Mme la présidente. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, débattre de notre politique de l’asile nous renvoie à l’éternel dilemme entre le respect de principes humanitaires affirmés en droit international et les limites, malheureusement constatées, de nos capacités d’accueil. Sommes-nous vraiment condamnés ad vitam aeternam à cette opposition entre humanisme et réalisme ? Il me semble au contraire urgent d’en sortir. Pour cela, nous devons nous donner les moyens de la responsabilité, plutôt que nous enfoncer dans la passivité et l’assistanat, qui nourrissent suspicion et xénophobie.
Si le présent projet de loi et certains amendements adoptés en commission vont dans le bon sens, davantage d’ambition serait nécessaire. Je partage pleinement la volonté de réduire les délais d’instruction des demandes, mais je souhaite vous alerter sur deux écueils.
Raccourcir les délais d’examen des demandes est évidemment indispensable pour lutter contre l’engorgement du dispositif et redonner tout son sens au droit d’asile. C’est indispensable sur le plan à la fois humain, pour que les demandeurs d’asile soient, au plus tôt, fixés sur leur sort, et économique, pour éviter de faire peser trop longtemps sur la collectivité le coût de l’assistance aux demandeurs en attente de décision.
Je salue donc la volonté de la commission des lois d’inscrire les délais d’instruction par l’OFPRA dans la loi au lieu de les laisser au niveau réglementaire. La rapidité de traitement des dossiers est non pas un détail administratif, mais bien une condition de l’exercice effectif du droit d’asile.
Gardons-nous, toutefois, de nous arrêter à la formulation de vœux pieux. La longueur excessive des délais de traitement n’est évidemment pas le résultat de la mauvaise volonté des agents de l’OFPRA ou des juges de la CNDA. Fixer des objectifs ambitieux sans les assortir de moyens adéquats, c’est prendre le risque d’une planification à la soviétique. Je veux donc insister sur la nécessité de mettre en cohérence objectifs et moyens.
Un autre risque serait d’encourager une approche trop expéditive au niveau de la première instruction par l’OFPRA, qui se traduirait par une multiplication des recours au niveau de la CNDA.
Nous avons trop tendance, en France, à considérer la multiplication des possibilités de recours comme le critère de la décision juste. Le danger est de favoriser les demandeurs d’asile les plus procéduriers, souvent épaulés par des réseaux qui leur fournissent des argumentaires tout prêts, au détriment des demandeurs véritablement légitimes, rendus méfiants par rapport à une administration trop tatillonne du fait des traumatismes subis dans leur pays d’origine.
L’approche individuelle et humaine est essentielle. Et celle-ci exige de pouvoir consacrer un peu de temps à chaque dossier. Tout en comprenant le bien-fondé d’un raccourcissement des délais d’instruction des demandes, j’attire donc l’attention sur la nécessité de maintenir une approche individualisée bienveillante. C’est particulièrement essentiel pour des personnes en situation de grande vulnérabilité, notamment les mineurs ou les femmes victimes d’abus.
Cette étape du recueil des témoignages des demandeurs d’asile me semble être la clé d’une approche juste et d’une modération de l’engorgement du système.
Il y a aujourd’hui, comme il a été rappelé, plus de 60 000 demandes annuelles d’asile, contre 35 000 en 2007. Trois quarts de ces demandes environ font l’objet d’un rejet. Cela pèse évidemment sur notre capacité à accueillir dans la dignité les demandeurs d’asile légitimes. L’engorgement du dispositif rallonge les délais de traitement des demandes ; le partage des budgets alloués à l’hébergement et aux allocations temporaires d’attente entre un nombre croissant de demandeurs tourne à la gestion de la pénurie.
Mais comment endiguer cet afflux ? À l’évidence, exiger une réduction des délais de traitement ne diminuera en rien le nombre de demandes. Il faut donc trouver des approches complémentaires.
N’est-il pas absurde que les migrants chassés par la guerre et les persécutions soient obligés, pour déposer leur demande d’asile, de traverser la Méditerranée au péril de leur vie et en finançant les réseaux de trafiquants ? Plutôt que de compter les cadavres et de financer de coûteuses opérations de sauvetage en mer, ne devrait-on pas favoriser un examen des demandes d’asile sur place ?
C’est ce qui a commencé à être fait en Syrie et en Irak, où nos consulats réalisent un tri des demandes et peuvent délivrer le statut de réfugié sans que les demandeurs aient à venir clandestinement sur notre territoire pour présenter une demande à l’OFPRA. Cette approche aussi positive qu’humaine ne s’applique malheureusement qu’à quelques centaines de personnes, alors même qu’en 2014 20 % des 620 000 demandeurs d’asile en Europe étaient originaires de Syrie. Ne devrait-on pas favoriser la montée en puissance d’un tel dispositif, non seulement dans le cadre de la crise actuelle au Moyen-Orient, mais aussi de manière plus générale ?
Traiter les demandes dans le pays de départ plutôt qu’à l’arrivée des réfugiés en France présenterait de nombreux avantages.
D’un point de vue strictement économique, cela constituerait autant d’économies sur les dépenses liées à la subsistance des demandeurs d’asile sur notre sol – hébergement, allocation d’attente, soins médicaux, placement en rétention – et à leur éventuel éloignement du territoire.
D’un point de vue humain, cela éviterait aux demandeurs de risquer leur vie, de perdre toutes leurs économies en recourant à des passeurs, de subir des mois, voire des années de vie précaire dans l’attente de la décision de l’OFPRA et de risquer un nouveau déracinement en cas de rejet de la demande d’asile et d’éloignement forcé du territoire.
L’examen des dossiers d’asile par les consulats favoriserait aussi une approche plus juste, car mieux informée de la réalité du contexte politique et social local. Cela limiterait aussi les difficultés pratiques et budgétaires engendrées, en France, par le recours aux traducteurs. Cela éliminerait la polémique récurrente sur la liste des « pays sûrs » et permettrait de vérifier plus facilement la véracité des faits évoqués. Cela permettrait de mieux orienter, en amont, les candidats à l’émigration vers des statuts leur correspondant : asile pour les victimes de persécutions, visas étudiants ou visas d’affaires pour les autres...
Cet élargissement des missions consulaires nécessiterait évidemment le déploiement de moyens adaptés, mais ces dépenses seraient largement contrebalancées par les économies réalisées sur le fonctionnement du dispositif de l’asile dans notre pays. D’autant qu’une telle décentralisation de l’examen des demandes d’asile n’aurait de sens qu’en étant déployée à l’échelle européenne, par la création de véritables « guichets d’asile » européens.
En 2014, 20 % des 620 000 demandeurs d’asile en Europe étaient originaires de Syrie. Il est pourtant impossible de remplir une demande d’asile depuis les camps de réfugiés syriens au Liban ou en Jordanie, et ce malgré l’existence d’une directive européenne de 2001 sur la protection temporaire. Cela se faisait pourtant dans des camps de réfugiés irakiens en Syrie que j’avais pu visiter en 2008.
Cette directive européenne visait à gérer l’arrivée massive dans l’Union européenne d’étrangers ne pouvant rentrer dans leur pays en raison d’une guerre, de violences ou de violations des droits de l’homme. Elle instituait, pour ces personnes déplacées, une protection immédiate et temporaire d’un an renouvelable et assurait un équilibre entre les efforts réalisés par les États membres pour les accueillir.
La directive demeure inappliquée, faute de volontarisme politique des États membres. Par conséquent, seules l’Allemagne et la Suède accueillent massivement les réfugiés syriens. La France s’honorerait pourtant d’œuvrer en faveur d’une réelle application de cette directive.
Certes, le réseau consulaire français, particulièrement dense, exposerait la France à gérer une grande partie de ces demandes. Mais la directive prévoit un partage équitable de l’effort et donc un dédommagement par les États moins exposés. Un accord a tout récemment été trouvé en matière de protection consulaire. Une philosophie similaire pourrait donc être appliquée à l’asile.
L’adoption, par la commission des lois, d’un amendement offrant une base légale à la pratique de la vidéoconférence pour les entretiens OFPRA est, à cet égard, prometteuse, puisque cette mesure, initialement pensée pour les demandeurs placés en centre de rétention, pourrait aussi faciliter un traitement plus décentralisé des demandes.
Je voudrais consacrer le temps qui me reste à évoquer une question injustement laissée de côté dans le débat actuel sur l’asile : l’accès des demandeurs d’asile au marché du travail.
Bien que le droit au travail des demandeurs d’asile soit reconnu en droit international, notamment par la convention des Nations unies de 1951 et par la Charte sociale européenne, la France reste frileuse.
Depuis 1991, les demandeurs d’asile ne bénéficient plus d’une autorisation de travail. Ils ne peuvent en solliciter une qu’au bout d’un an, si l’OFRA n’a pas répondu à leur demande ou si un recours est en cours d’instruction par la CNDA. Les conditions pour obtenir cette autorisation sont draconiennes et, en cas d’acceptation, des taxes élevées sont dues par l’employeur.
Remarquons-le au passage, si la question de l’accès au marché du travail est abordée dans le présent projet de loi, ce n’est sans doute pas le fruit d’une volonté politique forte. C’est, bon gré mal gré, la simple transposition en droit interne de la directive européenne « Accueil » de 2013, qui impose d’ouvrir le marché du travail aux demandeurs d’asile pour lesquels aucune décision n’aurait été prise dans un délai de neuf mois. Maigre progrès, alors que la législation actuelle fixe ce délai à douze mois !
La France est aussi très en retard par rapport à ses homologues européens : en Suède, les demandeurs d’asile peuvent travailler dès le dépôt de leur demande ; en Allemagne, en Autriche ou en Suisse, le délai n’est que de trois mois ; en Belgique, en Italie ou aux Pays-Bas, il est de six mois. Aux États-Unis aussi, les demandeurs d’asile ont le droit de travailler – et ce sur un pied d’égalité avec les citoyens américains.
La question du travail est, chez nous, un véritable tabou. Elle réveille des peurs irrationnelles. Permettre aux demandeurs d’asile de travailler encouragerait, croit-on, les filières d’immigration clandestine et pousserait des migrants économiques à solliciter indûment le statut de réfugié. Mais il y en aura toujours pour profiter du système ! Certains sont déjà encouragés à postuler au statut de réfugié par l’existence de l’allocation temporaire d’attente. L’ouverture du marché du travail ne constituerait pas une incitation supplémentaire décisive.
Pouvoir travailler permettrait aux demandeurs d’asile de vivre dans la dignité, en gagnant eux-mêmes de quoi vivre et faire vivre leur famille. Le droit au travail est un droit fondamental, reconnu notamment par la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948. Il est aussi le socle de la plupart de nos droits fondamentaux.
Travailler permet d’assurer un revenu de subsistance. Pouvoir travailler légalement diminue la probabilité du recours au travail informel et, notamment, à des emplois dégradants, exposant à des risques d’exploitation, à des violences sexuelles, voire à la traite des êtres humains. Cela réduit aussi les risques de sombrer dans la délinquance ou de devenir dépendant de l’aide publique.
Le travail est aussi un facteur essentiel de dignité et d’estime de soi, ce qui revêt une importance particulière pour des réfugiés souvent traumatisés par des parcours tragiques.
Travailler est, enfin et surtout, un facteur d’intégration.
Dans un avis voté en décembre 2013, la Commission nationale consultative des droits de l’homme, la CNCDH, souligne qu’il est « de l’intérêt de tous de permettre l’accès au marché de l’emploi dans la mesure où il s’agit d’un facteur d’autonomisation des demandeurs d’asile. Cet accès devrait être ouvert à tout demandeur d’asile après le dépôt de sa demande. »
Dans une récente résolution, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe note que faciliter l’accès au marché du travail des demandeurs d’asile profite tant aux sociétés dans lesquelles ils vivent qu’aux sociétés dans lesquelles ils pourraient retourner. C’est aider les demandeurs d’asile à maintenir et développer leurs compétences et à les mettre au service de leur pays d’accueil.
Le programme EQUAL, financé par le Fonds social européen, préconise de commencer l’intégration et l’autonomisation des demandeurs d’asile dès leur arrivée. Il a aussi prouvé que l’emploi des demandeurs d’asile était un élément essentiel de leur intégration future.
Pourquoi alors continuer à favoriser l’assistanat plutôt que la responsabilité et l’intégration ?
J’ai déposé un amendement d’appel visant à ouvrir notre marché du travail aux demandeurs d’asile, à l’image de ce que pratique la Suède. Je propose sinon, comme solution de repli, de réduire le délai d’accès au marché du travail de neuf à six mois. Le nombre de personnes concernées serait limité et une telle expérience serait riche d’enseignements pour envisager une évolution de notre politique d’accueil des réfugiés.
La fermeture du marché du travail aux demandeurs d’asile a un coût élevé, non seulement pour les individus auxquels on impose l’inactivité, mais aussi pour les sociétés d’accueil.
J’ai bien conscience que prôner une telle ouverture est politiquement incorrect en période de chômage et d’immigration élevés, mais le débat mérite véritablement d’être lancé.
Il ne s’agit pas d’ouvrir inconsidérément les portes de notre territoire, mais simplement de donner aux demandeurs d’asile les moyens de sortir de l’assistanat et de s’intégrer.
Une telle libéralisation peut aussi aller de pair avec une sévérité accrue vis-à-vis de ceux qui déposent des demandes d’asile manifestement illégitimes. Je soutiens les amendements déposés en ce sens, notamment ceux qui prévoient que la décision définitive de rejet prononcée par l’OFPRA, le cas échéant après que la CNDA a statué, vaut obligation de quitter le territoire français, ou que l’étranger débouté de sa demande d’asile ne peut, à un autre titre, solliciter un titre de séjour.
La politique de l’Europe « forteresse » fait, naufrage après naufrage, la preuve de son échec. Les politiques uniquement répressives sont coûteuses et inefficaces, mais il est inadmissible que seule une petite minorité des déboutés de l’asile soit effectivement éloignée de notre territoire. L’alternative n’est pas une ouverture sans contrôle de nos frontières.
Mme la présidente. Veuillez conclure, ma chère collègue.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Je conclus, madame la présidente.
Il s’agirait plutôt de miser sur les aspirations profondes des demandeurs d’asile. S’ils ont risqué leur vie pour venir en France, ce n’est pas pour vivre à nos crochets. Donnons-leur les moyens de reconstruire leur vie, de s’autonomiser, de s’intégrer.
Ouvrir le marché du travail aux demandeurs d’asile est le seul moyen de sortir du dilemme entre une générosité irresponsable et laxiste, source de dérives budgétaires, et un pseudo-réalisme nous conduisant au repli identitaire, qui s’avère chaque mois plus difficile à mettre en œuvre.
Mme la présidente. Il faut maintenant conclure, madame Garriaud-Maylam.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. N’oublions pas, enfin, que la politique de l’asile et la politique d’immigration ne peuvent être découplées de notre diplomatie globale. Prévenir l’afflux de migrants suppose de s’impliquer beaucoup plus activement en amont, non seulement par le biais de l’aide publique au développement, de la communication et de l’éducation, mais aussi par une meilleure coopération policière, pour lutter contre les réseaux de passeurs, et par la diplomatie.
Il faut une réponse européenne globale qui développe le travail en amont. C’est toute notre politique migratoire européenne qu’il nous faut revoir aujourd’hui, avec humanisme mais aussi avec fermeté, lucidité et courage. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC. – M. Pierre-Yves Collombat applaudit également.)
Voilà, madame la présidente, et je n’ai pas plus dépassé mon temps de parole que mes collègues ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Mme la présidente. Deux minutes quarante, ma chère collègue. Avec le nouveau règlement, nous allons devoir nous imposer une plus grande concision.
La parole est à Mme Catherine Tasca.
Mme Catherine Tasca. Madame la présidente, monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui traite d’une question fondamentale, celle du droit de l’asile. Il s’agit en effet d’un droit de nature constitutionnelle et conventionnelle. Nous devons porter au crédit du Gouvernement de s’être saisi de ce sujet et d’avoir remis l’ouvrage sur le métier, car nous avons assisté à la déliquescence de notre système d'asile pendant de trop nombreuses années. Alors qu’aucune réforme n’est intervenue depuis 2003, il est grand temps de réagir, comme l’Europe nous y oblige !
Il nous faut d'emblée écarter tout amalgame entre la politique de l'asile et les politiques de l'immigration et bien distinguer ces deux champs de l’action publique. À cet égard, plusieurs des collègues qui sont intervenus précédemment nous ont démontré combien la tentation est forte de confondre ces politiques et combien elle pollue le regard porté sur le droit d’asile. Nous ne les suivrons donc pas sur ce terrain.
Le droit d'asile est ancré dans notre histoire. Or il nous est impossible, aujourd'hui, de nier le manque d'efficacité de nos procédures, l'insuffisance de notre offre d’hébergement, les inégalités juridiques que subissent les différents demandeurs d'asile et les carences liées à l'accueil et à l'accompagnement de ces derniers sur notre territoire.
Actuellement, le délai pour qu’un demandeur d’asile obtienne une réponse définitive à sa demande avoisine les vingt-quatre mois. Cette situation est inacceptable ! Je pense également au coût élevé qu’induisent la longueur de ces délais et le manque de places dans les centres d'accueil de demandeurs d'asile, les CADA, qui entraîne des placements en hébergement d’urgence.
Les conditions matérielles de l’exercice du droit d’asile en France ne nous permettent plus d’accueillir comme nous le souhaiterions ceux qui ont réellement besoin de notre protection. Elles constituent, du reste, la source principale d’éventuels détournements de procédure et d’exploitations politiciennes tendant à faire croire que la France accueille « toute la misère du monde ».
Si le nombre de demandeurs d’asile en France a presque doublé entre 2007 et 2013 pour s’élever à près de 65 000 au titre des demandes déposées au cours de l’année 2014, l’Allemagne comptait, à elle seule et pour la même année, environ 173 100 demandes. La France est donc loin de ployer sous le poids des demandes d’asile, ainsi qu’on l’entend trop souvent.
Ce projet de loi cherche à pallier les défauts évidents de notre système d’asile et à mettre notre législation en conformité avec les directives communautaires qui, elles-mêmes, devront évoluer.
Les événements tragiques qui se déroulent depuis des mois – en particulier ces dernières semaines, où l’on a assisté à la mort de milliers de migrants lors de traversées décidées au mépris de toute sécurité – ont démontré qu’il est nécessaire de faire avancer l’harmonisation des législations et des pratiques européennes dans un domaine où chacun sait que la solution ne peut pas être strictement nationale.
Si je ne reviens pas sur l’architecture du texte, qui a été parfaitement présentée par M. le ministre et analysée par M. le rapporteur et les différents intervenants qui m’ont précédée, je veux toutefois souligner ici le caractère courageux d’une réforme juste et équilibrée.
Le texte traite des temps primordiaux de l’asile : l’accueil de la demande, les délais de l’instruction, les recours et l’issue de la procédure.
Premièrement, l’accueil des demandeurs d’asile sera rationalisé et amélioré grâce à la création en préfecture d’un guichet unique d’enregistrement des demandes, qui se fera désormais en trois jours. Après leur prise en charge par l’Office français de l'immigration et de l'intégration, l’OFII, les demandeurs se verront ensuite proposer un hébergement dans le cadre d’un nouveau système dit « directif », qui favorisera progressivement l’accueil en CADA pour tous les demandeurs. De l’acceptation de cette offre d’hébergement dépendra le bénéfice des allocations.
Ce nouveau système d’accueil des demandeurs représente donc l’un des piliers de la réforme. Il permet la mise en place d’un équilibre en proposant une offre décente aux demandeurs d’asile tout en réduisant le phénomène de congestion que connaissent les grandes métropoles.
Deuxièmement, le Gouvernement a fixé la réduction des délais d’instruction comme l’un des objectifs cruciaux de la réforme. Pour y parvenir, les mesures contenues dans le projet de loi allient rapidité et efficacité, tout en garantissant les droits des demandeurs. Le respect d’un délai d’instruction de neuf mois est une condition de réussite de la réforme, mais aussi la meilleure garantie de pérennité de notre système d’asile.
En ce sens, la nouvelle procédure accélérée permettra d’écarter rapidement les demandes qui suscitent le moins de difficultés, que ce soit lors de leur traitement par l’OFPRA ou devant la CNDA, avec un recours devant un juge unique dans un délai de cinq semaines.
En contrepartie, la réduction de ces délais s’accompagne de garanties nouvelles pour les demandeurs d’asile : la présence dorénavant de tiers lors des entretiens à l’OFPRA, la possibilité pour l’Office de déclasser une demande placée en procédure accélérée ou la généralisation du recours suspensif devant la CNDA.
L’Assemblée nationale a également assorti l’objectif de traitement des demandes dans un délai de neuf mois de la possibilité, pour les demandeurs dont le dossier ne serait pas clos à ce terme, d’accéder au marché du travail. Il s’agit à la fois d’une incitation pour l’exécutif à tenir les délais qu’il se fixe et du meilleur moyen d’aider les demandeurs d’asile à conquérir leur autonomie.
Le succès de la réforme dépendra bien évidemment des modalités de sa mise en œuvre et des moyens qui lui seront consacrés.
L’OFPRA, sous la direction courageuse de M. Pascal Brice, a déjà entrepris une réforme interne en adoptant un plan d’action pragmatique et en augmentant ses effectifs de 55 emplois pour venir renforcer l’efficacité de l’Office. Les résultats sont déjà visibles, puisque la proportion de statuts protecteurs accordés a augmenté, passant de 24 % à 28 % entre 2013 et 2014, dont les deux tiers sont reconnus dès l’OFPRA. Tandis que la demande d’asile a baissé de 2 % l’an dernier, le nombre de décisions s’est accru de 12 % entre ces deux années, ce qui a permis, pour la première fois, une réduction des demandes en attente et des délais.
Je veux aussi saluer la qualité du travail des officiers de protection qui remplissent quotidiennement cette mission et assurent l’écoute individualisée et humaine qu’a tant réclamée Mme Garriaud-Maylam. Il faudra porter une attention particulière à la formation et au statut de ces personnels.
L’effort doit également se poursuivre au niveau de la CNDA, mais aussi de l’OFII, dont les moyens sont encore trop restreints.
Je ne peux pas ne pas évoquer ici la situation des outre-mer au regard du droit d’asile.
En raison des changements incessants de l’ordre du jour du Sénat, nos collègues ultramarins ne peuvent pas assister à nos débats, en particulier M. Thani Mohamed-Soilihi, qui tenait pourtant à intervenir pour évoquer la situation désastreuse de l’asile à Mayotte. Si l’asile est un phénomène relativement nouveau et marginal dans ce département, il s’accélère depuis les années deux mille en raison de l’instabilité politique et de la multiplicité des conflits impliquant des populations civiles dans les régions voisines. Pour tous les demandeurs d’asile, la procédure d’asile est anormalement longue, avec des délais d’instruction qui peuvent durer près de trois ans.
La commission de recours des réfugiés n’est d’ailleurs pas venue sur l’Île depuis 2009 et l’antenne de l’OFII, dont l’une des missions déléguées par l’État est l’accueil des demandeurs d’asile, n’a ouvert que le 5 janvier dernier à Mayotte.
Il faut saluer le travail de l’association Solidarités Mayotte, qui, en l’absence de centre d’accueil sur le département, a mis en place un dispositif d’hébergement d’urgence comprenant une quinzaine de places. Mais est-il bien normal de devoir compter sur une structure associative pour pallier l’absence de réponses de l’État ?
Les différences avec la métropole ne s’arrêtent pas à ces constats : on les observe également en matière de droits sociaux et d’accès aux droits, puisque les demandeurs d’asile ne disposent d’aucune source de revenus, contrairement à ceux de la métropole, qui bénéficient de l’allocation temporaire d’attente, l’ATA, et de l’allocation mensuelle de subsistance, l’AMS.
Lors de votre audition par la commission des lois le 6 avril dernier, monsieur le ministre, vous avez noté que le centre de rétention de Mayotte était indigne. (M. le ministre le confirme.)
Rien ne justifie l’absence d’un accueil digne, la précarité générale des conditions de vie des demandeurs d’asile à Mayotte, la lenteur de traitement des dossiers par l’OFPRA et la CNDA, ainsi que le manque de moyens mis à disposition. Souhaitons que l’application de ce texte permette d’améliorer nettement le système de l’asile sur l’ensemble du territoire de la République et que les outre-mer ne soient pas les oubliés de la réforme !
À Mayotte comme dans d’autres départements, la confusion entre asile et immigration est courante. Mais, dans ce département ultramarin qui subit une pression migratoire insensée, l’amalgame est encore plus nuisible qu’ailleurs. Cette pression explique la réticence des Mahorais à l’égard de l’asile et des valeurs qui le sous-tendent. La réduction des délais d’examen que vise ce texte devrait permettre de faire tomber ces préventions.
Troisièmement, enfin, s’agissant de l’issue de la procédure, la refonte du système de l’asile devra nécessairement passer par un renforcement de la prise en charge et de l’accompagnement des demandeurs qui accèdent au statut de réfugié ou au bénéfice de la protection subsidiaire.
Dans le même temps, les décisions de rejet des demandes devront être dotées d’une réelle effectivité, afin de permettre aux autres demandeurs d’asile d’être pris en charge dans de bonnes conditions et de couper court aux tentations d’instrumentalisation de l’asile à des fins politiciennes.
Confondre rejet d’une demande d’asile et obligation de quitter le territoire français, OQTF, comme le fait malencontreusement la commission des lois dans le texte qu’elle a adopté, revient à confondre asile et immigration.
La Haute Assemblée ferait bien de se garder d’un tel amalgame.