Mme la présidente. La parole est à M. David Assouline.
M. David Assouline. Comme vous l’avez souligné, madame la ministre, ce débat intervient alors que notre pays vient de connaître un moment de douleur et d’émotion après avoir été frappé au cœur, après cette attaque contre la liberté de la presse.
Nous sommes trop peu nombreux à nous intéresser à la liberté de la presse dans les assemblées parlementaires. Pour ma part, lors de la réforme constitutionnelle de 2008, j’avais déposé un amendement tendant à préciser que la loi fixe les règles concernant « la liberté, le pluralisme et l’indépendance des médias ». Si le Sénat l’a adopté, c’est parce que nous connaissons dans cette enceinte l’importance du mot « liberté », qui se concrétise avant tout par la liberté de la presse.
Charlie Hebdo en est le symbole. Ce journal a été attaqué, dénigré par des gens qui pensaient souvent avoir de bonnes intentions. Pourtant, les mêmes ne se sont pas trop émus lorsque ses locaux situés dans le XXe arrondissement ont été brûlés et certains se sont même demandé si ces journalistes n’en avaient pas un peu trop fait, s’ils ne l’avaient pas mérité.
Je veux rendre hommage à ce journal engagé. Par le dessin, par l’humour, il a toujours répondu présent lorsqu’il s’est agi de lutter pour la liberté et contre le racisme. Contrairement à ce qui a pu lui être injustement reproché, il n’a jamais cédé un pouce sur ce terrain ! Ne mélangeons pas tout : en France, on est libre de critiquer comme Charlie – c’est autorisé par la loi –, mais on n’a pas le droit d’être raciste ou antisémite, c’est puni par la loi ! Comme la confusion a très souvent été faite dans le débat public, je tiens à rappeler cette distinction.
Dans ce contexte, la proposition de loi a un sens, même s’il s’agit juste de corriger quelques archaïsmes. En disant cela, je ne remets pas en cause la loi Bichet et la loi définissant le statut de l’AFP, qui ont représenté de grandes avancées pour la liberté de la presse ; je veux simplement dire qu’il faut adapter au monde du XXIe siècle certaines procédures et organisations, qui ne permettent plus de faire vivre les valeurs fondamentales que portent ces textes. Jacques Legendre et moi-même, en qualité de rapporteur, avions commencé à le faire. Nous poursuivons cette œuvre avec la proposition de loi déposée par Michel Françaix à l’Assemblée nationale.
La proposition de loi qui nous réunit cet après-midi aborde des sujets très variés, qui, une fois n’est pas coutume, font globalement consensus dans nos assemblées. Il faut dire que les différents dispositifs proposés sont placés sous le signe de l’urgence : une urgence de nature économique et européenne au départ, qui s’est récemment mue en une urgence politique et éthique à la suite des événements dramatiques que nous venons de connaître.
Nous ne pouvons pas laisser le droit qui consacre la liberté de la presse, qui se niche souvent dans les détails, contesté par les faits. D’aucuns considéreront que nous nous préoccupons de détails alors qu’il y a tant à faire pour la presse. Il faudra en effet se pencher sur la crise que traverse la presse aujourd'hui, notamment sur les aides et sur leur conditionnement – Mme la ministre s’y est engagée devant nous – et remettre beaucoup de choses à plat afin que la liberté de la presse puisse perdurer à l’heure de la révolution numérique et être protégée par nos lois.
Madame Mélot, vous déplorez le recours à la procédure accélérée pour l’examen de la présente proposition de loi. Ne sombrons pas dans le ridicule : ce texte est venu en discussion à l’Assemblée nationale dans le cadre de la niche parlementaire socialiste. Nous avons de la chance qu’il arrive jusqu’à nous aujourd'hui, car ce n’est pas toujours le cas. Si nous n’allons pas assez vite ce soir, nous devrons attendre la niche socialiste du mois prochain pour voter la proposition de loi au Sénat. Imaginez qu’il y ait en plus deux navettes, nous y serons encore dans un an ! S’il nous fallait autant de temps pour faire face à l’urgence, nos concitoyens pourraient considérer que nous ne sommes pas à leur écoute, pas dans le coup.
Il m’arrive parfois à moi aussi de déplorer le recours à la procédure accélérée pour des textes portant sur l’organisation de notre société ou sur l’organisation territoriale et qui comptent des dizaines et des dizaines d’articles. J’estime en effet qu’il est bien de pouvoir consacrer du temps au débat et d’avoir du recul, ce que permettent plusieurs navettes. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je défends le Sénat. Mais, en la circonstance, je pense très franchement que votre critique est juste une posture.
J’en viens à la situation de l’AFP.
L’information dans le monde étant un enjeu fondamental, nous avons la chance de compter en France l’une des trois grandes agences de presse de rang mondial et la seule agence européenne dans cette compétition internationale. Dans tous les autres domaines, qu’il s’agisse de l’audiovisuel ou d’internet, beaucoup de choses nous échappent ou s’imposent à nous dans le cadre de rapports de force difficiles à relever face à des géants, tels que Google, qui détiennent les tuyaux. Nous devons donc absolument faire en sorte que l’AFP demeure le joyau que nous connaissons.
Les propositions de modernisation que nous faisons ne remettent pas en cause, contrairement à ce que certains disent, le statut spécifique de l’AFP, qui lui donne sa puissance. Au contraire, elles lui permettront de répondre à des impératifs, que ce soit pour son développement ou pour faire face à des injonctions européennes, qui sont concrètes et qu’on peut parfois combattre, mais ne jamais ignorer sous peine d’être balayé.
Le point de non-retour a été atteint lors du dépôt, en août 2011, d’une plainte devant la Commission européenne, saisie par l’agence de presse allemande – c’est normal, ce sont des concurrents, pourquoi s’en priveraient-ils ? –, qui remettait en cause la légalité du système français de financement de l’Agence par abonnements de l’État. Ce système aboutissait à financer l’Agence à près de 40 % par le biais de ces abonnements, qui constituaient, de fait, des subventions déguisées – 115 millions d’euros annuels pour 350 abonnements, contre 3,75 millions d’euros pour les abonnements du gouvernement allemand. Les Allemands ont estimé qu’il y avait concurrence déloyale.
L’État a heureusement reçu l’aval de Bruxelles sur son projet de schéma clarifiant les relations entre l’État et l’AFP, lequel devrait trouver une traduction dans le COM 2014-2018 qui sera signé très prochainement. Il était primordial de trouver une solution pour conforter la situation financière de l’AFP, désormais, je le répète, seule agence de presse internationale européenne face aux deux autres grosses agences dans le monde.
Je me suis saisi de la question de la gouvernance de l’Agence depuis plusieurs années. Ainsi, en novembre 2010, alors rapporteur pour avis des crédits destinés à la presse, je m’inquiétais déjà en ces termes : « […], plus de 81 % des membres du conseil d’administration sont des représentants des clients potentiels de l’Agence. En raison de leur origine et de leurs activités, ils ne peuvent être considérés comme à même d’incarner et de défendre l’intérêt supérieur de l’Agence. » Dès lors que le client siège au conseil d’administration, il ne peut fixer des prix désintéressés. Une telle situation n’était financièrement pas favorable à l’Agence.
Après des années de réflexion, nous sommes sur le point de parvenir à une modification statutaire, grâce à l’initiative législative des députés socialistes, que je tiens à saluer.
Je ne reviendrai pas sur tout ce qui a été dit par Mme la ministre et par M. le rapporteur, qui a fait dans le peu de temps qui lui était imparti un excellent travail, dont je salue la précision. J’évoquerai simplement le second objet du texte : la distribution de la presse.
Le texte que nous examinons aujourd'hui vient après un travail que, encore une fois, Jacques Legendre et moi-même avons effectué et qui a permis des avancées. Il s’agit aujourd'hui de les préciser et de les conforter. Alors qu’on nous avait dit à l’époque que les réformes que nous souhaitions mettre en œuvre entraîneraient des catastrophes, chacun s’accorde aujourd'hui à dire que nous avons bien fait de nous engager sur ce terrain. Il aura donc fallu lutter contre quelques frilosités et aussi lever certaines préventions, parfois justifiées, compte tenu du contexte difficile du secteur de la distribution. Je rappelle que la révolution numérique a touché de plein fouet les personnels du secteur de la distribution de la presse, tel Presstalis, alors que leurs métiers se sont longtemps développés, qu’ils bénéficiaient d’un statut et d’acquis. Je pense que nous avons pas mal avancé sur cette question, tout en respectant les uns et les autres et en préconisant la négociation.
Aujourd'hui, je souscris entièrement aux propositions du Gouvernement. Nous étudierons les précisions apportées par M. le rapporteur lors de l’examen des amendements. Si nous en soutenons quelques-unes, nous sommes plus prudents sur d’autres, voire opposés à certaines, mais, dans tous les cas, elles ne remettent pas en cause la réforme proposée par l’Assemblée nationale sur le fond.
Pour terminer, je veux aborder deux sujets, ce qui me permettra d’être bref lors de l’examen des amendements. Je souhaite en effet que le texte puisse être voté ce soir avant vingt heures. Pour cela, il nous faudra ne pas défendre trop longuement nos amendements, lesquels ont déjà été largement débattus en commission.
Le premier concerne la possibilité pour les journalistes d’accompagner les parlementaires lorsque ceux-ci visitent une prison, comme la loi leur en donne le droit. Quand les parlementaires visitent des prisons, ils le font avec sérieux ! De plus, il est toujours un peu hypocrite d’interdire aux journalistes de venir. Quand ils le veulent, les journalistes nous attendent à la sortie et nous leur racontons. Il arrive aussi que des détenus transmettent aux journalistes des images – cela s’est produit dernièrement aux Baumettes. Cette vidéo réalisée par des prisonniers, qui peuvent mettre n’importe quoi ou couper ce qu’ils auront voulu, se retrouve ensuite sur toutes les chaînes d’information.
Il vaut mieux que des journalistes, qui ont une déontologie et qui sont tenus au respect d’une éthique, puissent nous accompagner. Cette transparence, encadrée, me semble préférable. Je ne comprends donc pas pourquoi la commission a souhaité supprimer cette disposition que prévoyait la proposition de loi. L’un de mes amendements vise à la rétablir.
Le deuxième sujet a trait à un combat qui tenait à cœur à Charb, un combat qu’il a mené avec fougue, sur la possibilité d’une défiscalisation pour l’actionnariat dans les entreprises de presse d’information générale et politique. Nous aurons l’occasion d’en débattre tout à l’heure. En attendant, je suis content qu’une telle mesure fasse consensus. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. André Gattolin.
M. André Gattolin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui – malheureusement, dirai-je – tombe à point nommé, après les terribles événements que nous venons de connaître, même si l’origine de ce texte et les ajouts apportés par l’Assemblée nationale en décembre sont antérieurs à l’attentat survenu le 7 janvier dernier à Charlie Hebdo.
Ce texte, sur le fond, est opportun parce qu’il apporte quelques réponses à la crise de la presse écrite qui s’est accentuée ces dernières années et parce qu’il sécurise la situation de l’AFP. À petites touches, il a l’avantage de proposer des améliorations à notre système d’aides qui, à force de stratifications successives, manque de lisibilité et, surtout, de cohérence, au point de perdre souvent de vue les finalités assignées au soutien accordé à ce secteur si particulier – particulier en ce qu’il participe, au premier chef, au pluralisme de l’information et du débat public.
On peut certes s’étonner de la part belle faite dans ce texte à la question de la distribution et de la diffusion des titres. Il est bon de rappeler que, depuis la Révolution française, le législateur a toujours, et à juste titre, attaché un intérêt majeur au fait de rendre le plus large possible l’accès des citoyens à l’information. La liberté d’expression ne serait en effet que peu de chose sans une pleine liberté de circulation des idées et, donc, de la presse.
Il est, en revanche, juste de s’interroger quand on analyse le prévisionnel budgétaire pour 2015 et que l’on constate que ces aides à la diffusion représentent près des deux tiers des aides directes accordées à la presse, hors AFP. Notons, de plus, que l’attribution de ces aides, comme la plupart des autres aides, ne tient pratiquement pas compte de la nature et de l’apport informatif spécifiques de chacun des supports.
Vous l’avez compris, je n’évoquerai pas ici l’ensemble des points qui composent ce texte ; nous aurons l’occasion d’y revenir lors de l’examen des amendements. Pour synthétiser les choses, je dirai simplement que le groupe écologiste du Sénat considère que, globalement, ce texte constitue une avancée et, à moins que des amendements qui en altéreraient l’esprit ne soient adoptés, nous voterons en sa faveur.
Je veux plutôt profiter du temps de parole qu’il me reste pour revenir sur certains fondamentaux supposés présider à l’attribution d’aides publiques à la presse et qui, au regard de la réalité des choses, nous enjoignent de repenser prestement notre système d’aides actuel.
Pourquoi aide-t-on la presse – en l’occurrence, ici, les entreprises de presse ? Cette question est, elle aussi, légitime, car nous évoluons dans un système économique à dominante toujours plus libérale et que nous aidons, en l’espèce, des entreprises qui appartiennent toutes au secteur privé. Les aide-t-on simplement comme on aide d’autres entreprises du secteur marchand, parce qu’elles créent de l’emploi ou qu’elles sont menacées d’en perdre sous l’effet de la concurrence internationale ? C’est en partie probable, mais en partie seulement, car, lorsqu’on met en vis-à-vis le volume élevé d’aides accordées et la taille assez réduite de ce secteur en termes d’emplois ou de chiffre d’affaires, on se doute bien que ces aides relèvent de raisons qui ne sont heureusement pas strictement économiques. Non, si nous aidons la presse écrite, c’est en premier lieu au nom du pluralisme et de la diversité de l’information, qui enrichissent la vivacité du débat dans notre pays !
Voilà pour le principe ! Car, dans les faits, lorsqu’on étudie en détail, titre par titre, le global des aides perçues par chacun d’eux, il y a parfois de quoi tomber de sa chaise !
M. André Gattolin. Rendons grâce d’ailleurs à l’actuel gouvernement qui, à défaut d’avoir pour l’instant osé remettre à plat le mécanisme d’attribution de ces aides, a engagé depuis 2012 une opération de transparence en rendant publiques les sommes allouées à chacun des deux cents titres les plus aidés. Je vous encourage fortement, mes chers collègues, à en prendre connaissance. Vous réaliserez l’injustice souvent flagrante du système actuel ou, tout au moins, l’aberration de certains des critères retenus au regard des preux objectifs affichés.
Permettez-moi d’en citer juste quelques exemples : en 2013, le magazine Télé Star, au douzième rang en volume d’aides perçues, devance l’hebdomadaire Le Point, au quatorzième rang ; mieux encore, Le Canard enchaîné, au quatre-vingt-sixième rang, se place après Gala et Point de vue et précède à peine, avec 4 500 euros d’aides en plus, Le Journal de Mickey et Closer. Et les hebdomadaires d’information sans publicité comme Politis sont totalement pénalisés !
Mais prenons, pour finir, le cas de Charlie Hebdo. Ce titre, en très grande difficulté financière jusqu’à peu et qui est aujourd’hui brandi comme notre étendard national de la liberté d’expression, comme un symbole de l’attachement de notre République à la laïcité, n’apparaît pas dans le classement des deux cents titres les plus aidés en 2012-2013. Les seules misérables aides dont Charlie Hebdo a bénéficié ces dernières années relevaient des aides automatiques dont jouissent l’ensemble des titres de presse, quel que soit leur objet. Il existe bien une ligne spécifique dans le budget de la culture et de la communication de la France, intitulée « Aides au pluralisme », mais elle n’est dotée que de 11,4 millions d’euros et concerne exclusivement les quotidiens et la presse régionale.
Les écologistes se battent depuis des années pour que soit engagée dans notre pays une réforme profonde des aides à la presse. Ces dernières semaines, le Président de la République a eu le courage de réaffirmer, haut et fort, notre attachement à la liberté d’expression et aux valeurs de la république ; il a aussi lancé un appel public à idées pour réformer notre pays. Nous avons ici, à la faveur horrible des événements récents, l’occasion d’opérer une remise à plat allant au-delà du texte qui nous est soumis aujourd’hui. Nous n’avons pas le droit d’esquiver cette invitation ! (Applaudissements sur quelques travées du groupe socialiste. – Mme Nathalie Goulet applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Laurent.
M. Pierre Laurent. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, comme cela a été dit par tous les orateurs qui m’ont précédé, cette proposition de loi intervient dans un contexte douloureux qui nous a rappelé tragiquement que la liberté de la presse est plus que jamais un combat. Les millions de manifestants en France et dans le monde ont dénoncé les attaques inadmissibles contre Charlie Hebdo et se sont rassemblés pour affirmer leur attachement à cette liberté de pensée et d’expression.
Dans ces conditions, au lendemain de ces attentats terroristes, se pose à nous, législateurs, la question de savoir comment garantir encore mieux l’existence d’une presse d’information libre et indépendante. Cela passe par la défense sans faille des principes et des moyens de cette information libre et pluraliste, par la défense de chaque titre menacé – il y en a tous les jours, et je pense à La Marseillaise ou à Nice-Matin, repartis provisoirement mais dont on sait que les difficultés demeurent –, par la promotion des valeurs et la défense des savoirs, de la connaissance, de la culture, de la création et de l’information pour lutter contre l’ignorance et la censure.
La liberté, surtout celle de la presse, n’est rien sans la garantie matérielle de ses conditions d’existence. Or la presse connaît une crise très grave, une crise de la vente, singulièrement de la presse papier, et du pluralisme qui, l’un comme l’autre, ne cessent de s’éroder.
Cette proposition de loi reste très partielle comparée à tous les enjeux qu’il serait nécessaire d’aborder. Elle n’est pas l’ambitieux projet d’ensemble dont la presse et le droit à l’information ont besoin dans ce pays. Elle s’attache à des dispositions particulières.
Concernant la distribution de la presse, qui est toujours garantie en France par la loi Bichet de 1947, cette proposition de loi s’inscrit dans les principes de cette loi tout en tentant d’améliorer encore la gouvernance du système coopératif.
L’application du principe de solidarité interprofessionnelle est difficile. Dans la situation actuelle de repli général du marché, l’existence de deux messageries reste une difficulté du secteur, notamment pour ce qui est de la distribution des quotidiens. Ce texte propose de nouveaux ajustements du mode de gouvernance des systèmes coopératifs de presse. Nous nous félicitions, pour notre part, de la réaffirmation dans la loi du principe de solidarité ainsi que de l’évocation qui est faite, en l’absence de coopération totalement harmonieuse des deux messageries, d’une possibilité de mutualisation renforcée entre les sociétés de messagerie de presse. Nous continuons cependant à penser qu’il faudrait aller plus loin, en prévoyant et en organisant la fusion de ces deux coopératives en une structure unique de distribution de la presse. Ce serait nettement plus efficace et rationnel dans les conditions que nous connaissons aujourd’hui. C’est d’ailleurs pour cette raison que nous sommes plus réservés sur la disposition visant à créer une exception à la clause d’exclusivité des réseaux de distribution des messageries.
Concernant l’AFP, qui se trouve elle aussi affaiblie et en situation difficile alors qu’elle représente un bien précieux pour l’information en France, plusieurs tentatives de réforme ont émergé qui, sous prétexte de modernisation de l’Agence, ont tenté de mettre en cause son statut unique et son indépendance, qu’il convient plus que jamais de protéger.
Aujourd’hui, le débat rebondit en lien avec une décision de la Commission européenne, qui a été saisie d’une plainte d’une agence de presse allemande concernant les aides accordées par l’État français à l’AFP, qui seraient, paraît-il, contraires aux règles de la concurrence. La Commission a néanmoins admis – c’est un point positif – la nécessité de ces aides, reconnaissant le caractère d’intérêt général des missions de l’AFP. Elle demande cependant l’adoption d’une série de mesures, dont la distinction dans les versements de l’État entre compensation des missions d’intérêt général et paiement des abonnements commerciaux, en prenant un acte normatif qui matérialiserait l’obligation pour l’AFP de filialiser et développer les activités autres que celles d’intérêt général.
La proposition de loi admet les conséquences de la requête de la Commission européenne. Cela nous inquiète, car l’activité de l’AFP relève, à nos yeux, entièrement d’une mission d’intérêt général. Les dispositions que prévoit le texte ouvrent donc une fragilité, sur laquelle notre vigilance sera totale. Distinguer dans les comptes de l’AFP certaines activités, c’est introduire une fragilisation dans laquelle des forces qui voudraient mettre en cause l’indépendance et la pérennité de l’Agence pourraient s’engouffrer. Nous serons donc vigilants sur ce point et proposerons une série d’amendements qui renforcent et protègent les garanties du statut de l’Agence.
Je termine mon propos en évoquant une disposition, essentielle à nos yeux, qui est venue s’ajouter en cours de discussion : je veux parler de ce que nous appelons désormais « l’amendement Charb ».
Nous avions déjà proposé une telle mesure lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2015, après avoir été saisis par Charb lui-même, à une époque où il s’inquiétait de l’existence de Charlie Hebdo, qui, au mois de décembre dernier, était loin d’être assurée. Nous avons donc déposé à nouveau ce texte sous forme de proposition de loi, tout de suite après les événements.
Il s’agissait, dans notre esprit, non seulement de rendre hommage aux victimes des attentats survenus à Charlie Hebdo, mais plus fondamentalement de nous inscrire dans le souhait de Charb de conforter les mécanismes de soutien à la presse, en particulier en favorisant la possibilité de défiscalisation des dons émanant de particuliers effectués au bénéfice d’associations ou de fonds de dotation exerçant des actions pour le pluralisme de la presse.
Cette pratique ne repose aujourd’hui que sur un simple rescrit fiscal, de valeur inférieure à la loi. Cette disposition apportera donc, si elle est adoptée, un surcroît de sécurité juridique, sans aucune incidence financière pour l’État.
Évidemment, si notre assemblée tout entière pouvait se rassembler autour de cette mesure, ce serait un beau symbole de défense de la liberté d’expression et du pluralisme. Nous le souhaitons vivement. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – MM. André Gattolin et David Assouline applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Robert Hue.
M. Robert Hue. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la liberté d’expression a été évoquée ce matin, dès le début de sa conférence de presse, par le Président de la République à propos des événements qu’a connus la France au début du mois de janvier avec la tragédie qui s’est produite dans les locaux du journal Charlie Hebdo. En 1789, la liberté de la presse était l’une des doléances les plus fréquentes, après celles qui concernaient les taxes et l’autorité politique des États généraux.
Plus de deux cents ans plus tard, celle qui est aussi appelée le « chien de garde de la démocratie », la presse, est confrontée à une crise majeure, qui touche quasiment tous les fondements de son édifice.
Cette crise est d’abord économique : face à la mutation du lectorat et à l’émergence de nouvelles sources d’accès à l’information, souvent gratuites, la presse écrite traditionnelle a bien du mal à tirer les marrons du feu et à convaincre de son utilité. Et pourtant…
Il s’agit ensuite d’une crise de confiance. Au mois de janvier 2014, une enquête IPSOS soulignait que, alors que seuls 21 % des Français déclarent ne pas avoir confiance dans l’armée ou 32 % dans l’école, ce pourcentage s’élève à 77 % pour ce qui concerne les médias. C’est un signe de défiance envers un traitement de l’information qui est parfois considéré, non sans raison, comme partial. Cette crise de confiance menace notre pacte républicain, puisque, avec la révolution numérique, elle laisse une place béante à la désinformation, voire à l’obscurantisme. Les événements qui ont eu lieu au début du mois dernier en témoignent dramatiquement.
Face à cette crise structurelle, tout l’enjeu réside donc dans la transformation de ce processus de destruction programmée en innovation créatrice. Car la révolution informationnelle, elle, est incontournable.
À ce titre, la proposition de loi soumise à notre examen, enrichie par la commission de la culture, ébauche une réflexion intéressante, bien qu’incomplète, sur la régulation du secteur. La réforme du fonctionnement du Conseil supérieur des messageries de presse ainsi que l’homologation des barèmes par ce dernier doivent permettre un plus grand respect des principes de transparence et de péréquation des coûts de distribution des quotidiens.
À l’heure où la presse écrite subit de plein fouet une baisse drastique de ses ventes, le mécanisme de péréquation inter-coopératives visant le financement de la distribution de la presse quotidienne nationale est plus que jamais en difficulté. Comme l’a fait remarquer le président de l’ARDP, il est largement détourné, dans la mesure où « les éditeurs les plus puissants entrent dans une stratégie de chantage avec les messageries afin d’obtenir les tarifs les plus avantageux, au détriment des éditeurs les plus modestes et les moins influents ».
Dans le même fil, nous saluons la création d’un statut d’entreprise solidaire de presse d’information, qui permettra de développer des modes de gestion à la fois démocratiques et participatifs au sein des organes de presse. Ce statut encouragera l’émergence de nouveaux titres et favorisera leur viabilité en permettant de lever les fonds nécessaires au démarrage et à la pérennisation de leur activité. Il s’agit donc aussi d’une mesure en faveur du pluralisme de la presse
Par ailleurs, la présente proposition de loi encadre strictement l’utilisation des bénéfices : une fraction au moins égale à 20 % des bénéfices de l’exercice est affectée à la constitution d’une réserve statutaire obligatoire consacrée au maintien ou au développement de l’activité de l’entreprise. De plus, une fraction au moins égale à 50 % des bénéfices de l’exercice devra être affectée au report bénéficiaire et à la réserve obligatoire. Cette mesure resterait toutefois lettre morte si le Gouvernement ne s’était pas engagé à l’accompagner d’un volet fiscal destiné à rendre plus attractive la participation des lecteurs à des projets innovants ou la reprise d’entreprises en difficulté par le biais de financements participatifs.
Enfin, le texte réforme la gouvernance de l’AFP issue de la loi de 1957. Forte de plus de 2 000 journalistes et techniciens, d’un chiffre d’affaires de 287,8 millions d’euros en 2013 dont 40 % proviennent d’abonnements de l’État, l’AFP dispose de l’un des réseaux les plus complets et les plus maillés au monde. Tous les journaux français sont abonnés à l’AFP. Les difficultés de cette agence sont donc aujourd’hui principalement liées à son financement et à son mode de gouvernance. L’ouverture du conseil d’administration à des personnalités qualifiées et à l’international, l’instauration du principe de parité, la création d’une commission de surveillance qui cumulerait les compétences en matière de déontologie du conseil supérieur et la compétence financière de la commission financière engagent une évolution significative de l’AFP, dont les statuts de 1957 ont fait leur temps.
Si nous estimons qu’elle ne va pas assez loin pour permettre de parler de modernisation véritable du secteur de la presse – en particulier, le système d’aides à la presse nous semble aujourd’hui dépassé, et le rôle du numérique dans l’information citoyenne nous paraît incontournable –, la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui amorce une politique des petits pas constructive et utile, que les membres du groupe du RDSE approuveront. (M. André Gattolin applaudit.)