Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. Et le Cameroun !
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Toute l’Union européenne doit s’engager dans cette action extérieure.
Il faut également se donner les moyens de lutter de façon préventive contre la radicalisation, au sein même de nos sociétés, de jeunes qui sont recrutés, en particulier via internet, soit pour aller combattre dans les zones de guerre, soit pour rejoindre des groupes et des terroristes plus chevronnés en vue de commettre des actes terroristes sur notre sol. Les terroristes utilisent les réseaux sociaux ordinaires. Outre le développement de l’échange de bonnes pratiques, un cadre législatif doit être posé pour, tout en respectant le principe de la liberté d’expression, mettre fin à la propagande de haine et aux appels au meurtre.
Les législations diffèrent entre pays européens, mais nous ne serons efficaces que si nous menons le combat à l’échelle internationale. Il faut donc adapter, faire évoluer et renforcer la législation européenne. Nous sommes déjà parvenus à mettre en œuvre des dispositions à l’échelle européenne et internationale, par exemple en matière de lutte contre la pédopornographie, pour bloquer la diffusion de certains contenus et interdire certains sites. Il est donc possible d’en faire autant dans le domaine de la lutte contre la propagande terroriste et la radicalisation sur internet. Il nous faut développer, parallèlement, un contre-discours positif à destination des publics les plus concernés, en particulier les jeunes.
Plusieurs d’entre vous ont évoqué la situation en Ukraine, notamment son aspect humanitaire. Je voudrais souligner à quel point l’urgence est grande, puisque l’on compte plus d’un million de personnes déplacées, plusieurs centaines de milliers de réfugiés, tandis que la situation humanitaire n’a cessé de se dégrader au cours des dernières semaines.
M. Stylianides, commissaire européen à l’aide humanitaire et à la gestion des crises, a annoncé le 26 janvier la mobilisation d’une aide d’urgence supplémentaire de 15 millions d’euros, pour fournir des biens de première nécessité. Cela porte à 95 millions d’euros au total l’effort de l’Union européenne pour l’aide d’urgence et la reconstruction depuis le début de la crise. Quatre-vingt-dix tonnes de matériel ont été livrées au cours de la dernière semaine.
La France, en plus de sa contribution à l’aide européenne, a pris sa part à cet effort sur le plan bilatéral, en dépêchant sur place le centre de crise du ministère des affaires étrangères et du développement international et en livrant six tonnes de matériel : deux cents sacs de couchage, des couvertures, des appareils de chauffage thermique, des citernes, des groupes électrogènes. Nous avons également envoyé sur place un expert de la sécurité civile, pour assurer le déploiement logistique de cette aide.
En ce qui concerne la Grèce, nous devons l’accompagner dans ses réformes, pour lui permettre de retrouver de la croissance, et en même temps nous assurer du respect des règles européennes, ce pays ayant lui-même confirmé sa volonté de rester dans la zone euro.
C’est dans cet état d’esprit que doit se nouer, selon nous, le dialogue entre le nouveau gouvernement grec et l’ensemble de ses partenaires de l’Union européenne. Le Gouvernement français s’efforce d’œuvrer dans ce sens. Le ministre des finances, Michel Sapin, a d’ores et déjà reçu son homologue grec, M. Varoufakis.
Les trois principes que j’ai présentés dans mon propos liminaire et que M. Bizet a rappelés ont également présidé à la rencontre qui s’est déroulée, aujourd’hui même, entre le Président de la République, François Hollande, et le Premier ministre grec, Alexis Tsipras : la solidarité, la responsabilité et le respect des règles communes et des engagements pris, l’unité européenne.
Nous serons au côté de la Grèce pour lui donner la bouffée d’oxygène, le temps et les marges qui lui sont nécessaires pour remettre à flot son économie. L’objectif est que ce pays présente une stratégie permettant, dans le cadre d’un partenariat avec les autres pays de l’Union européenne, le respect des engagements pris de part et d’autre, y compris en ce qui concerne la dette : un engagement de solidarité pour les autres États membres de l’Union européenne ; pour la Grèce, l’engagement de rembourser, sa situation s’améliorant, les emprunts qu’elle a contractés auprès de ces derniers, c’est-à-dire auprès des citoyens de l’Union européenne.
Ce partenariat est nécessaire non seulement pour la Grèce, mais aussi pour l’Union européenne, qui, comme Mme la présidente de la commission des finances l’a souligné, doit être synonyme de protection, de solidarité et de croissance pour tous ses citoyens.
Lorsque l’un des États membres de l’Union européenne est en difficulté, les autres se portent à son secours : c’est l’esprit même de l’histoire européenne et des liens qui unissent nos pays, qui ont tant de défis à relever en commun, en particulier celui de défendre un modèle de société démocratique et de liberté. C’est dans cet esprit, mesdames, messieurs les sénateurs, que nous allons travailler avec le nouveau gouvernement grec !
Débat interactif et spontané
M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif et spontané, dont la durée a été fixée à une heure par la conférence des présidents.
Chaque sénateur peut intervenir pendant deux minutes au maximum. La commission des affaires européennes ou le Gouvernement, s’ils sont sollicités, pourront répondre.
La parole est à M. Jean-Patrick Courtois.
M. Jean-Patrick Courtois. Le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, a annoncé que le dispositif français d’échange de données sur les passagers aériens serait opérationnel d’ici au mois de septembre. À ceux qui s’inquiètent inutilement de savoir si ce système satisfait aux impératifs en matière de libertés publiques, rappelons qu’il est déjà passé sous les fourches caudines de la Commission nationale de l’informatique et des libertés.
Cet outil, précieux pour les services, intégrera pour chaque voyageur vingt-quatre types de données, fournies par les compagnies aériennes. Anonymisées au bout de deux ans et détruites trois ans plus tard, ces données permettront de contrôler avec minutie les voyageurs ciblés avant l’embarquement. Ce système national est très attendu, de même que le système PNR européen.
Quoi de plus important, en effet, que le renseignement ?
Après le 10 janvier dernier, l’ensemble des gouvernements européens ont insisté sur la création d’un tel système facilitant l’échange d’informations à partir d’une organisation décentralisée, sur le modèle des dispositifs issus des accords conclus avec les États-Unis, le Canada et l’Australie. Nous ne pouvons que nous en satisfaire.
Une quinzaine de pays se sont déjà dotés de systèmes nationaux, mais le Parlement européen exige, préalablement à la mise en place d’un dispositif commun, l’adoption d’une législation européenne sur la protection des données. Or l’affaire reste bloquée depuis 2013.
Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous présenter un bilan de la dernière rencontre de Riga, au cours de laquelle la France devait tenter de convaincre ses partenaires européens d’opter pour un contrôle renforcé des voyageurs, afin de mieux détecter les mouvements des djihadistes ?
Nous avons besoin de reconstruire une coopération efficace entre les services étrangers et de doter nos États de moyens de contrôle efficients, sans entraver la fluidité de la circulation des passagers des compagnies aériennes au moment de leur embarquement ; utilisons, pour cela, l’ensemble des outils juridiques existants.
Pourquoi ne pas envisager aussi une consultation systématique du système d’information Schengen, dit SIS, qui recèle notamment d’intéressantes données sur les personnes faisant l’objet d’un mandat d’arrêt européen ou étant parties combattre en Syrie ? En effet, hormis certains cas particuliers de voyageurs sans bagage ou munis d’un aller simple, les Européens ne sont pas soumis, en théorie, à la consultation automatique de cette base.
Monsieur le secrétaire d’État, je crois profondément que, pour faire avancer ces différentes questions, l’État français peut jouer un rôle prépondérant en Europe.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Sachez, monsieur Courtois, que le PNR français, qui sera mis en œuvre à partir du mois de septembre prochain, a été établi sur le fondement de l’accord européen conclu en 2012, et que nous cherchons maintenant à faire entériner par le Parlement européen. Le PNR français sera donc compatible avec le futur PNR européen. De fait, nous devons absolument nous assurer, pour des raisons d’efficacité, que les PNR nationaux pourront être intégrés dans le PNR européen.
En ce qui concerne les décisions prises au cours de la réunion des ministres de l’intérieur à Riga, elles seront reprises par le Conseil européen de la semaine prochaine, notamment pour ce qui touche à la modification du code Schengen.
À cet égard, vous avez eu parfaitement raison de souligner que nous devions veiller à assurer un contrôle aussi efficace que possible des frontières extérieures de l’Union européenne. Il convient en particulier que, à l’entrée dans l’espace Schengen, on ne se contente pas de contrôler les documents de transport et les passeports, mais que l’on puisse également consulter les dossiers des personnes. Aujourd’hui, le contrôle systématique est en principe interdit. Il faut donc que les règles en vigueur cessent de faire obstacle à ce contrôle, même lorsqu’il s’agit de ressortissants des États membres de l’Union européenne ou de l’espace Schengen qui reviennent dans ledit espace.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le secrétaire d’État, la Jordanie vient de connaître connu un drame abominable : un de ses pilotes a été brûlé vif par Daesh.
Ce pays, qui fait partie de la coalition contre Daesh, se trouve dans une situation extrêmement difficile, confronté qu’il est à la présence sur son sol de 2 millions de réfugiés palestiniens et de plusieurs centaines de milliers de réfugiés syriens.
La Jordanie est un pays fragilisé, dans un environnement géopolitique extrêmement compliqué, qui a conclu avec Israël un accord de paix séparée et avec les États-Unis un accord de défense.
L’Union européenne, pour sa part, a signé avec la Jordanie un certain nombre de partenariats qui l’ont conduite à verser à ce pays 223 millions d’euros d’aides entre 2011 et 2013, à quoi se sont ajoutés 115 millions d’euros d’aide humanitaire.
Pouvez-vous, monsieur le secrétaire d'État, veiller à ce que l’Union européenne tienne ses engagements à l’égard de la Jordanie ? En effet, il ne faut pas attendre pour soutenir ce pays que la situation s’y dégrade encore, comme on l’a fait pour des pays voisins. Il faut conforter le gouvernement jordanien avant que la rue jordanienne ne s’agite. Songeons que 2 089 combattants jordaniens ont rejoint les rangs de Daesh. En vérité, ce pays a absolument besoin que toutes les fées européennes se penchent sur lui.
Pensez-vous, monsieur le secrétaire d'État, mettre la Jordanie en tête de vos préoccupations en vue du prochain Conseil européen ? (MM. Michel Canevet et André Gattolin applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Madame Goulet, je vous remercie d’attirer notre attention sur la situation de la Jordanie. Je tiens à exprimer toute la solidarité de la France au peuple de Jordanie et au gouvernement jordanien, après le lâche assassinat d’un pilote de ce pays par le groupe État islamique.
L’Union européenne entretient de longue date avec la Jordanie des relations très étroites. En effet, la Jordanie a signé avec la Communauté européenne un accord de coopération dès 1977, puis, en 1997, un accord d’association entré en vigueur en 2002. Elle est, avec le Maroc, le seul pays du voisinage sud de l’Union européenne auquel celle-ci reconnaît le statut de pays avancé, ce qui les incite à se rapprocher de l’acquis européen.
La Jordanie est confrontée depuis longtemps à l’accueil de très nombreux réfugiés palestiniens et, désormais, de réfugiés liés à la guerre en Irak et en Syrie ; aujourd’hui, les réfugiés syriens y sont probablement plus de 600 000.
Mme Nathalie Goulet. Et nous en accueillons 500 !
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Il est vrai que, comparé au nombre de réfugiés accueillis en Europe, le nombre de réfugiés présents en Jordanie est considérable : les seuls réfugiés liés à la guerre civile en Syrie représentent près de 10 % de la population du pays ! (Mme Nathalie Goulet acquiesce.)
La Jordanie bénéficie largement des instruments de la politique européenne de voisinage : 589 millions d’euros lui ont été versés entre 2007 et 2013 et 600 millions d’euros environ doivent lui être versés entre 2014 et 2020. Par ailleurs, l’Union européenne a déclenché, à la suite des crises actuelles, des mécanismes de soutien humanitaire ; ainsi, plusieurs centaines de millions d’euros supplémentaires seront mises à la disposition de ce pays pour l’accueil des réfugiés.
L’accord d’association et les accords de partenariat économique doivent permettre à la Jordanie, malgré les problèmes auxquels elle est confrontée et un environnement particulièrement difficile, de connaître un dynamisme, une croissance suffisante et de ne pas être déstabilisée par les crises extérieures.
Nous sommes également très proches de la Jordanie sur le plan de la sécurité. D’ailleurs, ce pays participe activement à la coalition internationale pour la lutte contre Daesh ; des aviateurs français sont présents en Jordanie et mènent leurs opérations depuis ce pays, dans le cadre de notre coopération militaire.
La Jordanie est un allié politique très proche de la France et de l’Union européenne. Nous sommes très mobilisés pour assurer sa stabilité !
M. le président. La parole est à M. Hervé Maurey.
M. Hervé Maurey. En ma qualité de président du groupe interparlementaire d’amitié France-Ukraine, je souhaite interroger le Gouvernement sur l’accord d’association signé entre l’Union européenne et l’Ukraine le 27 juin dernier.
À ma connaissance, le projet de loi autorisant la ratification de cet accord n’a pas été inscrit à l’ordre du jour du Parlement, ni même à l’ordre du jour du conseil des ministres. C’est d’autant plus étonnant que le conseil des ministres a examiné, le 17 décembre dernier, le projet de loi autorisant la ratification de l’accord d’association entre l’Union européenne et la Moldavie, conclu le même jour que l’accord avec l’Ukraine.
Je n’ai pas besoin, mes chers collègues, de vous décrire la situation de l’Ukraine. Ce pays manifeste une volonté très forte de s’arrimer à l’Europe, comme en témoignent les événements de Maïdan ou les résultats de la dernière élection présidentielle et des élections législatives du 26 octobre dernier.
J’ai récemment reçu un certain nombre de représentants de la société civile ukrainienne, ainsi que le nouvel ambassadeur d’Ukraine en France. Je crois qu’il y a, de la part de l’Ukraine, une très forte attente vis-à-vis de la France pour que celle-ci s’engage concrètement sur la voie de la ratification de l’accord conclu en juin dernier.
Monsieur le secrétaire d’État, mes questions seront donc les suivantes : premièrement, quelles initiatives le Gouvernement entend-il proposer au Conseil européen dans le dossier ukrainien ? Deuxièmement, pourquoi le projet de loi autorisant la ratification de l’accord d’association n’a-t-il toujours pas été soumis au Parlement ? Troisièmement, selon quel calendrier le sera-t-il ? (M. le président de la commission des affaires européennes ainsi que MM. Michel Canevet et Jean-Yves Leconte applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Monsieur Maurey, la ratification de l’accord d’association avec l’Ukraine est évidemment une priorité pour le Gouvernement. Nous mettons tout en œuvre pour que l’ensemble de la procédure se déroule le plus rapidement possible et aboutisse avant le sommet du partenariat oriental, qui se tiendra à Riga les 21 et 22 mai prochain.
Actuellement, le projet de loi autorisant la ratification est en cours de transmission au Conseil d’État. Il sera présenté en conseil des ministres dès que possible. Nous comptons sur le Parlement pour l’adopter ensuite dans les meilleurs délais.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Le 11 janvier dernier, le Premier ministre turc, M. Davutoglu, se trouvait parmi les quarante chefs d’État et de gouvernement présents pour proclamer, avec le peuple français, leur refus de la barbarie et leur amour de la liberté.
La Turquie est, avec l’Iran, l’un des deux pays qui vivent avec Daech à leur frontière. C'est aussi l’un des deux pays dont l’engagement est absolument essentiel pour compléter l’action de la coalition qui conduit des frappes aériennes.
Je veux d'abord souligner la volonté des gouvernements français et turc de renforcer leur dialogue dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Je veux aussi saluer l’action de la Turquie, qui doit prendre, dans les circonstances présentes, des positions heurtant à la fois ses habitudes et son opinion publique, notamment en ce qui concerne le PKK.
Force est de constater dans le même temps que des inquiétudes se font jour en Turquie sur des questions de justice et de liberté de la presse. Ce sont là des sujets que nous devons aborder franchement avec la Turquie, tout en gardant bien entendu à l’esprit que la sécurité en Europe, donc en France, ne peut être envisagée indépendamment de la sécurité en Turquie et que nous nous situons du même côté dans la guerre contre le terrorisme et la barbarie.
Pour traiter de ces sujets fondamentaux qui suscitent des interrogations en Europe, il est important d’ouvrir aujourd'hui les discussions sur les chapitres 23, « Pouvoir judiciaire et droits fondamentaux », et 24, « Justice, liberté et sécurité », des négociations entre la Turquie et l'Union européenne.
Ma question est donc la suivante, monsieur le secrétaire d'État : pensez-vous qu’il soit possible de dépasser le blocage de Chypre et de parvenir rapidement à des discussions sur ces chapitres 23 et 24 ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Monsieur le sénateur, vous avez raison, le partenariat avec la Turquie est extrêmement important dans la lutte contre le terrorisme en raison de sa situation géographique – on l’a vu dans la bataille de Kobané. La Turquie est en outre un point de passage important non seulement pour les informations, mais aussi pour les personnes : celles qui passent par ce pays pour se rendre en Syrie et celles qui tentent d’en sortir pour rejoindre des aéroports turcs afin de regagner l'Europe. On mesure ainsi tout l’enjeu d’une bonne coopération entre la Turquie et les pays de l'Union européenne.
Par ailleurs, la Turquie est liée à l'Union européenne par une union douanière, par un processus de négociations, ainsi que par une perspective à proprement parler européenne.
Dans ce contexte, nous suivons attentivement l’évolution parfois préoccupante de la situation de la presse et des libertés dans ce pays, avec lequel nous entretenons des relations très intenses. Nous sommes favorables, dans le cadre des négociations d’adhésion, à une discussion sur les sujets relevant des chapitres 23 et 24, c'est-à-dire ceux qui concernent l’état de droit, le système judiciaire, la lutte contre la corruption, les valeurs fondamentales de l'Europe.
Cependant, comme vous-même l’avez souligné, cela suppose un accord unanime des États membres de l'Union européenne – c'est la règle pour l’ouverture de chacun des chapitres. Or Chypre oppose aujourd'hui un veto en raison de la dégradation de la situation dans la partie nord de l’île ainsi que de ses relations avec la Turquie à propos des eaux territoriales.
Nous essayons d’amener les pays concernés à renouer le dialogue et nous pensons qu’il faut parallèlement intensifier nos discussions avec la Turquie sur ces questions de liberté et de valeurs fondamentales, sans se priver des instruments que pourrait représenter l’ouverture des chapitres 23 et 24. En tout cas, nous continuerons à travailler étroitement avec la Turquie sur tous les autres champs de coopération.
M. le président. La parole est à M. Pascal Allizard.
M. Pascal Allizard. Les récents attentats qui ont endeuillé la France nous ont cruellement rappelé la vulnérabilité des démocraties face à la détermination absolue des individus auxquels nous sommes confrontés.
Après les attaques de Paris, les interpellations qui ont notamment eu lieu en France, en Belgique, en Grèce et en Bulgarie illustrent le caractère transnational de la menace.
On l’a dit, la fin des frontières dans l’espace européen procure un avantage certain à ceux qui veulent se rendre sur les zones de combats et en revenir, ou qui veulent tout simplement échapper à la justice.
Les différences entre les législations des États membres créent aussi de grandes difficultés. Ainsi, la bienveillante Bruxelles serait devenue une plaque tournante des réseaux islamistes radicaux, après le « Londonistan » des années 2000.
Quant à internet, ce terreau fertile de la propagande de Daech, d’AQPA, d’AQMI et de leurs zélateurs, il se joue encore plus facilement des frontières et des lois.
Monsieur le secrétaire d'État, même si des progrès ont été accomplis, nous devons mieux nous défendre et mieux anticiper les menaces. Cet effort passe par le renforcement de la coopération entre services de police – de manière bilatérale aussi bien que par le biais d’Europol –, de justice et de renseignement européens. Mais cet effort doit surtout passer par l’adoption rapide, pour ne pas dire urgente, de mesures communes : fichier commun des passagers à risque – j’évite d’utiliser un acronyme anglophone ! –, renforcement des contrôles aux frontières et de l’utilisation du système d’information Schengen.
Mais c’est aussi d’harmonisation que nous avons besoin, car la coopération demeurera vaine tant que des gardes à vue dureront quatre-vingt-seize heures dans un pays et vingt-quatre heures dans un autre, tant que les moyens d’investigation et les peines encourues divergeront d’un État à l’autre. Il ne saurait y avoir, me semble-t-il, de maillon faible.
De plus, s’il nous faut respecter les libertés individuelles, nos services ne doivent pas être entravés par des procédures excessives, parfois éloignées des réalités du terrain. Je rappelle que la France vient d’être condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme pour n’avoir pas respecté à la lettre les procédures de présentation à la justice de pirates somaliens qui avaient pris d’assaut un navire français avant d’être appréhendés, tout cela à 6 000 km de Paris !
Alors que l’essentiel est menacé, n’est-il pas temps pour les Européens de dépasser leurs divisions ?
La France a un rôle moteur à jouer : ses services de police et de renseignement sont reconnus, ses magistrats antiterroristes comptent parmi les plus qualifiés en Europe. Quant à son armée, elle mène sur de nombreux théâtres une guerre implacable aux terroristes. Si la volonté de la France est nettement perceptible, un soutien plus marqué des Européens serait le bienvenu.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Pascal Allizard. Monsieur le secrétaire d'État, dans ce contexte inédit, quelles mesures fortes proposerez-vous à l’Union européenne pour préserver et défendre nos valeurs, et surtout selon quel calendrier ?
Sans résultat et sans calendrier contraint, ce débat ne serait qu’un exercice théorique.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Monsieur le sénateur, la France est effectivement à l’initiative. C'est précisément à celle du ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, que, dès le 11 janvier, se sont réunis les ministres de l’intérieur de plusieurs pays de l'Union européenne – ainsi que, d'ailleurs, le procureur général des États-Unis – pour engager un renforcement des mesures internationales et, en particulier, des mesures européennes.
C'est à notre demande que la feuille de route de la lutte contre le terrorisme à l’échelle européenne a été établie. C'est encore sur la base de la contribution française que les ministres de l’intérieur réunis à Riga ont adopté ce qui constitue désormais le plan d’action de l'Union européenne. Enfin, c'est sur la base de ces propositions, présentées par la France, que se tiendra la réunion des chefs d’État et de gouvernement du 12 février, réunion initialement prévue pour débattre de l'Union économique et monétaire, mais qui sera donc principalement consacrée à la lutte contre le terrorisme, et qui reprendra à son compte les axes et le calendrier proposés par la France : lutter contre la radicalisation ; intensifier la coopération policière et judiciaire, ainsi que l’action extérieure commune ; assurer la sécurité par des mesures concernant Schengen et le dossier des passagers.
Nous sommes aujourd'hui dans l’urgence, avec la volonté de faire avancer plus rapidement un certain nombre de procédures et d’harmoniser effectivement les systèmes d’échange d’information. Mais ne posons pas les problèmes dans des termes d’harmonisation judiciaire qui iraient au-delà de ce que permettent les traités. Les codes pénaux et les systèmes judiciaires ne sont en effet, pas les mêmes… En revanche, rien n’empêche la coopération.
Finalement, sur la base de la volonté commune de lutter efficacement contre le terrorisme, il faut s'assurer que chacun des États membres utilise les outils mis en place : Europol, Eurojust, le système d’information de Schengen et le système PNR. Si la coopération entre les services de renseignement est déjà très importante, les autres services doivent faire en sorte d’éviter toute faille dans ce dispositif.
Chacun le sait, c'est là un combat difficile, acharné. Certes, on ne pourra jamais prétendre avoir atteint le « risque zéro ». Mais, parce que la menace est importante, parce qu’une prise de conscience a eu lieu et que la mobilisation européenne s'est immédiatement exprimée – la participation des chefs d’État et de gouvernement à la grande marche aux côtés des Français et du Président de la République le 11 janvier l’atteste –, le temps de l’action est venu. Croyez à la détermination de la France pour que cette action soit effectivement menée.
M. le président. La parole est à M. Michel Canevet.
M. Michel Canevet. La lutte contre le terrorisme constituera certainement l’essentiel des travaux du Conseil européen des 12 et 13 février. Il y sera aussi question de la situation issue de l’élection en Grèce, qui relance le débat européen sur la croissance.
Monsieur le secrétaire d'État, vous avez évoqué dans votre propos introductif la mise en œuvre du grand plan d’investissement européen prévu par le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker. D’un montant supérieur à 300 milliards d’euros, ce plan sera de nature, je l’espère, à relancer l’emploi et l’activité.
Des potentialités existent certainement dans ce domaine, et j’espère que le Conseil européen aura l’occasion de les évoquer. Ainsi se tient actuellement à Paris le salon Euromaritime, qui réunit les professionnels de la construction navale. Ayant eu l’occasion de le visiter hier pour prendre le pouls de la profession, j’ai constaté des attentes extrêmement fortes de la part des entreprises pour que la relance de l’investissement intervienne dans la construction navale, en particulier dans celle des navires de pêche.
En la matière, on se trouve au cœur des discussions et les décisions susceptibles d'être prises à Bruxelles – l’Europe a la compétence maritime –, et j’espère que le Gouvernement français entendra appuyer les mesures qui sont nécessaires au renouvellement de la flottille de pêche. Nos marins-pêcheurs travaillent aujourd'hui sur des navires extrêmement vétustes. Les professionnels peuvent rendre les rendre beaucoup plus performants grâce aux considérables progrès technologiques qui sont désormais susceptibles d’être intégrés aux navires de pêche afin d’optimiser l’exploitation économique de ces outils de production.
Il est donc indispensable, monsieur le secrétaire d'État, que le Gouvernement français appuie la possibilité de renouveler au plus vite la flottille de pêche.