M. Jean-Jacques Hyest. C’est indispensable !
M. Alain Anziani. Je ne le crois pas : nous ne sommes pas dans le cadre d’un processus législatif. On pourrait imaginer que la proposition de résolution soit renvoyée directement devant l’assemblée une fois sa recevabilité vérifiée par le bureau. Je ne vois pas en quoi le filtre de la commission des lois est nécessaire.
Je souhaite insister sur deux autres points.
Le premier est qu’il me paraît surprenant, même si le président de la commission des lois m’a donné des explications tout à l'heure, que le Président de la République puisse se faire représenter. Qu’il puisse se faire assister, rien n’est plus normal ; il pourra choisir le conseil de son choix. En revanche, s’il peut se faire représenter, cela signifie que la Haute Cour ne pourra pas l’interroger, alors même qu’il a manqué à ses obligations. On aura le droit de dialoguer avec maître Durand ou Dupont, mais on n’aura pas le droit de dialoguer avec la personne directement concernée. Il me semble étonnant que le Président de la République puisse être le grand absent des débats qui le concernent personnellement. Nous aurions pu être plus audacieux sur ce point.
Le second point est un peu plus complexe. La destitution prononcée par la Haute Cour n’entraînera pas l’inéligibilité du Président destitué, pour des raisons que nous comprenons. Il pourra en résulter des situations assez particulières. Le Président destitué pourra se représenter devant le peuple lors de l’élection présidentielle qui aura lieu trente-cinq jours au plus après sa destitution. Il pourra même être réélu.
M. Jean-Jacques Hyest. Bah oui !
M. Alain Anziani. Que se passera-t-il alors ? Le Président réélu bénéficiera de nouveau de l’immunité. Si des faits d’ordre pénal lui sont reprochés, une nouvelle procédure de destitution pourra-t-elle être engagée malgré sa réélection ? Cette question ne me semble pas réglée par le texte qui nous est proposé.
En tout état de cause, espérons qu’il ne s’agit là que de discussions théoriques. Je crois qu’aucun d’entre nous ne souhaite qu’une procédure de destitution soit un jour engagée, ni a fortiori qu’une telle procédure aboutisse, compte tenu des conséquences catastrophiques que cela aurait pour nos institutions.
Vous le voyez, ce projet de loi organique nous inspire des observations. Nous avons beaucoup réfléchi à ce que nous devions faire. Nous avons beaucoup souhaité qu’un texte portant application de l’article 68 de la Constitution soit présenté ; nous l’avons même tellement souhaité que nous avions déposé une proposition de loi organique, rédigée par François Patriat et Robert Badinter. Nous sommes en désaccord avec certains aspects de la procédure de destitution proposée aujourd'hui, mais nous sommes d'accord sur le principe, qui marque une grande évolution de notre droit constitutionnel. C'est pourquoi nous voterons le projet de loi organique. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du RDSE, ainsi que sur plusieurs travées de l’UDI-UC et quelques travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le statut pénal du Président de la République a été profondément bouleversé par la révision constitutionnelle du 23 février 2007, qui a réécrit les articles 67 et 68 de notre Constitution afin de clarifier le régime de responsabilité des actes accomplis par le chef de l’État.
L’article 67, d’applicabilité directe, traite notamment de l’irresponsabilité et de l’inviolabilité provisoires du chef de l’État pour les actes étrangers à la fonction présidentielle. L’article 68, qui crée la Haute Cour et la procédure exceptionnelle de destitution, doit, pour être applicable, faire l’objet d’une loi organique. Plus de sept ans après la réforme constitutionnelle, cette loi organique n’a toujours pas été adoptée par le Parlement. Le déséquilibre entre la protection dont bénéficie le Président de la République et sa responsabilité est donc patent. Le projet de loi organique que nous examinons aujourd’hui a pour objet d’y mettre un terme.
Avant d’entrer dans le détail du texte, je voudrais revenir rapidement sur l’article 67 de notre Constitution. Selon cet article, le Président de la République « ne peut, durant son mandat et devant aucune juridiction ou autorité administrative française, être requis de témoigner non plus que faire l’objet d’une action, d’un acte d’information, d’instruction ou de poursuite ». Le Président de la République est donc « injusticiable », quoi qu’il ait fait avant d’être élu et quoi qu’il fasse pendant son mandat, sans exception aucune.
Les écologistes sont loin d’adhérer à ce principe d’irresponsabilité provisoire du chef de l’État. Certains de nos collègues députés ont d’ailleurs déposé, en octobre 2011, une proposition de loi constitutionnelle visant à préciser le statut pénal du chef de l’État. Nous ne souhaitons pas que le Président de la République puisse être mis en cause pour n’importe quel fait et par n’importe qui, mais nous avons la conviction que l’inviolabilité judiciaire ne protège en rien la dignité de la fonction ; elle risque simplement d’aggraver les soupçons contre son titulaire et de conduire à des dénis de justice.
Revenons maintenant au texte qui nous réunit aujourd’hui. Celui-ci détaille la procédure exceptionnelle de destitution du chef de l’État. Cette procédure, au terme de laquelle le Président de la République ne peut être destitué « qu’en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat », est confiée au Parlement.
Il s’agit bien d’une responsabilité politique du Président, qui doit être clairement dissociée d’une responsabilité pénale ou civile, afin d’échapper aux perversions de la judiciarisation du politique, dont on a pu mesurer, depuis une dizaine d’années, les effets délétères. Cependant, si cette dissociation apparaît nécessaire, son effectivité semble pour le moins douteuse, faute de considération de la dimension éventuellement judiciaire des griefs portés contre le Président, et l’on peut craindre que ce qu’on appelle pudiquement « les affaires » soit opportunément utilisé pour détourner la procédure de destitution et régler des conflits d’ordre exclusivement politique.
Je veux rappeler à mon tour que, au XXe siècle, la procédure américaine d’impeachment présidentiel a toujours été précédée d’une procédure judiciaire. La procédure lancée contre Nixon avait pour origine un procès pénal conclu par un arrêt de la Cour suprême – United States v. Nixon, 24 juillet 1974 –, tandis que la procédure visant Bill Clinton avait pour origine un procès civil conclu lui aussi par un arrêt de la Cour suprême – Clinton v. Jones, 27 mai 1997 – et l’enquête du procureur indépendant Kenneth Starr. À cette occasion, la Cour suprême avait d’ailleurs très clairement démontré l’inanité d’une injusticiabilité présidentielle pour les actes détachables de ses fonctions, l’absence d’atteinte à la séparation des pouvoirs lorsque la justice se saisit des agissements « privés » du Président et la capacité du pouvoir judiciaire à défendre mieux que quiconque la dignité de la fonction présidentielle.
Une fois constatée cette injusticiabilité présidentielle, la question est de savoir si la procédure de destitution mise en place est entourée des garanties suffisantes. Le groupe écologiste croit pouvoir répondre par l’affirmative, car, comme le rappelle notre rapporteur, la mise en cause doit être votée par les deux tiers des membres de chaque assemblée, puis par les deux tiers des membres du Parlement constitué en Haute Cour, ce qui signifie qu’elle ne peut être manipulée par l’opposition, ni même par la majorité : elle nécessite un quasi-consensus entre les forces politiques.
Si nous avons émis quelques réserves, nous n’en considérons pas moins que le projet de loi organique contribue à rétablir un certain équilibre et constitue une avancée notable. Nous lui apporterons donc notre soutien.
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, sept ans et demi après le vote par le Parlement réuni en congrès d’un nouveau statut juridictionnel du chef de l’État, le chemin tortueux de la loi organique nécessaire à son applicabilité reprend son cours. J’oserais dire que sept ans de réflexion, c’est long… Les citoyens pourraient légitimement s’interroger sur les raisons qui ont retardé sans cesse l’adoption des règles pratiques de mise en œuvre de cette procédure nouvelle de destitution du Président de la République, inscrite à l’article 68 de la Constitution.
En son temps, soit en janvier 2012, Nicolas Sarkozy avait permis l’adoption d’un texte à l’Assemblée nationale, et ce, faut-il le rappeler, sous la pression du Sénat de gauche.
Aujourd’hui, ironie de l’histoire, c’est la nouvelle majorité de droite du Sénat qui donne l’impression de forcer la main à François Hollande, qui n’a pas jugé bon, durant les deux premières années de son mandat, de conclure ce débat. Ainsi, le groupe UMP de notre assemblée a décidé de nous soumettre le texte voté par l’Assemblée nationale.
Soyons honnêtes, il n’a que très peu de différences avec le texte adopté au Sénat, après moult péripéties, le 15 novembre 2011. Le principal intérêt réside, de toute évidence, pour les partisans de cette procédure, dans la possibilité d’un vote conforme permettant l’adoption définitive de ce projet de loi organique, déposé à l’Assemblée nationale le 22 décembre 2010, et adopté par les députés le 24 janvier 2012.
Ce texte concerne le statut juridictionnel du chef de l’État. Depuis la loi constitutionnelle du 23 février 2007, l’article 68 de la Constitution permet au Parlement constitué en Haute Cour de destituer le chef de l’État en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat.
Le projet de loi organique a donc deux objets : les conditions de présentation des propositions de résolution tendant à la réunion de la Haute Cour et la nature de l’examen de ces propositions par les commissions permanentes compétentes des deux assemblées.
Avant de faire une remarque plus générale, critique, sur le fond et sur le contexte de ce débat, je tiens à porter à votre connaissance quelques réflexions.
Tout d’abord, cette procédure de destitution est bien timide. Elle l’est même excessivement, comparée à la procédure d’impeachment en vigueur aux États-Unis : la Chambre des représentants américaine vote à la majorité simple la procédure de mise en accusation ; le Sénat, dans un second temps, se saisit de l’instruction en devenant, de fait, la Haute Cour, et statue finalement à la majorité des deux tiers. Le texte qui nous est soumis tend d’emblée à limiter la mise en œuvre même de la procédure en posant la règle des deux tiers à chaque étape de la procédure.
Ensuite, force est de s’interroger sur le pouvoir donné au Sénat, assemblée qui est, ne vous en déplaise, élue au suffrage indirect par un corps électoral de moins de 200 000 grands électeurs. Il est pourtant placé sur le même plan que l’Assemblée nationale, élue, elle, au suffrage universel direct. Un tel dispositif peut poser question au regard des principes démocratiques.
En outre, pourquoi la commission des lois intervient-elle ? En effet, il ne s’agit pas d’un texte législatif. Pour les propositions de résolution discutées dans le cadre de l’article 34-1 de la Constitution, cette intervention de la commission, a priori compétente, n’est pas prévue.
Enfin, la composition de la commission ad hoc chargée d’éclairer le Parlement constitué en Haute Cour mérite attention. À notre sens, elle porte atteinte au pluralisme, à l’instar de la composition actuelle de la Cour de justice de la République. En effet, prévoir six membres par chambre exclut de fait un certain nombre, non seulement de sensibilités, mais aussi de groupes parlementaires de la participation à un organisme qui détiendra les clefs de l’instruction. Il s’agit d’une atteinte grave au pluralisme et d’un encouragement à une répartition bipartite.
Le 15 novembre 2011, le Sénat, à notre demande, avait porté ce chiffre à dix représentants par assemblée. Nous regrettons fortement que ce choix n’ait pas été retenu. Nous défendrons d’ailleurs un amendement pour rectifier ce qui s’apparente à une faute démocratique.
Plus généralement, nous nous interrogeons sur la faiblesse de la portée de ce projet de loi organique au regard de la grave crise des institutions et du politique que traverse notre pays. L’UMP, en ravivant cette procédure de destitution, désuète avant même d’avoir existé, espère mettre un peu plus en lumière la fragilité politique de l’actuel chef de l’État. Ce faisant, la droite sénatoriale met surtout en lumière, peut-être involontairement, les excès du présidentialisme à la française.
Ce projet de loi organique, je l’ai déjà indiqué, souligne le caractère quasi impossible de la mise en œuvre de la procédure de destitution. C’est donc la force du statut présidentiel qui est en fait mise en exergue.
Le Constitution de 1958, rédigée par Michel Debré, renforcée par l’instauration en 1962 de l’élection au suffrage universel direct du Président de la République, a rompu avec les IIIe et IVe République en plaçant au centre de nos institutions le Président de la République.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. C’est vrai !
Mme Éliane Assassi. Dès 1995, avec l’élargissement du champ référendaire, puis en 2000, avec l’instauration du quinquennat, et, enfin, en 2001, avec l’inversion du calendrier, qui soumet l’élection législative à l’élection présidentielle, la présidentialisation du régime s’est encore accentuée.
Nous sommes donc arrivés aujourd’hui à un point de blocage institutionnel. Le Président de la République est une forme de monarque au mandat limité.
M. Jacques Mézard. C’est vrai !
Mme Éliane Assassi. Pendant cinq ans, il est « irresponsable » : il n’est responsable ni devant le peuple ni devant le Parlement. Cet homme, ou peut-être un jour, du moins l’espérons-nous, cette femme, est exonéré de tout contrôle démocratique. C’est une question essentielle. Nous savons tous que l’exaspération populaire, la perte de crédibilité du politique provient en grande partie des désillusions successives, nées pour beaucoup de promesses de campagne non tenues.
Le président monarque, une fois élu, peut s’affranchir des promesses ; il n’est plus contesté. À la différence du Gouvernement, il ne peut être remis en cause par le Parlement.
Le temps est trop court aujourd’hui pour revenir sur les conséquences dévastatrices sur le plan démocratique de ce déséquilibre institutionnel.
Présidentialisation rime avec médiatisation et « pipolisation ». Croyez bien que nous le regrettons. Elle s’oppose à la réflexion, à la critique ; elle sclérose le débat en plaçant le pays en état de campagne électorale permanente. Il est temps de s’interroger sur l’existence même d’un Président de la République élu au suffrage universel direct doté de tant de pouvoirs. (M. Jacques Mézard applaudit.)
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Votre proposition dépasse l’ambition de ce texte !
Mme Éliane Assassi. Les limites de cette procédure de l’article 68, la quasi-impossibilité de la mise en œuvre de la procédure de destitution mettent en évidence un statut présidentiel proche, durant le mandat, de celui du monarque d’Ancien Régime : « La personne du roi est inviolable et sacrée », écrivaient les constituants de 1791.
Pour conclure, je rappellerai que l’article 68 de la Constitution est le corollaire de l’article 67, qui fixe le statut pénal du chef de l’État. Ce dernier est irresponsable pénalement durant son mandat ; il l’est définitivement pour les faits relatifs à sa fonction et, pour les autres, les poursuites sont renvoyées à plus tard au péril, en particulier, de la préservation des preuves.
La destitution à la française constitue une sorte de garde-fou pour éventuellement sanctionner des actes particulièrement graves du Président. En l’occurrence, une responsabilité politique se substitue à la responsabilité juridique.
Les sénateurs du groupe CRC – c’est une constante – sont pour un traitement de droit commun des actes du Président de la République, à l’exception de ceux liés à l’exercice de sa fonction. Ils ont d’ailleurs déposé une proposition de loi constitutionnelle en ce sens en 2011. Nous regrettons que le texte voté en 2001 par l’Assemblée nationale instaurant la compétence de droit commun pour les actes privés n’ait pas inspiré le constituant de 2007.
La Constitution de la Ve République n’est plus à la hauteur des enjeux. Elle prive fondamentalement le citoyen des moyens d’action face à ceux qui détiennent aujourd’hui le véritable pouvoir, à savoir les marchés financiers. Rendre le pouvoir au peuple et assurer un contrôle citoyen permanent constituent des objectifs prioritaires d’une nouvelle République, la VIe République. Nous érigeons en priorité démocratique la mise en place d’une assemblée constituante, démocratique, pluraliste pour remettre la République sur les rails, pour redonner un sens à notre démocratie.
Le projet de loi organique dont nous débattons aujourd’hui relève, et ce n’est pas un jeu de mots, d’une fin de règne ; il vise à masquer la réalité de la toute-puissance du Président de la République dans nos institutions. Pour toutes ces raisons, les élus du groupe CRC ne l’approuveront pas. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Le Président de la République, madame Assassi, est un monarque qui ne guérit pas les écrouelles…
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la saga de la réforme du statut pénal du Président de la République semble toucher à sa fin avec l’adoption vraisemblable par notre assemblée du projet de loi organique portant application de l’article 68 de la Constitution. En tout cas, nous l’espérons, car le cheminement a été très long. Cependant, force est de constater que la responsabilité de ce retard est largement et équitablement partagée.
Faut-il rappeler que cette réforme était une promesse du Président Chirac, alors candidat à sa réélection, en mars 2002 ? Plus de douze années se sont écoulées sans qu’aucune majorité, malgré l’alternance, ne mette un point final à cette question. Le contexte, il est vrai, n’était pas simple en 2002, puisque le Président de la République avait fait l’objet d’une tentative de mise en cause devant une juridiction d’instruction. Au-delà d’un aspect purement médiatique, constitutionnalistes et pénalistes s’affrontaient sur l’interprétation à donner aux textes en vigueur et sur la manière de les réformer.
Une commission présidée par Pierre Avril a été nommée en juillet 2002 pour proposer un nouveau statut du Président de la République, mais il a fallu attendre près de cinq années pour que ces propositions soient consacrées par le pouvoir constituant avec la révision constitutionnelle du 23 février 2007.
L’Assemblée nationale a examiné, en janvier 2012, le projet de loi organique qui est aujourd’hui, 21 octobre 2014, l’objet d’une première lecture au Sénat. La Haute Assemblée, quant à elle, avait examiné une proposition de loi de notre collègue François Patriat à deux reprises : en janvier 2010, puis, après un renvoi en commission pas forcément nécessaire, en novembre 2011.
Aujourd’hui, pour le RDSE, l’heure est venue qu’un point final soit mis à cette réforme.
M. Jean-Claude Lenoir. Très bien !
M. Jacques Mézard. Non pas que la procédure de l’article 68 de la Constitution ait vocation à être utilisée prochainement – en tout cas, ce n’est pas notre souhait –, mais tout simplement parce qu’il s’agit de mettre fin à une polémique juridique et politique sur la responsabilité pénale du chef de l’État, ainsi que de clarifier, à toutes fins utiles, les règles procédurales.
Le Président de la République n’est pas et ne sera jamais, quoi que l’on en dise, un justiciable comme les autres.
M. Alain Joyandet. Ça, c’est vrai !
M. Jacques Mézard. Ce statut est justifié par la place même de cette fonction au sein des institutions, tout comme par le mode d’élection du Président de la République au suffrage universel direct, quoi que l’on puisse penser de ce système que la sensibilité que je représente a toujours combattu depuis 1962.
Les constituants de la Ve République avaient placé le Président de la République au-dessus des partis et des luttes politiques, en tant qu’arbitre national chargé d’assurer le fonctionnement régulier des institutions.
Les rédacteurs de la Constitution de 1958 n’avaient certes pas ignoré la responsabilité du chef de l’État, mais ils avaient opéré une confusion entre responsabilités juridique et politique en le soumettant à la compétence d’une Haute Cour de justice, composée de parlementaires, en cas de haute trahison. Cette incrimination ne constituait pourtant pas une véritable infraction, puisqu’elle n’était pas prévue par le code pénal, ne faisait l’objet d’aucune définition et n’était assortie d’aucune peine.
Le rapport Avril a d’ailleurs bien insisté sur le caractère ou trop étroit ou trop large de cette expression, et de nombreux constitutionnalistes ont tenté d’énumérer les hypothèses de haute trahison : trahison au profit d’une puissance étrangère, intelligence avec l’ennemi, abstention d’un acte auquel le Président est tenu, usage abusif de l’article 16 de la Constitution, accaparement d’un pouvoir qu’il ne tient pas de la Constitution. Qui trop embrasse mal étreint !
A contrario, l’irresponsabilité du Président de la République pour ses actes privés était insatisfaisante, voire choquante. L’immunité juridictionnelle constitue un privilège protégeant la fonction et non pas l’homme, afin de permettre à celui-ci d’exercer aussi sereinement que possible le mandat que les électeurs lui ont confié.
La réforme constitutionnelle de 2007 a rompu avec cette imprécision, l’objectif étant de veiller à ce qu’il n’existe plus aucune ambiguïté et à ce que la protection du premier personnage de l’État soit désormais totale à l’égard de toute action pénale ou civile concernant des actes détachables de sa fonction. Le constat de la surmédiatisation du Président de la République, sous toutes les coutures de sa vie, même privée, rendrait toute protection vaine si l’on offrait à des tiers la possibilité d’un acharnement judiciaire à son égard. L’actualité aurait d’ailleurs pu le laisser imaginer...
Il faut dire que le passage au quinquennat a contribué à enlever à la magistrature suprême beaucoup de sa superbe…
Mme Éliane Assassi. C’est vrai !
M. Jacques Mézard. Par un nouveau paradigme de la fonction, il a rendu encore plus nécessaire l’instauration de règles relatives à la procédure de destitution. Napoléon Bonaparte disait : « On ne conduit le peuple qu’en lui montrant un avenir : un chef est un marchand d’espérance. » Manifestement, l’espérance n’est plus au rendez-vous. À chacun d’en tirer les conclusions…
Le présent texte constitue un compromis équilibré, dépassant largement les clivages politiques. La procédure, qui, certes, n’est pas simple, fait intervenir le Parlement constitué en Haute Cour, sur proposition de l’une des assemblées parlementaires confirmée par l’autre, chacune statuant à la majorité des deux tiers de ses membres. Sont fixés des délais d’inscription à l’ordre du jour des assemblées, ainsi que de traitement de la proposition, afin d’éviter toute obstruction procédurale.
Toutefois, comme notre ancien collègue Nicolas Alfonsi en 2007, j’émettrai une réserve. Je regrette que n’ait pas été introduite l’impossibilité pour le Président de la République de siéger au Conseil constitutionnel après sa destitution, car c’est un curieux paradoxe.
Mme Françoise Laborde. Tout de même !
M. Jacques Mézard. Cette question ne pourra rester sans suite. Mon groupe a ainsi déposé une proposition de loi constitutionnelle réformant la composition du Conseil constitutionnel, afin de rendre plus démocratique et d’harmoniser la composition de cette cour suprême avec son rôle au cœur de la Ve République – elle pourra donner un certain nombre d’idées à ceux d’entre nous qui ont assisté à la réunion de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral.
Les membres du groupe du RDSE voteront à l’unanimité en faveur du présent projet de loi organique, point final historique attendu à la longue affaire de la responsabilité pénale du chef de l’État. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste, de l’UDI-UC et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Michel Mercier.
M. Michel Mercier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en écoutant les précédents orateurs, j’avais l’impression de rêver. On nous a expliqué que l’histoire était longue. C’est vrai, mais rien n’a été fait depuis 2012. Or de 2012 à 2014, nous aurions eu le temps de légiférer !
On nous a aussi expliqué que le projet de loi organique n’était pas très bon. Une proposition de loi portant sur le même sujet, jugée meilleure par certains, avait été adoptée par le Sénat deux mois avant que l’Assemblée nationale n’adopte le texte dont nous discutons ce soir. Qu’est-ce qui empêchait le Gouvernement d’inscrire cette proposition de loi à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale ? Rien !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Eh oui !
M. Michel Mercier. C’est donc que le Gouvernement a choisi le présent projet de loi ! Il disposait en effet de tout le temps nécessaire pour faire voter la proposition de loi précitée, et l’affaire aurait été terminée.
En fait, on a choisi de parler de cette affaire, ce dont M. Anziani s’est fort bien acquitté. In fine, il faudra en retenir qu’il y a eu ceux qui ont parlé de cette réforme et ceux qui l’ont faite ! C’est simple, mais c’est ainsi que le Sénat peut l’envisager. (Sourires sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP.)
M. Yves Détraigne. Voilà !
M. Michel Mercier. En réalité, par le biais du texte que nous examinons ce soir, il s’agit d’achever la révision constitutionnelle du 23 février 2007 qui a permis de réécrire les articles 67 et 68 de la Constitution et d’encadrer, comme l’a fort justement souligné M. le secrétaire d’État, très strictement le législateur organique. Celui-ci dispose de peu de latitude pour écrire le droit : le constituant l’a déjà fait, et il s’agit simplement de mettre son texte en musique.
Les articles 67 et 68 de la Constitution, révisés en suivant les recommandations de la commission présidée par le professeur Pierre Avril, dotent notre pays d’une procédure certes difficile à mettre en œuvre, mais moderne, permettant la destitution d’un Président de la République qui manquerait manifestement à l’exercice de sa fonction, au point qu’il se rendrait indigne de poursuivre l’exercice du mandat qui lui a été confié par le peuple.
Cette procédure est encadrée, et c’est normal ! On ne peut accepter que certains demandent à tout bout de champ au Parlement de se constituer en Haute Cour, comme la tactique du harcèlement politique pourrait les y conduire.
Je rappelle que l’objet de cette procédure ne saurait en aucun cas être la mise en cause pénale du chef de l’État, même si sa destitution peut ouvrir la voie, dans un second temps, à l’engagement de poursuites pénales à son encontre, dans les conditions du droit commun. Le Président de la République se trouverait en effet soumis au droit commun si, outre les fautes qui ont justifié sa destitution, il avait également commis des infractions pénales. En tout état de cause, seule la représentation nationale est légitime pour interrompre le mandat confié par le peuple.
Le législateur organique a prévu un certain nombre de modalités d’application de l’article 68 de la Constitution. Je ne reviendrai pas sur les détails qui ont été fort bien exposés par l’ensemble des orateurs et par M. le rapporteur.
Le rôle du bureau de chaque assemblée est réaffirmé et il me semble tout à fait positif que cet organe politique, et non la conférence des présidents, statue sur la recevabilité de la proposition de résolution, puisque l’ensemble des forces politiques présentes au Parlement y sont représentées à la proportionnelle.
Il me semble aussi naturel et nécessaire que la commission des lois soit saisie, puisqu’une appréciation technique doit être portée sur les actes du Président de la République qui motivent la réunion de la Haute Cour.
Cette dernière devra enfin se prononcer dans des délais très stricts, afin d’éviter qu’une procédure dilatoire ne dure plusieurs mois, puisqu’il y va de l’exercice même de la fonction présidentielle dans notre pays.
Le présent projet de loi organique, tel qu’il a été adopté par l’Assemblée nationale au début de l’année 2012, garantit l’équilibre et le bon fonctionnement de nos institutions. Il a fait l’objet d’une discussion approfondie par la commission des lois du Sénat. Son adoption permettra de mettre en œuvre concrètement, si cela s’avérait un jour nécessaire, la procédure de destitution du Président de la République, tout en conservant son caractère exceptionnel voulu par le constituant, car il est le seul compatible avec l’esprit de nos institutions. Pour l’ensemble de ces raisons, les membres du groupe de l’UDI-UC voteront ce texte. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP, ainsi qu’au banc des commissions.)