M. Michel Vergoz. Parlons des vôtres !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Je ne prendrai qu’un exemple, assez édifiant, celui de la fiscalité immobilière au cours des deux dernières années.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Multiplication des mesures ciblées qui créent des incitations de sens contraire parfois d’une année sur l’autre ;…
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Tout à fait ! On n’y comprend rien !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. … dispositifs mis en œuvre sur la base d’instructions fiscales avant même l’examen des textes par le Parlement ; révision de dispositifs à peine entrés en vigueur – le dispositif « Pinel » succédant au « Duflot », issu la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, dite loi « ALUR », etc. : bref, les revirements sont incessants !
Au regard de la situation du bâtiment et des travaux publics, qui subissent la baisse considérable des permis de construire, dont les conséquences sont considérables sur l’accès au logement, l’emploi et la croissance, il serait utile de s’interroger sur l’efficacité de cette politique sans cap et sur l’effet déroutant, sinon anxiogène, d’annonces temporaires, improvisées et inconstantes. La commission des finances du Sénat s’attellera possiblement à cette tâche tout au long de l’année prochaine.
Au lieu de la grande réforme annoncée – prélèvement à la source, fusion entre l’impôt sur le revenu et la CSG, etc. –, nous assistons à un bricolage fiscal permanent qui n’a pas fait avancer le système de prélèvements obligatoires vers plus d’efficacité, d’équité ou de lisibilité.
Les changements ont rendu ce système totalement opaque et plus complexe qu’il ne l’était déjà !
De surcroît, nous avons atteint un niveau d’exaspération fiscale sans précédent, exaspération attisée peut-être par une communication gouvernementale parfois déroutante – je ne m’étendrai pas sur le sujet.
S’il est un exemple marquant de l’inconséquence du Gouvernement, c’est sans doute l’écotaxe (M. Alain Richard applaudit.) ; Marie-Hélène Des Esgaulx y reviendra.
Le dispositif a été remanié à la hâte au début de l’été et transformé en « péage de transit » ; il a ensuite été suspendu sine die, sur l’initiative personnelle de la ministre de l’écologie et, semble-t-il, sans concertation interministérielle préalable ni réflexion sur les conséquences budgétaires d’un tel choix.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Cela va nous coûter cher !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Je ne parle même pas du financement de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France.
Le contrat a finalement été dénoncé la veille du 1er novembre parce que le dépassement de cette date aurait entraîné un surcoût. Il semble que le Gouvernement espère désormais gagner du temps en préférant recourir à des arguties juridiques sur la constitutionnalité du contrat plutôt que d’assumer les conséquences financières de sa décision.
Cette méthode pose un problème : celui de la bonne foi contractuelle de l’État, mais également celui de la sincérité budgétaire. (M. Michel Vergoz s’exclame.) C’est pourquoi la commission des finances a rejeté les crédits de la mission.
Le résultat, c’est une fiscalité écologique réduite pour l’essentiel à une simple augmentation des taxes sur le gazole, probablement inefficace tant écologiquement que budgétairement puisque les poids lourds étrangers – c’était l’un des objets de l’écotaxe – peuvent faire le plein avant d’entrer en France puis traverser le pays sans acquitter un seul centime de taxe. Par ailleurs, la recette est affectée pour une année seulement à l’AFITF.
Les conséquences de l’abandon de l’écotaxe, ce sont des personnels et des équipements sans mission ni perspectives claires. Ce sont aussi des dispositions toujours juridiquement en vigueur dans le code des douanes, monsieur le secrétaire d’État. C’est enfin une indemnisation d’Écomouv’ qui n’est pas budgétée, le Gouvernement la considérant encore comme incertaine !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Eh oui !
M. Éric Doligé. Les collectivités paieront !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Écomouv’ est l’illustration des revirements d’une politique !
M. Alain Richard. Ça fait plusieurs années !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Il s’agit d’un signal négatif de plus en direction des investisseurs étrangers, dans un contexte déjà difficile pour notre pays.
M. Michel Vergoz. Ce n’est pas nouveau !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Une étude a montré récemment que l’image de la France auprès des investisseurs étrangers se dégrade. Les changements incessants de politiques contribuent à ce phénomène. Les investisseurs ont besoin avant tout d’un cadre réglementaire souple et performant. Même s’ils ont également des attentes en termes de flexibilité du travail, ils veulent une fiscalité à la fois simple, lisible et stable.
Dès lors, les mesures prises en dehors de toute logique économique, qu’il s’agisse de la taxe à 75 %, des dispositions relatives aux cessions d’entreprises,…
M. Michel Vergoz. Vous avez bradé les bijoux de famille !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. … de la création d’un compte de prévention de la pénibilité ou des pressions récurrentes pour réduire les effets du crédit d’impôt recherche ou du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE, constituent des signaux particulièrement malvenus à l’égard des investisseurs étrangers.
M. Michel Vergoz. Et les autoroutes !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Au début du quinquennat, le Gouvernement avait indiqué que son mandat serait « organisé en deux temps », avec d’abord des réformes structurelles pour redresser les finances, puis une politique de « redistribution ». En pratique, le premier temps aura surtout été celui d’un matraquage fiscal désordonné. Je rappelle que le produit de l’impôt sur le revenu a augmenté de 35 % depuis 2011 !
M. Henri de Raincourt. Oh là là !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Belle façon de tenir ses promesses !
M. Éric Doligé. Oui, mais les impôts vont bientôt baisser ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Le tout, sans réforme fiscale ambitieuse. Suppression des heures supplémentaires, taxation des revenus du capital, etc. Le résultat de cette politique se constate aisément : une moins-value de recettes fiscales de 11 milliards d’euros par rapport aux prévisions de la loi de finances initiale, qui, au-delà de la conjoncture, traduit le « ras-le-bol fiscal » des Français que l’ancien ministre de l’économie soulignait dès août 2013. Depuis lors, après avoir annoncé sans doute peut-être prématurément une pause fiscale, le Gouvernement a indiqué qu’il n’y aurait pas, à partir de l’année prochaine, d’impôt supplémentaire au-delà de ce qui était annoncé. Cependant les Français savent pertinemment que cet engagement ne sera pas tenu !
M. Éric Doligé. C’est évident !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. J’en veux pour preuve la traduction qu’en a faite le président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale, synthétisant la communication gouvernementale : il n’y aura pas de nouvelle augmentation d’impôts en 2015, mais tout est encore possible jusqu’au 31 décembre 2014 ! Nous le verrons, notamment avec le projet de loi de finances rectificative…
Comment voulez-vous que nos compatriotes, échaudés par les promesses non tenues, croient à toutes ces annonces ? Combien de fois avons-nous entendu dire que « neuf Français sur dix seraient épargnés par les hausses d’impôts », que « les impôts n’augmenteraient plus » ou qu’« ils baisseraient à partir de cette année », engagements chaque fois contredits et reportés ?
Sans même rappeler les effets des augmentations de fiscalité intervenues auparavant, le projet de loi de finances prévoit bien une hausse de la taxation du gazole, une hausse de diverses taxes pour financer l’aide juridictionnelle et une hausse de la contribution à l’audiovisuel public. Le projet de loi de finances rectificative pour 2014 prévoit, pour sa part, un florilège de petites augmentations pour financer en particulier les 3,6 milliards d’euros supplémentaires évoqués par M. le secrétaire d’État : possibilité de surtaxer les résidences secondaires, relèvement de la taxe de séjour et de la taxe d’aéroport, nouvelles taxes spécifiques à l’Île-de-France, hausses d’impôts pour les banques et les assurances, non-déductibilité d’un certain nombre de contributions. Voilà qui vient écorner les engagements de stabilité fiscale pris dans le cadre des assises de la fiscalité !
Il convient d’ajouter à cela la baisse des dotations aux collectivités territoriales – nous en parlerons très largement tout au long du débat – dont le Gouvernement lui-même prévoit qu’elle entraînera mécaniquement une hausse de la fiscalité locale. Entre la diminution des dotations et l’accroissement des marges de manœuvre de la fiscalité locale, on fera peser sur les collectivités territoriales l’impopularité de hausses d’impôts qu’elles seront contraintes de mettre en œuvre.
Ces revirements incessants et cette absence de cap ont malheureusement un effet tout à fait dépressif sur le moral des ménages et sur celui des entreprises. J’en veux pour preuve le taux d’épargne des Français, qui a encore augmenté et est passé de 15,1 % en 2013 à 15,9 % en 2014, ce qui trahit un manque de confiance, voire une défiance de leur part à l’égard des politiques fiscales, qui pèse sur l’emploi et la croissance.
C’est d’autant plus le cas que les Français ont une conscience aigüe de la dette qui pèse sur leurs épaules et sur celles de leurs enfants. Ce ne sont pas simplement les 2 000 milliards d’euros de dette que nous atteignons, ce sont les 188 milliards d’euros que la France va devoir solliciter sur les marchés.
Dans ce contexte, comment repousser encore l’ajustement budgétaire ? Comment faire en sorte que nos concitoyens consomment et n’augmentent pas encore leur épargne pour faire face aux dépenses qu’ils devront assumer demain ? N’est-il pas temps de mettre en œuvre une politique qui nous permette de ne pas reporter indéfiniment nos dettes en nous appuyant sur la faiblesse historique des taux d’intérêt ?
J’en viens maintenant aux économies. C’est un fait – reconnaissons-le –, la dépense de l’État est, en apparence, assez bien maîtrisée. Mais à quel prix ? Au prix, sans doute, de petits arrangements avec les normes – comme on pourra le constater lors de l’examen d’un certain nombre de budgets manifestement peu sincères – ou au prix d’une mise en tension croissante d’un certain nombre de gestionnaires publics dont on prélève les fonds de roulement.
Le projet de loi de finances rectificative que nous examinerons dans quelques semaines montre, lui aussi, des dérapages sur les dépenses les plus dynamiques. Nous savons qu’un certain nombre de programmes sont insuffisamment dotés et qu’ils ne font l’objet d’aucune réforme d’ampleur. Il s’agit des dépenses de rémunération et de « guichet » qui représentent près d’un milliard d’euros d’ouvertures de crédits.
Au lieu de mettre en œuvre des réformes structurelles permettant de maîtriser la dérive continuelle des coûts d’intervention et de réduire les effectifs de la fonction publique, l’État réalise la plupart de ses économies en réduisant les moyens des administrations publiques, réductions justifiées par un habillage conceptuel : on parle d’« optimisation », de « mutualisation », de « gains de productivité ».
En réalité, vous avez décalé les dates d’indexation de certaines prestations, de façon à gagner quelques moyens, et effectué des prélèvements sur les fonds de roulement d’organismes chargés de missions de service public. Mais ces opérations – nous le savons tous – ne peuvent se produire qu’une fois, ce sont des fusils à un coup.
Pour le reste, vous avez désindexé, de manière timide, certaines prestations, mais sans agir sur les autres déterminants de la dépense, qu’il s’agisse de leurs montants ou, pour les prestations sociales, des critères d’attribution.
La méthode du Gouvernement consiste en de nombreuses mesures disséminées, qui sont d’ailleurs, pour certaines d’entre elles, d’ampleur très limitée, mais sans abandon ni remise en question des missions de l’État. Le Gouvernement ne veut pas donner l’impression qu’il pratique l’austérité. Mais comment communiquer sur un budget qui, en définitive, ne permet aucune décision ou presque et qui ne vise qu’à habiller une pénurie de moyens ?
Je ne nie pas, monsieur le secrétaire d’État, les efforts accomplis en matière de modernisation de l’administration et, en particulier, les avancées en matière de simplification, mais je doute que cela permette de documenter des économies de l’ampleur de celles que vous annoncez.
Du reste, quelques indices semblent le montrer. Je pense notamment – et nous avons eu l’occasion de nous en expliquer – à la réserve de précaution, au taux de mise en réserve des crédits, qui s’établit à 8 % dans le projet de loi de finances pour 2015. Elle pourrait encore augmenter l’année prochaine, si j’en juge par le souhait du Gouvernement de ne pas plafonner ou de ne pas encadrer le taux de mise en réserve, comme l’avait proposé le Sénat dans la loi de programmation. Nous avions en effet proposé une sorte de tunnel qui permettait d’encadrer à la hausse le taux de mise en réserve.
Je constate également la difficulté de boucler les fins de gestion ainsi que l’accroissement du volume des charges reporté sur l’exercice suivant.
Dans une large mesure, les budgets que vous n’avez pas pris en budgétisation sont reportés en exécution. Il revient alors aux gestionnaires de chaque ministère, y compris sur le terrain, de résoudre les contradictions du politique.
Enfin, il faut souligner – c’est sans doute ce qui nous distingue le plus – la faible documentation des réformes structurelles. Il n’y a pas de réformes structurelles. (M. Michel Bouvard applaudit.) Vous annoncez une modernisation de l’action publique déconnectée du calendrier budgétaire. Une revue de dépenses devrait être réalisée chaque année. Il s’agit sans doute d’une initiative utile, mais quelle sera la réalité de cette revue de dépenses ? Aboutira-t-on à des réformes structurelles ?
Au final, vos 50 milliards d’euros d’économies sur la période 2015-2017 conservent, pour nous, une très large part de mystère. D’ailleurs, sur le montant de 21 milliards d’euros prévu en 2015, la Commission européenne estime que 2 milliards d’euros ne sont pas suffisamment documentés pour être pris en compte.
La réduction de notre déficit public suit un rythme plus lent que dans la plupart des pays de la zone euro : je l’ai dit tout à l’heure, par son ampleur, nous sommes en troisième position et son niveau, de 4,4 % en 2014, est sensiblement supérieur à la moyenne de la zone euro, qui s’établit à 2,6 %.
Les récentes prévisions d’automne de la Commission montrent que nous serons la « lanterne rouge » de la zone en 2016, avec un déficit de 4,7 % du PIB.
Certes, la méthodologie de ces projections conduit à ne retenir que les économies déjà décidées et non celles qui sont prévues. Pour autant, cela montre bien l’absence de garantie, à ce stade, quant à l’atteinte des objectifs d’économies et de solde lorsque d’autres pays ont adopté les mesures qui doivent produire leurs effets au cours des prochaines années.
Les économies sont réalisées d’une année sur l’autre dans une logique de bouclage budgétaire de fin d’année qui conduit le Gouvernement à remettre annuellement l’ouvrage sur le métier, quand des réformes de structure auraient permis de dégager des économies pérennes et d’élever notre niveau de croissance.
En outre, l’absence d’économies structurelles ne permet pas de dégager des marges suffisantes pour financer les priorités du Gouvernement. Elle conduit à envisager des manipulations budgétaires contestables ; nous aurons l’occasion d’en parler, en particulier lors de l’examen du budget de la mission « Défense ».
La garantie de ces moyens – nous y reviendrons – est d’autant plus essentielle que le contexte international appelle, de notre part, une plus grande vigilance. Nous sommes présents sur plusieurs théâtres d’opérations extérieures.
Mme Nathalie Goulet. C’est bien !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. L’armée est fortement sollicitée, qu’il s’agisse de ses hommes ou de ses matériels. Or on constate une sorte de détournement des crédits du programme d’investissement d’avenir de leur vocation initiale. Nous constatons également des manipulations budgétaires sur le compte d’affectation spéciale « Fréquences ». Nous aurons l’occasion de revenir sur cette créativité budgétaire. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.) Je ne sais pas s’il faut l’applaudir,…
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Ce n’est pas la créativité budgétaire que nous applaudissons ! (C’est l’orateur ! sur certaines travées de l'UMP.)
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. … mais elle est en tout cas très inquiétante, car on va créer des sociétés de projets, anticiper des recettes du compte d’affectation spéciale « Fréquences », qui, nous le savons, monsieur le secrétaire d’État, n’interviendront pas en 2015. Les hypothèses irréalistes retenues dans la loi de programmation militaire ne seront donc pas respectées.
En tout état de cause, le Gouvernement semble s’engager – ainsi que vous l’avez dit à l’occasion de la loi de programmation et répété tout à l'heure, monsieur le secrétaire d’État – à réaliser 50 milliards d’euros d’économies – ni plus ni moins –, quelles que soient par ailleurs les décisions prises en matière de prélèvements obligatoires.
Le Gouvernement s’engage également – vous l’avez précisé – à ne pas augmenter les impôts et à respecter la trajectoire afin de revenir au taux de 3 % de déficit en 2017 et d’atteindre notre objectif de moyen terme.
Mais, à regarder les multiples objectifs que l’on s’est fixés – ne pas augmenter les impôts, revenir à 3 % de déficit, réaliser 50 milliards d’euros d’économies –, chacun comprendra qu’il y a dans cette équation un pari très audacieux, un pari sur un rebond qui serait à la fois exceptionnel et inattendu de la croissance. Malheureusement, lorsque l’on écoute le gouverneur de la Banque de France, le président du Haut Conseil des finances publiques ou encore la Commission européenne, on ne constate pas ce rebond de la croissance. Ou alors, comme le considèrent aujourd’hui la plupart des économistes, il sera, dans la pratique, extrêmement difficile de passer sous le seuil de 3 % en 2017 sans augmenter les impôts ou recourir à des économies structurelles.
À vrai dire, personne ne sait, à ce stade, quelle est la variable d’ajustement, mais chacun a une idée de ce qui se passera.
En tout état de cause, à l’arrivée, l’Union européenne et nos partenaires ont du mal à croire aux engagements de la France en matière d’économies. Nos concitoyens ne croient pas plus aux engagements pris en matière fiscale et ont tous un doute sérieux quant à la capacité du Gouvernement de fournir les efforts nécessaires pour les tenir.
Le nouveau commissaire européen aux affaires économiques, Pierre Moscovici, indiquait récemment ceci : « Il n’y a pas de réponse simple et unique aux difficultés auxquelles l’Europe est confrontée. Nous devons travailler sur trois fronts : des politiques budgétaires crédibles, des réformes structurelles ambitieuses, et la relance de l’investissement, à la fois public et privé. »
M. Éric Doligé. Il n’y a rien de fait !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. À l’aune de ces trois fronts, nous ne voyons pas, dans le projet de loi de finances pour 2015, de réponse appropriée.
Je crois avoir largement évoqué la crédibilité limitée de notre politique budgétaire par ses hypothèses optimistes, par ses économies incertaines, par la trajectoire non respectée et fortement revue à la baisse. Donc, pas de réponse du côté de la politique budgétaire !
S’agissant des réformes structurelles, je n’en vois pas la marque dans le projet de loi de finances pour 2015.
Enfin, s’agissant de l’investissement public, j’ai peur, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, qu’il ne soit la variable d’ajustement des budgets des collectivités territoriales,…
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Évidemment !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. … pour faire face à la fois à la baisse de leurs dotations et à des transferts de charges croissants, comme l’a d’ailleurs montré le récent rapport de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation. C’est bien entendu un sujet sur lequel nous aurons très largement l’occasion de revenir au cours de nos débats.
Cet ajustement par l’investissement est également, au-delà des collectivités, malheureusement à l’œuvre dans le budget de l’État. L’investissement privé, quant à lui, diminue continuellement et devrait de nouveau baisser en 2015, compte tenu des perspectives de croissance très faibles, mais aussi de la diminution des taux de marge, ce qui d'ailleurs nous conduit à nous interroger sur les effets du CICE.
Le diagnostic est assez bien établi : il faut redéfinir le périmètre des interventions de l’État, maîtriser le dynamisme des dépenses sociales, assouplir le marché du travail, réformer notre système scolaire et de formation professionnelle, évaluer l’efficacité des grandes politiques – je pense au logement. Bref, il faut faire des réformes de structure.
M. Claude Raynal. Ce que vous n’avez jamais fait !
M. Michel Vergoz. Cent vingt milliards d’euros d’économies, dites-le !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Nous allons vous proposer des pistes, et là, vous ne serez pas déçus puisque nous n’allons pas – pour des raisons à la fois juridiques et de calendrier, les institutions de la Ve République en matière budgétaire étant ce qu’elles sont – vous proposer un « contre-budget ». La discussion qui s’ouvre aujourd'hui sera, pour notre majorité, l’occasion de marquer nos différences, tant sur les collectivités que sur la fiscalité des entreprises ou la fiscalité des ménages et des familles. Ce sera également l’occasion de montrer notre capacité à faire des économies réelles sur les crédits des missions.
Nous reviendrons sur les collectivités, mais je vous annonce tout de suite que nous ne sommes pas hostiles à une diminution des concours financiers des collectivités. Nous avons tenu compte, dans leur diminution, des charges nouvelles qui leur étaient imposées. La commission des finances a ainsi proposé un amendement visant à réduire la baisse des dotations aux collectivités du montant que l’État impose en permanence au titre des dépenses nouvelles ou des normes nouvelles. (Mme Françoise Gatel ainsi que MM. Michel Bouvard et Daniel Chasseing applaudissent.)
Nous proposerons également, au titre de la première partie de ce projet de loi de finances, des mesures très concrètes en faveur des familles. Celles-ci nous semblent, du fait des abaissements successifs du quotient familial et de la politique en matière d’allocations familiales, avoir été le plus touchées par la politique fiscale du Gouvernement.
Nous proposerons – j’ai parlé à l’instant de la faiblesse de l’investissement tant public que privé – des mesures en faveur de l’investissement des PME.
Nous souhaitons que la seconde partie permette, au-delà de la compensation de ces mesures, d’améliorer le solde budgétaire, car il ne s’agit pas de le dégrader, et de faire émerger un vrai débat sur les économies substantielles que nous pourrons réaliser sur des dispositifs d’intervention ainsi qu’en matière de fonction publique.
En tout cas, monsieur le président, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, après trois années de ce que l’on peut qualifier de frustration – partagée sur la plupart des travées de cette assemblée et non pas seulement sur celles de la nouvelle majorité sénatoriale –, je me réjouis que le Sénat puisse examiner l’intégralité du projet de loi de finances.
Nos débats permettront à la fois, je l’espère, d’illustrer la spécificité de notre assemblée et d’éclairer les choix difficiles qui permettront à notre pays de regagner sa crédibilité et de montrer sa confiance en l’avenir.
J’indique que la commission des finances du Sénat a donné un avis favorable à l’adoption du projet de loi de finances pour 2015, corrigé par les amendements qu’elle a acceptés. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. Vincent Capo-Canellas applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission.
Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes au premier jour de l’examen d’un nouveau projet de loi de finances, le premier des vingt jours que la Constitution attribue au Sénat pour l’examen des budgets.
Cette année, je souhaite que, pendant ces vingt jours, nous puissions débattre du budget proposé par le Gouvernement dans sa totalité, en ne nous arrêtant pas à la première partie et aux mesures fiscales. Nous sommes nombreux, me semble-t-il, à partager ce souhait.
M. Philippe Dallier. Tout va bien se passer !
Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. La loi de finances mobilise le Parlement comme aucun autre texte, même si elle n’est plus le seul texte qui détermine notre stratégie en matière de finances publiques.
Nous appartenons, en effet, à une zone monétaire et nos règles de gouvernance budgétaire ont évolué en conséquence – peut-être pas assez d’ailleurs, puisque notre monnaie commune ne s’accompagne toujours pas d’une politique budgétaire commune.
Désormais, c’est sur le programme de stabilité que nous sommes jugés par nos pairs. Et c’est une annexe au projet de loi de finances – le rapport économique, social et financier – qui tient lieu de « projet de plan budgétaire » transmis pour observations, avant le 15 octobre, à la Commission européenne et à l’Eurogroupe.
Dorénavant, les mesures d’infléchissement de notre trajectoire budgétaire pour l’année à venir résultent à la fois de la loi de finances, de la loi de financement de la sécurité sociale et même, de plus en plus souvent, du collectif budgétaire de fin d’année. Ce sera encore le cas cette année puisque des mesures supplémentaires de 3,6 milliards d’euros annoncées par le ministre Michel Sapin y trouveront leur traduction.
Je veux saluer ici, monsieur le secrétaire d'État, l’engagement que vous avez pris de tirer, dès la discussion du projet de loi de finances pour 2015 au Sénat, les conséquences de ces annonces sur ce texte. (M. Philippe Dallier s’exclame.) Cela traduit l’attachement du Gouvernement à la sincérité budgétaire et la considération qu’il porte aux travaux de notre assemblée.
Quelles que soient les évolutions de notre calendrier et de nos procédures budgétaires, le projet de loi de finances de l’année est le moment où toutes les discussions que nous avons eues précédemment, toutes les trajectoires exprimées en termes structurels et toutes les mesures calculées en points de produit intérieur brut, voire de produit intérieur brut potentiel, deviennent concrètes.
C’est le moment démocratique où le Parlement consent à l’impôt, vote des mesures fiscales et alloue les crédits aux administrations. Plus la gouvernance budgétaire de la zone euro sera intégrée et plus ce moment démocratique sera essentiel.
Le projet de loi de finances de l’année fait d’ailleurs le lien entre les engagements pris au niveau européen et leur déclinaison dans les lois financières annuelles. C’est le sens de l’article liminaire que nous votons depuis l’année dernière.
Que traduit cette année l’article liminaire ? En ramenant le déficit des administrations publiques de 4,4 % du PIB en 2014 à 4,3 % en 2015, il illustre le choix du Gouvernement d’adapter le rythme d’évolution des déficits à la conjoncture, car la politique économique dans toutes ses dimensions, y compris celle des finances publiques, ne doit avoir qu’un seul objectif : l’amélioration durable des conditions de vie de nos concitoyens par la création de richesse et la réduction du chômage.
La politique économique du Gouvernement est d’ailleurs tout entière tournée vers l’encouragement à la création d’emploi et la lutte contre le chômage. Le point commun de l’ensemble des dispositifs destinés à donner de l’oxygène aux entreprises, c’est qu’ils tendent à baisser le coût du travail et incitent à embaucher.
C’est le cas du CICE, des allègements de charges du pacte de responsabilité et de solidarité, de la suppression de la contribution sociale de solidarité des sociétés, la C3S. Toutes ces mesures contribuent à soutenir la création d’emplois marchands.
L’action du Gouvernement porte aussi sur ceux qui ont du mal à s’insérer dans le marché du travail ou qui risquent de s’en éloigner durablement. C’est le sens des moyens déployés en faveur des contrats aidés dans le secteur marchand et non marchand, des contrats d’avenir ou encore de la « garantie jeunes », et de l’aide incitative aux entreprises qui embauchent un apprenti. C’est aussi le sens du service civique, qui va prendre de l’ampleur. C’est enfin le sens de la réforme annoncée de la prime pour l’emploi.
Pour créer des emplois et soutenir le pouvoir d’achat, nous avons besoin de croissance et donc d’une politique de finances publiques compatible avec le redémarrage de cette dernière.
Depuis mai 2012, le Président de la République et les gouvernements successifs défendent auprès de nos partenaires européens l’idée d’une relance de la demande et de l’investissement en Europe. La semaine dernière, le G20 de Brisbane a fait de la croissance sa première priorité. En Europe, chacun y va de son idée pour donner du contenu à la proposition du président de la Commission européenne de « susciter » 300 milliards d’euros d’investissements, publics ou privés.
Les taux d’intérêt n’ont jamais été aussi bas. C’est le moment d’en profiter pour lancer les investissements qui amélioreront notre croissance future.
La relance de l’investissement est un projet politique fort pour l’Europe et il faudra faire attention à ne pas s’arrêter aux effets d’annonce.
Je me reconnais pleinement dans l’analyse qu’a développée hier, à cette tribune, le ministre des finances lors du débat sur la relance économique de la zone euro.
Néanmoins, je m’inquiète des échos qui nous parviennent selon lesquels les 300 milliards d’euros pourraient n’être que 30 milliards d’euros de crédits européens redéployés, dont on escompterait un effet de levier de 1 à 10. Par conséquent, je soutiens l’action du Gouvernement pour que ce projet n’accouche pas d’une souris.
En tout état de cause, en France, le Gouvernement et ceux qui le soutiennent au Parlement élaborent les outils qui soutiendront la relance de l’investissement.
Je prendrai deux exemples. Le Commissariat général à l’investissement est désormais chargé d’évaluer l’efficacité socioéconomique des grands projets d’investissement pour que nous soyons sélectifs et efficaces. Comme on peut craindre que les banques ne prennent de moins en moins de risques du fait des règles prudentielles qui leur sont imposées, la puissance publique doit jouer son rôle de soutien aux initiatives privées : c’est le sens de l’action de la Banque publique d’investissement.
C’est donc ainsi que je lis la stratégie budgétaire du Gouvernement telle qu’elle résulte de la loi de programmation que nous avons examinée le 6 novembre dernier et telle qu’elle est déclinée dans ce projet de loi de finances : préservation de la croissance et articulation de la politique de finances publiques avec l’ensemble de notre politique économique ; maîtrise du déficit effectif ; poursuite de la réduction de notre déficit structurel, en particulier en tenant le cap de la réduction des dépenses publiques.
Ce cap est tenu dans le projet de loi de finances.
Les dépenses des ministères, c’est-à-dire le budget général hors dette et pensions, passent de 204,2 milliards d’euros à 203,5 milliards d’euros, soit une baisse en valeur. Le nouveau budget triennal prévoit que ce montant s’établira à 202,7 milliards d’euros en 2017. Malgré la dynamique des dépenses de l’État, l’objectif est de compenser par des économies le coût de l’évolution spontanée des dépenses.
Il en va de même pour les effectifs : les créations de postes dans les domaines prioritaires que sont l’école, la police et la justice sont gagées par des suppressions dans les autres secteurs.
En tenant compte de l’ensemble des dépenses – celles du budget général, y compris les pensions et la charge de la dette, et les prélèvements sur recettes –, la prévision pour 2015 s’établit à 367,9 milliards d’euros. C’est moins que la prévision d’exécution 2014, moins que la prévision initiale pour 2014, moins que l’exécution 2013. Quel que soit le point de référence, le constat est le même : les dépenses de l’État stricto sensu baissent.
Sur la période couverte par la loi de programmation, les dépenses de l’État et de ses opérateurs continueront de progresser, mais à un rythme inférieur à celui des autres catégories d’administrations publiques.
L’État prend donc toute sa part de l’effort collectif et le choix de répartir le quantum d’économies demandées à chaque catégorie d’administration publique en fonction de la part de chacune – État, sécurité sociale et collectivités locales – dans l’ensemble des dépenses publiques me paraît équitable. Je n’en dis pas plus pour ne pas préempter la discussion de l’article 9 sur les finances locales, qui nous occupera sans doute longuement.
Si les dépenses de l’État baissent, qu’en est-il de l’effet des mesures nouvelles portant sur les prélèvements obligatoires, c’est-à-dire des mesures votées par le Parlement ?
L’impact combiné des mesures de ce projet de loi de finances, c’est une baisse des prélèvements obligatoires de 2,3 milliards d’euros, auxquels il faut ajouter l’effet de l’entrée en vigueur de mesures votées précédemment.
Les deux mesures qui auront le plus fort impact en 2015 illustrent la politique du Gouvernement consistant à combiner redistribution des revenus et compétitivité des entreprises : la baisse de l’impôt sur le revenu en faveur des personnes à revenus modestes et moyens pour 3,2 milliards d’euros et la montée en puissance du CICE pour 3,5 milliards d’euros supplémentaires par rapport à son coût de 2014.
Je veux souligner la portée de la mesure proposée en faveur des ménages : 6,1 millions de foyers fiscaux en bénéficieront et 1 million de foyers fiscaux deviendront non imposés à l’impôt sur le revenu en 2015.
Je voudrais poursuivre en contestant l’idée selon laquelle il ne serait pas possible de changer les choses en période de consolidation des comptes publics. Au contraire, ce projet de loi de finances – c’est ce que je retiens de l’examen des différentes missions par notre commission – montre que le Gouvernement agit et réforme.
S’agissant des entreprises et de la compétitivité, j’ai évoqué le CICE et le pacte de responsabilité et de solidarité. Nous les compléterons par des mesures renforçant l’attractivité de notre territoire pour les investisseurs internationaux, notamment, si j’ai bien entendu les ministres de l’économie et des affaires étrangères, par une charte de non-rétroactivité fiscale.
Lorsque l’on évoque la compétitivité, il faut ajouter aux aides aux entreprises les efforts en faveur de la recherche et des opérateurs de l’État dans ce domaine.
Il faut également évoquer le vaste chantier de simplification et de dématérialisation des procédures, qui profite aux usagers, mais aussi au contribuable. Par exemple, la dématérialisation de l’envoi de millions d’actes courants et standardisés de l’administration fiscale fera économiser 200 millions d’euros.
Il faut insister sur l’importance de l’action du Gouvernement dans le domaine de la simplification, car, derrière la multiplicité des mesures prises et leur caractère en apparence technique, c’est à une véritable et profonde transformation de notre paysage administratif – nous devons nous-mêmes l’intégrer pour l’expliquer davantage ! – et de l’environnement des entreprises que l’on assiste.
Le secteur du logement est une priorité absolue : le Gouvernement en tire les conséquences et propose, au travers d’un nombre important d’articles de ce projet de loi de finances,…