce texte n’est pas fait pour celles et ceux qui veulent mourir ; il est fait pour ceux qui vont mourir, dont le pronostic vital est engagé. Notre société ne peut laisser mourir dans la souffrance, l’angoisse et la solitude. Apaiser, soulager est un devoir de fraternité. Ce texte engagera notre société, comme il vous engagera, madame la ministre, à respecter vos promesses ; il vous obligera.
La fin de vie pose des questions éthiques, philosophiques, religieuses et morales infiniment personnelles. C’est pourquoi chacun des sénateurs du groupe UDI-UC se prononcera en conscience sur ce texte, un texte équilibré qui permet de répondre à l’exigence d’une fin de vie apaisée, sans pour autant banaliser les actes pouvant conduire à la mort. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, du groupe socialiste et républicain et du RDSE. – Mme Annie David applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Georges Labazée.
M. Georges Labazée. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, au cours des dernières décennies, le choix de la fin de vie est devenu l’une des grandes problématiques sociétales.
Oui, c’est la société dans son ensemble qui s’est continuellement saisie de cette question. J’ai dénombré pas moins de vingt-quatre initiatives parlementaires, sans compter les avis du Conseil d’État, du comité consultatif national d’éthique, de la conférence citoyenne, ou les prises de position de grandes associations comme l’association pour le droit à mourir dans la dignité, l’ADMD, dont je salue l’investissement.
Mme la ministre a rappelé l’engagement et la volonté du Président de la République ; je n’y reviens pas. Conformément à sa promesse, le chef de l’État a engagé un large processus de consultation sur la fin de vie. On le sait, la mission confiée au professeur Didier Sicard a été la première étape d’une série de débats publics et de propositions sous formes diverses. Son rapport a éclairé les travaux de l’Assemblée nationale et du Sénat.
En 2011, le Premier ministre, Manuel Valls, évoquait une proposition de loi de sénateurs socialistes, communistes et UMP, discutée alors au Sénat, qui avait su aller par-delà les clivages partisans.
Nous le savons, il s’agit non pas de définir les critères d’une mort digne, mais de permettre à chaque individu d’en être le seul juge. Je crois avec force qu’apporter des réponses à la question du choix de sa propre mort et à celle de la souffrance, c’est affirmer dans quelle société nous voulons vivre. On prête souvent les propos suivants à André Gide : il nous faut « penser la mort pour aimer mieux la vie ». Ils sont riches de sens. Il est des phrases qui nous élèvent.
Nous sommes nombreux à penser qu’il est temps de franchir une étape nouvelle dans cette « longue marche vers une citoyenneté totale », pour reprendre les mots extraits de l’exposé des motifs de la proposition de loi récemment adoptée par les députés. Ce texte reconnaît un droit à la sédation profonde et continue pour accompagner l’arrêt de traitement. Le patient pourra spécifier dans ses directives anticipées sa demande d’accéder à une sédation, dans les circonstances prévues par la loi.
Ce texte affiche des objectifs louables : il se veut un effort en faveur d’une meilleure prise en charge des patients en fin de vie ; il se dit un effort en faveur d’une diffusion de la culture palliative chez les professionnels de santé ; il entend faire en sorte que, à la volonté du patient, corresponde un acte du médecin.
Cependant, après avoir lu ce texte, un certain nombre d’entre nous estime que les choses ont peu avancé eu égard aux nombreux travaux, interventions, consultations menées depuis des années et aux évolutions constatées de la jurisprudence. Malgré de grandes annonces, nous constatons que le texte se limite à autoriser l’accès à la sédation en phase terminale et à renforcer le caractère contraignant des directives anticipées.
Je salue néanmoins le travail des rapporteurs, qui se sont attachés à préciser le texte sur de nombreux points, notamment à l’article 3.
La mention de la prolongation « inutile » de la vie concernant les conditions de mise en œuvre de la sédation profonde et continue jusqu’au décès était, en effet, une réelle source d’ambiguïtés qui méritait d’être supprimée. Il en est de même pour l’expression de directives « manifestement inappropriées » à l’article 8.
Pour autant, le groupe socialiste a déposé une série d’amendements qui visent à aller plus loin – pas trop loin non plus, rassurez-vous, madame la ministre ! Je tiens à remercier sincèrement Jean-Pierre Godefroy et Dominique Gillot de leur travail.
Nous avons ainsi souhaité rétablir la rédaction initiale de l’article 2, en ajoutant la référence à l’article 37 du code de déontologie médicale concernant la procédure collégiale. Au même article, nous avons également rétabli l’inscription explicite dans le texte que « la nutrition et l’hydratation artificielles constituent un traitement ».
Je salue d’ailleurs la qualité des débats qui ont eu lieu en commission sur ce sujet. Notre travail n’est pas encore terminé. Il convient, selon nous, de tenir compte des apports de la décision du Conseil d’État du 24 juin 2014.
Comme nous estimons – je l’ai dit ici à l’occasion de débats sur les vaccinations – que la carte Vitale est un excellent support, nous souhaiterions qu’y soient inscrites la mention de l’existence de directives anticipées et les informations relatives à la personne de confiance.
Nous sommes très attachés à ce que soit étendue l’allocation journalière d’accompagnement d’une personne en fin de vie dans des établissements de santé. Notre amendement sur ce sujet a été « retoqué », pour employer un terme du jargon parlementaire, par la commission des finances. C'est la raison pour laquelle nous demandons un rapport pour obtenir une évaluation des coûts d’une telle extension. En effet, près de 58 % des décès se produisent dans des établissements de santé. Cette situation doit changer.
Enfin, nous plaçons la sensibilisation de la population à ces questions au cœur du dispositif, en informant cette dernière de ses droits, notamment à l’occasion de la journée défense et citoyenneté, occasion unique de sensibiliser très tôt l’ensemble de la population.
Par ailleurs, je déplore, comme d’autres orateurs avant moi, une carence du texte sur la formation des étudiants en médecine sur les soins palliatifs. Un temps de formation obligatoire sur ce sujet inclus dans le cursus des étudiants favoriserait l’information des médecins et permettrait le développement d’une culture du palliatif en France. Le rapport de MM. Amiel et Dériot le souligne : les droits des malades en fin de vie sont inégalement respectés sur notre territoire, et ces pratiques hétérogènes accentuent les inégalités face aux conditions de la mort.
Il n’aura échappé à personne que de nombreux sénateurs socialistes ont cosigné un amendement qui a pour objet de reprendre le contenu des nombreuses propositions de loi déposées au Sénat. Cet amendement, qui vise les personnes, qu’elles soient en état ou hors d’état d’exprimer leurs volontés, pour lesquelles l’arrêt du traitement ne suffirait pas à soulager leur douleur, tend à leur donner la possibilité de bénéficier d’une assistance médicalisée pour mourir.
Il s’agit non pas de donner la mort, mais d’accompagner une mort choisie. Je suis cosignataire de cet amendement, mais comme je m’exprime à cette tribune en tant que chef de file du groupe socialiste, je ne m’étendrai pas sur cette question.
Mes chers collègues, je ne saurais terminer ce propos sans rendre hommage à l’un de nos collègues ici présents, ce qui est inhabituel à cette tribune, Jean-Pierre Godefroy.
Mon cher collègue, vous êtes un homme de justesse et d’équilibre, un homme à qui nous devons le plus profond respect, tant votre combat dans ce domaine marquera l’histoire de notre assemblée. Ce texte ne rend pas suffisamment hommage aux combats dans lesquels vous vous êtes engagé il y a bien longtemps déjà. Léon Blum écrivait : « L’homme libre est celui qui n’a pas peur d’aller jusqu’au bout de sa pensée. » Monsieur Godefroy, c’est cette réflexion que vos travaux m’inspirent. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC, du groupe écologiste et du RDSE.)
Pour terminer, je citerai de nouveau Gide qui, dans Le Traité du Narcisse, écrit ces mots que je trouve tout à fait adaptés au sujet qui nous réunit aujourd’hui : « Toutes choses sont dites déjà ; mais comme personne n’écoute, il faut toujours recommencer. » (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC, du groupe écologiste et du RDSE, ainsi que sur quelques travées de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à Mme Corinne Bouchoux.
Mme Corinne Bouchoux. Madame la ministre, monsieur le président de la commission des affaires sociales, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, le Sénat, assez régulièrement critiqué – parfois avec raison, parfois avec excès –, passe pour ses défenseurs, dont nous sommes, pour l’instance qui protège les libertés collectives et individuelles.
En ce qui concerne les droits humains, qu’y a-t-il de plus précieux, de plus intime et de plus symbolique que le droit de pouvoir finir sa vie comme on l’a rêvé ou, à défaut, de ne pas l’achever comme on n’aurait jamais voulu qu’elle se termine ? De nos jours, les patients sont devenus des acteurs de leur maladie et, dès leur plus jeune âge, les citoyens sont invités à construire un projet de vie.
Le Président de la République François Hollande a, durant sa campagne, promis dans son engagement n° 21 : « Je proposerai que toute personne majeure en phase avancée ou terminale d’une maladie incurable, provoquant une souffrance physique ou psychique insupportable, et qui ne peut être apaisée, puisse demander, dans des conditions précises et strictes, à bénéficier d’une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité. »
Sept propositions de loi ont été déposées au Sénat : celles de MM. Jean-Pierre Godefroy, Roland Courteau, Alain Fouché, Gaëtan Gorce, Jacques Mézard, celle de Mme Muguette Dini, ainsi qu’une proposition de loi écologiste. Je tiens d’ailleurs à saluer le travail effectué par Mme Dini lorsqu’elle présidait la commission des affaires sociales. La majorité de ces textes a fait l’objet d’un avis du Conseil d’État, et une autre proposition de loi sur le sujet a été récemment examinée.
Nous voici donc après la quatrième proposition de loi déposée depuis 2012 à l’Assemblée nationale, dont celle de notre collègue et amie Véronique Massonneau, discutée et renvoyée en commission le 29 janvier 2015.
Le groupe écologiste se sent proche de ce texte, qui vise à donner à chacun le libre choix de sa fin de vie, avec la possibilité de bénéficier d’une assistance médicalisée active à mourir, dans des conditions strictes et avec des directives anticipées contraignantes. À la suite de la lettre de mission du Président de la République, du rapport Sicard, d’une conférence de citoyens sur la fin de vie et d’un rapport du Conseil consultatif national d’éthique, un nouveau texte a été proposé, celui que nous examinons aujourd’hui.
Autant le dire posément, ce texte ne nous donne pas pleine satisfaction. Il ne prévoit pas ce que réclame la majorité de la population, à savoir le choix de bénéficier d’une aide ou d’une assistance active à mourir dans certaines conditions.
Vous l’avez dit, madame la ministre, cette proposition de loi est une sorte de compromis qui constituerait une petite avancée. Elle risque cependant de froisser ceux qui estiment qu’elle va trop loin, sans satisfaire l’immense majorité des Français qui demandent davantage.
Aussi, comment expliquer le sensible décalage entre les demandes de nos concitoyens, attestées dans tous les sondages, et notre timidité ? Nous respectons bien sûr celles et ceux qui n’ont pas la même position que nous. Néanmoins, nous considérons que la version initiale, tout comme celle qui a été modifiée par les rapporteurs, dont nous saluons la recherche de dialogue malgré nos avis divergents, n’est pas assez ambitieuse et ne prend pas en compte la demande de celles et ceux qui ne veulent pas d’acharnement thérapeutique.
Il reste une forme d’hypocrisie, puisque, d’après les statistiques officielles, près de 4 000 personnes meurent chaque année par « quasi-euthanasie ». Pourquoi refuser à toutes celles et tous ceux qui le réclament ce qui est déjà accordé à certains ? Les initiés, qui vivent dans des centres urbains bien dotés en services de soins palliatifs, seraient-ils les seuls à avoir le droit de bien mourir ?
La loi Leonetti de 2005 est peu et mal appliquée, nous avons tous partagé ce diagnostic. Pour remédier à cela, on demande au même de refaire une copie... De plus, sauf erreur de notre part, nous constatons que nos collègues rapporteurs de la commission des affaires sociales, dont je salue les grandes compétences, sont respectivement médecin et pharmacien. Est-il indispensable de laisser ce débat uniquement aux mains du corps médical ? Ne faut-il pas démédicaliser l’approche que nous avons de la question et considérer que celle-ci concerne chacun d’entre nous ?
Enfin, j’aimerais exprimer un regret. Toutes les statistiques le montrent avec force, la fin de vie comme le care sont majoritairement pris en charge par des femmes. Nous discuterons peut-être à l’avenir d’une nouvelle loi sur cette question, puisque ce texte ne répond pas à toutes les attentes, mais j’estime qu’un tandem mixte serait aussi de nature à favoriser une approche plus ouverte sur le sujet.
Il faut également saluer l’excellent travail des personnels qui travaillent dans les services de soins palliatifs et celui des bénévoles, qui donnent leur temps sans compter pour aider ceux qui n’ont pas de visites. Grâce à eux, ceux qui meurent à l’hôpital – c'est là que l’on meurt aujourd'hui, et non plus chez soi – sont parfois bien accompagnés. Toutefois, on meurt aussi souvent seul, isolé, et pas de la façon dont on l’aurait souhaité.
Cela a été dit à plusieurs reprises, la loi dont nous discutons aujourd'hui concerne ceux qui vont mourir ou ceux dont la médecine pense qu’ils vont mourir, et non ceux qui, à l’issue d’un long parcours, aimeraient mourir mieux ou plus vite. Le Sénat a pourtant une responsabilité, celle de prendre en compte les attentes de la population, qui – je le répète – dépassent ce que nous faisons aujourd'hui avec ce texte.
Les babyboomers d’hier, c'est-à-dire, mes chers collègues, vous et moi, n’accepteront pas demain de ne pas être acteurs de la dernière étape de leur vie, alors qu’ils auront connu des évolutions majeures des droits individuels fondamentaux : droit de vote des femmes, reconnaissance du droit à l’interruption de grossesse, droit des personnes transgenres – même s’ils sont encore insuffisamment pris en compte, leurs droits sont en construction –, droit pour tous de se marier ou de ne pas le faire, de se pacser ou de vivre célibataire, de divorcer et de recommencer, ou non, une vie en couple.
Nous souhaitons avoir ici, aujourd'hui et demain, des débats à l’image du Sénat, des échanges sereins et sincères, argument pour argument. Nous aimerions qu’au-delà des clivages habituels se dessine une majorité humaniste et fraternelle, qui entende les demandes qui nous sont formulées et qui vont plus loin que vos propositions, madame la ministre. Je comprends votre prudence politique, mais je ne la partage pas.
Nous ne sommes pas, hélas, égaux face aux risques, aux aléas de la vie, aux souffrances et aux épreuves. J’espère que cette loi nous donnera l’occasion de montrer l’utilité du Sénat et de ses élus expérimentés, qui ont tous eu à connaître, dans leur mandat, leur vie antérieure ou leur vie familiale, les effroyables inégalités face à la mort.
Je rappelle que quelque 96 % des Françaises et des Français souhaitent que « la loi française autorise les médecins à mettre fin, sans souffrance, à la vie des personnes atteintes de maladies insupportables et incurables si elles le demandent ». Ils sont 93 % à vouloir « que le Président de la République tienne sa promesse de campagne en autorisant, dans le cadre d’une loi votée par le Parlement, le recours à l’euthanasie active pour les personnes en fin de vie qui en feraient la demande ». Nous ne forçons personne, mais nous demandons que ceux qui le souhaitent puissent choisir leur mort.
Si les Françaises et Français se déclarent, dans leur très grande majorité, favorables à l’euthanasie, ils plébiscitent également – à 94 % selon une enquête de décembre 2014 – le recours aux soins palliatifs, qu’ils connaissent d’ailleurs trop peu. Néanmoins, j’en conviens, la loi n’est pas faite pour répondre aux sondages.
Notre philosophie a consisté à enrichir le présent texte en y apportant tout d’abord un amendement issu d’une réflexion collective et transpartisane, car, sur ces questions, la sensibilité personnelle compte peut-être beaucoup plus que toute autre considération. Ensuite, d’autres amendements ont été déposés au nom du groupe écologiste, à l’exception de l’une de ses membres.
En premier lieu, nous proposons de reconnaître la volonté du patient de bénéficier d’une assistance médicalisée à mourir dans des conditions strictes, afin d’élargir le champ des possibilités figurant dans la version actuelle du texte. Associée à l’analgésie et à l’arrêt des traitements, la sédation profonde et continue jusqu’à la mort ne saurait en effet constituer le seul moyen d’assurer le droit à une fin de vie digne. C’est d’ailleurs le point qui fait le plus débat entre nous aujourd'hui.
En deuxième lieu, il convient, selon nous, de laisser à chacun la possibilité de décider, pour sa mort, du moment et de la manière, puis de respecter ce choix. L’assistance médicalisée active à mourir est définie conjointement par la personne malade et – nous dit-on – par l’équipe médicale qui l’entoure. Ici aussi, un débat serein est nécessaire. Certains d’entre nous considèrent effectivement qu’une évolution est nécessaire et que ce texte ne va pas assez loin au regard des attentes de nos concitoyens.
En troisième lieu, nous proposons un amendement visant à élargir le contenu des directives anticipées, qui sont, selon nous, extrêmement importantes ; nous souhaitons en élargir et en préciser le périmètre.
En quatrième lieu, un amendement aura pour objet le développement, particulièrement nécessaire selon nous, des soins palliatifs. Nous promouvons les soins palliatifs pour tout le monde ! Il s’agirait du principal progrès de ce texte, car c’est là que réside l’échec de la première loi Leonetti.
Pour conclure, je réaffirme que le combat contre le « mal mourir » en France passe par le développement des soins palliatifs, mais aussi par la liberté de choix et la possibilité de recourir à une assistance médicalisée active à mourir. N’ayons pas peur de réclamer, pour ceux qui le souhaitent, le droit à l’euthanasie et au suicide assisté !
Mes chers collègues, je tiens à rendre hommage à Jean-Luc Romero et à l’association pour le droit de mourir dans la dignité, l’ADMD ; et je veux aussi remercier les sénateurs écologistes Jean Desessard et Marie-Christine Blandin, les premiers qui ont porté ce combat au Sénat.
Pour finir, je rendrai hommage à un collègue avec qui nous avions discuté de ces sujets et auquel nous pensons à cet instant : le sénateur Guy Fischer. Il s’agissait pour lui d’un sujet très important et il me semble qu’il aurait aimé un texte un peu moins timide. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et républicain et du RDSE.)