M. le président. La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, à la veille de l’élection des nouvelles assemblées départementales, le débat que nous tenons, sur l’initiative de la majorité sénatoriale, est de nature à éclairer l’électeur sur les défis que les départements doivent relever dans un contexte contraint.
Si le sujet est donc d’actualité, force est de constater qu’il l’est depuis longtemps – trop longtemps – et que chacune des majorités successives depuis les lois de décentralisation de 1982 a sa part de responsabilité dans cette situation. Si l’examen de conscience ne doit exempter personne, la volonté de tirer les départements de ce mauvais pas doit en revanche engager tout le monde.
À cet égard, en relisant mon « Petit Vallini », je me suis dit qu’il y avait des raisons d’espérer. (Sourires.) En 2010, monsieur le secrétaire d’État, vous disiez, à propos de la réforme territoriale : « elle est une occasion manquée […] elle passe à côté du problème des ressources des collectivités territoriales, ce que je regrette profondément. » J’ai alors pensé : chouette, ça va changer ! Las, nous sommes restés au point mort.
M. Éric Doligé. Vous êtes bien naïf ! (Nouveaux sourires.)
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Commençons par le constat partagé et l’origine des déséquilibres auxquels les départements doivent faire face. Si je prends l’exemple de l’Yonne, département que je connais bien et que j’ai l’honneur de représenter, la moitié des 400 millions d’euros environ de son budget est constituée de dépenses d’action sociale dont les règles de gestion sont fixées au plan national. Ces prestations sociales se répartissent en quatre quarts, dont le poids est peu ou prou équivalent : la famille et l’enfance, les personnes âgées, l’insertion et les personnes handicapées.
Là où le bât blesse, c’est que l’on constate un différentiel croissant, d’année en année, entre les recettes perçues au titre des compétences sociales transférées et les dépenses à engager. Si je prends le volet insertion-RSA, la crise économique a entraîné une hausse du seul RSA de 9 % en 2013 et de 10 % en 2014. Du coup, le reste à charge pour un département comme l’Yonne s’établit à 17 millions d’euros, soit l’équivalent des montants relatifs au fonctionnement et à l’investissement cumulés dédiés aux collèges... C’est vous dire ce que l’on pourrait faire si une juste compensation était mise en œuvre.
J’ajoute que lorsque le département souhaite amplifier le travail de lutte contre la fraude sociale sur ce volet, afin que chaque euro dépensé le soit utilement, et propose de financer des postes supplémentaires de contrôleur au sein de la CAF, ses représentants sont renvoyés à leurs chères études...
Alors que le Premier ministre a fait ce jour des annonces concernant le RSA et la prime pour l’emploi, nous attendons, monsieur le secrétaire d’État, de l’exemplarité dans ce dossier, surtout si les départements devaient s’en trouver financièrement affectés.
Sur le volet des personnes âgées, par exemple, le reste à charge de l’Yonne s’élève à 20 millions d’euros. Au total, près de 40 millions d’euros de charges sont supportés par le département en lieu et place de l’État, ce qui représente tout de même 10 % du budget global, soit l’équivalent de son plan numérique, alors que ce domaine suscite des attentes très fortes dans nos territoires et que nous pourrions doubler la mise.
Reconnaissez qu’il ne s’agit pas d’une paille et qu’il est déjà miraculeux que les départements aient pu proposer des budgets à même d’absorber cette charge, ce qui s’est fait au prix de révisions drastiques des autres politiques départementales.
Oui, j’en conviens, la décentralisation et ses différentes étapes n’ont pas toujours été accompagnées par le transfert des meilleures recettes. Il est évident que le dynamisme de celles-ci n’était pas forcément à la hauteur, je pense notamment à la TIPP. Et si les fractions de TIPP sont ajustées régulièrement en loi de finances, c’est plus pour couvrir le coût historique constaté par l’État que pour tenir compte du coût réel décaissé. Le Parlement s’est toujours montré ingénieux quand il s’est agi de trouver des rustines… Le FMDI, le fonds de mobilisation départementale pour l’insertion, est né dans cette enceinte, et les fonds de péréquation divers et variés qui ont été évoqués permettent d’apporter une petite poire pour la soif, mais ces dispositifs ne sont pas à la hauteur des enjeux ni des écarts.
Cela étant, par souci d’équité, il faut reconnaître que ce mode de compensation est celui qui prévaut depuis la mise en place de l’acte I de la décentralisation sous le gouvernement de Pierre Mauroy.
Il suffit d’ailleurs de comparer la dotation perçue par les départements pour les collèges et les sommes effectivement dédiées à cette politique à périmètre constant pour voir que le mal était déjà en germe. Dans le cas de l’Yonne, la dotation de l’État attribuée aux collèges s’élève à 1,6 million d’euros, soit une somme équivalente à celle qui était versée en 1982, alors que les dépenses, elles, s’établissent à 7,3 millions d’euros en 2013 : on passe du simple au quadruple…
Certes, la compensation des transferts et extensions de compétences est un principe à valeur constitutionnelle depuis la réforme du 28 juin 2003. Mais si notre ancien collègue Daniel Hoeffel avait été plus écouté lors des débats sur la loi organique relative à l’autonomie financière des collectivités territoriales, peut-être n’en serions-nous pas là !
En effet, la rédaction de ce texte législatif qui a été adopté en 2004 restait en deçà des ambitions que nourrissaient alors le Sénat et un certain nombre d’associations représentant les collectivités. Une conséquence de cette situation est que le Conseil constitutionnel peut veiller au respect des dispositions de l’article 72-2 de la Constitution sans que cela empêche l’accroissement du décalage financier bien réel entre les recettes affectées à ces transferts et les charges croissantes que doivent supporter les départements – au point que, d’une certaine manière, le principe de libre administration des collectivités tend à perdre de son sens.
Naturellement, la crise à laquelle nous faisons face depuis 2008 n’a pas arrangé les choses, puisqu’elle a provoqué un véritable affaissement des recettes – je pense notamment à la forte chute des DMTO. Il en a résulté pour les collectivités un effet de ciseaux qui devient aujourd’hui insupportable et qui oblige à réduire la voilure en matière d’investissements.
Or, lorsqu’on sait que les collectivités locales représentent 70 % de la commande publique, on mesure toute l’incidence que cette situation peut avoir sur un certain nombre de filières économiques et donc sur de nombreux emplois locaux, qui se retrouvent sur la sellette.
De surcroît, les départements n’ont quasiment plus de base fiscale sur laquelle prendre appui. Non seulement dotations et recettes ne sont pas au rendez-vous, mais, en outre, monsieur le secrétaire d’État, l’État fait peser sur les collectivités un effort trop important en matière de redressement des comptes publics.
Dans ces conditions, que reste-t-il du discours prononcé en 2012 à Dijon par François Hollande, qui, avec des trémolos dans la voix, assurait aux élus locaux qu’il n’y aurait « pas de baisse des dotations » ? Eh bien, nous voilà réduits, si je puis m’exprimer ainsi, à payer la chambre !
Les seuls départements vont devoir supporter une baisse de 1,5 milliard d’euros de dotations en 2015 et la DGF a déjà diminué de 3,3 % en 2014. Tout cela n’est pas de bon augure pour le dynamisme de nos territoires.
Je connais l’antienne, entonnée par quelques beaux esprits, appelant, je cite la vulgate, à freiner les dépenses de fonctionnement des collectivités territoriales, comme le préconise effectivement la Cour des comptes dans son rapport du mois d’octobre 2013. Mais, dans ce cas, il faut cesser de transférer aux collectivités nombre de missions que l’État n’est plus en mesure d’assumer ou de financer ! Les départements, les communes et les intercommunalités sont réduits aux rôles de voitures-balai de la République et de l’État !
Je prends l’exemple de la fin de l’instruction des documents d’urbanisme par les directions départementales des territoires. Pour la communauté de communes du Gâtinais en Bourgogne, que je connais bien, cela l’oblige à financer un équivalent temps plein supplémentaire !
M. Loïc Hervé. Exactement !
M. Jean-Baptiste Lemoyne. On le voit bien, si ces tendances financières et budgétaires se poursuivent, monsieur le secrétaire d’État, vous avez beau avoir renoncé, en paroles, à la suppression des départements, si rien n’est fait, en actes, vous les condamnez effectivement.
Pour conclure, l’ère des présidents de conseil général bâtisseurs a sans doute vécu, et, malheureusement, nous entrons, semble-t-il, dans l’ère des présidents de conseil général chefs de bureau chargés de gérer des guichets d’aide sociale… On assiste ni plus ni moins à une recentralisation, avec des départements croupions qui ne sont plus que des opérateurs de la politique sociale de l’État.
Il y a donc un vaste chantier à ouvrir. Il faut remettre au goût du jour le principe de subsidiarité et nous devons, nous autres élus ruraux de tout bord, nous unir pour faire entendre la voix du bon sens à nos gouvernants. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Lalande. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Bernard Lalande. Les récents débats sur le projet de loi NOTRe ont montré à quel point les sénateurs sont attachés à une division territoriale de proximité.
Autant le débat fut riche sur les frontières et sur les compétences, autant il est resté très superficiel sur le financement de cette réforme structurelle et ambitieuse.
De la commune en passant par les EPCI, les métropoles, les conseils départementaux, les régions et la multitude de syndicats et autres organismes publics ou parapublics, chacun a voulu conserver son pré carré, complexifiant ainsi les futurs critères de financement.
Par ailleurs, les conséquences sur l’activité économique de la crise financière de 2008, la désindustrialisation de notre pays, laquelle n’a pas été anticipée dès les années 2000, et l’amplification du recours à l’emprunt comme variable d’ajustement pour éviter de prendre des mesures réalistes amènent aujourd’hui le Gouvernement à corriger les erreurs du passé et à adapter notre pays à la nécessaire mutation des économies occidentales.
Les mesures d’économies proposées par le Gouvernement sont, pour la majorité politique du Sénat, insuffisantes à l’échelon national. Pourtant, dès qu’il s’agit de faire participer les conseils départementaux au redressement de notre pays en minorant la DGF, les mêmes élus expriment leur désapprobation.
M. Guy-Dominique Kennel. C’est faux !
M. Bernard Lalande. Ils demandent plus à l’État, qu’ils trouvent, par ailleurs, impécunieux, comme si les erreurs du passé avaient été effacées par le changement de majorité présidentielle. Par pure curiosité, j’aimerais qu’on nous indique comment on peut prévoir un plan d’économies de 100 ou 150 milliards d’euros sans toucher aux recettes des conseils départementaux.
M. Claude Bérit-Débat. Eh oui !
M. Éric Doligé. Je vais vous le dire !
M. Bernard Lalande. Représentants des collectivités territoriales, nous n’avons pas d’autres choix que d’élaborer une nouvelle architecture de la fiscalité territoriale, en particulier de la DGF, parce que nous sommes légitimes pour le faire, parce qu’un très grand nombre d’entre nous exerce ou a exercé des fonctions de responsable de collectivité, parce que nous avons l’expérience, et parce que, tout simplement, tel est notre rôle de législateur.
Le constat de la Cour des comptes sur la situation financière des conseils départementaux met en évidence la fragilité croissante des finances départementales. Cette fragilité ne date pas d’hier, puisque, pour la cinquième année consécutive, le niveau d’investissement des départements va baisser. Ainsi, depuis 2009, ce sont 3,3 milliards d’euros qui n’ont pas profité à l’aménagement territorial et à la solidarité avec les communes rurales.
Les dépenses de fonctionnement sont principalement dédiées aux dépenses sociales, qui ont augmenté de 10 % depuis 2009. Le RSA représente, à lui seul, 30 % de ces dépenses, l’aide aux personnes âgées 24 % et l’aide aux personnes handicapées 22 %.
Les départements sont donc confrontés, inexorablement, à un effet de ciseaux, et se trouvent pris entre la non-évolution de leurs recettes et l’augmentation de leurs dépenses. Ils maîtrisent d’autant moins ce fait que nos concitoyens sont eux aussi fragilisés par la situation économique globale du pays. Cet effet est aggravé, il faut l’admettre, par l’accroissement des dépenses de fonctionnement courant dû, en partie, à une augmentation de la masse salariale, qui aurait, selon les déclarations de M. le secrétaire d'État au budget, Christian Eckert, progressé de 4 % en 2014. L’état des finances de nos conseils départementaux est la conséquence de la fragilisation de nos concitoyens.
Cela étant, nous sommes élus non seulement pour les jours heureux, mais aussi, et peut-être surtout, pour apporter une réponse à ceux qui ont besoin d’équité et de justice sociale. Quelle est la plus belle réforme des quinze dernières années, si ce n’est celle qui a permis aux plus âgés d’entre nous de continuer à vivre chez eux ? L’APA a un coût, mais l’APA est justice, l’APA est tout à l’honneur des réformateurs !
M. Jacques Chiron. Très bien !
M. Bernard Lalande. Nous ne pouvons pas être les défenseurs de la proximité citoyenne si nous ne répondons pas aux attentes des plus fragiles de nos concitoyens.
Le Gouvernement a déjà su réagir face à l’urgence par la conclusion du pacte de confiance et de solidarité entre l’État et les collectivités.
L’accord intervenu au mois de novembre dernier sur le financement pérenne des AIS est historique : depuis les différentes vagues de décentralisation, pour la première fois, l’État accepte de déclencher une aide de cette ampleur, qui plus est dans un contexte tendu pour les finances publiques.
Au total, les mesures prises ont permis de débloquer quelque 1,6 milliard d’euros pour les budgets départementaux de 2014. D’une part, le transfert des frais de gestion du foncier bâti a représenté une manne de 827 millions d’euros. D’autre part, grâce à la possibilité de relever le taux des DMTO jusqu’à 4,5 %, quatre-vingt-dix départements ont perçu au total 800 millions d’euros de recettes supplémentaires, auxquels il convient d’ajouter les dispositifs particuliers aux départements d’Île-de-France. (Exclamations sur certaines travées de l'UMP.)
M. Guy-Dominique Kennel. Et les contreparties ?
M. Bernard Lalande. Je vous invite à vérifier ces chiffres, mes chers collègues ! Sans ces recettes complémentaires, les marges de manœuvre des départements auraient chuté de 22 %.
La stabilisation de ces mesures au-delà de 2016, souhaitée par l’Association des départements de France, permettra de réduire l’effet de ciseaux ainsi que les inégalités relatives au reste à charge en matière d’AIS.
Toutefois, le temps nécessaire au redressement économique du pays, condition de la baisse du chômage, ne permet pas d’espérer que ces dispositions seront suffisantes.
Il nous faut poursuivre dans les deux voies possibles de la recherche d’économies et de la création de nouvelles ressources pour les départements, d’où l’impérieuse nécessité de réformer en profondeur la DGF.
Permettez-moi de conclure mon propos par des éléments empruntés à l’excellente communication sur les perspectives d’évolution de la dotation globale de fonctionnement faite par notre collègue François Marc, le 22 octobre dernier devant la commission des finances : « il est presque impossible de fournir une signification scientifique et objective des critères de répartition de la DGF. »
M. Bernard Lalande. « […] pour assurer une mesure objective, il faut pouvoir distinguer ce qui relève des charges d’une collectivité et ce qui relève de ses choix en matière de services publics, et donc de neutraliser les "choix politiques". »
François Marc précisait en outre que la répartition des charges doit reposer sur une juste évaluation des charges et des richesses des collectivités territoriales, ce qui constitue le point le plus polémique, dans la mesure où chaque collectivité défend sa « situation spécifique ».
Paradoxalement, l’une des personnes auditionnées affirmait que, à force d’additionner les critères contradictoires, on aboutissait à la même répartition de la DGF que si on l’avait répartie en fonction de la population.
Le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République offre l’opportunité de répondre aux problèmes de financement de nos conseils départementaux. C’est pour nous, sénateurs, une occasion unique de travailler collectivement à une redéfinition de la fiscalité territoriale et à son adaptation aux compétences que la future loi attribuera aux départements. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Éric Doligé.
M. Éric Doligé. Monsieur le secrétaire d’État, que de critiques ! Et vous avez pu noter qu’elles venaient aussi bien de la droite que de la gauche de l’hémicycle. C’était presque un réquisitoire ! Vous avez aussi pu remarquer que, très souvent, la droite a applaudi les orateurs de gauche. Certes, on n’a pas vu l’inverse… Le seul que je n’ai pas vu applaudir la gauche, c’est M. Rachline, lequel n’a pas pu s’empêcher de parler de l’« UMPS » ; pour ma part, je pensais plutôt au « FNPS » ! (Protestations et marques de consternation sur les travées du groupe socialiste.)
Il me serait facile de vous montrer, chers collègues, que les programmes de ces deux partis présentent de nombreux points communs.
Mais j’en viens au sujet qui nous occupe.
Le 27 janvier dernier, le Sénat débattait de l’évolution des finances locales. À cette occasion, Mme Lebranchu et vous-même, monsieur le secrétaire d'État, étiez censés répondre à nos multiples interrogations. Malheureusement, les réponses que vous nous avez fournies ne correspondaient pas à nos questions.
Ainsi, quand nous vous parlions des 50 milliards d’euros d’économies et des 11 milliards d’euros prélevés en trois ans sur les collectivités, vous nous répondiez que l’UMP proposait pour sa part « un plan de 150 milliards d’euros d’économies ». Il s’agissait évidemment d’une diversion, non d’une réponse à nos demandes de précisions !
Du reste, l’opposition a le droit de formuler des propositions – n’est-ce pas son rôle ? –, surtout si elles sont argumentées, et c’est bien le cas. Le problème, c’est que, ces propositions, vous ne les écoutez pas !
Puis-je vous rappeler que vous êtes au pouvoir depuis bientôt trois ans et que la responsabilité de la situation vous incombe totalement ? Votre rôle n’est pas de critiquer l’opposition, mais de gouverner !
L’UMP propose donc ses solutions : simplification, retour aux 39 heures, non-remplacement de certains départs à la retraite de fonctionnaires, rétablissement du jour de carence, poursuite de la réforme des retraites, modification du dispositif de la TVA pour taxer plus fortement les importations.
Mais là n’est pas la question. Je le répète : étant au pouvoir, vous devez cesser de vous défausser.
Parlons donc des départements et de votre action en la matière. Vous savez que les difficultés budgétaires qu’ils rencontrent tiennent à un seul facteur : le dérapage continu des politiques sociales, le reste à charge ne faisant qu’augmenter au fil du temps.
Dès que le nouveau Président de la République s’est installé à l’Élysée, en 2012, nous lui avons demandé de nous recevoir afin de lui présenter la problématique financière des départements. Vous étiez alors président de conseil général, monsieur le secrétaire d’État, et c’était Mme Lebranchu qui suivait ce dossier en tant que ministre de la décentralisation.
Le 22 octobre 2012, il accordait à l’Élysée une entrevue à quatorze présidents de conseil général – beaucoup d’entre eux sont présents aujourd'hui, par exemple Bruno Sido –, avec une douzaine de ministres, dont Jean-Marc Ayrault, alors Premier ministre, qui a pris des notes.
Le Président de la République nous a expliqué que nous pouvions compter sur lui, ancien président du conseil général de Corrèze : il répondrait à nos besoins et sanctuarisait les départements. Or rien de tout cela n’est arrivé !
La dernière de ses promesses, la compensation des 4 milliards d’euros de reste à charge annuel, n’a pas non plus connu la suite attendue…
En définitive, nous n’avons obtenu, péniblement, voilà un an, que 2 milliards d’euros, dont 50 % via l’autorisation d’augmenter pour deux ans les DMTO. Ce droit vient d’être pérennisé : c’est que le seul témoignage de la capacité du Gouvernement à tenir ses engagements et à nous permettre de trouver des solutions. En vérité, nous sommes face à une taxe supplémentaire pour le citoyen, prélevée par les départements en compensation des 11 milliards d’euros de ponction sur les collectivités.
Ce rapide rappel vise simplement à montrer que les engagements et promesses n’ont pas été tenus et que rien n’est réglé.
Les collectivités ne sont pas responsables des 2 000 milliards d’euros de dettes de l’État.
Ainsi que cela a été souligné, dans leur structure budgétaire, les départements ne disposent, au mieux, que de 20 % de fiscalité directe. Par ailleurs, l’État décide de l’essentiel de leurs dépenses en déterminant le montant des prestations, sans parler des multiples transferts non financés.
Pour minimiser la réalité de l’effondrement des budgets départementaux, le Gouvernement utilise une accumulation de dispositifs de péréquation devenus complexes et illisibles.
Le 27 janvier, j’avais proposé d’envisager pour les départements une péréquation fondée sur de véritables critères de bonne gestion. Je les rappelle ici : le rythme d’évolution de la masse salariale, le rythme d’évolution des charges à caractère général, mais aussi le rythme d’évolution des taux d’imposition et du taux d’épargne ; au lieu de pénaliser les plus vertueux, il faudrait les encourager ! Sur aucun de ces points, je n’ai reçu la moindre réponse de votre part.
Autre proposition demeurée sans réponse, celle tendant à faire reposer la nature et la répartition des ressources fiscales sur des principes simples et lisibles par tous. Il n’est plus possible d’affecter des impôts procycliques à des dépenses également procycliques. Comment peut-on financer le RSA, qui ne cesse d’augmenter, au moyen de DMTO, qui, eux, baissent et peuvent subir des fluctuations considérables ?
Mais vous ne répondez pas ! Nos débats sont pourtant faits pour entendre vos réponses, et non des généralités repoussant sans cesse les solutions et nous plongeant dans l’abîme des futurs déficits.
Je décrirai une nouvelle fois la situation de mon département, le Loiret. Elle tend à se rapprocher de celle de tous les départements. La réévaluation du RSA, c’est 1 % du budget ponctionné ; la baisse de la dotation globale de fonctionnement, c’est 2 % ; la perte de produit de l’écotaxe, c’est 1 % ; la péréquation de la CVAE, le fonds de solidarité, la loi Peillon, la réforme des rythmes scolaires, les mesures en matière de ressources humaines, c’est plus de 1 % ; l’accroissement du reste à charge des allocations individuelles de solidarité, les AIS, c’est 2 %. Et je n’évoquerai même pas les MIE, les mineurs étrangers isolés.
Au total, l’effet sur un budget déjà tendu est de 7 %, soit 42 millions d’euros pour la seule année 2015. Cette somme viendra en déduction de la capacité d’autofinancement. Cela réduira d’autant l’investissement, avec des conséquences négatives sur l’emploi.
Monsieur le secrétaire d’État, je vous répète à un mois d’intervalle que, dans un département moyen comme le mien, les pertes financières s’élèvent à 42 millions d’euros. Sur le plan national, cela représente 4 milliards d’euros de perte pour l’ensemble des budgets départementaux. C’est le début d’une spirale infernale !
À ce rythme, comment le financement du social, dont la progression n’est pas maîtrisée, pourra-t-il être assuré dans les deux ans qui viennent ? Quelle solution préconisez-vous ? Moins de social ? Plus d’impôts ? Des contrôles renforcés ?
En ce moment, le débat sur le projet de loi NOTRe bat son plein. Le Gouvernement voulait supprimer les départements ? Il a fini par leur redonner une pérennité. Il voulait leur retirer la compétence « collèges » ? Elle leur est maintenue. Il voulait les priver de la compétence « routes » ? Il semble finalement qu’ils la conserveront.
A priori, les principales compétences des départements ne seront pas supprimées. Dans ces conditions, peut-on enfin aborder le problème du financement ?
Le fait de supprimer les départements ou de les priver de leurs compétences ne résolvait pas les difficultés de financement. Ce n’est pas en supprimant l’échelon de gestion et de financement que l’on économise sur la dépense !
Vous semblez enfin prendre la mesure de l’impasse budgétaire dans laquelle se trouvent nos départements. Reconnaissez-vous cette situation ? Allez-vous enfin écouter nos propositions et les accepter ?
Je suis certain que vous aurez à cœur d’aborder vraiment, enfin, la problématique de la grave situation budgétaire des départements et de répondre aux interrogations issues de toutes les travées. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. André Vallini, secrétaire d'État auprès de la ministre de la décentralisation et de la fonction publique, chargé de la réforme territoriale. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, sur l’initiative des groupes UMP et UDI-UC, la Haute Assemblée a souhaité débattre aujourd’hui de la situation financière des conseils départementaux.
Les départements sont, nous le savons tous, confrontés depuis quelques années à une augmentation rapide des charges liées à leurs compétences, notamment sociales. Cela occasionne le fameux effet de ciseaux, avec des dépenses qui augmentent beaucoup plus vite que les recettes.
M. Bruno Sido. Eh oui !
M. André Vallini, secrétaire d'État. Face à une telle situation, qui s’aggravait et à laquelle les gouvernements précédents n’avaient pas remédié, Jean-Marc Ayrault a réuni au mois de juillet 2013 les représentants des collectivités locales, au premier rang desquelles les départements, bien sûr, pour élaborer un pacte de confiance et de responsabilité, la soutenabilité des allocations d’autonomie pour les départements faisant l’objet d’un groupe de travail spécifique.
Ce pacte, aboutissement de six mois de travail, fut signé au mois de juillet 2013. Il prévoyait des mesures au bénéfice des conseils généraux, qui ont pu ainsi décider en 2014, et pour deux ans, le relèvement du taux plafond des droits de mutation à titre onéreux, les fameux DMTO – ce qu’on appelle communément les « frais de notaire » –, de 3,8 % à 4,5 %.
En plus de la fiscalité, nous avons également transféré aux départements le produit des frais de gestion de la taxe sur le foncier bâti. Cette taxe, vous le savez, est recouvrée par les services fiscaux de l’État pour le compte des communes, des EPCI et des départements. L’État conservait une quote-part correspondant aux frais occasionnés par le recouvrement. Ce montant est donc aujourd’hui versé aux départements. Cela représente plus de 800 millions d’euros de dotations supplémentaires, au bénéfice des conseils généraux.
Enfin, en 2014, nous avons aussi créé un fonds de solidarité, alimenté par un prélèvement de 0,35 % du produit des DMTO, qui a permis de redistribuer 559 millions d’euros aux départements, lesquels voient le nombre de bénéficiaires des allocations d’autonomie – RSA, PCH, APA – augmenter plus fortement que la moyenne.
Ce fonds de solidarité participe ainsi au rééquilibrage entre les conseils généraux de leur reste à charge, ces dépenses supportées par les départements après déduction des dotations de compensation des allocations individuelles de solidarité versées par l’État.
Au total, ce pacte de confiance signé entre le Gouvernement et les associations d’élus locaux en 2013 a dégagé près de 1,6 milliard d’euros de recettes supplémentaires en faveur des départements.
En 2014, nous avons mis en œuvre la clause de revoyure que prévoyait le pacte et nous avons convenu d’une méthode avec l’Assemblée des départements de France. Du mois d’août au mois de décembre, des réunions hebdomadaires ont ainsi été tenues pour examiner les budgets des départements. Nous sommes arrivés à un constat partagé : les mesures dont je viens de parler ont porté leurs fruits. (Exclamations ironiques sur les travées de l'UMP.) En effet, malgré le contexte économique qui persiste à être défavorable et malgré la progression du RSA qui en découle, le pacte a permis d’améliorer sensiblement la soutenabilité financière des allocations d’autonomie versées par les départements.
Bien entendu, il y a des départements où le ralentissement de l’activité économique a pu avoir des conséquences fiscales très lourdes, mettant en danger l’équilibre de leurs budgets. Je pense notamment au Territoire de Belfort ou à la Creuse, qui ont connu des baisses très importantes de CVAE. Manuel Valls, Marylise Lebranchu et moi-même avons donc reçu leurs représentants et des mesures ont été prises. Ainsi, pour 2015, nous avons mis en place une garantie de non-perte de CVAE qui bénéficie aux départements où celle-ci chute brutalement à la suite du départ d’une entreprise ou d’une optimisation fiscale.
Pour autant, je l’affirme ici, dans la majorité des cas, les finances des départements sont saines. Elles sont tendues et difficiles à gérer, mais elles sont saines. Et c’est d’abord le résultat de la bonne gestion des élus départementaux.