M. Didier Guillaume. Nous avons le temps…
M. Jean-Claude Lenoir. Deux éléments nouveaux se sont fait jour au cours de nos débats, lesquels sont utiles et, mieux, féconds.
Premièrement, si nous n’avons guère avancé dans l’examen du présent texte stricto sensu – nous n’avons examiné que quelques amendements avant cet article 1er –, la réflexion, elle, a progressé : elle a permis des rapprochements sur un certain nombre de points. Ce temps, que nous prenons, se révélera bientôt utile.
Deuxièmement, je tiens à insister sur la main tendue par Jean-Pierre Raffarin. J’ai été frappé par les propos qu’il a tenus, hier, à la tribune, et qu’il vient de réitérer : il vous a adressé des propositions en toute sincérité, et nous nous groupons derrière lui. Nous pouvons, ensemble, aboutir à une carte répondant aux souhaits du plus grand nombre. Ne refusez pas cette main tendue ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – MM. Yves Pozzo di Borgo et Gérard Roche applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Bas, sur l’article.
M. Philippe Bas. Mes chers collègues, sur cette carte, on compte un certain nombre de points d’accord et beaucoup de points de désaccord.
M. le ministre fait preuve d’ouverture d’esprit et nous demande d’être coopératifs, pour dépasser les oppositions. Nous sommes, nous aussi, dans cet état d’esprit, et nous sommes tout à fait prêts à agir en ce sens ! Cela étant, nous différons fondamentalement quant à la méthode.
Le Gouvernement demande au législateur de procéder immédiatement, par voie d’autorité, en se fondant sur le pouvoir de la loi. Nous répondons qu’il n’est pas souhaitable d’agir ainsi, sans concertation préalable.
Le Gouvernement part au fond du principe que, si l’on ne réforme pas à la hussarde en la matière, on n’y arrivera jamais. Nous lui répliquons que, si l’on découpe les régions de manière brutale, sans concertation, on n’obtiendra pas le sentiment d’adhésion permettant à ces ensembles de fonctionner convenablement. Seules une cohésion, une ambition permettront aux politiques régionales de se déployer. Pour avoir de bonnes régions, il faut en quelque sorte une affectio societatis.
M. André Reichardt. C’est dit !
M. Philippe Bas. Or on n’obtiendra pas cette affectio societatis en procédant par voie d’autorité.
Bien sûr, vient un moment où il faut trancher, mais certains précédents montrent que, si chacun assume son devoir en prenant les décisions qui lui appartiennent, qu’il s’agisse du législateur, du Gouvernement, des préfets, on peut obtenir des résultats. J’en veux pour exemple la coopération intercommunale. Les collectivités locales sont d’abord invitées à se regrouper, elles discutent entre elles, une carte départementale est élaborée et le préfet prend sa décision : dans la plupart des cas, il avalise les propositions qui lui sont présentées, mais il prend ses responsabilités quand il n’y a pas d’accord.
Nous vous demandons de faire la même chose pour les régions et de donner une chance au dialogue avant de procéder par voie d’autorité en légiférant. Nous avons largement le temps de le faire. En effet, comme je le rappelais hier et ce matin, la taille des régions doit dépendre des missions qui leur sont confiées. De grandes régions souples et flexibles pourront assumer la définition de projets économiques et de grandes infrastructures. En revanche, il faut de petites régions, si celles-ci sont chargées de gérer de gros bataillons de cantonniers ou d’agents des collèges, parce qu’il s’agit de services publics locaux qui sont mieux assurés dans la proximité, avec moins de frais de structure.
Prenons le temps de discuter de ces missions. Pendant ce temps qui est déjà assez distendu, compte tenu du calendrier gouvernemental, ouvrons une concertation. Faisons-le comme vous prévoyez de le faire, à l’article 2, pour la détermination des chefs-lieux des nouvelles régions, mais ne le faisons pas immédiatement en adoptant des mesures brutales qui s’imposent à tous, y compris en cas de désaccord. Cherchons d’abord, de grâce, à réduire ces désaccords, afin de ne pas connaître une situation où, pendant des décennies, certaines parties de ces régions pourront dire qu’elles ne voulaient pas être rattachées et qu’elles sont traitées comme la dernière roue du carrosse. Ces fondations mal posées risquent d’avoir des conséquences extrêmement graves dans la durée.
Enfin, si vous aviez eu le chic de vous soumettre à un dialogue préalable, vous auriez été bien plus forts, le jour venu, pour proposer au législateur de trancher et nous aurions été bien gênés, au cas où nous aurions nourri de mauvaises intentions, pour opposer une résistance à vos propositions !
Il est maintenant tout à fait établi que cette méthode de gouvernement n’est pas la nôtre, de même que les solutions que vous proposez ne sont pas les nôtres. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. Yves Pozzo di Borgo applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Christian Favier, sur l’article.
M. Christian Favier. Mon intervention sur l’article 1er vaudra également défense de l’amendement n° 105 tendant à la suppression de cet article.
L’article 1er qui fixe la nouvelle carte régionale constitue bien, en effet, le cœur de la réforme qui nous est proposée. Si l’exposé des motifs est peu loquace en ce qui concerne les objectifs et les critères des regroupements de régions proposés, l’étude d’impact explicite mieux ces choix sans en mesurer pour autant les conséquences. Ainsi, elle précise qu’il s’agit d’« adapter » la carte régionale non seulement aux « réalités géographiques », sans plus de précisions, mais aussi à « l’Europe des régions ».
Tel est donc l’objectif premier : il nous est demandé d’adapter notre pays à cette perspective d’une Europe fédérale et libérale.
Le deuxième objectif affiché par l’étude d’impact est celui du redressement de l’économie et des comptes publics, sans que les conséquences des fusions de régions dans ces domaines soient réellement étudiées. Les économies ne sont qu’affirmées et non démontrées ; au contraire, je crois que les différents orateurs, sur toutes les travées de cette assemblée, ont fait la démonstration que la création de ces grandes régions allait plutôt entraîner des surcoûts.
M. le rapporteur considère, quant à lui, que l’objectif visé par le Gouvernement avec la création de ces grandes régions serait la recherche d’une puissance renforcée de nos régions dans la concurrence européenne et mondiale. Dans ce cadre, la diminution du nombre des régions serait un facteur d’efficacité. Il ne dépasse pas, lui non plus, le stade de l’affirmation et n’ébauche pas la moindre tentative de justification de telles allégations.
Il serait intéressant que nous puissions débattre de cette notion de puissance que l’on entend de plus en plus évoquer à propos des régions. En quoi de grandes régions seraient-elles nécessairement plus fortes ou plus justes ? Par exemple, la fusion de deux régions pauvres ne fera jamais une région riche.
Nous devrions alors nous interroger sur les raisons qui nous font en permanence comparer nos régions aux Länder allemands et à leur force, en oubliant de mentionner que cette puissance est étroitement liée aux pouvoirs et aux moyens qu’ils tirent d’une constitution fédérale. Faut-il rappeler que l’Allemagne n’est pas une république une et indivisible et que l’unité allemande est récente au regard de l’existence de notre État-nation ? Enfin, les discriminations territoriales de toutes sortes sont aussi le lot commun en Allemagne.
Quelle puissance devraient atteindre nos régions ? Au service de quels objectifs développer celle-ci ? Malheureusement, rien n’est dit sur ce sujet. On disserte sur le management, on parle d’efficacité, mais pour répondre à quelles attentes, à quels besoins, à quelle réduction réelle des inégalités sociales et territoriales ? En quoi le transfert de la gestion des routes ou des collèges aux régions va-t-il les rendre plus performantes ? Bien au contraire, comme beaucoup l’ont souligné, le risque est de les transformer en monstres technocratiques, moins efficaces et, en tout cas, moins réactifs que les départements.
Les dernières élections, municipales et européennes, ont montré de fortes attentes des citoyens en termes de participation et d’écoute. Le présent projet de loi est-il une première réponse alors que, au nom de la puissance et de l’efficacité, on s’apprête à mettre en œuvre des structures encore plus éloignées des citoyens et comptant moins d’élus ?
Pour toutes ces raisons et bien d’autres, notamment l’absence à peu près totale de concertation pour préparer cette carte, nous vous proposerons de supprimer l’article 1er, ce qui nous permettra au moins d’examiner en première lecture le projet de loi relatif aux compétences avant de conclure sur le périmètre des futures régions avec la deuxième lecture du présent projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Louis Pinton, sur l’article.
M. Louis Pinton. À cet instant de la discussion, nous sommes face à une difficulté, parce que le sujet qui nous intéresse a été, de mon point de vue, mal abordé et pas assez approfondi. En fin de compte, chacune et chacun de nos concitoyens, et même les élus, ressentent un trouble extrême devant l’action publique locale. Le précédent gouvernement s’était longuement interrogé sur les remèdes qu’il fallait apporter à ce trouble. Il avait proposé la création du conseiller territorial qui était un début d’approche du règlement de la situation, de mon point de vue pas assez abouti et trop compliqué.
Cette réflexion n’a pas permis d’identifier clairement le cœur du problème. Nous l’avons peut-être tous ressenti plus ou moins consciemment, mais nous ne l’avons pas exprimé précisément. Selon moi, le cœur du problème se situe dans la relation entre le département et la région. Tant que l’on ne réglera pas cette question et que l’on proposera des traitements partiels du trouble, on risque beaucoup plus de provoquer des dégâts que d’apporter des solutions.
Les territoires ruraux vont énormément souffrir du traitement qui nous est proposé aujourd’hui. La République une et indivisible, dont les qualités ont été évoquées précédemment, ne peut pas se permettre d’adopter des mesures dévastatrices pour 80 % de son territoire. C’est inadmissible ! Arriver à cette situation parce que vous voulez forcer le rythme, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, vous conduira à assumer une très lourde responsabilité dans la dévastation des territoires ruraux.
Il faut prendre son temps, régler le problème de la relation entre le département et la région en conciliant la puissance et la proximité et assurer aux territoires ruraux ce qu’ils sont en droit d’attendre d’une République dont l’histoire extrêmement longue plonge ses racines au-delà même de sa naissance. Il faut prendre ce temps, sinon nous risquons de faire énormément de mal à notre équilibre national. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Dallier, sur l’article.
M. Philippe Dallier. Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, au point où nous en sommes de ce très intéressant débat, il y a fort à parier que l’article 1er va connaître un sort funeste, vidant ainsi de sa substantifique moelle le projet de loi que vous nous présentez.
Certains articles de presse, comme certains de nos collègues députés, nous vilipendent déjà, parlant d’un « Sénat conservateur ».
M. Roger Karoutchi. Comme d’habitude !
M. Philippe Dallier. Pourtant, mes chers collègues, je crois que notre vote sera le meilleur service que nous puissions rendre au Gouvernement, car il lui donnera du temps.
Permettez-moi de vous rappeler un souvenir qui remonte à un an, exactement. Nous examinions le projet de loi d’affirmation des métropoles. Le Gouvernement avait présenté au Sénat une proposition concernant le Grand Paris critiquée sur toutes les travées, car elle était absolument ubuesque : elle ajoutait une couche de plus au millefeuille et créait une métropole qui aurait regroupé dix millions d’habitants sur les douze millions que compte la région. On n’y comprenait rien, personne ne voulait de ce texte et le Sénat avait rendu une copie blanche.
Nous avions été très critiqués à l’époque, mais que s’est-il passé ensuite ?
M. Jean-Pierre Caffet. On a fait vite ! Tout a été réglé en un mois !
M. Philippe Dallier. Exactement, et c’est précisément là que je veux en venir ! Il y a eu une deuxième lecture du projet de loi au mois de décembre.
En rendant copie blanche, le Sénat a permis une réflexion supplémentaire. Le Gouvernement est revenu de l’Assemblée nationale devant nous avec un texte radicalement différent qui créait une véritable métropole. Nous avons trouvé dans cette enceinte une majorité allant au-delà des clivages partisans. Souvenez-vous : avec Jean-Pierre Raffarin, Jean-Jacques Hyest et d’autres, nous avons amendé ce texte et, au bout du compte, nous l’avons adopté. Ce résultat n’était pas écrit d’avance ! Même si la loi finale n’était pas parfaite à mes yeux, nous avons considéré en tout cas qu’elle représentait une avancée dans la bonne direction.
Le sujet qui nous occupe aujourd’hui est encore plus important. Tout le monde, sur toutes les travées, et même au groupe socialiste, porte la même appréciation : nous aurions dû discuter des compétences et des moyens en même temps que nous discutions du redécoupage.
Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, où est l’urgence ? Pourquoi ne pas s’accorder l’été, les mois de septembre et d’octobre pour retravailler ce texte et faire en sorte de trouver une bonne solution, non pas pour les deux ans ou les trois ans à venir, mais pour les cinquante années qui viennent ? En effet, une réforme de cette importance doit pouvoir durer un demi-siècle, à tout le moins.
Le Sénat va supprimer l’article 1er. Il fera bien et cela vous donnera du temps : utilisez-le à bon escient et revenez devant la Haute Assemblée avec un texte qui nous permette de discuter effectivement des compétences, des moyens et des périmètres. Si ces trois éléments ne sont pas mis sur la table en même temps, il y a peu de chances que nous produisions un bon résultat. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. Yves Pozzo di Borgo applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec, sur l’article.
M. Ronan Dantec. Selon l’orateur précédent, l’article 1er ne survivra peut-être pas au vote à venir. Je le regrette, en toute immodestie, car cela nous priverait d’un débat sur la démarche que nous proposons par le biais d’un amendement qui sera balayé si une telle suppression intervient.
À ce stade, et je ne dis pas cela de manière théorique, donner du temps au temps est nécessaire. En ce sens, je rejoins ceux qui se sont exprimés avant moi, même si je ne partage pas toujours leurs opinions politiques.
Il n’est qu’à voir ce qui se passe entre la région Bretagne et la région Pays de la Loire. Ce qui était impossible voilà quelques semaines ne l’est plus et la situation peut bouger, pour peu que les élus collaborent davantage ensemble. Le sondage publié hier montre que les opinions publiques des deux régions sont désormais défavorables au statu quo. L’un des paradoxes, c’est que la coopération entre les deux régions est importante, alors que les élus se parlent finalement assez peu. Ce temps peut servir à cela.
Ma proposition n’est absolument pas dilatoire. Beaucoup connaissent l’initiative que j’ai prise avec d’autres parlementaires, l’appel « Pour une Bretagne rassemblée ». Il s’agit de permettre que la fusion des régions Bretagne et Pays de la Loire se fasse de façon équilibrée, par le biais d’une expérimentation, dispositif un peu novateur pour garantir aussi la dimension historique et culturelle de la Bretagne à cinq départements, cela a été beaucoup souligné depuis hier.
Ce débat peut avoir lieu, à condition de se laisser quelques semaines, pas dix ans.
Christian Favier l’a rappelé : il est assez cohérent de travailler sur cette carte à l’automne prochain, lors de la deuxième lecture de ce projet de loi, en lien avec la discussion des compétences visées par le texte que présentera Mme Lebranchu.
Par ailleurs, j’ai beaucoup entendu parler de main tendue. Je désire m’en assurer, car je ne voudrais pas que cela s’apparente à des manœuvres dilatoires de la part de ceux qui souhaitent surtout que rien ne bouge, que l’on garde les petites régions, les départements et que les schémas prescriptifs qui figurent dans le second projet de loi passent par pertes et profits.
Sommes-nous vraiment d’accord sur la règle du jeu ? Si l’article 1er est supprimé, nous devrons faire face à une responsabilité : travailler à une boîte à outils qui sera transmise à l’Assemblée nationale. Et nous pouvons nous appuyer sur l’excellent travail du rapporteur Michel Delebarre qui a proposé des amendements assez consensuels sur ce sujet.
On ne peut pas, d’un côté, soutenir qu’il faut attendre pour dessiner la carte et, de l’autre, ne pas étudier sérieusement la boîte à outils qui fixera le processus en vue de régions plus grandes. Car c’est de cela qu’il s’agit ! En ce sens, la cohérence entre le présent texte et le projet de loi Lebranchu est manifeste : les grands schémas de développement économique qui visent à renforcer le rôle en matière de développement économique des régions ont pour corollaire l’émergence de régions plus grandes. Avec des régions qui comportent deux départements ou des régions qui ne correspondent pas à la trame urbaine, c’est impossible. Je ne sais pas si tout le monde est d’accord sur le fait qu’il faut y parvenir.
Dans cette optique, notre proposition tendait justement à permettre de laisser du temps au temps. Pour autant, il sera de la responsabilité de l’État et du Gouvernement de mettre sur la table des fusions pour ceux qui n’arriveront pas à se mettre d’accord. Si, dans trois mois, nous nous réunissons de nouveau pour examiner ce texte et constatons que des désaccords et la volonté de ne pas bouger perdurent, je serai le premier à soutenir les fusions et le redécoupage de la France que le Gouvernement aura fixés.
Si nous sommes bien d’accord sur ce contrat global – nous transmettons une boîte à outils à l'Assemblée nationale et nous œuvrons à la fusion des régions ; je laisse la question des départements qui n’est prévue dans aucun des deux projets de loi à un débat ultérieur –, je pense que nous achèverons nos discussions sans donner l’image d’un Sénat, assemblée des collectivités territoriales, incapable de se prononcer sur le présent texte.
M. le président. La parole est à M. Gérard Roche, sur l'article.
M. Gérard Roche. À l’issue de l’intervention de Christian Favier, je me suis demandé si les différentes prises de parole concernaient l’article 1er ou les amendements de suppression de cet article…
Quoi qu’il en soit, j’aime bien parler en images (Sourires), aussi reprendrai-je celle que j’ai utilisée ce matin. On nous propose une course en montagne alors que les sommets sont nébuleux : on ne sait pas très bien ce qu’il adviendra des communes, dont personne ne parle d’ailleurs, pas plus que des recettes. Il y a tout de même des silences qui sont assourdissants ! Par ailleurs, je note une certaine impréparation : on part sans crampons, en basket.
Tout cela pose à chacun d’entre nous un cas de conscience, je l’ai dit ce matin. Avec qui allons-nous partir ? L’Assemblée des départements de France – je suis membre du bureau – a organisé plusieurs réunions. Mes collègues et amis socialistes présidents de conseil général, dont Didier Guillaume, se sont exprimés, mais les autres, qui sont très remontés et qui, dès le début, nous ont invités à la méfiance et appelés à ne pas nous laisser faire, soulignant que la disparition des départements en 2020 était implicitement inscrite à l'article 12, ne sont pas là aujourd’hui. Cela aussi ne fait qu’accroître notre inquiétude et ne doit pas nous laisser indifférents. Nous sommes élus par des grands électeurs qui, sur le territoire, sont très attentifs à ce qui se passe actuellement. Ils sont très anxieux, partagent notre angoisse et nos interrogations.
Supprimer l’article 1er signifie envoyer une copie blanche à l’Assemblée nationale. Or de nombreux membres du groupe UDI-UC considèrent qu’il est de notre devoir d’écrire cette page avant qu’elle ne soit transmise à l’Assemblée nationale. Nos grands électeurs, ceux qui nous ont fait confiance, ne comprendraient pas que le Sénat ne saisisse pas cette occasion, alors que c’est à lui, assemblée des territoires, et non à l’Assemblée nationale, d’apporter des améliorations au présent texte.
M. André Reichardt. Il y aura une deuxième lecture !
M. Gérard Roche. Aussi, dans sa majorité, mais pas dans sa totalité, le groupe UDI-UC est plutôt favorable à la poursuite de la discussion et, par conséquent, hostile à la suppression de l’article 1er.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, sur l'article.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, à cet instant du débat, je tiens à exprimer les grands doutes que me fait éprouver cette réforme.
Pour ma part, je considère que l’engagement 54 du candidat-président fixait le cap des réformes des collectivités locales, cap qui correspondait aux besoins de notre pays aujourd’hui. Il n’était absolument pas question de modifier les différents échelons, encore moins de faire disparaître les départements. D’ailleurs, lors des états généraux de la démocratie territoriale organisés par le Sénat au mois d’octobre 2012, le Président de la République avait prononcé un plaidoyer tout à fait convaincant, que je pourrais vous transmettre si vous le souhaitez. Il avait parlé d’autonomie renforcée et surtout de clarification des compétences, évoquant d’ailleurs le maintien et le renforcement des dotations aux collectivités locales. (Marques d’ironie sur les travées de l'UMP.)
Pour ma part, je pense que c’est la feuille de route qui correspond aux besoins du pays. Une première étape a été franchie, une deuxième – celle de la question des compétences – s’impose. Il arrive que nous soyons amenés à évoluer et à proposer des réformes ne figurant pas dans les programmes gouvernementaux.
M. Jean-Pierre Caffet. Est-ce possible ?...
Mme Marie-Noëlle Lienemann. En général, mieux vaut faire les réformes prévues au cours de son mandat. Je pense en particulier à la réforme fiscale, car j’ai très peu entendu parler des outils fiscaux et financiers qui seront donnés aux collectivités locales pour répondre à leurs besoins.
Si l’on décide néanmoins d’engager de nouvelles réformes, mieux vaut qu’elles rassemblent, d’une part, la majorité de laquelle le Président de la République tire sa légitimité, d’autre part, les Français.
Mme Isabelle Debré. Ce n’est pas le cas !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. À en croire les nombreuses délibérations des collectivités locales, tel n’est effectivement pas le cas.
J’entends les arguments sur la taille des régions. Pour ce qui me concerne, je n’y ai jamais été sensible.
Je comprends que des régions, bénévolement, souhaitent se rapprocher et fusionner et que cette démarche soit favorisée. Pour autant, poser comme un postulat que, pour être compétitif, il faille être gros au motif qu’il faudrait ressembler aux autres Européens, ne me paraît pas soutenable.
La deuxième région d’Allemagne la plus dynamique est celle d’Hambourg, qui compte 1,8 million d’habitants. Il existe toute une série de régions qui peuvent être petites et performantes, tout comme on connaît, dans certains territoires de l’Union européenne, de grosses régions qui cumulent les difficultés.
Un autre argument est avancé : la réforme permettrait d’économiser de l’argent ou d’élaborer une activité plus ciblée pour soutenir le redressement industriel du pays.
Or la fusion de régions coûte cher pendant plusieurs années, avant qu’elle ne permette de réaliser des économies, somme toute assez limitées, quand on regarde le processus dans la durée.
Vous le savez, monsieur le ministre, une étude très détaillée, commandée par les collectivités territoriales, sur la fusion entre la Basse-Normandie et la Haute-Normandie a mis en évidence un certain nombre de conséquences qui méritent réflexion. Cette fusion coûterait environ 15 millions d’euros. Pendant huit à neuf ans, les dépenses augmenteraient, au lieu de baisser. C’est seulement à l’issue de la neuvième ou de la dixième année que les dépenses liées aux frais de fonctionnement pourraient baisser de 0,3 % à 0,5 % par an.
En outre, si Rouen devenait la capitale régionale, 4 000 emplois seraient progressivement transférés de Caen à Rouen. Or il ne vous échappera pas que, pour une ville moyenne comme celle de Caen, qui n’est ni la plus démunie ni la plus à la traîne de nos villes, la perte de 4 000 emplois aurait inévitablement une incidence en termes d’aménagement du territoire que l’on ne peut pas balayer d’un revers de main.
M. Jean-Claude Lenoir. La capitale régionale restera à Caen !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Pour ma part, je suis plus que sceptique sur l’économie financière que permettrait une telle fusion.
Non seulement j’ai des doutes sur la fusion des régions, mais je suis convaincue de l’intérêt qu’il y a à maintenir les départements en France.
M. André Reichardt. Très bien !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. On peut réfléchir à l’opportunité de créer des départements-métropoles, comme c’est historiquement le cas de Paris ou Lyon.
Mme Isabelle Debré. Il fallait conserver le conseiller territorial !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Je considère que le département reste un échelon utile, pertinent pour les politiques de solidarité, de péréquation entre les zones urbaines et rurales, car il n’y a pas plus d’urbain total que de rural total.
M. René-Paul Savary. Absolument !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Nous sommes toujours dans une symbiose, ce qui constitue la richesse de la diversité des territoires français.
Cette réforme n’est pas la priorité. Et puisqu’il est question de compétences, j’observe que c’est moins souvent l’imbroglio des politiques publiques locales qui est en cause que le désengagement de l’État.
M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Il n’est qu’à prendre l’exemple du logement. À mesure que l’État a baissé l’aide à la pierre, la complexité des politiques des collectivités locales en la matière a paralysé la production. C’est bien la preuve qu’il faut avoir une réflexion sur les compétences ! (Applaudissements sur certaines travées de l'UMP.)
Mme Catherine Procaccia. C’est la droite qui applaudit !
M. le président. La parole est à M. Didier Guillaume, sur l'article.
M. Didier Guillaume. Le débat que nous avons depuis que nous avons entamé l’examen de ce projet de loi est très intéressant.
Mme Isabelle Debré. Il aurait dû avoir lieu avant !
M. Didier Guillaume. Nous parlons parfois du texte, du contexte, d’un texte qui n’existe pas, du transfert d’éventuelles compétences sans bien savoir de quoi il retourne. La discussion générale a montré que, au sein des deux groupes numériquement les plus importants de cette assemblée, tout le monde n’avait pas la même position.