M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet.
M. Éric Bocquet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le vice-président de la commission, madame la rapporteur, mes chers collègues, la ratification parlementaire de cet accord d’association entre l’Union européenne et la Moldavie s’inscrit dans une actualité et un contexte géopolitique tout à fait particuliers.
On ne peut en effet examiner cet accord sans avoir présent à l’esprit le long processus ayant abouti à la guerre qui se déroule actuellement en Ukraine.
Au mois de juin 2014, l’Union européenne avait prévu de signer avec trois des États du « Partenariat oriental » – l’Ukraine, la Géorgie et la Moldavie – des accords d’association dits « de nouvelle génération », qui comprenaient pour l’essentiel des dispositions de coopération politique et économique.
Le « Partenariat oriental » concerne six anciennes républiques soviétiques ; vous les avez énumérées, monsieur le secrétaire d'État. Or, pour certains États membres de l’Union européenne, cette politique de « voisinage » a ouvertement comme objectif de soustraire ces pays à la zone d’influence russe.
Pour s’en défendre, mais après avoir longtemps essayé de se rapprocher de l’Union européenne, le gouvernement russe tente de mettre sur pied une union économique eurasienne, qui a du mal à séduire les anciennes républiques soviétiques d’Asie centrale, aujourd’hui indépendantes.
Il faut se souvenir que c’est le revirement du président ukrainien Viktor Ianoukovitch, lequel, une semaine avant le sommet de Vilnius, à la fin de novembre 2013, avait renoncé à signer un accord du même type, qui avait ouvert une longue période de troubles politiques débouchant sur la guerre civile et la crise internationale que l’on connaît aujourd’hui.
C’est sur fond de cette crise ukrainienne que l’Union européenne a souhaité accélérer l’an dernier le processus des accords avec la Géorgie, l’Ukraine et la Moldavie : ils ont été signés le 27 juin 2014, à Bruxelles.
Ce détour historico-stratégique était nécessaire pour comprendre toutes les implications de cet accord d’association avec la Moldavie. C’est en effet dans ce cadre complexe que nous sommes appelés à autoriser sa ratification en procédure normale et – fait assez rare – huit mois à peine après sa signature.
Cet accord soulève de grandes questions qui touchent aux modalités de la politique d’élargissement à long terme de l’Union européenne, aux rancœurs vis-à-vis des Russes qui animent certains nouveaux États membres, ou bien encore au statut des importantes minorités russes et russophones dans ces pays.
Pour ce qui est de son contenu, il s’agit d’abord d’un accord de coopération dans les domaines politique, économique et sectoriel.
Comme pour tous les autres pays avec lesquels l’Union européenne a signé un accord de ce type, il est prévu un programme complet de rapprochement progressif de la législation moldave et des acquis de l’Union.
Il s’agit essentiellement d’un accord de libre-échange, dit « approfondi et complet ». Contrairement à un accord de libre-échange classique, cela signifie qu’il prévoit non seulement une libéralisation commerciale quasi totale, mais aussi une harmonisation réglementaire par alignement sur les normes de l’Union.
Cet accord d’association étant avant tout un accord de libre-échange tel que le conçoivent les dirigeants européens, son principal moteur est la transformation d’une économie selon les critères de l’économie libérale.
Or, pour prendre des exemples récents et géographiquement proches, nous considérons que le prix économique et social à payer par les Roumains et, plus récemment, par les Croates pour rejoindre l’Union européenne a été très lourd.
Cela étant, il faut aussi noter que les Moldaves commencent à prendre un certain nombre de mesures importantes sur la voie d’un État de droit, avec en particulier une réforme du système judiciaire et la mise en place de dispositions de lutte contre la corruption et la criminalité.
Ces réformes méritent d’être poursuivies et rendues effectives.
Cependant, une vision optimiste et un peu naïve des choses pourrait laisser croire qu’une mise en œuvre rapide de l’accord d’association serait bénéfique et que le dialogue politique prévu avec l’Union européenne dans le cadre de l’accord serait efficace.
Malheureusement, un certain nombre d’éléments n’en facilitent pas l’application.
Ainsi en va-t-il de l’histoire, de la culture, de la situation politique actuelle de ce petit pays enclavé entre la Roumanie et l’Ukraine, dont les quatre millions d’habitants hésitent entre ce qu’ils espèrent des bienfaits démocratiques et économiques de l’Union européenne et le maintien dans la sphère d’influence russe.
Sa population est majoritairement d’origine roumaine, mais elle comprend aussi de très fortes minorités russes et ukrainiennes en Transnistrie.
Rappelons que cette région industrielle, qui a fait sécession voilà maintenant vingt-trois ans, compte une centrale hydroélectrique représentant à elle seule 40 % du PNB de la Moldavie. La Transnistrie fait aussi partie de ce que l’on appelle « les conflits gelés » et la XIVe armée russe stationne sur son territoire.
Pour couronner le tout, la situation politique récente n’est pas moins compliquée.
Ce pays, qui est certainement le plus avancé sur la voie des réformes du Partenariat oriental, vient récemment de connaître un coup d’arrêt dans son mouvement vers l’Union européenne et est en passe de revenir dans le giron de la Russie.
En effet, malgré des élections qui, en novembre 2014, avaient donné une majorité à trois partis pro-européens, ceux-ci ont tout d’abord été incapables de s’entendre pour former un gouvernement. Leur désaccord portait précisément sur la réforme de la justice exigée de façon insistante par la Commission européenne afin d’éradiquer la corruption qui gangrène ce pays.
En définitive, c’est un gouvernement minoritaire constitué de partis libéraux pro-européens qui a été formé le 18 février, avec le soutien du parti communiste pro-russe.
En contrepartie de ce soutien, les pro-russes demandent de ralentir les réformes convenues avec l’Union européenne et ainsi de freiner l’avancée de la Moldavie vers l’Union.
On le voit, la situation est complexe et il n’est pas inutile de connaître ces éléments pour apprécier correctement les effets de cette ratification.
Cette ratification aidera-t-elle le peuple moldave ? N’y a-t-il pas, en perspective, un nouveau foyer de déstabilisation aux marches de l’Union européenne ?
Les initiatives pressantes – et souvent maladroites – de la Commission européenne ces derniers temps sont à l’évidence souvent mal perçues par une large partie de la population et des forces politiques en Moldavie.
Les principaux ingrédients d’une nouvelle crise géopolitique dans cette région se retrouvent, avec le risque de nouvelles tensions et d’un nouveau conflit avec la Russie.
Les événements récents nous ont montré que, dans cette région, un rapprochement avec l’Europe proposé avec une certaine insistance n’était pas toujours le meilleur moyen de stabiliser un pays.
Dans ces conditions, et face à de telles incertitudes, le groupe communiste, républicain et citoyen s’abstiendra sur ce projet de loi autorisant la ratification de l’accord d’association avec la Moldavie. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, si vous me permettez une parenthèse très personnelle, ce débat me replonge dans mes souvenirs de jeunesse, quand, durant les cours d’histoire, il nous fallait étudier des cartes où apparaissaient la Moldavie, la Valachie, la Bessarabie, la Transylvanie, la Roumanie, toute une onomastique en « ie » bien nécessaire pour qui souhaite comprendre la situation dans les Balkans, la lutte entre l’Autriche-Hongrie, la Russie et l’Empire ottoman.
Mais j’en viens à l’accord d’association signé à Bruxelles le 27 juin 2014 entre l’Union européenne et la Moldavie : il s’inscrit dans un processus d’échanges entamé il y a vingt ans, soit peu de temps après la création de l’État de Moldavie, en 1991.
En effet, un premier accord de partenariat et de coopération avait été signé en juin 1994. Le nouvel accord, fruit du Partenariat oriental auquel la Moldavie participe, vient abroger le précédent et offrir un cadre de relations plus complet.
C’est bien sûr une bonne chose puisqu’il s’agit, sur le principe, de favoriser une coopération politique et économique visant in fine à encourager la stabilité de ce pays, qui se trouve être la frontière orientale de l’Europe depuis l’adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie à l’Union européenne.
Au sein de la politique européenne de voisinage à laquelle la Moldavie participe donc à travers l’accord d’association, il existe également un instrument financier destiné notamment à moderniser les principales institutions publiques, à mettre en œuvre l’accord de libre-échange ou encore à protéger les minorités.
Au titre de cet outil, la Moldavie a bénéficié de 131 millions d’euros en 2014. Force est de constater que le gouvernement moldave est très volontariste dans la mise en œuvre des réformes allant dans le bon sens.
Comme vous le savez, mes chers collègues, depuis le début des années deux mille, même sous la présidence du communiste Vladimir Voronine, la politique de rapprochement avec l’Union européenne n’a jamais cessé et les dernières élections législatives ont confirmé une orientation pro-européenne, bien que la coalition issue du scrutin du 30 novembre reste fragile.
L’Union européenne s’est en tout cas montrée très sensible aux efforts démocratiques engagés par les autorités de Chisinau en octroyant un soutien financier qui place la Moldavie au deuxième rang des pays le plus aidés du voisinage européen, si l’on considère l’aide par habitant.
Depuis ses débuts, la Moldavie a ainsi manifesté un penchant vers l’Ouest, ce qui nous conduit à examiner aujourd’hui cet accord d’association, qui prend un relief particulier en raison de la crise ukrainienne. J’y reviendrai.
Sur le fond, on ne peut que souscrire à ce projet de loi autorisant la ratification d’un accord dont on doit rappeler que les principales dispositions, qui relèvent de la compétence exclusive de l’Union européenne, sont entrées en application à titre provisoire dès le 1er septembre dernier.
Comme l’a excellemment souligné Mme la rapporteur, la portée de l’accord est donc, à ce stade, symbolique.
J’ajoute que, si la France entretient depuis longtemps d’excellentes relations avec la Moldavie, fortement francophone à ce jour, nos échanges économiques avec ce pays sont assez faibles. Sur le plan commercial, l’impact de l’accord à court terme sera donc très limité. Il permettra toutefois – espérons-le – une amélioration du climat des affaires qui pourrait profiter aux investisseurs français.
Dans ces conditions, si nous avons bien compris que l’accord visait à faire transposer par la Moldavie l’acquis communautaire dans de nombreux secteurs, nous savons bien aussi les enjeux géopolitiques de cet arrimage d’un pays de l’Est à l’Europe.
L’affaire de la Crimée en Ukraine nous a rappelé que la Russie ne souhaitait pas céder de son influence dans la région.
En Moldavie, Vladimir Poutine s’est déjà appuyé sur l’antagonisme régional pour conserver un contrôle. Je pense, bien sûr, à la partie orientale de la Moldavie, c’est-à-dire à la Transnistrie, ou République moldave du Dniestr : majoritairement russophone, elle a fait sécession en 1992, une situation qui n’a pas été reconnue par la communauté internationale. Depuis 2013, la Russie a imposé un embargo sur le vin moldave, embargo qui ne s’applique toutefois pas aux entreprises vinicoles de Transnistrie et de Gagaouzie, une autre enclave turcophone sur laquelle Moscou garde aussi un œil.
C’est dans ce contexte délicat que nous allons autoriser la ratification d’un accord qui ne s’appliquera pas immédiatement à la Transnistrie, laquelle représente pourtant à elle seule 40 % du PNB de la Moldavie. Cette situation est regrettable, s’agissant d’un partenariat dont le principal volet consiste à instaurer une vaste zone de libre-échange.
Quoi qu’il en soit, il convient de ne pas attiser cette sourde lutte d’influence entre l’Est et l’Ouest pour ne pas reproduire le schéma ukrainien. Il faut notamment que les relations de la Moldavie avec l’OTAN restent au stade de la coopération. La neutralité de la Moldavie est inscrite dans sa Constitution, ce qui devrait la tenir à l’écart de l’intégration.
Enfin, si la politique européenne de voisinage est distincte de la politique d’élargissement, la Moldavie a déjà exprimé son intérêt en vue d’intégrer l’Union européenne, même si elle n’en a pas fait la demande officielle.
Je pose alors la question : les pays du Partenariat oriental ont-ils vocation à rejoindre, à terme, l’Union européenne ? Bien entendu, je vous exonère, monsieur le secrétaire d’État, de la réponse, puisque je soulève ici le problème des frontières définitives de l’Union européenne, un débat très vaste qui n’est pas celui d’aujourd’hui…
En attendant, conscient des efforts fournis par les autorités moldaves pour moderniser leur pays, le groupe du RDSE apportera son soutien au projet de loi autorisant la ratification de l’accord d’association. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste et de l’UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Yves Pozzo di Borgo.
M. Yves Pozzo di Borgo. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, dans son roman Des mille et une façons de quitter la Moldavie, l’écrivain Moldave Vladimir Lortchenkov dépeint le quotidien d’une galerie de personnages qui, bien que parlant russe, ne rêvent que d’une chose : gagner l’Italie pour devenir riches !
Cela témoigne bien, à première vue, des tiraillements internes à la Moldavie, ancienne république soviétique dans ce que j’appellerai le « proche étranger » de la Russie, mais devenue une jeune démocratie qui regarde vers la grande promesse européenne – ou le grand rêve européen - d’un partenariat économique. Pour autant, l’avenir de la Moldavie n’a pas vocation à devenir un facteur de rupture entre les deux parties de l’Eurasie ; il doit plutôt favoriser le partage, les échanges et les synergies. Les rêves font heureusement partie de tout engagement politique !
En soit, le présent projet de loi que nous examinons ce jour au Sénat aurait pu paraître bien modeste. La ratification d’un accord de partenariat politique, et surtout économique, dont l’essentiel des stipulations est de la compétence de l’Union, avec un pays de 3,6 millions d’habitants pour une superficie de 33 000 kilomètres carrés, ne devait en principe pas conduire la conférence des présidents à demander l’examen de ce texte selon la procédure ordinaire qui nous permet un débat en séance publique ce soir.
Mais la Moldavie est structurellement tiraillée entre ses espoirs européens et son histoire, qui la rapproche de la sphère d’influence russe. C’est donc le produit à la fois de l’histoire et de la géographie. Toutefois, tiraillement ne veut pas dire nécessairement division.
L’affaire de la Transnistrie, que Mme la rapporteur et certains de mes collègues ont exposée avec une grande clarté, en est la parfaite illustration. En effet, nous sommes face à une minorité très active qui, après une tentative de sécession lors de l’effondrement de l’Union soviétique, est parvenue à une autonomie administrative et demande maintenant son rattachement à la Fédération de Russie.
Cette question a pris une tournure d’autant plus délicate que c’est à l’occasion du déclenchement de la crise géopolitique en Ukraine, en mars dernier, que la Transnistrie a formulé sa demande. On pourrait craindre a priori qu’un tel rattachement ne soit pas sans conséquence sur le règlement de la question ukrainienne, puisqu’une Transnistrie russe viendrait renforcer le sentiment d’encerclement du gouvernement de Kiev.
Toutefois, dans ce jeu diplomatique, nous avons suffisamment de sens politique pour le comprendre, il ne semble pas inconcevable que la demande du parlement de Transnistrie ait été pilotée par Moscou. Ainsi, le succès apparent de la conclusion des accords de Minsk 2, attesté tant par les déclarations des ambassadeurs de l’OSCE à Vienne – Alain Néri et moi-même étions présents – et devant le Conseil de sécurité, que par les quatre hauts négociateurs – Petro Porochenko, Angela Merkel, Vladimir Poutine et François Hollande –, contribue à nous redonner espoir, sinon dans le règlement total de la crise ukrainienne, à tout le moins dans l’application de ces accords. Grâce à cela, nous entrevoyons, indirectement, une accalmie pour Kiev susceptible de faire refluer les tensions en Transnistrie.
Dès lors, rien ne porte à croire que la Moldavie puisse traverser les mêmes troubles que ceux auxquels l’Ukraine a dû faire face depuis l’année dernière. L’Union européenne a donc un véritable rôle à jouer.
En effet, j’aime à croire, mes chers collègues, en ces temps où l’euroscepticisme bat son plein, que l’Europe peut encore s’imposer comme un pôle de stabilité et de prospérité pour notre continent. Quand on voyage dans le voisinage de l’Union européenne, on se rend compte de l’espérance qu’elle représente ! Les Moldaves ne regardent plus vers la seule Italie ; ils scrutent l’Europe entière. Pourquoi ? Parce que l’Union européenne a su faire la preuve, depuis le précédent partenariat économique de 1998, de son efficacité.
Ce nouvel accord ira plus loin. Son titre V est un véritable accord de libre-échange. De ce commerce, la Moldavie espère tirer une vigueur et une prospérité économique qui doit lui permettre de choisir librement son destin et donc de répondre à ses propres défis internes.
La Transnistrie est une région économiquement importante pour la Moldavie, dont elle représente 40 % du PIB. Le reste du territoire moldave attend donc de l’Europe les moyens concertés de son développement afin de ne plus être un pays que l’on aide, à hauteur de 136 millions d’euros par an, mais de devenir un véritable partenaire commercial. C’est l’ambition des autorités moldaves – j’espère qu’elles vont atteindre leur objectif –, c’est également celle de ces jeunes dont la situation se dégrade fortement du fait de la crise et que nous accueillons le plus souvent en Europe dans le cadre de leurs études universitaires.
À ce titre, je souhaiterais saluer les efforts de la jeune République de Moldavie vers une meilleure démocratie.
De nombreux progrès en matière de transparence dans l’organisation des élections ont été relevés depuis 1991 et surtout depuis les élections de 2005, de 2009 et plus récemment de 2014.
Les troubles institutionnels et politiques que la Moldavie a traversés ces dernières années – je pense notamment à l’affaire de « l’incident de chasse » de 2013 – ont été surmontés par des réformes et des élections l’an dernier qui ont encore accentué l’ancrage économiquement pro-européen de la Moldavie en prouvant que l’alternance politique y était possible dans la paix. La Commission européenne l’a elle-même reconnu dans ses analyses menées dans le cadre de la politique de voisinage de l’Union.
Nous avons également constaté, lors de notre déplacement en Ukraine comme observateurs pour les élections législatives, un véritable sentiment d’appartenance à la nationalité moldave - pour 76 % des habitants de la République, selon Mme le rapporteur.
Outre le problème de la Transnistrie, un mode de coexistence pacifique a été trouvé avec la minorité gagaouze, orthodoxe mais turcophone. Le rattachement à la Roumanie a été presque unanimement refusé en 1994, et le nouveau gouvernement entend relancer le processus de négociation avec les autorités de Transnistrie tout en gardant de bonnes relations avec la Russie.
Justement, quid de la Russie dans tout cela ?
Je crois fermement, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, qu’il ne faut pas opposer la Russie à l’Union européenne, ni même au monde occidental. Nous n’avons pas à garder une posture défensive. Il faut en être conscient : nous avons des intérêts économiques, culturels, politiques et énergétiques à travailler en commun.
Le Président de la République, à Astana, au Kazakhstan – j’étais avec lui lors de ce voyage, il y a deux mois –, s’était d’ailleurs étonné devant les Français de l’étranger du fait que les souhaits de bons rapports entretenus par l’Ukraine à l’égard de l’Europe n’interdisaient pas, au demeurant, qu’elle entretienne d’aussi bonnes relations avec la Communauté économique eurasiatique. Ce qui est ici vrai pour l’Ukraine l’est également pour la Moldavie.
Cette remarque de François Hollande est d’ailleurs à l’origine des accords de Minsk : l’action du Président de la République et celle de la Chancelière, Angela Merkel, ont en effet permis le retour de l’Europe dans la diplomatie ukrainienne, avec, nous l’espérons, la perspective d’une issue favorable.
Ce n’est même pas un choix pour l’Union et la Russie, c’est une nécessité dictée par la géographie même. La dualité moldave n’est donc pas aporétique, elle peut, bien au contraire, être une source de complémentarité et créer une meilleure synergie entre la Russie et l’Union européenne.
La Moldavie n’a d’ailleurs jamais fait part d’un quelconque souhait d’adhérer à l’OTAN. Dès lors, rien ne laisse songer que la Russie pourrait prendre ombrage de l’approfondissement d’une politique économique qui a été engagée dans les années quatre-vingt-dix.
Nous sommes bien face à un texte économique avant toute chose, et c’est sur ce terrain que la Moldavie peut devenir l’un des éléments d’un renouvellement des relations entre les deux branches de l’Eurasie.
Pour l’ensemble de ces raisons, les sénateurs du groupe UDI-UC voteront en faveur du présent projet de loi de ratification, en espérant qu’il contribue à ce qu’il y ait à l’avenir davantage de raisons de se rendre en Moldavie que de la quitter ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, du RDSE, du groupe écologiste et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Gisèle Jourda.
Mme Gisèle Jourda. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la rapporteur, mes chers collègues, je tiens à commencer mon intervention par des remerciements.
Je remercie tout d’abord notre gouvernement d’avoir demandé l’examen de ce projet de loi quelques mois après la signature de cet accord d’association.
Je remercie également la conférence des présidents, qui a décidé de ne pas mettre en œuvre la procédure d’examen simplifié, prévue par l’article 47 decies du règlement du Sénat, mais a souhaité que nous procédions à l’examen de ce texte en la forme normale.
Le contexte géopolitique dans lequel cet accord intervient justifie, je le pense très sincèrement, que le Parlement se saisisse pleinement de cette question et témoigne justement de l’importance que nous accordons à cette convention qui est, à mon sens, eu égard au contexte géopolitique actuel, primordiale pour la Moldavie et les Moldaves.
Je remercie, enfin, Mme la rapporteur, pour son travail fourni et éclairé, témoignant de son excellente connaissance de la Moldavie.
Le sommet de Vilnius, en novembre 2013, était annoncé comme une étape cruciale du rapprochement des pays du Partenariat oriental avec l’Union européenne. Les événements récents et actuels nous montrent que, si ce sommet a écrit un nouveau chapitre des relations entre l’Union européenne et la Géorgie, et entre l’Union européenne et la Moldavie, il a contribué à accroître les tensions entre la Russie et l’Ukraine.
Hasard de notre calendrier parlementaire, l’examen qui nous rassemble aujourd’hui a lieu dix jours après le premier anniversaire du soulèvement de Maïdan, et quatre jours après le premier anniversaire de la prise du parlement de Crimée par un commando pro-russe.
Oui, mes chers collègues, je partage les mots de notre éminent collègue Jean-Pierre Chevènement lorsqu’il explique que la Russie n’a pas vu d’un bon œil, et c’est peu dire, les révolutions de couleur dans les pays qu’elle considère comme son « étranger proche », sa zone d’influence traditionnelle, en quelque sorte. Disons-le clairement, certains pays de la Communauté des États indépendants sont devenus un enjeu entre l’Union européenne et la Russie avec, en arrière-plan, l’OTAN et les États-Unis, peu désireux, admettons-le, d’atténuer les tensions.
Le refus de Kiev de signer l’accord d’association et de libre-échange que leur proposaient les Vingt-Huit, a mis en évidence l’échec de la stratégie du Partenariat oriental, lancée en 2009 pour stabiliser et arrimer à l’Europe les ex-républiques soviétiques, et faire ainsi du voisinage de l’Union européenne un espace sécurisé et prospère. Les négociations avaient pourtant été engagées depuis cinq ans entre Kiev et Bruxelles, et plusieurs milliards d’euros avaient été investis par Bruxelles en faveur de la modernisation politique et économique de ce pays.
C’est la crise de la « troisième Europe » qui a ici été mise en évidence. En effet, l’Union européenne n’a jamais proposé une perspective claire d’intégration aux ex-républiques soviétiques, contrairement à ce qu’elle a fait pour les pays de l’Est après la chute du Mur.
Beaucoup ont pensé que ce refus de Kiev briserait l’élan du Partenariat oriental pour de nombreuses années. Mais, comme l’a souligné le président du Conseil européen de l’époque, Herman Van Rompuy, c’était compter sans « la détermination, le courage et la volonté politique des dirigeants géorgiens et moldaves ».
J’en viens, par ces considérations, au territoire qui nous occupe ce soir : la Moldavie. Ce pays est bien pauvre, mais riche d’influences contrastées. Moldaves et Roumains y représentent près de 80 % de la population, les 20 % restants étant composés d’Ukrainiens, de Russes, de Gagaouzes, de Bulgares et de Roms.
Le roumain est devenu la langue officielle de Moldavie le 31 août 1989, soit deux ans avant la proclamation de l’indépendance du pays, et alors même que l’Union soviétique imposait l’alphabet cyrillique depuis 1924 à la République soviétique moldave. C’était là un premier pas, plus que symbolique, dans le sens d’un rapprochement vers l’Ouest et en faveur de liens privilégiés avec la France.
Oui, mes chers collègues, gardons à l’esprit que la Moldavie est le pays d’Europe orientale le plus francophone, devant la Roumanie. Mme la rapporteur l’a rappelé, plus de 50 % des élèves moldaves choisissent d’apprendre le français à l’école. Ces traditions linguistiques et a fortiori culturelles ont été qualifiées par l’ancien Premier ministre moldave de symboles d’une « francophonie de cœur ».
En outre, il convient de rappeler les relations économiques, qui font de la France l’un des principaux investisseurs étrangers en Moldavie.
Ces diverses raisons concourraient à la construction de l’orientation pro-européenne de la Moldavie – mais limitée aux frontières de l’OTAN, entendons-nous bien !
Comme il importe de ne pas restaurer le passé, il convient aujourd’hui de ratifier cet accord d’association, nouveau jalon de l’évolution des relations entre la Moldavie et l’Union européenne.
En négociation depuis janvier 2010, l’accord d’association a été accepté lors du sommet de Vilnius, en novembre 2013. Il a été signé le 27 juin dernier à Bruxelles, puis ratifié par la Moldavie quelques jours plus tard, le 2 juillet 2014.
Les précédents orateurs ont largement détaillé les dispositions de ce texte. En conséquence, je ne les évoquerai que brièvement.
Il s’agit d’un accord mixte, conclu entre la République de Moldavie et plusieurs entités juridiques : l’Union européenne, la Communauté européenne de l’énergie atomique et chacun des États membres de ces deux organisations.
Ce texte vise à renforcer la coopération politique entre l’Union européenne et la Moldavie, ainsi que leur coopération économique et sectorielle, en favorisant une convergence des réglementations et des normes et en libéralisant les échanges. À ce titre, il repose sur deux piliers : un accord de libre-échange et une intégration par la Moldavie des acquis de l’Union européenne dans les nombreux domaines concernés.
Par son titre VII, cet accord institue plusieurs instances de dialogue, notamment un conseil d’association composé de membres du Conseil de l’Union européenne et de la Commission européenne ainsi que de membres du gouvernement moldave.
Ce conseil est chargé de contrôler la mise en œuvre par les parties des différents volets de l’accord d’association. Sa première réunion était prévue pour juin 2015, mais elle a été reportée dans l’attente de la formation d’un nouveau gouvernement moldave. Celui-ci a été constitué le 18 février dernier.
Après deux mois de confusion politique, un gouvernement de coalition a été formé, dont la nature est pour le moins surprenante. Notons tout de même que Chiril Gaburici, le nouveau Premier ministre, a assuré pendant sa campagne électorale qu’il poursuivrait le processus de rapprochement avec l’Union européenne mené par son prédécesseur. Nous nous devons de conforter ces ambitions en entretenant des relations soutenues, car la ligne pro-européenne doit continuer à prévaloir.
En effet, il faut que les Moldaves perçoivent les bénéfices de ces changements, qui ne sont pas uniquement économiques : cet accord constitue également un puissant levier de modernisation politique et sociale.
Je forme le vœu que cet accord contribue à débloquer la situation en Transnistrie. Nous devons être capables d’éviter une escalade des tensions dans cette région où tant de russophones tournent des regards impatients vers Moscou.
Le temps de l’action est venu : il est temps d’intensifier la lutte contre la corruption, temps de poursuivre la lutte contre la criminalité, notamment la criminalité organisée, temps d’apaiser les tensions au sein de la société moldave.
Oui, il est grand temps que l’ensemble de la population moldave soutienne à nouveau massivement le processus d’intégration européenne. Il est nécessaire en effet que les Moldaves considèrent leur histoire à long terme et cessent d’être esclaves de la conjoncture dans laquelle les sphères d’influence voisines ont bien voulu les placer et les maintenir.
Mes chers collègues, vous l’aurez compris, les membres du groupe socialiste voteront avec conviction pour la ratification de cet accord.
Pour conclure, je tiens à faire miens les mots de Mme la rapporteur, en refusant d’exclure « la perspective européenne de la Moldavie ». Bien sûr, politique de voisinage ne signifie pas élargissement. Nous mesurons le sens de cette distinction, que plusieurs avant moi ont rappelée. Reste que la Moldavie est historiquement et culturellement partie intégrante de notre continent. Elle y a toute sa place !
Cet accord est un repère important dans les tentatives de sortie de crise de la « troisième Europe ». À cet égard, l’Union européenne doit prendre ses responsabilités, toutes ses responsabilités.
Si nous ne pouvons revenir en arrière, nous devons cesser de tergiverser. Un très vieux film de propagande soviétique faisait dire à l’un de ses personnages : « Le fouet royal roumain est plus rude que le bâton de l’ancien tsar. » Ce qui fait désormais le plus mal, mes chers collègues, c’est l’immobilisme. Aussi, je vous invite à voter en faveur de la ratification de cet accord ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Christian Cambon, vice-président de la commission des affaires étrangères, et M. Bernard Fournier applaudissent également.)