M. le président. La parole est à Mme Catherine Troendlé.
Mme Catherine Troendlé. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui fait suite au rapport d’information de 2012 de nos collègues François Pillet et René Vandierendonck, dont la plupart des recommandations ont été intégrées dans ce texte.
Faisant le bilan des vingt-cinq ans de la police municipale, ce rapport mettait en avant les difficultés qu’elle rencontre aujourd’hui encore : une confusion des compétences entre les forces de police municipale et les forces de police nationale, qui amène nos concitoyens à exiger beaucoup des premières ; une judiciarisation des polices municipales, parfois réquisitionnées par le procureur de la République pour certaines interventions ; un désengagement étatique qui conduit la police municipale à s’éloigner de ses missions de prévention et de proximité ; enfin, un accroissement des inégalités en matière de sécurité selon les moyens de chaque collectivité.
Pour donner un nouveau souffle à la police locale et remédier à toutes ces difficultés, vous proposez deux axes de réforme : une homogénéisation des polices locales, d’une part, une mutualisation de ces nouvelles forces de police au niveau intercommunal, d’autre part, le tout afin de favoriser l’émergence d’une véritable « police territoriale ».
L’objectif, comme vous l’avez rappelé, est de fusionner dans un même cadre d’emplois les agents de police municipale et les gardes champêtres. S’ensuivrait alors, dans une logique de clarté, un regroupement de l’ensemble des compétences exercées par l’une et l’autre de ces deux forces de police.
De plus, puisque la police territoriale disposera des compétences actuellement exercées par les gardes champêtres, il est évident que les régions, les départements ou les établissements publics chargés de la gestion d’un parc naturel régional garderont la faculté de recrutement de policiers territoriaux dans ce domaine.
Il est certain qu’en redonnant de la lisibilité à la police « locale », nous faciliterons un regroupement des forces de police au niveau de l’intercommunalité.
Du reste, cette mutualisation est indispensable, et d’abord pour éviter l’abandon de certaines zones rurales parfois très vastes, où les municipalités n’ont pas les moyens d’assumer la charge d’une force de police de quelque ampleur, dont elles ont pourtant absolument besoin. Pour cela, vous proposez très justement d’améliorer les dispositifs existants : les conseils locaux de sécurité et les conventions de coordination.
L’article 18 renverse en effet l’ordre de création des conseils de sécurité et de prévention de la délinquance dans les communes de plus de 10 000 habitants ou comprenant une zone urbaine sensible. Actuellement, lorsqu’il existe un conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance, ou CLSPD, la création d’un conseil intercommunal de sécurité et de prévention de la délinquance, ou CISPD, est facultative. Vous proposez que la création d’un CLSPD ne soit plus possible si un CISPD est créé, ce qui constitue une modification cohérente avec l’évolution de notre droit des collectivités ; il s’agit de favoriser l’essor d’une politique de prévention de la délinquance à l’échelle intercommunale.
L’article 19, quant à lui, prévoit que le procureur de la République sera signataire de la convention de coordination, également signée par le maire et le préfet, alors qu’il n’émettait jusqu’alors qu’un avis sur cette convention. Dès lors que la police municipale connaît un accroissement important de ses pouvoirs judiciaires, il est indispensable de donner à l’autorité judiciaire les moyens de mieux contrôler l’exercice de ces pouvoirs. Mais ce n’est pas tout : le texte tend également à reconnaître le travail décisif mené par les policiers, en leur conférant une véritable initiative dans la rédaction de cette convention de coordination. Nous nous satisfaisons de ces avancées.
Par ailleurs, la commission des lois a judicieusement abaissé le seuil rendant obligatoire la conclusion de la convention de coordination à partir de quatre emplois d’agent de police territoriale, au lieu de cinq, et prévu une période transitoire de trois ans à compter de l’entrée en vigueur de la loi lorsque les services de police territoriale de plus de quatre agents ont été créés avant l’entrée en vigueur de la disposition. Durant cette période, ces services pourront poursuivre leur activité.
Au-delà de ces deux outils juridiques, dont le fonctionnement est amélioré, le texte renforce le rôle joué par les établissements publics de coopération intercommunale dans la coordination des politiques de sécurité.
L’article 16 fait ainsi du président d’un EPCI à fiscalité propre un officier de police judiciaire.
Quant à l’article 17, il prévoit qu’en cas de transfert de compétences en matière de transports urbains à un EPCI, celui-ci endosse aussi la responsabilité de la police des transports, sous réserve de l’accord de l’ensemble des communes concernées et du président de l’EPCI. Si cet accord peut, en théorie, présenter certaines difficultés, le texte prévoit une contrepartie pour les présidents d’EPCI, puisque l’intercommunalité pourra refuser le transfert des compétences considérées.
En somme, rationalisation et mutualisation sont les mots d’ordre de cette réforme, qui doit donc être approuvée.
Avant de conclure, je tiens à intervenir sur l’une des particularités du Haut-Rhin, celle du syndicat mixte des gardes champêtres intercommunaux du Haut-Rhin, plus communément appelé la « brigade verte ».
C’est la loi d’amélioration de la décentralisation du 5 janvier 1988 qui a repris, dans son article 44, un amendement proposé par le sénateur Goetschy, auquel s’étaient alors associés les sénateurs Schielé et Haenel. Cet amendement permet à des collectivités réunies dans un syndicat mixte d’avoir en commun des gardes champêtres compétents sur l’ensemble des territoires des communes constituant ce groupement.
Depuis l’entrée en vigueur de cette disposition, les gardes champêtres du Haut-Rhin ont constitué un véritable corps, placé sous l’autorité juridique des maires. Ils ont pour cadre de gestion un syndicat mixte regroupant des communes, le département du Haut-Rhin ainsi que, le cas échéant, des syndicats de communes ou des districts.
Une soixantaine de gardes champêtres, répartis sur dix postes, sont ainsi déployés sur le territoire de 313 des 377 communes que compte le département. Les patrouilles sont effectuées sept jours sur sept, 365 jours par an.
La brigade verte travaille en partenariat avec toutes les autres institutions du territoire, notamment la région Alsace, le conseil général, la gendarmerie et la police. C’est, pour les habitants du Haut-Rhin, l’un des piliers de leur sécurité et de leur tranquillité.
Cette organisation fonctionne très bien et répond parfaitement, en particulier, aux besoins des petites communes en répartissant les coûts entre les communes, les intercommunalités et le département.
La brigade verte étant unique en France au regard de la dimension du territoire couvert par le syndicat mixte et de son financement, il est certain que le projet de « police territoriale » remet en cause son mode de fonctionnement. Pourrait donc se trouver ainsi remise en cause l’existence même d’une structure qui a su répondre aux attentes de nos concitoyens du Haut-Rhin et des élus des collectivités participantes.
Compte tenu de ces éléments, monsieur le ministre, mes chers collègues, je n’ai cessé de plaider pour la prise en compte du maintien de cette spécificité du Haut-Rhin.
Mes chers collègues, il existe un véritable consensus sur ce texte, qu’il s’agisse des limites actuellement rencontrées par la police municipale ou des moyens propres à lui donner un nouveau souffle. Le rapport d’information de nos collègues François Pillet et René Vandierendonck n’est certainement pas étranger à la formation de ce consensus et je tiens, au nom du groupe UMP, à les saluer. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, de l’UDI-UC, du RDSE, du groupe écologiste et du groupe socialiste, ainsi qu’au banc de la commission.)
M. le président. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas.
M. Vincent Capo-Canellas. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’ai déjà eu l’occasion, lors du débat qui a fait suite au dépôt du rapport d’information de nos collègues René Vandierendonck et François Pillet d’indiquer l’orientation générale du groupe UDI-UC au sujet des polices municipales.
En premier lieu, j’ai salué le pragmatisme des auteurs : il est utile de reconnaître le rôle des polices municipales, qui agissent en complémentarité avec l’État dans l’effort de coproduction de la sécurité. Mon expérience de maire d’une commune de banlieue, en Seine-Saint-Denis, me permet d’affirmer que, face au grand défi que constitue l’insécurité vécue par nos concitoyens comme un fléau, nous devons faire preuve de pragmatisme et essayer, en tant que législateurs et représentants des élus locaux, de mettre en place l’ensemble des moyens qui concourent à l’amélioration de la sécurité. Tel est évidemment l’enjeu de l’action que nous devons conduire, dans le respect du rôle de chacun.
Il faut, par conséquent, apprécier à sa juste valeur la démarche qui consiste à privilégier une approche pragmatique plutôt qu’idéologique dans ce domaine de la sécurité. Cela obligera certains à se convertir au réel ; tant mieux ! Car c’est bien se convertir au réel que de reconnaître pleinement les polices municipales et d’admettre le rôle utile des CSU. Par conséquent, ce rapport nous a intéressés autant par ce qu’il contenait que par ce qu’il ne contenait pas, autant par les changements qu’il préconisait que par ce qu’il s’abstenait de remettre en cause.
Je veux réaffirmer ici mon profond respect pour l’ensemble des forces de l’ordre, qui agissent au quotidien pour la sécurité de nos concitoyens. Je parlerai principalement, bien sûr, de ceux qui sont concernés par cette proposition de loi, les policiers municipaux, mais je n’oublie pas que la production de la sécurité est une coproduction ; c’est donc à tous les agents de police, au sens large, qu’il faut nous adresser. Et nous ne devons pas oublier le prix qu’ils paient chaque année, avec des blessés mais aussi, parfois, des morts – nous avons tous un certain nombre de drames en mémoire.
Au-delà du consensus que recueille l’excellent travail engagé par nos deux collègues, il nous faut rappeler ici une évidence, qui était en filigrane dans les propos de Jean-Vincent Placé : les maires en viennent à créer des polices municipales lorsqu’ils ont perdu l’espoir de voir dans leur commune des effectifs de police nationale suffisants pour faire face à la délinquance. En mettant alors en place un service complémentaire par rapport à la police nationale, ils font preuve de responsabilité, prenant pleinement la mesure de l’engagement nouveau et quotidien que cela implique et les risques afférents.
L’utilité des polices municipales est réelle. En tant que représentant du secteur urbain, je tiens à dire que, dans des communes comme la mienne, avec des taux de délinquance qui avoisinent 100 faits pour 1 000 habitants, le travail de retissage du lien avec la population est très important. C’est une question de présence sur le terrain, de remontée d’informations, mais aussi de partenariat avec des services d’enquête, parfois à leur demande : un CSU bien mené fournit à la police nationale et aux services d’enquête spécialisés des éléments de preuve tout à fait appréciables. J’ai ainsi réussi, dans ma commune, à faire baisser le taux de délinquance de 30 points : certes, nous partions d’assez haut, avec un taux de 95 pour 1 000, mais il a été ramené à 65 pour 1 000. Il ne s’agissait pas de faits de grande délinquance, mais leur nombre était significatif – et ils restent, malgré tout, trop nombreux.
Il faut donc considérer ces sujets avec pragmatisme et responsabilité. Il est heureux, de ce point de vue, que les polices municipales se soient professionnalisées. Lorsque la police nationale et la police municipale, lorsque les hommes et les femmes qui les composent travaillent bien ensemble, dans le respect du rôle de chacun, il peut s’ensuivre une coproduction extrêmement utile pour faire face aux défis posés par une délinquance toujours changeante, mouvante, à laquelle nous devons évidemment nous adapter.
Vous avez donc proposé des ajouts, des compléments au droit existant en matière de formation, d’avancement, d’agrément : mieux encadrer et mieux cadrer le rôle des ASVP, ainsi que celui des opérateurs des CSU. Tout cela se conçoit fort bien.
Les conventions de coordination entre la police municipale et la police nationale sont un outil dont il ne faut pas exagérer la portée, même si elles peuvent être utiles. Le rééquilibrage recherché est positif.
Je voudrais cependant exprimer une légère inquiétude : le partenariat est avant tout une affaire d’hommes ; par conséquent nous ne devons pas tout codifier dans des conventions. Tout fonctionne bien si les hommes s’entendent.
Mme Éliane Assassi. Et les femmes ?
M. Vincent Capo-Canellas. Le commissaire de police et la police nationale ont un rôle éminent, tandis que la police municipale fournit des moyens. Mais elle n’est pas là pour décider, y compris en matière d’ordre public, et le maire n’a pas à décider dans ce cadre-là. La conduite des opérations se fait sous l’autorité du commissaire. C’est un équilibre qui n’est pas simple à trouver, mais qu’il nous faut savoir assurer.
Ces questions soulèvent donc tout de même un certain nombre de débats sur lesquels je veux revenir.
L’intercommunalisation nous conduit à changer la dénomination des polices municipales pour en faire des « polices territoriales ». J’ai déjà dit en commission combien j’étais sceptique à l’égard de ce changement d’appellation. Il me semble en effet que l’apport de ce changement est extrêmement limité, mais que ses inconvénients sont réels.
Je proposerai tout à l’heure, par un amendement, que l’on donne de la souplesse aux communes afin que, lorsqu’elles le souhaitent, elles puissent décider de garder l’appellation « police municipale ». La police territoriale créée par la proposition de loi dont nous débattons pourrait alors prendre l’appellation « police municipale » si le conseil municipal le décide.
Selon moi, ce sujet n’est pas seulement symbolique. En effet, cette manie que nous avons, dans les textes, de changer les noms – plutôt que de faire autre chose – a un coût : elle exaspère ceux qui travaillent sur le terrain. Existe-t-il une bonne raison de changer le nom de quelque chose qui fonctionne ? Je n’en vois pas !
En outre, je pense que ce texte n’apportera pas de révolution autre que le changement de nom dans les villes qui ont déjà une police municipale. Il faudra alors expliquer aux agents pourquoi changer ce nom. Il y a des agents pour qui la question de l’appellation a un sens particulier : ce sont des services d’autorité qui aiment savoir devant qui ils doivent répondre de leur action. Or ils n’en répondent pas devant un vague territoire, ils en répondent devant le maire et ils sont payés par la commune.
Il s’agit aussi d’une claire distinction avec les services de l’État : le nom de « police municipale » signifie bien que l’on n’est pas dans le cadre de la police nationale. Ces deux appellations, « police municipale » et « police nationale », me semblent donc être bien claires.
J’ajoute que la police municipale requiert un effort financier important pour les communes, comme cela a été dit tout à l’heure. Dès lors, il n’est pas inutile qu’elle se nomme « police municipale ». Son budget est bien puisé dans les ressources de la commune. Après tout, un peu de visibilité ne nuit pas !
Il ne faut pas non plus tomber dans le piège d’une restriction des pouvoirs des polices municipales ou des objectifs qui leur sont donnés. Celles-ci doivent s’inscrire dans une complémentarité avec la police nationale et pouvoir ainsi participer à l’information de la police nationale, à la remontée des témoignages. En ce qui concerne en particulier les CSU, il faut être conscient qu’ils permettent d’observer ce qui se passe, de renseigner la police nationale, de prévenir la délinquance et de fournir des éléments de preuve – attention à ne pas dériver sur ce point !
Prenons garde à ne pas trop spécialiser la police municipale en adéquation avec les pouvoirs de police du maire. Bien sûr, elle est d’abord là pour les traduire dans les faits, mais, en vertu de l’article 40, et comme cela se passe aujourd'hui, elle est également tenue de transmettre à la police nationale un certain nombre d’informations et de concourir à des enquêtes.
L’armement pose le même type de problèmes : exposer des agents implique en effet de déployer des moyens.
Pour ce qui est de la sérigraphie sur les équipements, je l’ai dit, je pense qu’il y a un acquis. Par conséquent, changer les couleurs, la typographie, etc., va d’abord énerver tout le monde sur le terrain. En outre, la police municipale est aujourd'hui bien identifiée. À quoi bon changer ses couleurs ? Je comprends que l’on veuille la distinguer de la police nationale, mais certains faits sont acquis aujourd'hui. Ça marche ! Pourquoi changer ce qui fonctionne ?
Je terminerai, monsieur le ministre, en vous disant que ce sujet relève de l’intérêt général. L’équilibre est complexe. J’aurai l’occasion, au cours de la discussion des articles, de revenir sur un certain nombre de points.
Il faut faire preuve de pragmatisme et d’efficacité. Améliorons ce qui peut et doit être amélioré, mais veillons à ne pas déstabiliser un édifice qui peut parfois paraître fragile. Enfin, surtout dans des territoires où la délinquance est forte, veillons à ce que tout le monde continue à travailler ensemble. C’est là, je crois, l’essentiel. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et du RDSE, ainsi que sur plusieurs travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le ministre; madame la rapporteur, mes chers collègues, vingt-cinq ans après l’officialisation des polices municipales, la mission d’information à l’origine de cette proposition de loi, consacrée à cette « police de la tranquillité publique », menée – il faut le reconnaître – avec rigueur et sérieux par nos collègues François Pillet et René Vandierendonck, avait pour objet de s’interroger sur l’équilibre général des dispositions législatives et réglementaires en vigueur. Les deux rapporteurs avaient conclu leurs travaux en formulant vingt-cinq préconisations ayant pour ambition « d’adapter le régime juridique des polices municipales et de favoriser un fonctionnement et un emploi plus efficient de ces services ».
Ils ont surtout commencé par dresser le constat des dérives qui découlent du désengagement progressif de l’État en matière de sécurité dans nos communes, dérives qui touchent « au fondement même de notre République », pour reprendre leurs propres termes.
Nous sommes entièrement d’accord sur ce constat, d’autant que, à maintes reprises, notamment dans cet hémicycle, nous avions dénoncé ce désengagement et alerté sur ses conséquences.
Ainsi, le rapport dénonce à juste titre la diminution progressive des effectifs de police nationale au cours des dernières années et le retrait des forces régaliennes du territoire, que les maires de tous bords… n’est-ce pas, monsieur Nègre ? Vous attendiez peut-être autre chose, mais je le dis avec force : « de tous bords » (M. Louis Nègre sourit.)… retrait que les maires de tous bords, donc, soucieux de la sécurité des citoyens, sont contraints de compenser par le renforcement de leurs services de police municipale.
Nos élus constatent chaque jour les conséquences de cet abandon, qui entraîne pour les budgets locaux des charges supplémentaires auxquelles ils ne peuvent souvent faire face qu’avec difficulté.
Mme Catherine Troendlé. Eh oui !
Mme Éliane Assassi. Ainsi, chaque fois qu’il est fait appel, par nécessité, à des services de sécurité privés, c’est notre service public qui en pâtit. Quoi de plus alarmant que d’être obligé de pallier la compétence régalienne de l’État en matière de sécurité, de paix, d’ordre public, de protection des personnes et des biens, par le recours à des services privés dont le seul objectif est la rentabilité ?
Je ne me lasserai pas de le répéter, la sécurité est l’affaire de l’État, qui doit entièrement la prendre en charge financièrement, ce qui n’empêche pas une implication des élus locaux. Cependant, en aucun cas, la sécurité ne doit peser sur les municipalités.
Aussi, mes chers collègues, permettez-moi de vous faire part de ma déception à la lecture de cette proposition de loi, qui traduit finalement le choix de nier le désengagement de l’État. Les dispositions qu’elle contient s’efforcent au contraire de pérenniser ce désengagement.
L’article 19 est particulièrement révélateur à cet égard puisqu’il prévoit une plus forte implication du procureur de la République eu égard à « l’accroissement des pouvoirs judiciaires des polices municipales », ainsi qu’un véritable partage entre les forces de sécurité nationale et la police territoriale « de la nature et des lieux des interventions ».
Cela aussi, je l’ai déjà dit, mais la répétition a des vertus pédagogiques : notre ambition va bien au-delà du simple aménagement prévu dans le texte. Pour éviter le développement d’une sécurité à double vitesse et pour que l’État se réapproprie sa mission régalienne, nous sommes favorables à la création d’un grand service public où seraient regroupées police municipale, police nationale et gendarmerie nationale, et où le rôle des différentes forces serait clairement défini, dans l’intérêt des citoyens comme dans celui des policiers. Cette ambition recueille l’assentiment des personnels.
Or ce texte est loin de créer un tel service. Certes, il permet la fusion entre les policiers municipaux et les gardes champêtres, disposition que nous approuvons. Certes, il autorise les policiers municipaux à accéder à certains fichiers. Cependant, il ne présente pas d’autre intérêt. Il y est ainsi fait peu de cas de l’intérêt des citoyens et de celui des policiers.
Pour les citoyens, tout d’abord, les inégalités devant la sécurité en fonction des moyens dont disposent les communes vont inéluctablement perdurer. Par ailleurs, même lorsque les communes ont suffisamment de moyens, les agents de police municipale se trouvent, par la force des choses, contraints d’effectuer de nouvelles missions de répression, pourtant dévolues en principe aux forces nationales, et ce au détriment de leurs missions traditionnelles de prévention et de proximité, pourtant essentielles et chères à nos concitoyens.
Quant aux policiers municipaux, leurs missions ont connu une évolution spectaculaire. Pendant longtemps, ils ont été cantonnés à la sécurité des enfants à la sortie des écoles ou à la verbalisation des mauvais stationnements. Cependant, peu à peu, en raison de la démission de l’État, leurs fonctions se sont étoffées. On devine la pression supplémentaire qui pèse sur ces policiers, ainsi que leur mal-être. Du fait des nouvelles charges qu’ils subissent, ils ont en effet le sentiment légitime de ne pas être reconnus à leur juste valeur.
J’ai reçu un très grand nombre et un très large panel de leurs représentants lors de la parution du rapport, et encore la semaine dernière, pour discuter de la proposition de loi. Je peux vous confirmer leur mal-être. Je tiens à relayer ici leur insatisfaction concernant ce texte qui, encore une fois, fait l’impasse sur le volet social, sur la pénibilité, sur leur rémunération et sur leur retraite.
Sachant que le salaire moyen des policiers municipaux est légèrement supérieur à 1 500 euros après vingt ans d’exercice et que leur retraite moyenne est inférieure à 1 000 euros, la revalorisation de leurs droits sociaux est à juste titre une attente forte des syndicats et de l’ensemble de ces agents. Ces personnels sont le service public. Ces femmes, ces hommes, ces « policiers du quotidien », comme ils se nomment, méritent que leurs revendications sociales soient enfin entendues.
Mes chers collègues, oui, nous espérions beaucoup, beaucoup plus après l’excellent rapport de nos collègues François Pillet et René Vandierendonck et le non moins excellent débat que nous avions eus ici même en janvier 2013. Cependant, malgré quelques avancées, attendues notamment par les gardes champêtres, la proposition de loi n’a pas le même souffle que le rapport de nos collègues. Elle n’est pas aboutie.
J’en viens maintenant au débat sur l’appellation de la police : faut-il parler de police « territoriale » ou de police « municipale » ? Avant de changer l’appellation, encore faudrait-il savoir de quel territoire il s’agit. Au moment où le Sénat s’apprête à examiner des textes sur les collectivités territoriales qui vont beaucoup l’occuper et sur lesquels on ne sait pas grand-chose aujourd’hui, on ne peut être certain du sens du qualificatif « territorial » ! C'est pourquoi je souhaite que l’on en reste pour l’heure à l’appellation « police municipale ».
Vous l’aurez compris, cette proposition de loi manque d’ambition à nos yeux. Elle comporte toutefois quelques avancées, et c'est la raison pour laquelle nous nous abstiendrons. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste. –Mme la rapporteur applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier.
Mme Anne-Marie Escoffier. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteur, mes chers collègues, je tiens en tout premier lieu à saluer l’initiative de la commission des lois. Il y a près de deux ans, alors que la prétendue réforme territoriale était encore dans les limbes, mais que les aménagements divers et variés relatifs à la police, à la gendarmerie, au code de la sécurité intérieure ou au code pénal s’étaient multipliés, elle avait demandé à nos deux excellents collègues René Vandierendonck et François Pillet de conduire une étude sur l’évolution de la police municipale, évolution rendue indispensable par les aménagements que je viens d’évoquer.
La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui résulte de leur travail, lequel est conforté par les conclusions auxquelles étaient déjà arrivés Alain Lambert, Yves Détraigne, Jacques Mézard et Bruno Sido dans leur rapport d’information du 25 mai 2010 fait au nom de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation.
Cette proposition de loi a le mérite de clarifier des dispositions devenues complexes au fur et à mesure de l’accumulation des textes. En la circonstance, on peut véritablement parler d’un millefeuille, bien différent de celui auquel on voudrait nous faire croire pour justifier la réforme territoriale.
Ce texte vise à conférer une nouvelle unité à la police municipale en donnant sens à son organisation et à son fonctionnement, en complémentarité avec les forces de sécurité, qu’elles relèvent de la police ou de la gendarmerie.
Je veux saluer les dispositions de pur bon sens qui unifient dans le même cadre d’emplois policiers municipaux et gardes champêtres et donnent un véritable cadre juridique d’intervention aux agents de surveillance de la voie publique et aux assistants temporaires des agents de police municipale.
Je me félicite aussi de la place affirmée de la formation dont bénéficieront, de façon adaptée à leur charge, les fonctionnaires municipaux.
Ensuite, je veux dire combien me paraît judicieuse la disposition de l’article 19 relative aux régimes des conventions de coordination conclues entre le préfet et le maire, après avis du procureur de la République, qui tend à rééquilibrer les obligations entre les différentes forces de sécurité dans le cadre d’une véritable politique de coproduction de la sécurité, comme vous l’avez rappelé, monsieur le ministre.
En revanche, et c’est là tout le sens des amendements déposés par mes amis du RDSE, je ne peux me résoudre à voir le qualificatif « territorial » se substituer au qualificatif « municipal ». Quelle étrange manière que de vouloir tout qualifier de « territorial », comme si nos municipalités d’hier et d’aujourd'hui n’avaient plus d’existence, comme si celles de demain étaient vouées à disparaître, ce que je n’espère pas ! La référence aux polices municipales a tout son sens pour nos concitoyens.
Ce n’est pas parce que ces fonctionnaires peuvent être employés au sein d’un parc naturel régional, par exemple, qu’ils en perdent leur identité. Oublierait-on que des dispositions existent déjà à l’article L. 2212-5 du code général des collectivités territoriales pour organiser, au sein des communes volontaires, les mutualisations nécessaires au bon fonctionnement des services identifiés au sein des parcs, des régions ou des départements, sans qu’il soit nécessaire, nous disait tout à l'heure René Vandierendonck, de modifier d’un iota le rôle du maire ?
Serait-il raisonnable, à l’heure où l’on ne sait rien du devenir des régions – leur nombre serait réduit à quatorze et leur périmètre serait doublé – et encore moins de celui des départements – vont-ils disparaître, et si oui sera-ce à l’horizon 2015, 2021, ou 2020 ? – de modifier le nom de la police municipale devenu familier à tout un chacun ?