M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. C’est au reste parfaitement légitime : un élu de terrain, comme vous l’êtes, appréhende la négociation dans sa globalité. Vous mettez ainsi en avant des sujets qui, les uns autant que les autres, méritent d’être pris en considération.
Je vous rappelle d’abord que le dernier mot appartiendra au Parlement français. Ensuite, on ne peut pas assimiler les deux négociations, canadienne et américaine. J’ai montré dans quelle mesure la négociation avec les États-Unis revêtait d’autres enjeux. Je m’étonne d’ailleurs qu’aucun d’entre vous n’ait évoqué les questions géopolitiques.
M. Jean-Claude Lenoir. Nous l’aurions fait si nous en avions eu le temps !
M. André Gattolin. Nous n’avions que deux minutes !
M. Éric Bocquet. Il faudrait organiser un débat !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Géopolitique et commerce vont évidemment ensemble !
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. Je ne développerai pas ce point pour ne pas allonger le débat, encore que tout cela soit passionnant, nous aurons l’occasion d’y revenir.
Nous devons donc aborder la question à la fois dans sa globalité et dans ses différents aspects. À cet égard, nous avons le sentiment d’avoir obtenu, dans la discussion avec le Canada, d’une part, un accord globalement équilibré et, d’autre part, des avancées susceptibles de nous servir dans l’hypothèse de la conclusion d’un accord avec les États-Unis. C’est donc une sorte d’accord en deux temps.
Sur l’aspect global, cet accord sera-t-il remis en cause par certaines provinces canadiennes ? Ce n'est pas impossible, ce qui deviendrait un problème non pas pour l’Union européenne, mais pour le Canada. Personne ne peut nier que, dans cette négociation, certains secteurs ont gagné plus que d’autres. Si les deux parties sont, comme je l’espère, l’une et l’autre gagnantes, il est vraisemblable que des inquiétudes se feront jour dans certains secteurs de l’économie canadienne, ou, comme vous en témoignez, européenne. L’essentiel reste de s’assurer que l’intérêt général et l’intérêt national sont sauvegardés, ce dont personne dans cet hémicycle ne se désintéressera. Telle est notre vision.
Les réticences que vous avez constatées au Canada sont peut-être l’expression de ce que, dans cette négociation, l’Union européenne, si critiquée habituellement dans notre pays, a réussi à obtenir quelques avancées satisfaisantes, sinon pour le secteur financier, en tout cas pour des secteurs industriels comme les télécommunications et les grands travaux.
Pour le reste, je crois avoir détaillé les différents secteurs, évoquant la filière bovine ou l’agroalimentaire. Les alcools, vins et spiritueux, par exemple, représentent une part importante de notre commerce extérieur et de notre activité.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Mais ces producteurs n’ont pas besoin d’un accord pour vendre !
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. Ce n’est peut-être pas le cas dans votre département, monsieur le sénateur, mais je vous sais sensible à cette réussite collective.
Je suis certain également que les produits que vous avez mis en avant bénéficieront de la reconnaissance de certaines indications géographiques, qui leur permettra de développer une marque sur le marché international, et plus seulement français. Quoi que l’on en pense, nous nous situons dans un monde désormais globalisé et il est important que des références majeures à l’échelle nationale, comme le camembert, puissent prospérer à l’international. Nous souhaitons que cet accord rende cela possible.
Pour le reste, le contrôle démocratique est assuré par le Parlement, donc par vous, monsieur le sénateur, dans votre activité quotidienne de parlementaire, et vous avez l’engagement du Gouvernement de revenir devant vous pour vous soumettre cet accord, ainsi que celui que nous pourrions conclure avec les États-Unis.
Dans la situation où nous nous trouvons, il est parfaitement légitime de se montrer préoccupé. Cependant, nous pouvons juger cet accord positif pour notre économie, pour la coopération, pour la croissance. Car tout cela n’a de sens que si un tel accord nous apporte de la croissance et de la valeur ajoutée pour les produits français.
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Lenoir, pour une brève réplique.
M. Jean-Claude Lenoir. Monsieur le président, vous me connaissez, je serai bref ! (Sourires.)
Monsieur le secrétaire d’État, vous avez eu tort de dissocier les services financiers du camembert. Les banques ne publient-elles pas leurs résultats à l’aide d’un outil pédagogique reconnu : le camembert ? (Sourires.) Finalement, vous le voyez, le camembert est omniprésent !
Cela étant, je ne partage pas tout à fait votre optimisme enthousiaste. Nous devons garder à l’esprit que l’activité agricole en France est surchargée de taxes, de contraintes de toutes sortes, de normes environnementales, etc.
M. Jean Desessard. Et de pesticides ! (Sourires sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste.)
M. Jean-Claude Lenoir. La question de la concurrence est donc de toute façon posée, mais c’est au ministre de l’agriculture d’y répondre.
Je me suis rendu hier au SIAL, le grand salon français de l’alimentation, en compagnie d’une délégation de la commission des affaires économiques. Sur les 6 000 exposants, 1 000 sont français. Sur les 5 000 restants, un certain nombre de pays sont assez bien représentés, notamment d’Amérique du Nord, des pays avec lesquels il va falloir compter, sans parler de la Chine, qui occupe dans ce salon une place incroyable.
On nous a confirmé à cette occasion, et je pense faire l’unanimité ici en le rappelant, que nos produits étaient les meilleurs du monde. Pouvons-nous pourtant lutter à armes égales avec ceux qui nous envoient de pâles reflets de nos produits locaux ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – MM. Éric Bocquet et André Gattolin applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Antoine Karam.
M. Antoine Karam. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la question des accords commerciaux doit être pour nous une priorité, compte tenu du niveau de déficit commercial de la France, qui reste supérieur à 60 milliards d’euros.
En 2013, la balance commerciale entre la France et le Brésil était positive en notre faveur de plus de 400 millions d’euros. La question d’un nouvel accord pour favoriser davantage les échanges entre les deux pays se pose aujourd’hui à nous.
On parle de cet accord depuis 2010. Rien, pourtant, ne semble aboutir. La présidente du Brésil annonçait, en août dernier, que la proposition du Mercosur en vue de préparer un nouvel accord était prête. Il semble que, de notre côté, cela n’avance pas ! Dilma Rousseff n’a pas hésité à montrer du doigt la France pour ses réticences.
La Guyane, territoire français d’Amazonie, dotée d’une frontière de plus de 700 kilomètres avec le Brésil, est un espace stratégique qui peut permettre de renforcer les échanges à tous les niveaux, y compris du point de vue économique et commercial.
Nous sommes favorables à un accord qui ferait de la Guyane un territoire d’économie dynamique plutôt qu’un comptoir sans production réelle.
Nous sommes favorables à un accord qui aurait des incidences réelles sur notre secteur privé, afin de réduire le chômage qui frappe particulièrement notre jeunesse.
L’énergie, la recherche scientifique ou la fabrication et la mise en orbite de satellites sont autant d’atouts de la Guyane susceptibles de favoriser l’émergence de nouveaux partenariats.
Cet accord doit se faire sur la base d’une liste de produits, de manière à ne pas mettre en danger nos économies par l’introduction d’une nouvelle concurrence.
J’appelle donc à prévoir, dans le cadre de cet accord, la création d’une zone de juste échange entre nos deux continents, dont la France pourrait fortement tirer profit en raison de la situation géographique et géopolitique de la Guyane.
Aussi, pouvez-vous nous préciser, monsieur le secrétaire d'État, la position du Gouvernement quant au renforcement des liens commerciaux avec le Brésil, ainsi que l’état d’avancement des négociations en vue de parvenir à un accord de juste échange entre l’Union européenne et le Mercosur ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. Au préalable, permettez-moi, monsieur le président, de vous remercier de la tolérance dont vous avez fait preuve à mon égard quand je répondais, il est vrai un peu longuement, à M. Lenoir, que j’ai connu dans une autre enceinte. Son interpellation…
M. Jean-Claude Lenoir. … méritait de longs développements ! (Sourires.)
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. … était justifiée. Aussi étais-je obligé de lui transmettre tous les éléments d’information dont je dispose.
J’en viens à la question de M. Karam.
Lancées en 1999, puis interrompues en 2004, les négociations pour un accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Mercosur ont été relancées en 2010, mais aucun échange d’offres permettant un véritable redémarrage des discussions n’a été possible depuis lors.
En janvier 2013, la présidente brésilienne et le président de la Commission européenne avaient pris l’engagement d’échanger ces offres avant la fin de l’année 2013. Cette échéance n’a pas été respectée. Il peut être de bonne politique de mettre en cause la position de la France, mais, de notre point de vue, la partie brésilienne notamment n’a peut-être pas totalement tenu son engagement. En tout cas, les pays du Mercosur – je ne saurais préciser lequel d’entre eux en porte la responsabilité ! – peinent à présenter une offre commune respectant les principes de la négociation fixés en 2002, à savoir un niveau de libéralisation minimal de 90 % du commerce birégional.
Le Mercosur a, en effet, rencontré des difficultés pour consolider son offre sur la base des propositions de chacun de ses pays membres, notamment celle de l’Argentine, dont la participation reste, vous le savez, incertaine à ce jour.
Sachez, monsieur le sénateur, que nous sommes très attentifs à la conclusion de cet accord, car nous savons l’importance que peut avoir ce dernier pour la Guyane. Nous suivons donc cette question de très près.
De son côté, l’offre de l’Union européenne est prête, mais il faut attendre d’avoir la confirmation que l’offre du Mercosur est finalisée pour consulter les États membres.
Cet accord entre l’Union européenne et le Mercosur est important pour notre pays, notamment, bien sûr, pour la Guyane. Nous veillerons tout particulièrement à ce que cet accord soit équilibré lorsqu’il y aura des échanges d’offres. Nous avons des intérêts offensifs considérables dans l’industrie, les services et les marchés publics, eu égard aux importantes barrières locales.
Cette négociation ne peut aller de l’avant que si les pays du Mercosur acceptent des contributions ambitieuses en matière d’industrie, de services et de marchés publics. Mais l’accord devra également nécessairement préserver les sensibilités agricoles françaises, ce qui nous renvoie aux questions précédemment abordées des viandes, du sucre et de l’éthanol.
Monsieur le sénateur, le développement de cette région est au cœur des préoccupations du Gouvernement : la Guyane profitera très largement du futur accord.
M. le président. La parole est à M. Antoine Karam, pour la réplique.
M. Antoine Karam. Je vous remercie, monsieur le secrétaire d'État, pour cet éclairage.
Permettez-moi de rappeler à la Haute Assemblée que les Brésiliens éliront, dimanche prochain, le président de la République fédérative du Brésil. La France devra profiter de la nouvelle mandature pour reprendre les discussions, afin que la Guyane puisse – enfin ! – bénéficier des retombées économiques qui découleront de ces échanges commerciaux. Je le rappelle, la Guyane est la porte d’entrée de l’Union européenne en Amérique du Sud, donc cruciale dans nos relations avec le Mercosur.
Et pourtant…
Alors que le monde spatial se félicitait la semaine dernière du lancement, depuis Kourou, d’un satellite de télécommunications au profit du gouvernement argentin, de nombreuses zones blanches subsistent en Guyane et, à moins de cinquante kilomètres du centre spatial, il n’y a ni eau ni électricité, et je ne dirai rien de la téléphonie et d’internet !
J’invite donc le Gouvernement à être attentif au développement de notre territoire, afin que la Guyane puisse pleinement être partie prenante de nos échanges commerciaux avec le Brésil et le Surinam.
Enfin, pour ma première intervention dans cet hémicycle, permettez-moi en cet instant d’avoir une pensée pour notre illustre compatriote Gaston Monnerville, qui marqua l’histoire de la Haute Assemblée et, au-delà, l’histoire de la République ! (Applaudissements.)
M. le président. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec les questions cribles thématiques sur les accords de libre-échange.
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Décision du Conseil constitutionnel
M. le président. Le Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat une décision en date du 23 octobre 2014, prise en application de l’article 12 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d’autonomie de la Polynésie française, sur une demande du président de la Polynésie française tendant à ce qu’il constate que sont intervenues dans une matière ressortissant à la compétence de la Polynésie française certaines dispositions de la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d’amélioration des relations entre l’administration et le public et diverses dispositions d’ordre administratif, social et fiscal (n° 2014-5 LOM).
Acte est donné de cette communication
12
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 28 octobre 2014 :
À quatorze heures trente :
1. Éloge funèbre de notre regretté collègue Christian Bourquin.
À seize heures quinze :
2. Déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat, en application de l’article 50-1 de la Constitution, sur la réforme territoriale.
Le soir :
3. Deuxième lecture du projet de loi, modifié par l’Assemblée nationale, relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral (n° 6, 2014-2015) ;
Rapport de M. François-Noël Buffet, fait au nom de la commission spéciale (n° 42, 2014-2015) ;
Texte de la commission (n° 43, 2014-2015).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à seize heures cinq.)
Le Directeur du Compte rendu intégral
FRANÇOISE WIART