M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Cette mesure est-elle ciblée, monsieur le secrétaire d’État ? Oui ! Elle est ciblée sur l’investissement et sur les PME.
Vous nous avez parlé du CICE. Permettez-moi de rappeler que ce dispositif est né des suites du dépôt du rapport Gallois. Je me souviens de l’audition de Louis Gallois par notre commission : quelle que soit notre sensibilité politique, nous partagions tous largement son constat, qui soulignait la faiblesse des marges bénéficiaires des entreprises industrielles françaises et, singulièrement, des PME.
Le CICE ne faisait pas partie des préconisations du rapport Gallois, qui conseillait plutôt de baisser les charges. Le Gouvernement a choisi une autre option : un crédit d’impôt assis sur la masse salariale et qui ne cible absolument pas l’industrie, puisque toutes les entreprises qui emploient de la main-d’œuvre en bénéficient, qu’il s’agisse de La Poste ou de la grande distribution – certains amendements nous permettront d’aborder cette question.
Les auteurs de ces amendements identiques ont souhaité s’inspirer d’un dispositif d’amortissement accéléré introduit par le Gouvernement lui-même – sous une forme certes plus restreinte – pour les robots. Leur idée est d’étendre cet amortissement à l’investissement industriel des PME. L’adoption de cette mesure donnerait un signal fort, à un moment où l’investissement et la croissance sont historiquement faibles. Je rappelle que le rapport Gallois, dans ses conclusions, insistait sur la faiblesse des marges des entreprises industrielles en France, qui réduit les capacités d’investissement de nos entreprises.
Ces amendements permettent de répondre à ce problème, et le dispositif qu’ils visent à introduire est également ciblé dans le temps puisqu’il est limité à deux années. L’adoption de cette mesure devrait permettre de donner un coup de fouet à l’investissement, dont beaucoup d’entreprises ont besoin. C’est la raison pour laquelle j’invite notre assemblée à soutenir ces deux amendements identiques.
M. le président. La parole est à M. Jérôme Bignon, pour explication de vote.
M. Jérôme Bignon. Je ne peux que souscrire aux propos du rapporteur général.
Le hasard de la vie fait que j’ai participé, hier matin à Amiens, à une réunion organisée par Mme la préfète de région sur le financement de l’économie dans le département de la Somme. J’imagine que ce type de réunion est organisé périodiquement dans tous les départements. Une des revendications principales des organisations professionnelles présentes dans la salle portait précisément sur l’amélioration du régime des amortissements. En effet, le crédit bancaire et l’amortissement n’ont pas la même signification et leurs effets ne se mesurent pas de la même façon.
Par conséquent, si l’on veut donner un coup de fouet à notre économie, il faut voter ces amendements pour qu’ils conjuguent leurs effets à ceux du CICE, afin que l’investissement de nos entreprises, dont l’équipement vieillit, puisse se développer.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Christian Eckert, secrétaire d’État. Franchement, il ne me semble pas que l’on puisse dire d’une mesure qui vise à favoriser l’amortissement qu’elle est précisément ciblée sur l’investissement…
Je sens bien le procès d’intention que vous faites au Gouvernement avec votre référence au rapport Gallois, monsieur le rapporteur général. Il faut que nous nous disions la vérité : dans la situation de déficit que nous connaissions à la fin de l’année 2012, il était inenvisageable d’alléger les cotisations sociales comme le préconisait le rapport Gallois. Tout l’intérêt du dispositif de crédit d’impôt était donc de permettre aux entreprises d’intégrer le crédit d’impôt dans leurs comptes dès 2013, alors que le coût budgétaire pour l’État était reporté à 2014. C’est l’unique raison pour laquelle nous avons adopté cette mesure. Il ne vous a d’ailleurs pas échappé que le nom de ce crédit d’impôt avait changé : du crédit d’impôt pour la compétitivité, CIC, on est passé au crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, CICE.
Permettez-moi de reprendre l’un des exemples que vous avez cités, celui de La Poste – je ne parlerai pas de la grande distribution, nous aurons l’occasion de le faire plus tard. Si vous rencontrez son président actuel ou son prédécesseur, ils vous diront que, sans le CICE, La Poste serait aujourd’hui très largement déficitaire et serait donc conduite à des suppressions d’emplois et, probablement, à des fermetures de bureaux, ce que personne ne souhaite ici. Je n’ose pas le dire trop fort, car il s’agit en quelque sorte d’une aide déguisée en faveur d’un secteur auquel nous sommes tous très attachés, que l’on peut assimiler à un service public. On pourrait multiplier les exemples !
Mme Primas a dit que le CICE ne monterait pas en puissance en 2015. Je souhaite lui rappeler que le coût prévu du CICE était de 12 milliards d’euros pour 2014, et non de 13 milliards d’euros. Aujourd’hui, alors que l’année n’est pas encore terminée, l’estimation est à 10,8 milliards d’euros : nous ne sommes donc pas très éloignés de l’objectif, d’autant que, vous le savez, les entreprises peuvent réclamer leur crédit d’impôt dans un délai de trois ans, comme pour tout impôt. Or nous savons pertinemment que certaines entreprises font le choix de cumuler deux années.
Il faut donc tuer l’idée que les entreprises n’ont pas recours au CICE. Certes, on peut toujours débattre de l’efficacité de ce dispositif par rapport à d’autres. Peut-être eût-il été plus directement productif de procéder à un allégement des cotisations sociales, mais, je le répète, nous n’en avions pas les moyens. Rappelez-vous la situation de nos déficits, nos engagements vis-à-vis de Bruxelles, l’augmentation de la fiscalité, qui avait d’ailleurs été engagée avant 2012.
Nous avons réussi peu ou prou à maintenir les déficits dans des fourchettes qui nous évitent d’avoir à nous acquitter d’amendes ou à encourir des sanctions de la part de la Commission européenne, tout en nous permettant d’obtenir sur les marchés financiers des taux d’intérêt relativement favorables. N’oubliez pas que la notation d’un État sert aussi de référence aux taux consentis à ses entreprises. Si la France était tenue, comme d’autres pays, d’emprunter à des taux de 3 % ou 4 %, la note des entreprises françaises serait automatiquement dégradée. Cela s’est d’ailleurs produit : lorsque la note de la France a été abaissée, avant et après notre arrivée aux responsabilités, celle des entreprises, y compris celles qui récoltent des fonds sur les marchés comme la Caisse des dépôts et consignations, l’a été mécaniquement, car c’est une règle des agences de notation.
Tous ces commentaires ont pour objet de nous resituer dans le contexte.
En 2015, la situation du déficit aura été améliorée – là encore, certains trouveront que le redressement est trop ou pas assez rapide, selon leur analyse – et le Gouvernement propose, dans le cadre du pacte de solidarité, de franchir une étape supplémentaire avec un allégement des cotisations sociales de plus de 2,5 milliards d’euros, tout en continuant à majorer mécaniquement le CICE de moitié, puisque son taux passera de 4 % à 6 %. Voilà la politique du Gouvernement ! Elle peut certes être insatisfaisante et nécessiter des coups d’accélérateur, mais la plus belle fille du monde ne peut donner que ce qu’elle a...
La proposition contenue dans ces amendements ne fait pas partie de nos priorités, et nous ne nous estimons pas capables de la mettre en œuvre. En effet, même si cette mesure ne fait que retarder, en termes comptables et de trésorerie, le paiement de leurs charges par les entreprises, elle pose une difficulté supplémentaire pour notre gestion budgétaire.
Le Gouvernement maintient donc son avis défavorable.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos I-273 rectifié et I-401 rectifié.
(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 8.
L’amendement n° I-288 rectifié, présenté par M. Gattolin et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :
Après l’article 8
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L'article 209 du code général des impôts est complété par un paragraphe ainsi rédigé :
« … – Les contributions au Fonds de résolution unique, telles que visées à la section 1 du chapitre 2 du titre V du règlement (UE) n° 806/2014 du Parlement européen et du Conseil du 15 juillet 2014 établissant des règles et une procédure uniformes pour la résolution des établissements de crédit et de certaines entreprises d’investissement dans le cadre d’un mécanisme de résolution unique et d’un Fonds de résolution bancaire unique, et modifiant le règlement (UE) n° 1093/2010, ne sont pas déductibles pour l'établissement de l'impôt sur les sociétés. »
La parole est à M. André Gattolin.
M. André Gattolin. Cet amendement vise à faire faire de manière préventive des économies au budget de l’État, en garantissant la non-déductibilité de l’abondement des banques françaises au Fonds de résolution unique mis en place par l’Union européenne pour constituer une forme d’assurance, en cas de risque systémique encouru par une banque, d’un montant de 55 milliards d’euros.
On peut estimer que la quote-part dévolue aux banques françaises – les chiffres évoluent au gré des discussions – serait, au terme des négociations actuelles, d’ailleurs plutôt bien menées par le Gouvernement, de 15 milliards d’euros sur huit ans, au lieu des 17 milliards d’euros prévus au départ. C’est à peu près le même montant que celui envisagé pour les banques allemandes.
Cette forme d’assurance collective que se donnent les banques pour éviter une crise financière comme celle que nous avons connue en 2008 et dont nous connaissons les lourdes conséquences économiques et le coût pour la société n’a pas à être déductible de l’impôt sur les sociétés. On nous dit en effet que l’argent prêté par l’État aux banques a été remboursé. Or force est de constater que, avant 2008, le taux d’endettement moyen dans la zone euro était de 70 % et qu’il est aujourd’hui de plus de 90 %. De deux choses l’une, soit les États ont été particulièrement dispendieux durant cette période, soit ils ont dû compenser les effets d’une crise provoquée par la spéculation outrancière pratiquée par certains établissements bancaires.
Je le répète, la contribution des établissements bancaires au Fonds de résolution unique, qui constitue l’un des éléments de la construction de l’union bancaire, n’a pas à être déductible de l’impôt sur les sociétés. Si tel devait être le cas, cela signifierait que, sur les 15 milliards d’euros payés par les banques françaises sur huit ans, le budget de l’État pourrait être privé d’une ressource de 5 milliards d’euros. On nous cite souvent l’Allemagne en exemple. Or ce pays ne pratique pas une telle déductibilité.
Il est important que les banques prennent leurs responsabilités, d’autant que le montant des crédits du Fonds de résolution unique n’est finalement pas si élevé, au regard de la capacité d’absorption d’une banque comme BNP Paribas, capable de payer une amende de 9 milliards d’euros.
Ce que nous vous proposons, c’est de prendre une mesure de précaution visant à prévenir la spéculation abusive. Mon propos peut surprendre, dans la mesure où l’on ne peut interdire la spéculation bancaire ; mais tout au moins peut-on en éviter les excès. Si l’État, et à travers lui le contribuable, réassure à hauteur d’un tiers de l’abondement des banques françaises, où est la dimension préventive ?
Cet amendement vise donc à rectifier et à préciser un texte européen que nous avons transposé il y a un peu plus d’un mois dans notre droit. Je n’ai malheureusement pas dû être assez convaincant au cours de ce débat, car je ne suis pas parvenu à faire admettre l’idée de la non-déductibilité de cette contribution. Nous en verrons les conséquences dans nos budgets au cours des huit prochaines années...
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Je ne vais pas me prononcer aujourd’hui sur le fond, non que je veuille éluder la question, mais parce que le débat aura lieu dans quelques jours lors de l’examen du projet de loi de finances rectificative, dont un article prévoit la non-déductibilité de la taxe systémique. J’invite donc André Gattolin à retirer son amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Je remercie le rapporteur général de faire par avance la promotion du projet de loi de finances rectificative.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Je n’ai pas dit quelle serait notre position !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Vous auriez pu : vous avez lu l’article et vu la réaction des banques ; comme moi, vous lisez la presse...
Un amendement du groupe CRC tendant à rendre la taxe systémique non déductible nous sera présenté ultérieurement. Le Gouvernement entend le satisfaire, tout comme l’amendement que vient de présenter M. Gattolin.
M. André Gattolin. Merci, monsieur le secrétaire d’État !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Ce faisant, le Gouvernement prévoit une mesure qui programmera une baisse en « sifflet » de la taxe systémique. En effet, la contribution au Fonds de résolution unique est beaucoup plus importante que la taxe systémique, laquelle représente un petit milliard d’euros, tandis que l’ensemble des contributions des banques françaises au FRU se situe autour de 11 milliards ou 13 milliards d’euros – le montant n’est pas encore complètement arrêté –, soit dix fois plus, mais étalé sur plusieurs années.
Ce dispositif, le Gouvernement vous le proposera lors de l’examen du projet de loi de finances rectificative. En attendant, il serait sans doute plus sage de retirer cet amendement. À défaut, j’émettrai un avis défavorable.
M. le président. Monsieur Gattolin, l’amendement n° I-288 rectifié est-il maintenu ?
M. André Gattolin. Si j’ai déposé cet amendement, c’était pour faire une piqûre de rappel. Nous avions en effet été un peu trop rapides, selon moi, lors de l’examen du projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation de la législation au droit de l’Union européenne en matière économique et financière il y a cinq semaines. Nous avons cependant eu des échanges avec M. le secrétaire d’État depuis lors, et je dois saluer son écoute sur cette question.
Dans la mesure où nous aurons à nouveau l’occasion d’aborder le sujet, j’accepte de retirer mon amendement. J’espère que nous aurons tous conscience de l’importance d’adopter cette proposition lors de l’examen du projet de loi de finances rectificative. N’oublions pas qu’il s’agit des comptes de l’État !
M. le président. L’amendement n° I-288 rectifié est retiré.
L’amendement n° I-208, présenté par M. Foucaud, Mme Beaufils, M. Bocquet et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Après l’article 8
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Après l’article 235 ter ZCA du code général des impôts, il est inséré un article 235 ter … ainsi rédigé :
« Art. 235 ter … – I. – Les sociétés concessionnaires d’autoroutes sont assujetties à une contribution exceptionnelle au titre des montants qu’ils distribuent au sens des articles 109 à 117 du présent code. Cette contribution est égale à 50 % des montants distribués.
« II. – Cette contribution, qui, par dérogation aux stipulations contractuelles, ne peut faire l’objet d’aucune compensation, est due au titre des exercices clos à compter du 31 décembre 2014 et jusqu’au 30 décembre 2017.
« III. – Les crédits d’impôt de toute nature ainsi que la créance mentionnée à l’article 220 quinquies ne sont pas imputables sur la contribution.
« IV. – La contribution est établie, contrôlée et recouvrée comme l’impôt sur les sociétés et sous les mêmes garanties et sanctions. »
La parole est à Mme Marie-France Beaufils.
Mme Marie-France Beaufils. Un chiffre d’affaires de 8,9 milliards d’euros, une rentabilité située entre 20 % et 24 % sur un marché étonnamment captif, près de 15 milliards d’euros de dividendes distribués depuis 2007, soit une moyenne d’environ 2 milliards d’euros par an, voilà les données rapidement retracées qui nous permettent de mesurer ce que recouvre la véritable rente de situation que des groupes comme Vinci, Eiffage ou l’espagnol Abertis ont acquise en prenant en charge l’entretien et l’exploitation du réseau autoroutier français.
Ce qui fut qualifié de « privatisation des autoroutes » montre clairement à quel point ce genre d’opération s’avère être, sur la durée, une mauvaise affaire pour les comptes publics. Les participations de l’État ont été cédées à un prix inférieur à celui qui pouvait être exigé, et la marge des acquéreurs s’en est trouvée d’autant plus assurée qu’elle se dégageait dans le contexte d’une concurrence parfaitement organisée entre opérateurs, chacun d’eux ayant à sa « charge » – on peut se demander si ce mot a un sens en l’espèce – une partie du réseau, sur laquelle il pouvait faire la pluie et le beau temps, et notamment fixer le niveau de tarif des péages comme il l’entendait, ou presque.
Cette situation est d’autant plus regrettable que nous sommes à un moment essentiel de la vie économique du pays et à un moment où nous devons effectuer des choix majeurs pour les années, et même les décennies, à venir. L’un de ces choix, nous en avons déjà parlé, est celui de la transition énergétique, laquelle passe par le report modal du transport des marchandises comme des personnes, un report modal conditionné par des investissements d’importance que l’abandon de l’écotaxe n’a pas forcément rendus plus facile.
Pour autant, nous estimons en toute logique que le mode de transport le plus critiquable du point de vue du respect de l’environnement, en l’espèce le transport routier, doit être le plus directement mis à contribution et qu’il faut faire en sorte que cette contribution soit utilisée à bon escient.
C’est en ce sens que nous souhaitons mettre en place, avec cet amendement, une contribution frappant les résultats – pour le moins exceptionnels ! – des sociétés autoroutières, afin que ces sommes soient orientées vers les investissements clés en matière de transport. Ce serait un bon outil pour permettre à l’Agence de financement des infrastructures de transport de France, l’AFITF, de disposer d’environ 1 milliard d’euros de ressources permettant de lancer une partie des investissements structurants qu’elle est appelée à piloter. De surcroît, cela offrirait une alternative au financement de l’Agence par affectation d’une partie du produit de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques, la TICPE ; en effet, même si cette optique peut se comprendre, le problème est qu’elle passerait a priori en 2015 par un nouveau « rattrapage » de la fiscalité du diesel sur les autres modes.
Lors de nos échanges, plusieurs membres du Gouvernement – notamment vous, monsieur le secrétaire d’État – ont eu des réactions très vives à propos de la rente de situation dont jouissent les sociétés autoroutières. Notre amendement va tout à fait dans le sens de cette légitime protestation.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. La commission, comme l’ensemble de nos collègues, en particulier Marie-Hélène Des Esgaulx, ne peut qu’être sensible à la volonté de trouver des crédits pour l’AFITF en remplacement de l’écotaxe, qui s’est évaporée au gré d’une décision ministérielle. Rappelons qu’il faut aussi indemniser la société Ecomouv’.
On ne peut qu’être ouvert à toute idée qui permettrait de financer l’AFITF, qui va se trouver privée de nombreuses ressources. Mais la taxation des sociétés concessionnaires d’autoroutes est-elle une bonne solution ? Nous aurons à en débattre, car, sur l’initiative de la commission du développement durable, un groupe de travail se penche actuellement sur la question des autoroutes. Nous auditionnerons aussi, au sein de la commission des finances, les sociétés concessionnaires d’autoroutes, et nous aurons sans doute des propositions à faire.
Cet amendement, tel qu’il est rédigé, ne nous a pas paru opérant. En effet, les sociétés autoroutières sont liées par des contrats de concession, lesquels sont assez bien verrouillés au regard des taxes nouvelles que l’on serait tenté de leur imposer. L’amendement de nos collègues du groupe CRC est cependant très bien rédigé, puisqu’il tend à prévoir que cette contribution pourra être faite par dérogation aux stipulations contractuelles. Mais une telle disposition tiendrait-elle devant le Conseil constitutionnel ? J’ai les plus grands doutes à cet égard... Je m’interroge également sur la responsabilité de l’État, qui pourrait être engagée si l’on décidait de déroger aux stipulations contractuelles.
Le sujet du financement global de nos infrastructures mérite sans doute mieux qu’un amendement présentant les plus grands risques juridiques. Dans l’attente de travaux parlementaires plus approfondis, la commission a donc émis un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Vaste sujet ! La rédaction adoptée par les auteurs de l’amendement montre bien qu’il existe une difficulté, et même plusieurs.
Sachez que le Gouvernement est prêt à assumer ses erreurs. Je sais que cette attitude n’est pas courante ; pourtant, il est normal de reconnaître qu’on a fait une erreur, d’autant que cela peut nous arriver à tous. D’ailleurs, les électeurs sont parfois capables de le comprendre. En revanche, le Gouvernement n’aime pas beaucoup devoir assumer les erreurs des gouvernements précédents et en payer les conséquences.
Ces erreurs sont nombreuses.
Mme Marie-France Beaufils. C’est clair !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Appelons un chat un chat : erreur lors de la privatisation des autoroutes, erreur probable sur le prix, comme le soulignent nombre de rapports, erreur sur les contrats « béton » – c’est le cas de le dire. Pour faire court, ces contrats stipulent que, en cas d’alourdissement de la fiscalité, les sociétés autoroutières devront obtenir des compensations, par exemple en répercutant cette augmentation sur le tarif des péages.
Le II de votre amendement, madame la sénatrice, vise précisément à remettre en cause de telles clauses. Il est vrai que celles-ci se sont généralisées dans les contrats au point que, si le Gouvernement veut récupérer une partie des gains de ces sociétés concessionnaires par l’impôt, par une contribution exceptionnelle ou par la majoration de l’une des deux taxes existantes sur les autoroutes, il y a de forts risques que cela se traduise pour celles-ci par une compensation, qu’il s’agisse d’un allongement de la concession ou d’une augmentation du montant des péages. Le Gouvernement ne souhaite pas aller dans cette direction : il veut éviter que ce soit sur l’usager que reposent les erreurs du passé.
Monsieur le rapporteur général, vous avez établi un lien avec l’écotaxe.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. On parlait de l’AFITF !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. L’AFITF n’a pas besoin de financement en soi ! Ce qu’il faut, c’est financer des investissements sur les infrastructures de transport, quel que soit l’acteur en cause : collectivités, État, AFITF, secteur privé. En effet – pourquoi le cacher ? –, même avant l’affaire de l’écotaxe, des négociations étaient en cours pour que les sociétés concessionnaires d’autoroutes réalisent des investissements en échange d’un allongement de la durée de leur concession. (M. le rapporteur général de la commission des finances acquiesce.) Un premier plan de relance a même été négocié avec Bruxelles, car cela suppose une homologation de la Commission européenne.
M. Michel Bouvard. Oui !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Pour compenser la malencontreuse affaire de l’écotaxe, qui a été mal engagée par nos prédécesseurs – comme disait ma grand-mère, quand c’est mal engagé, cela ne peut que mal finir ! –, nous examinons en ce moment le moyen d’obtenir des sociétés concessionnaires d’autoroutes des investissements en échange éventuellement d’un allongement de la durée de leur concession. D’autres hypothèses sont à l’étude.
Votre interrogation est légitime, et c’est le droit, pour ne pas dire le devoir, du Parlement d’examiner ces affaires au fond. Il ne m’a pas échappé que, sur ce sujet, une commission d’enquête avait été créée, dont j’ai lu attentivement le rapport.
Voilà ce que je peux dire sur le sujet. J’en ai même probablement dit un peu trop. Vous le savez, des échanges ont lieu en ce moment entre le Gouvernement et les sociétés concessionnaires d’autoroutes pour trouver un moyen de se sortir de cette affaire, dont j’ai tenu à resituer les responsabilités. À ce stade, je ne peux pas en dire plus pour deux raisons. D’une part, je ne sais pas tout, car je passe beaucoup de temps avec vous ; certes, c’est toujours intéressant, mais cela m’empêche de me consacrer à d’autres sujets. (Sourires.) D’autre part, quand bien même j’en saurais beaucoup plus, ces discussions ont parfois trait au secret des affaires.
En outre, madame la sénatrice, des questions autres que celles que vous avez soulevées se posent. En effet, certains ont imaginé que l’on pouvait taxer les sociétés mères des filiales sociétés concessionnaires d’autoroutes. Or cette voie n’est pas facile à explorer, car certaines d’entre elles sont à l’étranger ; en l’espèce, vous l’avez précisé, en Espagne.
Veuillez me pardonner cette réponse un peu longue, mais il m’a semblé légitime de vous donner des informations détaillées. Tout cela me conduit à demander le retrait de l’amendement ; à défaut, le Gouvernement émettra un avis défavorable.
M. le président. La parole est à M. Alain Fouché, pour explication de vote.
M. Alain Fouché. La question est complexe. M. le secrétaire d’État a parlé d’erreur – tous les gouvernements en commettent – concernant la privatisation des autoroutes, mais je n’y reviens pas.
La réflexion qui a présidé à l’élaboration de cet amendement paraît intéressante. Mme Beaufils et moi sommes situés sur le même axe autoroutier. Nous constatons tous deux que le trafic y est énorme.
Il est vrai que les sociétés autoroutières gagnent beaucoup d’argent ; c’est une véritable rente de situation. Le principe de la taxation me convient donc. Reste à savoir si celle-ci entraînera une hausse des tarifs.
Il convient de poursuivre la réflexion. La commission du développement durable a d’ailleurs commencé à travailler sur le sujet. C’est pourquoi je ne voterai pas contre cet amendement, qui permet de faire avancer le débat ; je m’abstiendrai. Il est certain qu’il faut pomper les sociétés concessionnaires d’autoroutes, car je trouve scandaleux qu’elles gagnent autant d’argent.