M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot.
Mme Colette Mélot. Monsieur le secrétaire d’État, la stratégie numérique présentée le mois dernier par la Commission européenne témoigne d’une ambition certaine en abordant l’ensemble des problématiques liées au développement de la société et de l’économie numériques : droits d’auteur, blocages géographiques, commerce transfrontières, fiscalité, neutralité de l’internet, libre circulation des données et protection des données personnelles ou encore cybersécurité sont largement évoqués dans cette communication, comme vous l’avez d’ailleurs souligné en préambule.
Il est toutefois un domaine absolument central qui, à ce stade, ne fait l’objet d’aucune orientation ou proposition d’action : celui des plateformes, moteurs de recherche, sites de commerce électronique, boutiques d’applications ou médias sociaux. Or les uns et les autres sont au cœur de nombreuses interrogations fondamentales : d’abord quant à leur rôle de plus en plus structurant sur le marché, que ce soit en termes de concurrence, de répartition de la valeur ou de poids sur les utilisateurs, les fournisseurs et les sous-traitants ; ensuite, bien sûr, en termes de collecte, d’utilisation et de protection des données personnelles ou de lutte contre les contenus illicites.
Au-delà de sa récente communication de griefs à l’encontre de Google, la Commission ne prévoit pour l’instant qu’une analyse détaillée du rôle des plateformes.
Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous dire quelle position le Gouvernement entend défendre sur ces différentes questions et quelle stratégie il compte suivre pour que l’Union européenne se dote rapidement d’une politique globale en la matière ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Madame Mélot, la régulation des plateformes numériques est, en effet, absolument essentielle. La Commission a annoncé qu’elle procéderait avant la fin de l’année 2015 à une évaluation de leur rôle, y compris dans l’économie du partage, ainsi que des intermédiaires en ligne.
La France demandera que soit précisé le calendrier de cette évaluation et que soit donnée une référence à l’adaptation réglementaire.
Il faut également que cette évaluation prenne en compte les enjeux industriels, notamment en matière de standardisation.
C’est évidemment le sens des demandes et des propositions communes franco-allemandes qui ont été formulées en janvier dernier par Axelle Lemaire et son homologue allemand, Mme Brigitte Zypries, en lien avec les demandes également formulées par Emmanuel Macron et son homologue, M. Sigmar Gabriel.
Nous accordons, comme vous, madame la sénatrice, une grande attention à ce sujet, qui sous-tend plusieurs problèmes essentiels : l’insuffisance des seules règles de concurrence et de transparence, le rôle actif des intermédiaires, la captation d’une part croissante de la valeur par ces plateformes.
Nous attendons avec beaucoup d’intérêt les propositions de la Commission.
M. le président. La parole est à Mme Christine Prunaud.
Mme Christine Prunaud. Monsieur le secrétaire d’État, lors du prochain Conseil européen, la question du marché unique numérique sera donc abordée.
La stratégie de l’Union européenne dans ce domaine repose sur trois piliers : l’amélioration de l’accès aux biens et services numériques ; la création d’un environnement propice et de conditions de concurrence équitables pour le développement des réseaux et des services numériques innovants ; une augmentation du potentiel de croissance de l’économie numérique.
Nous constatons que la répartition de la valeur sur le sol européen est réellement problématique puisqu’elle se fait au bénéfice des grands acteurs privés américains, les GAFA, et au détriment des créateurs, des fournisseurs de contenus, des petites et moyennes entreprises innovantes européennes.
C’est pourquoi nous pensons qu’il est indispensable de réfléchir concrètement à une régulation plus forte de la concurrence et à la mise en place d’outils fiscaux spécifiques au numérique.
Nous ne pouvons continuer à voir des entreprises qui dégagent des bénéfices colossaux ne pas payer d’impôts – ou en payer très peu – au sein de l’Union européenne.
S’agissant du marché unique numérique, il nous paraît également essentiel d’insister sur une protection des droits fondamentaux des Européens dans l’espace numérique ainsi que sur la nécessité absolue de se doter d’une véritable ambition industrielle pour le numérique qui aille au-delà de la seule amélioration du marché unique.
Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous préciser les positions que défendra la France dans ce domaine ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Madame Prunaud, s’agissant de la fiscalité, pour nous, le principe est clair : les bénéfices doivent être taxés là où ils ont été réalisés.
Vous avez raison de souligner qu’aujourd’hui un certain nombre de multinationales de l’internet, qui ne sont pas européennes, ont établi leurs sièges sociaux dans quelques pays où la taxation des bénéfices est moins élevée et, au moyen de divers mécanismes comptables, rapatrient l’essentiel de leurs profits dans ces pays alors qu’elles réalisent leur chiffre d’affaires dans l’ensemble des États membres de l’Union européenne. La Commission européenne a d’ailleurs engagé des procédures d’infraction à l’encontre de certaines de ces entreprises.
Nous souhaitons que la réglementation du numérique, qui est en cours d’élaboration, permette de clarifier définitivement cette question.
Il y a là, de la part de ces opérateurs, à la fois un détournement sur le plan fiscal et une captation de valeur.
De façon générale, il n’est pas possible de financer nos services publics et nos mécanismes sociaux si les entreprises ne paient pas, de façon équitable, leur impôt là où elles réalisent leurs bénéfices. C’est en outre une distorsion de concurrence vis-à-vis d’entreprises de types différents qui, elles, ne peuvent pas procéder à cette optimisation fiscale.
La lutte contre l’optimisation fiscale, dans le secteur de l’économie numérique comme dans les autres domaines, est une priorité.
Il est tout aussi est essentiel de veiller au respect des règles de la concurrence. Cet enjeu est très important par exemple dans les services de réservation en ligne d’hôtels, certaines entreprises choisissant de référencer certains partenaires plutôt que d’autres.
M. le président. La parole est à M. Simon Sutour.
M. Simon Sutour. Monsieur le président, je souhaite d’abord vous dire toute ma satisfaction de voir ce débat préalable à la réunion du Conseil européen se dérouler à un horaire convenable : le nombre des présents montre d’ailleurs qu’il a été bien choisi. Je me félicite aussi de ce que, pour la première fois depuis longtemps, il soit présidé par le président du Sénat. Je vous en remercie.
Le bureau de la commission des affaires européennes aura très certainement l’occasion de s’entretenir avec vous des conditions de travail de notre commission et nous aurons un certain nombre de propositions à vous soumettre.
Monsieur le secrétaire d'État, je veux avant tout vous dire que je partage les points de vue exprimés notamment par nos collègues Yves Pozzo di Borgo et Jean-Claude Requier sur le dialogue avec la Russie. La situation en Ukraine et le conflit à l’Est ne se régleront que par un dialogue apaisé et confiant avec la Russie et non par l’aggravation des sanctions. Telles sont en tout cas les conclusions auxquelles Yves Pozzo di Borgo et moi-même sommes parvenus dans notre rapport.
Ma question porte sur la politique de voisinage.
À la fin du mois de mai s’est tenu à Riga un sommet consacré au partenariat oriental, sommet qui a eu des résultats mitigés. Il est d’ailleurs toujours un peu surprenant de constater que, chaque fois qu’un pays balte assure la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne, systématiquement est organisé un sommet sur le partenariat oriental. Moi, je fais partie de ceux qui trouvent que la politique euro-méditerranéenne est négligée.
Monsieur le secrétaire d’État, je souhaite que la France se batte pour conserver l’actuelle clé de répartition financière, c’est-à-dire un tiers pour le partenariat oriental et deux tiers pour la politique euro-méditerranéenne. À cet égard, il serait important que la France, en tant que pays riverain de la Méditerranée, prenne une initiative forte en faveur de la politique euro-méditerranéenne. Et pourquoi pas en organisant un sommet ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Monsieur Sutour, le sommet de Riga a été utile. Le partenariat oriental avec six pays a permis malgré tout de contribuer à la stabilisation régionale, de dessiner les contours d’une modernisation et d’un développement du voisinage à l’est de l’Union européenne au bénéfice de tous, en dehors de toute logique conflictuelle.
Ce partenariat est aussi un cadre pour traiter la crise ukrainienne.
Nous avons eu déjà l’occasion d’évoquer ce partenariat à propos des accords d’association signés avec la Moldavie et d’autres pays, selon les modalités qu’ils ont choisies.
Toutefois, vous avez raison de dire que la politique de voisinage de l’Union européenne ne se limite pas au partenariat oriental. Hier et encore ce matin, je me trouvais en Tunisie pour rencontrer plusieurs membres du gouvernement de ce pays et pour participer à un débat sur le soutien à la transition démocratique et économique. Nous avons évoqué la crise migratoire en Méditerranée et la situation en Libye : loin de nous de considérer que ce ne sont pas là des priorités. La Méditerranée ne peut pas être simplement une frontière, une mer synonyme de drames et de morts ; elle est d’abord un espace de civilisation, d’échanges et de coopération entre l’Europe et les pays de la rive sud de la Méditerranée.
Aujourd’hui, l’Europe doit être aux côtés de pays qui sont en train de réussir une extraordinaire transition démocratique. C’est le cas, en particulier, de la Tunisie, qui a adopté une constitution garantissant la liberté de conscience, l’égalité entre les hommes et les femmes et où ont eu lieu trois élections successives après une révolution sans drames, dans la paix civile et dans la concertation entre les différentes forces politiques.
C’est pourquoi vous avez raison de dire que la révision de la politique européenne de voisinage qui est engagée, et sur laquelle la Haute représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité fera des propositions, doit être l’occasion de renforcer ce partenariat euro-méditerranéen.
M. le président. La parole est à M. Mathieu Darnaud.
M. Mathieu Darnaud. Monsieur le secrétaire d’État, le plan d’action pour l’immigration et l’asile proposé par la Commission européenne prévoit de nombreuses mesures, en particulier un système de répartition obligatoire de 40 000 demandeurs d’asile arrivés sur les côtes européennes depuis le 15 avril, mais aussi un second système optionnel qui concerne les 20 000 personnes se trouvant actuellement dans des camps de réfugiés en dehors de l’Europe.
Selon la clé de répartition actuelle, la France pourrait être amenée à traiter jusqu’à 9 000 demandes d’asile supplémentaires en deux ans.
Depuis que ces annonces ont été faites, le Gouvernement a entretenu un certain flou sur sa position. Il semblerait toutefois qu’il s’oriente aujourd’hui vers un soutien à ces mécanismes, sous réserve que la pondération des critères de répartition proposée par la Commission soit révisée.
Monsieur le secrétaire d'État, à partir de quel seuil le Gouvernement considérerait-il ces mécanismes comme acceptables pour la France ? Pouvez-vous nous dire si, oui ou non, vous soutiendrez in fine le projet de la Commission, le cas échéant dans une version remaniée ?
Surtout, si la France devait accepter cette initiative, pouvez-vous nous éclairer sur les solutions qu’elle préconiserait pour répondre aux nombreuses questions posées par la répartition ? Comment empêcher les mouvements migratoires secondaires dans l’espace Schengen, par définition ouvert ? Comment s’assurer que les réseaux criminels de trafiquants ne verront pas dans ce système une incitation à développer leurs activités ? Comment, au-delà de l’assistance des agences européennes, renforcer l’action et la responsabilité des États de première ligne ? Enfin, quels moyens seront effectivement mis en œuvre pour raccompagner les migrants en situation irrégulière, qui ne peuvent prétendre à la protection internationale, alors même que la vaste majorité des déboutés du droit d’asile en France ne font pas l’objet de mesures d’éloignement effectives ?
Sur toutes ces questions, nous avons besoin, monsieur le secrétaire d'État, d’éléments clairs et précis.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Monsieur Darnaud, je crois l’avoir dit avec la plus grande clarté dans mon propos introductif : nous acceptons le principe de solidarité, mais nous voulons que le principe de responsabilité soit également appliqué.
C’est pourquoi la France souhaite que les dispositifs concernant les futurs centres d’attente qui ont été proposés par la Commission européenne – les hotspots – permettent de garantir le recensement des migrants, de telle sorte que ceux qui ont besoin d’une protection internationale, en particulier parce qu’ils viennent de pays où ils sont menacés, du fait d’une dictature ou d’une guerre civile, comme la Syrie, puissent être distingués des immigrés illégaux, dont le retour doit être organisé, bien sûr après un examen attentif de leurs droits et de leur situation, dans le cadre d’un accord de réadmission avec le pays d’origine.
Je l’ai dit, nous souhaitons également qu’une attention particulière soit portée aux pays de transit, comme le Niger.
Ainsi que je l’ai aussi indiqué et que vous l’avez vous-même rappelé, la France a demandé que soit revue la clé de répartition qu’a proposée la Commission européenne pour ce mécanisme exceptionnel, qui tient compte de la situation d’urgence à laquelle doivent faire face les pays de première arrivée, en particulier l’Italie, puisque les migrants, pour des raisons géographiques, arrivent aujourd'hui sur les côtes italiennes ou y sont amenés après avoir été recueillis par les bateaux de Frontex, alors qu’ils veulent gagner d’autres pays européens.
S’il est normal que nous soyons au côté de l’Italie pour l’aider à faire face à cette situation, les clés de répartition doivent prendre en compte le fait qu’aujourd'hui cinq pays accueillent 75 % des demandeurs et que la solidarité doit être mieux répartie entre les vingt-huit états membres. Certains pays, comme la France, accueillent déjà un grand nombre de réfugiés. Cela doit se traduire davantage dans la pondération des critères !
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Monsieur le secrétaire d'État, en 2008, la Commission européenne avait proposé la révision d’une directive existante afin d’allonger le congé de maternité, pour le porter de quatorze à dix-huit semaines. Le Parlement européen avait alors décidé d’aller plus loin, en proposant un congé de vingt semaines, intégralement payé. Cette proposition est malheureusement bloquée depuis sept ans par le Conseil.
Si les négociations ne sont pas rouvertes très prochainement à ce sujet, il est à craindre que cette proposition ne fasse partie des quatre-vingts directives qui vont être abandonnées.
Comment concevoir que l’Union européenne ne participe pas à l’amélioration des conditions de grossesse des femmes qui choisissent d’avoir un enfant ? Ne pas légiférer au niveau européen sur le congé de maternité pour toutes est vraiment une menace sérieuse, car ce serait contradictoire, notamment, avec l’engagement de l’Union européenne en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes ainsi que de l’équilibre entre la vie professionnelle et la vie privée.
Il est donc particulièrement inadmissible que les gouvernements de l’Union européenne continuent de bloquer – depuis 2008, je le rappelle – les améliorations incontestables au congé de maternité que contient la proposition de directive.
Monsieur le secrétaire d'État, quelles mesures le Gouvernement compte-t-il prendre afin de voir celle-ci avancer concrètement et favorablement ? L’allongement du congé est une mesure juste, qui n’appelle pas une très longue réflexion !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Madame Cohen, la France est évidemment favorable à l’adoption de cette proposition de directive sur le congé de maternité.
Aujourd'hui, la Commission européenne constate qu’elle est bloquée au Conseil, en raison de divergences très importantes entre les États membres sur la longueur de ce congé, mais aussi avec le Parlement européen.
Pour ce qui nous concerne, nous appelons à un esprit de compromis, de telle sorte que toutes les femmes, dans l’Union européenne, puissent se voir garantir un congé de maternité aussi juste que possible.
Une telle évolution nécessitera forcément de passer par une étape intermédiaire, compte tenu des écarts très importants et de l’absence d’accord au sein du Conseil. Je crois toutefois que ce serait préférable à un retrait pur et simple de la proposition de directive et à un retour à la case départ.
Nous allons donc continuer à encourager les États membres à avancer vers une position commune.
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Lenoir.
M. Jean-Claude Lenoir. Monsieur le secrétaire d'État, la question de l’accord commercial entre l’Union européenne et les États-Unis a été évoquée tout à l'heure sous l’angle de la transparence.
Dans cette enceinte, nous sommes un certain nombre à travailler sur les projets d’accords avec le Canada et les États-Unis, et je dois dire que nous sommes préoccupés par la question des procédures. En effet, le travail considérable qui est mené dans l’ensemble des pays de l’Union européenne avec nos partenaires canadiens et américains risque d’être entravé, voire annihilé par les hésitations que l’approbation de ces accords ne manquera pas de susciter, comme on l’a déjà vu aux États-Unis et au sein du Parlement européen.
Il faudra bien que l’accord définitif soit entériné à la fois par le Parlement européen et par les parlements nationaux ! Face à ces passages obligés, nous estimons que les gouvernements de l’Union européenne doivent s’engager fortement.
Monsieur le secrétaire d'État, sur cette question de procédure, j’aimerais avoir la confirmation qu’il y aura un vrai engagement du Gouvernement pour que les projets d’accords, auxquels j’adhère complètement, ne restent pas lettre morte.
En ce qui concerne le contenu, à l’instar de mon ami Jean Bizet, je me fais évidemment le relais, en tant que sénateur de Normandie, d’un certain nombre de questions et d’appréhensions formulées aujourd'hui par les éleveurs, lesquels redoutent les conséquences des accords, en particulier de celui avec les États-Unis, sur le commerce de viande.
Monsieur le secrétaire d'État, considérez-vous, pour votre part, cet accord souhaité par certains et bientôt possible comme un cheval de Troie ? Puisque nous sommes aujourd'hui encouragés à utiliser le latin, Mme la ministre de l’éducation nationale ayant levé le tabou à ce sujet, vous inspire-t-il l’appréhension du Troyen qui, voyant arriver dans sa citadelle un merveilleux cheval, aurait déclaré, à en croire Virgile : Timeo Danaos et dona ferentes, autrement dit : Je crains les Grecs, surtout s’ils portent des présents ? Vous apprécierez, au passage, cette petite incursion dans le dossier grec… (Sourires. – Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Alain Bertrand, Jean-Claude Requier et Simon Sutour applaudissent également.)
M. Jeanny Lorgeoux. Cheval de Troie ou non, c’est une bête curieuse !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Monsieur Lenoir, aucun accord que l’on noue avec des partenaires ne doit nous inspirer de la crainte !
En l’occurrence, il s’agit moins de chevaux que de bœufs, de services et de marchés publics, de produits industriels, pour lesquels des convergences réglementaires pourraient permettre un commerce plus facile.
Rien ne justifie qu’il faille des normes techniques différentes aux États-Unis et en Europe concernant, par exemple, les ceintures de sécurité, pour l’exportation ou la commercialisation des véhicules.
M. Charles Revet. C’est pourtant le cas actuellement !
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Incontestablement, sur certains sujets, les économies européenne et française peuvent avoir à gagner à une négociation commerciale transatlantique.
Toutefois, cette négociation doit se mener dans des conditions assurant l’association de l’ensemble des parties prenantes – les parlementaires, les secteurs économiques concernés, les syndicats… –, de telle sorte qu’elle ne soit pas, in fine, bloquée par des peurs ou des réticences.
M. Jean-Claude Lenoir. Très bien !
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Il s’agit d’éviter ce qui s’est passé aux États-Unis, où le Congrès a refusé d’octroyer au président américain la Trade Promotion Authority, la TPA, cette capacité à négocier en ayant les mains plus libres, ce que l’on appelait auparavant le fast track. Nous le regrettons, car, si cette situation perdurait, nos propres négociateurs seraient soumis, à chaque étape de la négociation, à des accords partiels du Congrès, lesquels remettraient en cause les positions de négociation obtenues de l’administration américaine lors des rounds sur les différents sujets.
Le vote au Parlement européen a été reporté, mais il devrait intervenir dans les prochaines semaines. Il permettra au Parlement européen de clarifier sa position. Quoi qu’il advienne, je ne crois pas qu’il empêchera la Commission de continuer à négocier, sous le contrôle des gouvernements.
Nous jouerons donc notre rôle, en contrôlant cette négociation.
M. le président. La parole est à M. Didier Marie.
M. Didier Marie. Monsieur le secrétaire d'État, permettez-moi de revenir quelques instants sur la question des migrations, qui s’est installée depuis quelques mois au cœur de l’agenda européen et qui fera l’objet de discussions lors du prochain Conseil.
Le 19 avril dernier, 800 migrants ont péri à la suite du naufrage de leur embarcation en Méditerranée. Depuis, l’Europe est sous le choc.
Ce drame n’était malheureusement pas le premier, même s’il a révélé à l’opinion publique européenne l’ampleur des souffrances vécues par ces milliers d’enfants, de femmes et d’hommes qui veulent échapper à la misère, aux persécutions, aux guerres. Nous ne pouvons accepter que près de 20 000 de ces personnes aient disparu et qu’un tel drame puisse se reproduire.
Devant l’insupportable, les chefs d’État et de gouvernement européens se sont réunis en Conseil extraordinaire, le 23 avril dernier, pour élaborer un plan de lutte contre les naufrages.
Des mesures immédiates ont été prises – vous les avez rappelées, monsieur le secrétaire d'État –, comme le triplement des budgets, les opérations Triton et Poséidon, ainsi que des mesures de moyen terme pour aider l’Italie, la Grèce et Malte à enregistrer les arrivants. Le 13 mai, la Commission a fait connaître son agenda sur la migration et l’Union européenne a lancé, les jours suivants, l’opération militaire navale EUNAVFOR Med.
Cependant, l’afflux de migrants se poursuit et le défi qui nous est posé aujourd'hui est celui du contrôle de nos frontières extérieures.
Avant-hier, le Premier ministre italien, Matteo Renzi, a manifesté fortement son mécontentement à l’égard de l’Union européenne, considérant que les réponses de celles-ci « n’ont pas jusqu’à maintenant été pas suffisamment bonnes », et l’a menacée d’un plan B, non explicité mais qui, selon ses mots, « ferait mal à l’Europe ». Le Premier ministre italien fait état de l’arrivée de 57 000 migrants sur le sol de son pays et de plus de 100 000 sur l’ensemble des côtes européennes depuis le début de l’année. L’Italie ne fait plus face, comme l’attestent les tensions de ces dernières heures.
Dans ce contexte, monsieur le secrétaire d'État, je souhaite vous poser deux questions.
À court terme, quels risques ce fameux plan B italien comporte-t-il et, surtout, quelles réponses peut-on apporter pour apaiser les tensions existant en Italie ?
À moyen terme, compte tenu des réticences du secrétaire général de l’ONU et du refus de la Libye d’autoriser l’Union européenne à neutraliser les bateaux des passeurs, que va devenir l’opération EUNAVFOR Med ? Quels moyens la France compte-t-elle employer pour obtenir une résolution de l’ONU lui permettant d’engager cette opération indispensable ? Et que se passera-t-il en cas de refus ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Monsieur le sénateur, lors du Conseil européen extraordinaire du 23 avril dernier, il a été demandé à la Haute représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité de préparer une éventuelle opération de l’Union européenne au titre de la politique de sécurité et de défense commune, la PSDC. La décision relative au lancement de cette opération a été soumise aux ministres des affaires étrangères, qui l’ont adoptée le 18 mai, approuvant le concept de « gestion de crise ».
L’opération navale EUNAVFOR Med comporte trois phases : une première phase de collecte du renseignement sur les bateaux qui participent au trafic illégal de migrants, les informations ainsi recueillies étant partagées entre les participants ; une deuxième phase d’arraisonnement, de fouille, de saisie, de déroutement en haute mer de ces navires et embarcations, en sauvant évidemment les migrants qui peuvent se trouver à bord ; une troisième phase consistant à prendre toutes les mesures nécessaires à la mise hors d’usage de ces bateaux.
Les deuxième et troisième phases nécessitent un cadre juridique international. C’est pourquoi il a été demandé à la fois à la Haute représentante, qui s’est rendue à New York, au Conseil de sécurité des Nations unies, mais aussi aux pays de l’Union européenne qui sont membres de celui-ci, qu’il s’agisse des membres permanents, la France et la Grande-Bretagne, ou des autres pays qui y siègent actuellement, de négocier une résolution du Conseil de sécurité.
Nous sommes précisément en train de discuter avec les membres, permanents ou non, du Conseil de sécurité – l’un des orateurs a évoqué, tout à l'heure, les questions posées par la Russie – pour obtenir cet aval international, ce soutien à lutte contre des trafiquants qui mènent des personnes à la mort.
Il s’agit donc d’un élément non seulement de la protection de nos frontières et de la lutte générale contre ces migrations illégales, mais aussi du dispositif de protection de la vie de citoyens provenant, pour beaucoup d’entre eux, de pays d’Afrique ou du Moyen-Orient et qui tentent de rallier l’Europe.
Voilà pourquoi nous allons continuer de demander ce soutien international, qui ne constitue qu’une partie de l’ensemble de la politique de migration que j’ai rappelée voilà quelques instants, laquelle consiste aussi, je l’ai dit, à protéger les réfugiés et les personnes en besoin d’asile international.