M. Michel Savin. Exact !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. … à la longue tradition de débats apaisés et de qualité, qui ont toujours caractérisé la Haute Assemblée. Nous pourrons ainsi aller sereinement au fond des choses. C’est en tout cas le souhait profond du Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mmes Élisabeth Doineau et Valérie Létard applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. François-Noël Buffet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte dont nous sommes saisis aujourd'hui est important. Bien sûr, tous les textes sont importants, mais celui-ci l’est particulièrement, car la politique de l’asile concerne non pas des marchandises, mais des personnes. À ce titre, nous avons l’impérieuse nécessité et le devoir d’être extrêmement vigilants quant à nos décisions.
Mais cette exigence et notre préoccupation collective de doter notre pays des instruments lui permettant de mener ses politiques ne doivent pas nous empêcher de regarder la réalité en face. Nous sommes confrontés à la triste actualité de ces populations victimes de réseaux mafieux, qui leur font miroiter un Eldorado en Europe, et plus particulièrement en France, pour s’enrichir sur leur dos !
Certains ont parfois tendance à confondre la question de l’asile avec celle de l’immigration. Rappelons d’emblée que les deux sujets sont distincts !
Mme Catherine Tasca. Absolument !
M. François-Noël Buffet, rapporteur. L’asile est une chose et l’immigration en est une autre. Il y a une immigration régulière, et il est bien normal que notre pays se dote d’une politique migratoire – ce n’est pas le sujet qui nous occupe aujourd’hui : peut-être est-ce dommage ? – ; il y a une immigration clandestine, contre laquelle nous devons lutter fermement.
La politique de l’asile découle avant tout de l’application de la convention de Genève de 1951. La France a le devoir d’accorder une protection à ceux qui sont menacés dans leur pays. L’objectif, ce n’est pas de répondre systématiquement par la négative ; c’est de pouvoir accorder rapidement l’asile à ceux qui en ont besoin. La difficulté qui est la nôtre aujourd’hui dans notre droit et dans la situation de fait tient au fait que la procédure a été dévoyée, et ce pour plusieurs raisons.
Sous le précédent quinquennat, j’ai eu à connaître, avec d’autres collègues, de ces politiques. Je peux témoigner, et je ne pense pas être démenti à cette tribune, que les moyens financiers de l’OFPRA, alors erratiques, ont été sanctuarisés. Nous étions parfaitement conscients de l’instabilité de certains pays et de la nécessité de permettre à cette instance, à laquelle nous sommes très attachés, de pouvoir travailler correctement.
Nous avons institué la Cour nationale du droit d’asile. Je suis intervenu à de multiples reprises sur le sujet dans cet hémicycle. Le dispositif que nous avions mis en place doit évoluer, car des insuffisances sont apparues.
Aujourd'hui, un demandeur attend en moyenne entre dix-sept mois et vingt-quatre mois pour savoir si la France lui accorde ou non la protection.
Les demandes ont augmenté, passant de 61 468 en 2012 à 66 251 en 2013, avant de redescendre en 2014, comme l’a souligné M. le ministre, à 64 811, ce qui est tout de même un chiffre élevé. Dans le même temps, les demandes en stock atteignaient, en 2012, 24 498, contre 30 197 en 2013. En 2012, les admissions s’élevaient à 10 000, contre 11 428 en 2013 et 14 512 en 2014. Il y a donc environ 40 000 déboutés du droit d’asile chaque année.
Cette situation est liée tout particulièrement à la longueur des délais et au fait que certains – cela ne concerne pas seulement des filières – utilisent la procédure de demande d’asile comme s’il s’agissait d’une procédure d’immigration. Cela ne peut évidemment pas fonctionner.
Le présent projet de loi aurait pu être examiné par le Sénat en même temps que le texte sur l’immigration, mais ce n’est pas le choix qui a été retenu. On peut le comprendre, car les deux sujets sont distincts, mais c’est tout de même un peu regrettable, et je m’en explique.
Lorsque les 40 000 déboutés du droit d’asile rejoignent la clandestinité, leur cas relève de la politique d’immigration. Il faut en avoir conscience quand on légifère sur l’asile.
Le texte dont nous sommes saisis transcrit trois directives dans notre droit. La première, la directive « Qualification », qui date de 2011, devrait déjà avoir été transcrite depuis le mois de décembre 2013. Les deux autres sont la directive « Accueil », qui porte particulièrement sur la vulnérabilité et l’accès au marché du travail, et la directive « Procédures », qui crée un certain nombre d’instruments pour essayer de réduire les délais d’instruction des demandes d’asile.
Permettez-moi d’évoquer la création des procédures d’irrecevabilité ou de clôture d’instruction des dossiers par l’OFPRA. Jusqu’à présent, cela n’existait pas. Les conditions sont parfaitement définies. Je mentionnerai également la procédure accélérée, qui remplace la procédure dite « prioritaire ». Il s’agit de traiter dans un délai bref, deux semaines, les demandes adressées à l’OFPRA qui ont le moins de chances d’aboutir.
Le projet de loi prévoit également de renforcer les pouvoirs de l’OFPRA, de modifier son conseil d’administration et de changer les conditions d’établissement de la liste des pays d’origine sûrs.
La CNDA devra décider en cinq mois. Elle pourra siéger non seulement en formation collégiale, mais également en juge unique. Même si cette procédure est contestée par un certain nombre de nos collègues, elle paraît tout à fait pertinente au regard des besoins. Il est nécessaire de traiter rapidement des dossiers dont on sait que l’issue ne sera pas positive. Les droits des demandeurs sont préservés : à chaque niveau de la procédure, les magistrats peuvent décider de confier le dossier à la formation collégiale.
Le projet de loi prévoit également des adaptations de notre droit, compte tenu notamment du règlement « Dublin III ». L’objectif est de pouvoir déterminer le plus rapidement possible le pays responsable de l’examen de la demande d’asile du demandeur, aux fins de son transfert dans ce pays.
J’en viens à un autre volet, celui de l’hébergement.
L’hébergement est l’un des sujets majeurs de préoccupation puisque la commission s’est rendu compte, depuis longtemps déjà, de la difficulté devant laquelle se trouvent les CADA, à la fois occupés par les demandeurs dont la procédure est en cours et par ceux qui ont été déboutés.
Il est également nécessaire, compte tenu des pressions migratoires – plus de 50 % d’entre elles s’exercent sur deux régions particulières : l’Île-de-France et la région Rhône-Alpes –, de disposer d’un dispositif plus efficace et de mettre en place le schéma directif des demandeurs d’asile. Cette disposition que la commission des lois a validée est positive. Aussi, nous souhaitons qu’elle soit maintenue, même si de nombreux amendements visant à la supprimer ont été déposés.
Ce texte vise aussi à donner plus de pouvoir à l’OFII, non seulement pour ce qui est de la gestion de l’hébergement, mais également pour ce qui est de la capacité d’allouer ou non un certain nombre d’aides en fonction de l’hébergement.
Je le dis sincèrement, en ce qui concerne la partie « Procédures », la retranscription des directives et les amendements adoptés par la commission des lois du Sénat, après examen du texte par l’Assemblée nationale, vont plutôt dans le bon sens puisqu’ils visent à assurer que la demande des demandeurs d’asile sera bien traitée dans un délai de neuf mois. Le délai sera de cinq mois pour la CNDA. Nous avons souhaité qu’il soit de trois mois pour l’OFPRA. Ainsi, la durée du processus ne fera plus opter en faveur de cette procédure à des fins étrangères à sa vocation.
Plus la procédure sera rapide, tout en respectant évidemment le droit de chacun – nous verrons que le texte comporte de nombreuses mesures en ce sens –, moins il y aura d’intérêt à l’utiliser à d’autres fins que l’asile.
Je rappelle également qu’au cours de nos discussions nous avons été informés d’un relevé d’observation provisoire de la Cour des comptes, qui a éveillé notre intérêt, à tel point que j’ai demandé un délai supplémentaire pour prendre connaissance de ce document et, éventuellement, auditionner les représentants de la Cour des comptes.
Malheureusement, pour des raisons de réglementation interne de la Cour des comptes, il n’a pas été possible d’auditionner le président de la quatrième chambre notamment. Néanmoins, un entretien a pu avoir lieu en présence du président de la commission des lois. Nous savons aujourd'hui que le rapport définitif de la Cour des comptes sera vraisemblablement communiqué à la fin du mois de juin. Il a été avancé que le coût de l’asile s’élevait à 2 milliards d’euros par an et que seulement 1 % des déboutés quittaient le territoire français. Nous aimerions obtenir des éclaircissements sur la réalité de ces affirmations.
Sincèrement, je dois dire ce soir que nous n’avons aucune information à ce sujet puisque la Cour des comptes nous a fait savoir qu’il lui était impossible de nous répondre en l’état ; elle attendait encore la réponse des services qu’elle a interrogés sur ce point. Quoi qu’il en soit, c’est un point sur lequel il faudra revenir pour savoir ce qu’il en est précisément. La Cour des comptes indique elle-même dans son relevé d’observation provisoire que le système est « au bord de l’embolie », qu’il ne fonctionne pas et qu’il faut donc le modifier.
Cependant, la commission des lois a estimé qu’il n’était pas possible de réformer singulièrement la procédure de demande d’asile sans traiter le cas des personnes déboutées. Il faut impérativement avancer sur nos deux pieds, je le dis sans volonté de polémique. Il s’agit uniquement de constater une réalité et d’apporter des réponses. À tout le moins, j’espère que, sur le fond, nous visons tous les mêmes objectifs.
Voilà pourquoi la commission a adopté plusieurs mesures.
La première d’entre elles consiste à prévoir que la décision définitive de rejet prononcée par l’OFPRA, le cas échéant après que la CNDA aura statué, vaut obligation de quitter le territoire français. Loin de nous l’idée de jeter de l’huile sur le feu. Il s’agit simplement de gagner du temps entre la décision définitive de l’OFPRA et le moment où le préfet en a connaissance et formule l’obligation de quitter le territoire français.
Sur le plan juridique, nous avons prévu un certain nombre de précautions. En particulier, il reste possible au demandeur, qu’il soit clandestin ou débouté, de contester cette obligation de quitter le territoire français. Ce point est clair.
La deuxième mesure prise par la commission est la suivante : l’étranger débouté de sa demande d’asile ne peut solliciter un titre de séjour à un autre titre, sauf circonstances particulières. Pourquoi ? Tout simplement pour répondre à un constat partagé par tous : certains demandeurs d’asile savent par avance qu’ils seront déboutés et solliciteront alors un autre titre de séjour pour tenter de rester sur le territoire national. Telle est la réalité ! L’idée est de « tenir », si je puis dire, afin de profiter de la circulaire du mois de novembre 2012, qui permet l’ouverture de la régularisation au bout de cinq ans sur le territoire. Le demandeur essaie donc beaucoup de procédures et nourrit finalement l’ensemble du dispositif.
Voilà pourquoi la commission des lois a considéré que, sauf circonstances particulières, dès lors que le demandeur a choisi l’asile, il ne lui est pas possible de demander un titre de séjour à un autre titre.
Enfin, la commission a souhaité faire droit à une proposition de notre collègue Valérie Létard qui, sur la base de son rapport d’information rédigé en collaboration avec Jean-Louis Touraine, estime qu’il convient d’assigner à résidence les personnes déboutées de leur demande d’asile dans des centres dédiés, en vue de les accompagner à l’éloignement et au retour dans leur pays d’origine. La commission des lois a accepté bien volontiers cette proposition, estimant qu’elle était tout à fait pertinente.
Quelques autres points viennent conforter ces éléments. Il s’agit tout particulièrement de restreindre l’inconditionnalité de l’hébergement dès lors que l’on est débouté du droit d’asile. Les étrangers qui ne sont plus dans la procédure n’ont nulle raison de solliciter ce dispositif. En tout état de cause, la commission a globalement essayé de parvenir à une solution qui soit la plus équilibrée possible.
Certes, cette mesure peut être discutée, et elle le sera. Mais il convient cependant de garder à l’esprit que le législateur se doit d’envoyer des messages clairs.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, je le dis en toute sincérité, si nous ne prenons pas les mesures qui s’imposent, nous tuerons la procédure d’asile et nous nous trouverons dans une situation extrêmement difficile. Il ne nous sera plus alors possible de répondre rapidement, ou suffisamment rapidement, à ceux qui ont besoin de cette procédure, qui est l’honneur de notre pays.
C’est dans cet esprit que la commission a tenté de rééquilibrer ce projet de loi. Même si le texte proposé par la commission peut paraître quelque peu rigoureux, nos propositions me semblent suffisamment réalistes pour permettre à notre pays de traiter correctement les demandes de ceux qui méritent la protection de la France. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC. – Mme Evelyne Yonnet applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Roger Karoutchi, rapporteur pour avis de la commission des finances. Monsieur le ministre, monsieur le président, mes chers collègues, que puis-je ajouter de plus ? Mon collègue François-Noël Buffet a dit l’essentiel.
Monsieur le ministre, j’ai bien noté au début et à la fin de votre propos liminaire un peu d’agacement : ce texte méritait mieux, notamment d’autres propositions, plus républicaines...
Avant d’aborder les points liés plus particulièrement au financement de la réforme, permettez-moi de dire en toute sincérité que nous n’avons pas travaillé dans une ambiance partisane ni empreinte de sectarisme. J’ai toujours pensé que vous étiez un grand républicain. Je l’ai encore affirmé après les attentats de janvier dernier, lorsqu’il s’est agi de faire l’unité nationale. Ici aussi, sur le droit d’asile, pourquoi ne pas essayer de faire preuve d’unité ?
Lorsque j’ai été réélu sénateur en 2011, je me suis montré extraordinairement critique à l’égard du gouvernement de l’époque sur les questions liées au droit d’asile. Déjà, je pensais que tout cela était bel et bon, mais qu’il était important de préserver le droit d’asile. Car ce droit d’asile constitutionnel, lié à la convention de Genève, qui a fait l’honneur de la France lorsqu’elle a accueilli les persécutés des régimes militaires sud-américains, du bloc soviétique, du Cambodge ou d’Afrique, après bien des massacres et des guerres civiles, ce droit d’asile, nous y tenons ! Nous y sommes profondément attachés, car c’est l’honneur de la France que des personnes menacées du fait de leurs convictions, de leurs modes de vie ou de leur personnalité puissent se tourner vers notre République. Et je sais que tel est aussi votre sentiment, monsieur le ministre. Voilà pourquoi nous avons prévu certaines mesures, qui vont plus loin.
Depuis quelques années – le problème ne date pas de 2012, il résulte d’une situation internationale compliquée dans un grand nombre de pays, de la grande pauvreté qui règne sur le continent africain et de phénomènes qui échappent à la France, mais qui sont bien réels ! –, nous sommes passés de 30 000 demandes d’asile par an voilà sept ou huit ans à 60 000 en moyenne aujourd’hui. Or, excusez-moi de vous le dire, monsieur le ministre, mais ces 60 000 personnes ne viennent pas toutes de pays où elles sont persécutées. Toutes ne sont pas en danger du fait de leurs convictions politiques, philosophiques, religieuses ou humaines. Un grand nombre d’entre elles sollicitent le droit d’asile parce que des réseaux mafieux, comme l’a très bien souligné notre collègue François-Noël Buffet, les incitent à l’immigration pour fuir la pauvreté dans leur pays. Ces personnes partent pour la France ou d’autres pays d’Europe et se servent de la procédure du droit d’asile, qui offre un certain nombre de garanties, pour ne pas dire d’avantages, car je ne veux pas exagérer. Mais cela existe !
Depuis deux ou trois ans – et vous n’y êtes pour rien, monsieur le ministre ! –, avec la guerre en Syrie, les difficultés en Irak, les persécutions des chrétiens d’Orient et tous les migrants venus de Méditerranée, le système européen – pas uniquement français ! – explose. M. le rapporteur l’a souligné précédemment, l’Allemagne ne sait plus où elle en est. Ce pays a accueilli 130 000 demandeurs d’asile en 2013, 200 000 en 2014, et le ministre allemand de l’intérieur Thomas de Maizière en annonce 400 000 en 2015. Vous rendez-vous compte, 400 000 demandeurs d’asile en 2015, contre 130 000 voilà à peine deux ans ? L’État allemand réquisitionne les casernes et les écoles parce qu’ils ne savent plus comment faire.
Monsieur le ministre, le problème, ce n’est pas que votre texte ne va pas dans le bon sens – votre conception du droit d’asile n’est pas en question –, mais, en réalité, le système explose.
Dans l’urgence liée à cette explosion, votre texte est certes conforme aux directives européennes. Il va évidemment dans le bon sens puisqu’il vise, comme le rapporteur l’a très bien expliqué et comme le président de la commission des lois le rappelle régulièrement, à réduire les délais de la CNDA et à créer des postes à l’OFPRA. Je le reconnais, c’est le Gouvernement en place depuis 2012 qui crée ces postes ; les précédents gouvernements ne l’avaient pas fait ; ils avaient sanctuarisé les budgets.
Mais à quoi bon créer 20 % ou 25 % de postes supplémentaires à l’OFPRA quand il y a 100 % de demandeurs d’asile supplémentaires par an ? C’est une course infinie ! D’un côté, vous créez des postes mais, de l’autre, les demandes ne cessent d’augmenter. C’est, je le répète, une course sans fin. Certes, il faut réduire les délais. Mais comment voulez-vous faire ?
L’Allemagne, qui est débordée par l’afflux des demandes d’asile, vient de décider la création de plusieurs centaines de postes au sein de l’Office fédéral des migrations et des réfugiés, qui est l’équivalent de l’OFPRA.
On vous dit qu’il y a urgence, non pas parce que vous n’êtes pas conscient des réalités, mais parce que l’urgence à laquelle nous vous appelons est liée à la réalité internationale, à tout ce qui se passe, notamment en Orient, et vous en êtes parfaitement informé. Nous avons d'ailleurs toujours soutenu vos positions, que ce soit concernant le djihad islamique ou Daech. Les gens fuient l’Afrique, qui est de plus en plus pauvre ; les réseaux d’immigration se multiplient, et notre système a atteint ses limites.
Monsieur le ministre, vous évoquez les directives européennes, mais – et c’est là peut-être une différence entre nous ! – nous sommes tentés de vous dire que nous n’avons pas la capacité qui est la vôtre d’inciter l’Europe à prendre les choses à bras-le-corps. L’Europe doit se demander si sa politique en matière de droit d’asile et d’immigration correspond aux réalités d’aujourd’hui. Cette politique, qui a été définie voilà cinq ou dix ans dans bien des textes, a été mise en place à une période où on n’était pas dans l’urgence.
M. Michel Savin. Tout à fait !
M. Roger Karoutchi, rapporteur pour avis. Ce qui se passe à Lampedusa, en Italie, les morts en Méditerranée, c’est inacceptable ! On renforce Frontex et Triton. Mais, en réalité, que fait-on en matière d’immigration et de droit d’asile ?
M. Michel Savin. Rien !
M. Roger Karoutchi, rapporteur pour avis. Je vous entendais dire ce matin que l’Union européenne allait probablement proposer des quotas. Je comprends la situation, mais ce n’est pas une révision de la politique en matière d’immigration et de droit d’asile qu’il faut mettre en œuvre. Face au mur, comment agit-on ? Instaurer des quotas parce que l’Italie ou la Grèce ne peuvent pas intégrer tous les réfugiés ? Mais ce n’est pas ainsi qu’on redéfinit la politique en matière d’immigration et de droit d’asile. Je sais que vous êtes déterminé à avancer sur ce point, mais vos collègues européens me semblent un peu lents, pour ne pas dire très réticents…
M. Roger Karoutchi, rapporteur pour avis. Or, à force d’être réticents, ils mettent les pays d’accueil, comme l’Allemagne et la France, dans des situations impossibles.
Sans reprendre ce qu’a excellemment dit mon collègue François-Noël Buffet, j’aimerais aussi parler un peu d’argent, si vous le permettez, car il faut bien malgré tout en parler.
J’attends les conclusions définitives, mais la Cour des comptes avance le chiffre de 2 milliards d’euros pour ce qui concerne le coût du droit d’asile. Elle prend sans doute en compte un certain nombre d’effets induits, car j’ai estimé, dans le rapport pour avis que j’ai établi, que le coût direct se situe aux alentours de 600 millions d’euros, à savoir le double de ce qu’il était il y a trois ou quatre ans.
Certains effets induits sont liés au fait qu’un certain nombre – pour ne pas dire un nombre certain ! – de déboutés deviennent des clandestins. Cela aussi a un coût. Tout a un coût ! Comment la Cour des comptes arrive-t-elle à 2 milliards d’euros ? Attendons qu’elle nous l’explique.
En tout cas, s’il est certain que le coût du droit d’asile est élevé, celui-ci pourrait être maîtrisé s’il concernait les 12 000 ou 15 000 personnes acceptées.
En réalité, le nombre de demandes acceptées n’a guère évolué : quand on comptait 30 000 ou 35 000 demandeurs d’asile, un peu plus de 10 000 personnes étaient acceptées ; aujourd'hui, il y a 65 000 demandeurs et le nombre des demandes acceptées oscille entre 10 000 et 15 000. Cela veut dire que le nombre des demandeurs relevant en réalité du droit d’asile n’a que très peu évolué, mais que le nombre des demandeurs a explosé. Il existe donc une dérive de l’immigration économique, qui est détournée, avec, bien sûr, un coût supplémentaire.
Je le reconnais bien volontiers, monsieur le ministre, c’est sur l’initiative du gouvernement auquel vous appartenez qu’ont été créées, par le législateur, des places supplémentaires en CADA, qui devaient permettre d’accueillir tous les demandeurs d’asile. Cela devait être simple, rationnel, encadré. Il a été décidé de créer 4 000 places et, en l’espace de deux ou trois ans, on est passé de 20 000 à 24 000 places. Le problème, c’est qu’il y avait 20 000 places pour 35 000 demandeurs et qu’il y a aujourd’hui 24 000 places pour 65 000 demandeurs !
Il est vrai que vous faites un effort, mais, dans nos régions – vous avez évoqué l’Île-de-France et la région Rhône-Alpes entre autres –, on ne sait plus comment faire : les CADA sont pleins ; tout comme le sont les centres provisoires d’hébergement– avec 1 060 places en France, ce n’est pas ainsi que vous allez régler le problème du droit d’asile ! – ; les hôtels une étoile à Paris et dans la proche couronne sont aussi quasiment pleins, et cela ne suffit toujours pas. Vous ne pouvez nier qu’un grand nombre de demandeurs d’asile sont dehors.
Il est à présent question d’accepter un quota au niveau européen. Comprenez que la représentation nationale puisse s’en inquiéter ! Est-ce à dire que nous devrons accueillir entre 10 000 et 15 000 demandeurs supplémentaires cette année ?...
M. Roger Karoutchi, rapporteur pour avis. Je comprends que vous ne me disiez pas qu’il y en aura 10 000, mais on verra ce qu’il en sera après mercredi... Je vous demande seulement de m’indiquer quels moyens seront déployés pour faire face à ce quota supplémentaire.
La réalité, c’est, comme l’a souligné mon collègue François-Noël Buffet, entre 300 millions et 600 millions d’euros pour le coût direct et entre 1 milliard et 2 milliards d’euros si l’on tient compte des effets induits. Vous nous dites, monsieur le ministre, qu’on va réduire la voilure en raccourcissant les délais. C’est effectivement ce que vous prévoyez dans ce texte, mais, en même temps – l’équilibre est difficile à trouver ! –, vous augmentez les capacités de recours. Aussi, vous le savez, ces délais ne seront pas respectés. Des recours seront engagés. L’OFPRA et la CNDA n’auront d’ailleurs peut-être pas la capacité de tenir ces délais eu égard à leurs moyens en personnels face au nombre de demandes à traiter. Or, je le souligne, aucune sanction n’est prévue si le délai que vous avez fixé n’est pas respecté.
On dit qu’il faut aller plus vite. Je ne doute pas du fait que vous ayez envie, monsieur le ministre, que la procédure soit plus rapide, qu’il y ait moins de situations aberrantes, comme celles que nous avons connues dans les centres d’accueil de demandeurs d’asile, dans les centres d’hébergement d’urgence ou dans les centres provisoires d’hébergement où l’on a du mal à faire partir ceux qui étaient déboutés du droit d’asile et, donc, à intégrer les nouveaux arrivants. C’est pourquoi un certain nombre d’amendements visent à accélérer le départ de ceux qui sont déboutés, de ceux qui sont violents.
L’élément financier est, certes, important – un tel coût est énorme pour la collectivité nationale ! –, mais on a surtout le sentiment qu’il n’est pas maîtrisé. Ce n’est pas, je le répète, de votre fait, car je sais combien vous êtes attaché à la maîtrise des coûts, mais les conditions internationales ne vous aident pas. Vous n’y pouvez rien.
Que vous demandent la droite et le centre, monsieur le ministre ? Franchement, en tant que membre de la commission des finances, on me fait la même demande. Chaque fois, je réponds que je ne peux pas donner plus.
D’un côté, on donne beaucoup d’argent à l’OFPRA, à la CNDA, aux structures d’accueil, aux structures d’hébergement qui vont, enfin – c’est bien ! –, bénéficier d’un statut législatif. De l’autre, vous transférez à l’OFII la gestion de l’allocation temporaire d’attente. Je suis favorable à la barémisation de cette allocation, je l’ai d'ailleurs demandée dans les différents rapports d’information. Mais l’OFII se retrouve dans une situation particulièrement difficile : il récupère les indus de Pôle emploi, qui, soyons francs, distribuait l’allocation plus ou moins bien – tous les rapports montrent qu’il y aurait 20 % d’indus, ce qui est quand même considérable. Et, au-delà, Pôle emploi lui transfère 60 millions d’euros à régulariser. Comment va-t-on régler ce problème ?
Tout cela finit par coûter relativement cher – c’est même cher ! –, et tout cela est très difficile à maîtriser en raison des recours, des délais non sanctionnés, des problèmes pour créer davantage de places en CADA ou dans les centres d’hébergement. Vous le savez, la situation dans nos villes est extrêmement compliquée ; et je ne parle pas que de l’Île-de-France : les élus de gauche comme de droite sont nombreux à dire qu’ils ne parviennent plus à gérer ces situations.
Un autre élément me gêne depuis que je m’intéresse à ce dossier, c’est la faiblesse des moyens alloués à l’accompagnement de ceux qui obtiennent le statut de réfugiés.
Sincèrement, les personnes qui obtiennent ce statut sont appelées, à terme, à devenir citoyens français. Elles devraient donc être mieux traitées, mieux formées, davantage intégrées à la société.
Les moyens octroyés à l’OFII pour favoriser l’intégration au travers de l’instruction civique ou des cours de langue, par exemple, sont insuffisants. Voilà des années que je présente, en commission des finances, un amendement visant à renforcer les moyens dévolus à l’OFII. Mais, chaque année, pour une raison que j’ignore – tout le monde devrait adopter un tel amendement ! –, on le rejette.
Les 15 000 personnes qui, chaque année, obtiennent le statut de réfugiés vont un jour obtenir la nationalité française et devenir des citoyens français. Ces personnes doivent être traitées différemment, pour deux raisons principales : d’abord, parce qu’elles sont venues sur notre territoire, non par le détournement de filières d’immigration économique, mais en raison des persécutions ou des malheurs qu’elles subissaient et, ensuite, parce qu’elles sont capables d’intégrer la société française et d’acquérir la citoyenneté.
Monsieur le ministre, vous êtes confronté à une telle explosion du nombre de demandes que la situation, je le reconnais bien volontiers, surtout dans le contexte international insupportable que nous connaissons actuellement, est très difficile à gérer. Mais vous êtes aussi un parfait républicain. Obtenez donc de l’Europe un changement ou, en tout cas, une clarification de la politique d’immigration et du droit d’asile ! Et rassurez les Français, pas ceux de gauche ou de droite, mais tous les Français dans leur ensemble ! Les gens sont excédés, ils ont le sentiment que n’importe qui peut entrer en France et demander le droit d’asile.
Tous les républicains peuvent se retrouver sur un plan d’urgence, sur un nouveau plan européen. Quel bonheur ce serait alors de venir à cette tribune pour vous faire part de notre entier soutien ! (Applaudissements sur quelques travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)