M. Jean-Claude Lenoir. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens à mon tour à féliciter nos collègues Jacky Le Menn et Alain Milon, qui ont produit un rapport extrêmement intéressant.
Le travail que vous avez mené, chers collègues, l’a été de manière très ouverte : vous avez rencontré de nombreux interlocuteurs et la masse de documents que vous avez réunie dans ce rapport est particulièrement éclairante quant à la place, au rôle et au devenir des agences régionales de santé.
Notre collègue Jacques Mézard a estimé que le titre de ce rapport était révélateur de son contenu, mais il n’a repris qu’une partie de ce titre, celle qui évoque un « déficit de confiance ». Or le début de l’intitulé qualifie les ARS d’« innovation majeure ».
D’entrée de jeu, j’indiquerai que mon propos visera à souligner les points positifs de la vaste réforme qui a été engagée. Il faut d’ailleurs rappeler un fait que le rapport mentionne de manière trop succincte : cette réforme a été menée à partir d’une première étape qui a consisté en la création des agences régionales d’hospitalisation, les ARH. Cette création était l’un des points importants du plan Juppé de 1996.
La mise en place des directeurs d’ARH avait suscité une très forte inquiétude chez les élus de nos territoires. J’étais à l’époque président du conseil d’administration du centre hospitalier de ma ville, et je me souviens que l’annonce de la venue de ce directeur général nous avait plutôt alarmés. Son arrivée avait donné lieu à une sorte de cérémonie montrant combien nous respections sa fonction, mais nous avons compris, lorsqu’il est reparti, qu’il était un rouage essentiel et pouvait jouer un rôle très positif sur nos territoires.
Le rapport souligne trois points importants, rappelés tout à l’heure par Jacky Le Menn.
Premièrement, la création des ARS visait à renforcer l’efficience de notre dispositif de soins. En effet, chacun est conscient que les politiques de santé ont un coût et que la recherche de l’efficience est sûrement le meilleur moyen de maintenir les budgets dans des limites supportables.
Deuxièmement, la réforme renforçait la territorialisation. Il n’y a pas un membre de cette assemblée qui puisse contester l’intérêt de la présence de représentants de l’autorité publique sur un territoire plus restreint que le territoire national. Fouillant dans ma mémoire, je me souviens des rendez-vous compliqués que nous avions, au ministère de la santé, avec des fonctionnaires éminents devant lesquels nous devions plaider tel ou tel dossier relatif à un établissement auquel nous tenions. Aujourd’hui, les circuits sont plus courts et il faut s’en féliciter.
Troisièmement, cette réforme a opéré un décloisonnement des financements. La démonstration en a été faite ; je m’y rallie bien volontiers.
Cela dit, que faut-il penser du fonctionnement et du devenir des agences régionales de santé ?
Tout d’abord, la réussite d’une ARS doit beaucoup à la qualité de la personne qui en est le directeur général. Mon expérience personnelle influence sans doute mon opinion dans un sens que mes collègues n’approuveront peut-être pas tous, mais je dois avouer que j’ai connu d’excellents directeurs généraux – le dernier est parti trop vite, madame la ministre, mais on ne peut pas refuser des promotions ; quoi qu’il en soit, je suis certain que son successeur fera aussi bien !
Quelle est la clé du succès ? C’est tout simplement le lien étroit établi entre l’autorité publique et les élus. Souvent, je le dis sans fard, les élus locaux sont pour partie jugés sur leur capacité à permettre à leur établissement hospitalier de bien fonctionner : si celui-ci connaît des difficultés, s’il est en déficit, si un service doit être remis en cause, c’est davantage l’élu que le directeur de l’établissement qui fera l’objet de sévères critiques de la part de la population. Or nous avons aujourd’hui un lien de confiance avec le directeur général. L’expression « déficit de confiance », qui a été utilisée dans un sens précis, visant la confiance à l’intérieur du système, ne doit donc pas nous tromper sur une réalité : le lien de confiance avec les élus existe.
Évidemment, le directeur général est une autorité importante dans la région, quelle que soit sa personnalité. Au moment de la discussion de la loi HPST, on avait qualifié les directeurs généraux des ARS de « superpréfets ». Les préfets se sont d’ailleurs inquiétés de voir arriver ces personnages nouveaux dans le paysage administratif.
Aujourd’hui, l’autorité des directeurs généraux doit continuer à s’affirmer. Pour cela, madame la ministre, il faut prendre en compte le décalage existant entre l’action transversale d’un directeur général d’ARS sur le terrain et l’organisation du ministère. Sur ce point, je souscris entièrement à la proposition du rapport consistant à rendre plus cohérentes les actions des ministères concernés, afin que le directeur général de l’ARS qui hérite de la totalité de leurs prérogatives sur le territoire puisse travailler également en cohérence.
Par ailleurs, il est important de rappeler qu’il appartient aux pouvoirs publics, en particulier au Gouvernement, de fixer les orientations stratégiques en matière de santé. Le directeur général de l’ARS, quelles que soient ses qualités, est appelé quant à lui à décliner ces orientations. Il est vrai que, du fait de sa proximité du terrain, le directeur général est amené à faire remonter un certain nombre de projets et de requêtes et à s’impliquer lui-même dans ces projets. Il est cependant utile de rappeler que le Gouvernement doit fixer les orientations stratégiques, fonction pour laquelle il a toute légitimité.
Ensuite, il faut faire en sorte que tous les moyens soient donnés au directeur général. Je sais qu’un certain nombre d’entre eux estiment que la gestion des crédits de l’assurance maladie devrait être transférée aux agences régionales de santé, et je pense que ce point de vue doit être affirmé. Les ARS doivent également disposer de moyens humains qui leur permettent d’assumer leurs fonctions.
De ce point de vue, madame la ministre, nous ne pouvons que nous faire l’écho d’une forte interrogation par rapport à la réforme territoriale. Je viens d’une région modeste, la Basse-Normandie, sur laquelle les feux de l’actualité se sont dirigés à la fin de la semaine dernière et qui va rejoindre sa sœur jumelle, la Haute-Normandie. Ce mariage consanguin nous convient parfaitement. Cependant, je vois se dessiner à côté des régions extrêmement vastes, par exemple avec la fusion annoncée des régions Centre, Limousin et Poitou-Charentes. Le directeur général de l’ARS de cette future région sera-t-il en mesure de répondre aux attentes des élus aussi bien que ses collègues l’ont fait jusqu’à présent, y compris dans votre région, madame la ministre ? La question mérite d’être posée. Pour ma part, je ne suis absolument pas convaincu que la réponse soit positive.
Enfin, le directeur général de l’ARS doit pouvoir s’appuyer sur un conseil de surveillance élargi. La proposition a été faite dans le document qui nous a été présenté. Il est vrai qu’il faut « démocratiser » – le mot a été utilisé – les procédures et les lieux de rencontre entre les différents acteurs, parmi lesquels figurent les élus. Ceux-ci revendiquent non pas une responsabilité dans le domaine de la gestion, mais une participation à la prise de décision. De ce point de vue, les directeurs généraux d’ARS, quand ils ont su le faire, ont conclu des contrats locaux de santé avec les territoires qui permettent aux élus de disposer, pour les années qui suivent, d’orientations pratiques à mettre en œuvre. Ces contrats locaux me paraissent très pertinents ; il faut les maintenir.
Une autre question se pose à l’intérieur du territoire des ARS : celle de l’articulation des conférences régionales de la santé et de l’autonomie avec les conférences de territoire. La cohérence entre ces deux instances n’est pas assurée et on peut même se demander si les conférences de territoire ont encore un sens au regard de l’objectif de cohérence des différentes initiatives prises dans une région.
Telles sont les observations que je souhaitais formuler à cette tribune, madame la ministre. Le devoir de l’amitié m’impose d’évoquer devant vous une question soulevée par un de nos collègues, vice-président de la Conférence nationale des services d’incendie et de secours, la CNIS. Une coordination est nécessaire entre tous les acteurs, qu’il s’agisse des ambulanciers, des pompiers, etc. La CNIS a donc envoyé un certain nombre de questionnaires : aucune réponse ne lui est parvenue des centres départementaux d’incendie et de secours, paraît-il sur consigne très stricte des pouvoirs publics, au motif que le ministère de l’intérieur s’occuperait de ces questions. Or l’objectif de cette démarche était uniquement d’améliorer la coordination. Je vous signale donc ce problème, car un vif mécontentement s’est exprimé au sein de la CNIS, y compris à la suite d’une intervention de votre part lors d’une conférence avec les urgentistes, où vous n’auriez pas abordé cette question. Mon collègue m’a demandé d’évoquer ce sujet à la tribune, mais vous n’êtes pas obligée de répondre tout de suite.
Enfin, madame la ministre, puisque mon temps de parole a expiré, je me limiterai à vous recommander d’être présente dans les débats sur la réforme territoriale. En effet, les propos plutôt positifs – et tout à fait sincères – que j’ai tenus aujourd’hui sur la façon dont la politique de santé est organisée sur les territoires risquent d’être battus en brèche par les dégâts résultant de l’élargissement sans fin des territoires régionaux ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je me félicite de l’organisation de ce débat sur les agences régionales de santé, sur la base d’un rapport de qualité établi par nos collègues Jacky Le Menn et Alain Milon. J’espère qu’il nous permettra d’esquisser des pistes d’évolution.
Pouvoir disposer d’une gestion décloisonnée de l’offre de soins, associant la médecine de ville, la médecine hospitalière, la pharmacie et la biologie médicale, est évidemment une bonne chose. Assurer une coordination entre des secteurs qui cohabitaient tout en s’ignorant constitue donc une mesure positive.
Cependant, dans la pratique, la mise en place des ARS et de cette gestion décloisonnée a surtout été un prétexte pour réduire l’offre de soins hospitaliers, au travers de la mise en œuvre d’un objectif national des dépenses d’assurance maladie toujours largement insuffisant.
La création des ARS, disposition majeure de la loi Bachelot, a bouleversé notre paysage hospitalier. Pour notre part, nous sommes convaincus que l’échelon régional est pertinent pour construire une politique de santé répondant aux besoins des populations. Alors, si l’échelon d’intervention est le bon, c’est bien la conception même des ARS qui pose problème.
Cette conception est hautement politique puisque, faut-il le rappeler, les ARS sont le bras armé de la loi HPST, élaborée pour réduire les dépenses publiques et rentabiliser la santé en transformant l’hôpital en entreprise. La loi HPST, c’est la RGPP de la santé ! Or, malheureusement, le changement de majorité n’a induit aucune remise en cause de cette conception. Les missions, les objectifs des ARS demeurent identiques, avec des directeurs d’ARS, nommés pour la plupart sous le précédent gouvernement, qui continuent à appliquer avec zèle des politiques de réduction drastique des dépenses de santé.
Si nous souscrivons à plusieurs des critiques formulées dans le rapport d’information sénatorial, nous regrettons que l’analyse ne porte pas sur les conséquences des politiques mises en œuvre par les ARS au sein des établissements hospitaliers. Ce sujet pourrait d’ailleurs faire l’objet d’un autre rapport d’information. En effet, il est bien évident que de la conception et de la gestion interne des ARS découlent les conditions de travail des salariés, les conditions d’accueil des patients, la démocratie sanitaire locale.
Or, les personnalités que nous avons auditionnées, notamment les représentants des organisations syndicales, ont dénoncé avec force l’absence de concertation, la souffrance au travail des personnels, la non-reconnaissance de ceux-ci et la perte de sens des tâches qui leur sont confiées.
Chaque ARS a ses règles de fonctionnement propres : où est la cohérence de la politique de santé nationale ? J’ai d’ailleurs pu constater, en avril dernier, lors d’un déplacement en Espagne effectué avec une délégation sénatoriale de la commission des affaires sociales, les effets pervers de la régionalisation, laquelle se traduit par une grande disparité de l’offre de soins selon les moyens des régions.
Nous l’avons dit – notamment Guy Fischer et François Autain lors des débats sur la loi HPST –, et cet avis est largement partagé, les directeurs des ARS sont des « super préfets » sanitaires aux pouvoirs exorbitants. Parallèlement, il n’y a aucun contre-pouvoir possible, ce que confirme le rapport sénatorial.
Le conseil de surveillance pose également question. Nous partageons le diagnostic, formulé lui aussi dans le rapport sénatorial, selon lequel le conseil de surveillance ne serait qu’une coquille vide, avec un poids excessif de la technostructure.
Nous appuyons en outre la proposition des rapporteurs de garantir davantage de concentration interne et plus de transparence dans les modalités d’exercice du pouvoir. Sans prise en compte de l’expertise des personnels, on aboutit dans de trop nombreux cas à des gâchis humains et financiers.
Je ne citerai qu’un exemple à cet égard, très emblématique et particulièrement d’actualité, celui de la maternité des Lilas. L’ARS a décidé de transférer cette maternité à Montreuil, au mépris de la spécificité du projet médical des Lilas, des décisions des différentes instances représentatives s’opposant au transfert, de la mobilisation des personnels et des élus, de l’engagement pris par le Président de la République !
Comment ne pas évoquer également l’Hôtel-Dieu ou encore, dans le Val-de-Marne, la lutte pour le maintien de la chirurgie cardiaque à l’hôpital Mondor, recommandé par deux rapports de l’IGAS, l’Inspection générale des affaires sociales ?
Alors oui, il faut apporter de profonds bouleversements à cette conception technocratique des ARS ! Pour le groupe CRC, il ne s’agit ni de revenir à la période antérieure aux ARS, ni de préconiser le statu quo.
La première mesure que nous pourrions proposer, conforme d’ailleurs à l’esprit du rapport sénatorial, serait de remplacer le conseil de surveillance de l’ARS par un conseil d’administration aux missions élargies, qui pourrait réellement décider des orientations. Ainsi, aucune voix ne serait prépondérante, et le fonctionnement des ARS s’inscrirait dans une logique ascendante, et non descendante.
Je profite de cette occasion pour dire un mot sur le conseil de surveillance des hôpitaux eux-mêmes, dont la composition et le rôle nous interrogent également. Se substituant au conseil d’administration présidé par un élu local, une gouvernance toute autre est désormais en place, l’organe de décision étant un directoire présidé par le directeur, nommé par décret.
Nous pouvons aussi nous interroger sur le statut même d’établissement public administratif des ARS, quelque peu hybride ; on ne peut plus parler de services déconcentrés de ministères. Les directeurs généraux, même ceux qui sont issus de la fonction publique, ne sont pas nécessairement des fonctionnaires… L’État confie à une structure qui relève pour l’essentiel du droit privé la mise en œuvre d’une mission régalienne et la répartition de l’argent socialisé, et ce sans contrôle démocratique !
Quant aux institutions représentatives du personnel, outre qu’elles ne sont ni celles de la fonction publique ni celles du secteur privé, elles marquent un recul par rapport à l’existant.
Un autre sujet d’interrogation tient aux missions des ARS, qui ont pour vocation première de veiller au strict respect de l’ONDAM. Or d’autres mécanismes contribuent également au respect de cet objectif, comme l’instauration – que nous avons contestée – des mécanismes d’appel à projets dans le secteur médicosocial ou la gestion du risque par l’ARS, et non plus par l’assurance maladie. Là encore, nous nous étions opposés à ce que l’ARS soit toute-puissante en la matière, considérant qu’il fallait impérativement distinguer les organismes qui opèrent une séparation entre régulation du système et organisation de l’offre de soins. La « gestion des risques » elle-même étant devenue un élément de la réduction de la dépense publique, l’assurance maladie est, de fait, totalement dépendante des ARS ! On s’éloigne de plus en plus de la sécurité sociale issue du programme du Conseil national de la Résistance.
À rebours de la logique prévalant actuellement, nous affirmons la nécessité de renforcer la gestion démocratique et de redonner tout son sens à la démocratie sanitaire et sociale.
Pourquoi ne pas envisager une procédure d’alerte pour le cas où le conseil de surveillance de l’ARS ne peut que constater l’insuffisance de son budget par rapport aux besoins qu’elle estime nécessaire de satisfaire ?
Pourquoi ne pas renforcer le rôle des élus locaux, en confortant les pouvoirs des conférences régionales de la santé et de l’autonomie, de telle sorte qu’elles ne se bornent plus à concourir à la mise en œuvre de la politique régionale de santé en donnant des avis sur les modalités d’élaboration de celle-ci, mais qu’elles soient le lieu de cette élaboration ? Ainsi, la validation du PRS pourrait être soumise à avis positif de sa part.
Enfin, nous proposons d’instaurer aux niveaux local, régional et national des instances tripartites destinées à devenir de véritables contre-pouvoirs face aux directeurs généraux des ARS : elles seraient composées par tiers de représentants des usagers, de professionnels et d’élus. La mission de ces instances serait de recenser les besoins de santé en fonction des territoires et d’alerter en cas de couverture insuffisante de ces derniers.
En conclusion, cinq années après le vote de la loi HPST, des regroupements, des fusions d’établissements, ignorant le besoin de proximité des populations, viennent confirmer nos inquiétudes. Si la création de « super régions » envisagée par le Gouvernement allait à son terme, le mot même de proximité n’aurait plus aucun sens !
Il est indispensable et urgent d’évaluer la politique mise en œuvre par les ARS. Il est impératif d’inverser la logique suivie à l’heure actuelle, reposant sur des considérations comptables, en mettant les ARS au service de la satisfaction des besoins de santé des populations.
C’est cette vision que j’ai voulu partager avec vous cet après-midi et que je développerai, avec mon groupe, lors des débats que nous aurons ici sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale rectificatif et sur le projet de loi de santé publique. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Maurice Antiste.
M. Maurice Antiste. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’organisation de ce débat sur les agences régionales de santé est une heureuse initiative, car elle m’offre l’occasion de saluer l’action d’une instance dont je peux apprécier l’efficacité, tout en mettant en exergue les difficultés qu’elle doit surmonter, à divers degrés.
Tout d’abord, il m’apparaît que les missions dévolues aux ARS – mise en œuvre du projet médical de territoire, organisation de la permanence des soins, définition des priorités en matière de prévention et dans le secteur de l’offre médicale – sont assumées par celles-ci avec détermination et efficience, dans un cadre de démocratie participative, en s’appuyant sur des outils et dispositifs innovants.
À ce titre, il faut citer le projet régional de santé, qui planifie et programme les projets au niveau régional, la contractualisation avec les établissements et les professionnels de santé, les appels à projets, qui favorisent la réalisation d’actions en fonction de besoins de santé et médicosociaux identifiés, l’action innovante de l’animation territoriale, consistant à accorder l’action des différents acteurs de terrain, dans une logique de construction des parcours de santé.
Toutefois, ce bilan positif ne doit pas occulter les nombreuses difficultés rencontrées dans l’exercice de leurs compétences par les ARS. Qu’il me soit permis de les évoquer succinctement.
En matière d’hospitalisation sous contrainte, le contrôle de légalité est effectué par les ARS pour le compte des préfets et sans valeur ajoutée, alors qu’il serait plus judicieux que cette fonction soit directement dévolue aux services du contrôle de légalité des préfectures.
La garantie de la couverture médicale n’est pas toujours assurée, en raison de la fermeture des cabinets des médecins libéraux à dix-neuf heures du lundi au vendredi et dès treize heures le samedi.
Des maisons médicales de garde ont donc été mises en place pour répondre aux besoins des patients dans ces créneaux horaires. Toutefois, certains médecins refusent d’assurer ce service. Le préfet a la faculté, mais non l’obligation, de pallier les refus en recourant à des réquisitions. Par souci d’efficacité, ne serait-il pas préférable de transférer au directeur général de l’ARS ce pouvoir de réquisition, puisqu’il agit pour le compte de l’État ?
Pour ce qui concerne la formation dans les secteurs sanitaire, social et médicosocial, on constate qu’il n’y a pas de concordance garantie entre la planification de l’offre de soins médicosociale et la politique de formation mise en place par le conseil régional. Une mise en cohérence s’impose donc !
La gestion des crédits alloués à la politique du handicap, tout comme les autorisations, relève de deux autorités, l’ARS et le conseil général. Ne faudrait-il pas aller au bout de la décentralisation du secteur médicosocial, dans une logique de cohérence institutionnelle ?
Par ailleurs, la fongibilité des crédits entre le sanitaire, le médicosocial et la prévention se révèle très limitée, dans la mesure où certaines dotations sont au préalable fléchées. L’instauration de passerelles administratives et financières plus ambitieuses permettrait d’induire une indispensable souplesse de gestion.
Les ARS sont confrontées à un problème de gouvernance avec la cellule inter-régionale d’épidémiologie, la CIRE. Le personnel de la CIRE, qui dispose d’un statut spécifique, relève de l’autorité scientifique de l’Institut de veille sanitaire, l’INVS, ce qui peut engendrer des problèmes de cohérence dans l’exploitation des données de la veille sanitaire et dans la gouvernance des plateformes de veille et de sécurité sanitaires. Afin de prévenir tout dysfonctionnement, il conviendrait d’intégrer ce personnel à l’ARS, tout en préservant la nécessaire caution scientifique de l’INVS.
L’assurance maladie dispose d’un système d’information autonome, de sorte que ses données ne peuvent être globalement exploitées par les ARS, faute d’interconnexion. Une synergie entre les différents systèmes devra donc être développée.
L’ARS est issue de la fusion de nombreuses institutions, ce qui induit la coexistence de statuts différents au sein du personnel, et partant celle de grilles de rémunération et d’avantages sociaux disparates. Cet élément est un frein à l’engagement de ceux dont les revenus sont moindres. Une harmonisation des statuts s’impose, au nom de l’équité.
Par-delà les difficultés que je viens d’évoquer et qui sont communes à l’ensemble des ARS, l’agence de la Martinique, tout spécialement, est confrontée à des problèmes particuliers. Le contexte économique et social précaire entraîne des conflits sociaux fréquents, anormalement longs, paralysants, qui affectent lourdement la continuité de la politique des soins et fragilisent l’action en direction des publics les plus fragiles : les personnes âgées, dont le nombre croît rapidement, les dialysés, les insuffisants respiratoires.
Le positionnement géographique au sein du bassin caribéen a conduit, du fait de l’attractivité d’une offre de soins de qualité, à développer une politique internationale de soins, propice à la valorisation de nos savoir-faire. Cet atout induit une charge de travail supplémentaire.
En outre, la Martinique enregistre un retard en matière d’infrastructures dédiées aux seniors, ce qui n’est pas sans incidences sur l’évolution des besoins. Le poids de l’aide sociale liée à la précarité – un quart de la population bénéficie de la CMU, la couverture maladie universelle – affecte fortement les budgets des collectivités, qui, de ce fait, disposent de moins de capacités d’investissement pour développer l’offre sanitaire et médicosociale.
Enfin, il faut souligner l’existence d’un déficit de médecins libéraux plus important que celui qui est observé sur le territoire hexagonal.
Ces problématiques multiples méritent un examen attentif, afin de permettre aux ARS de mieux assurer leurs précieuses missions.
En conclusion, je tiens à féliciter à mon tour les rapporteurs pour la qualité de leur travail. (Applaudissements sur de nombreuses travées.)
M. le président. La parole est à M. Raymond Vall.
M. Raymond Vall. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je n’ai pas de grief particulier contre les agences régionales de santé. Dans ma région de Midi-Pyrénées, le dialogue avec l’ARS est plutôt constructif.
Cela étant, pour ma part, je n’avais pas voté la loi HPST, en raison de la menace qu’elle faisait peser sur les hôpitaux locaux. D’ailleurs, je ne résiste pas à la tentation de citer les propos que m’avait adressés la ministre de la santé de l’époque, Mme Roselyne Bachelot, en réponse à un amendement que j’avais déposé sur ce texte : « Je tiens à vous rassurer complètement, monsieur Vall. Cette unification du statut juridique, fort utile par ailleurs, permet aux hôpitaux locaux de garder leur mode de fonctionnement. M. le rapporteur vient d’évoquer la dénomination de "centre hospitalier″, mais les établissements pourront parfaitement garder, s’ils le souhaitent, celle d’"hôpital local″ : on ne leur mettra pas de brodequins d’acier ! »
Sous le bénéfice de ces explications et compte tenu des assurances qui m’avaient été données, j’avais retiré mon amendement. Or cette question se pose à nouveau dans le cadre des schémas territoriaux, lesquels ont été décrits avec talent par Jean-Claude Lenoir et par d’autres orateurs.
Vous le savez, madame la ministre, l’application de la T2A aura des conséquences importantes, souvent négatives. Décidée en 2010, elle a été reportée trois fois, notamment en 2015 et 2016, pour ce qui concerne les soins de suite et de réadaptation. Surtout, dans son rapport de septembre 2013, la Cour des comptes annonce une véritable catastrophe : elle prédit que 90 % des hôpitaux locaux, soit 290 sur 320, seront menacés, en particulier s’agissant de l’exercice de la médecine. Pourtant, il était précisé initialement à l’article 8 du projet de loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires que l’ARS autoriserait l’exercice de la médecine adapté à l’établissement de santé local. Cela revenait à reconnaître une différence selon que la médecine est exercée en milieu rural ou en milieu urbain.
Les chiffres sont accablants. Les simulations de recettes attendues au titre de la T2A, à activité constante, réalisées par les agences régionales de santé, comme par l’ATIH, l’Agence technique de l’information sur l’hospitalisation, mettent en lumière que seule une minorité d’établissements maintiendrait leur niveau de recettes.
Au vu de ce rapport, l’ANCHL, l’Association nationale des centres hospitaliers locaux, a lancé un appel. Cette association a en effet évalué les dotations accordées aux unités de médecine des hôpitaux locaux à environ 690 millions d’euros. Le passage à la T2A fait espérer, de manière très théorique, une économie sur ce montant de 10 %, soit 70 millions d’euros. En contrepartie, 2 300 emplois directs sont menacés. Et si les établissements de proximité ferment de façon effective, ce sont 15 000 emplois qui seront supprimés !
Au total, cela représente peu d’économies, mais beaucoup de traumatismes pour les personnes âgées, contraintes, aux moindres maux, de se rendre aux urgences. Il n’y aura plus de service d’accueil spécialisé pour se remettre après une intervention chirurgicale. En bref, les dégâts dans la ruralité seront considérables.
Je constate que l’on prévoit, dans certains cas, des dérogations exceptionnelles fondées sur l’évaluation de l’isolement géographique. Je pose la question : les zones rurales ne sont-elles pas isolées géographiquement ?
Je ne tournerai pas autour du pot : la disparition des hôpitaux locaux, dont certains ont fait l’effort de fusionner et qui comptent entre trente et cinquante lits de médecine, ou quarante lits de soins de suite ou de réadaptation, alors que ces établissements sont indispensables dans le cadre de la nouvelle réforme territoriale – laquelle est basée sur la relation directe, s’agissant de la ruralité, entre les régions et l’intercommunalité –, aggravera davantage encore la désertification médicale. Que deviendront ces bassins de vie de 20 000, 30 000 ou 40 000 habitants sans leur hôpital rural ? Et je ne parle pas des maisons de santé, qui permettent une articulation indispensable entre la médecine libérale et les hôpitaux locaux !
Madame la ministre, je vous invite à venir visiter quelques-uns de ces hôpitaux locaux. (Mme la ministre des affaires sociales et de la santé fait un geste d’agacement.) Je vous en conjure : adapter la T2A en prévoyant une modulation pour les hôpitaux locaux. L’existence de 320 établissements en dépend !
Il convient tout de même de rappeler que la santé est une compétence essentielle de l’État, qui doit s’exercer sur tous les territoires, y compris dans les zones rurales. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UDI-UC et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, ce débat sur les agences régionales de santé est très intéressant, car il soulève la question des besoins sanitaires de nos concitoyens et la façon dont on y répond au plus près des territoires.
Je salue donc l’initiative que vous avez prise, et je remercie MM. Le Menn et Milon pour la qualité de leur travail, dont personne ne s’étonnera, tant est grande leur connaissance des enjeux de santé. Dans leur rapport, ils mettent en lumière l’apport qu’a représenté la création des agences régionales de santé dans le pilotage de nos politiques de santé – cet apport est incontestable –, mais il montre aussi les limites de la réforme qui a été menée, liées notamment aux conditions de mise en place de ces agences. Ces limites, il convient aujourd’hui d’y apporter une réponse.
Pour engager la modernisation des agences régionales de santé, il nous faut avoir à l’esprit que leur création n’est pas tombée du ciel : elle est le fruit d’une histoire. Ces agences sont en effet les héritières d’un processus de régionalisation progressive de notre organisation des soins, qui a pris son essor en 1991 avec l’instauration des schémas régionaux d’organisation sanitaire et la mise en place des comités régionaux de l’organisation sanitaire et sociale. La création des agences régionales de santé, en 2009, a marqué une nouvelle étape dans cette démarche.
Depuis deux ans, le Gouvernement a mis les agences régionales de santé au service de la modernisation de notre système de santé. Leur rôle – je reviendrai tout à l’heure sur les réussites et les moindres satisfactions – est de renforcer la territorialisation et le décloisonnement de nos politiques.
C’est vrai, madame Cohen, que les agences régionales de santé ont un statut spécifique, y compris sur le plan administratif, mais, comme plusieurs orateurs l’ont dit, elles doivent à la fois décliner une politique nationale et répondre à une préoccupation territoriale. C’est bien cela leur spécificité, et je reviendrai ultérieurement sur les propos de M. Lenoir.
Selon moi, la question n’est donc pas de savoir si le statut doit être remis en cause. L’enjeu, c’est ce double objectif de mise en œuvre d’une politique nationale et de prise en compte des objectifs locaux. Nous devons nous demander si nous avons les meilleures chances de l’atteindre et si nous nous donnons les bons moyens pour y parvenir. Et si je souhaite l’élaboration d’une nouvelle loi, c’est parce que nous devons aller plus loin !
Pour remplir ces missions, les agences régionales de santé disposaient en 2013 d’un budget de fonctionnement de 1,2 milliard d’euros et d’un budget d’intervention d’un peu plus de 3,4 milliards d’euros, dont 3,1 milliards d’euros au titre du Fonds d’intervention régional.
Derrière ces chiffres, il y a aussi des hommes et des femmes qui participent chaque jour à la mise en œuvre de la politique que je définis. Ainsi, les agences régionales de santé regroupent environ 9 000 agents – de 77 pour la Guyane à un peu moins de 1 200 pour l’Île-de-France –, selon la taille des agences et des territoires, pour accomplir des missions aussi diverses que la prévention, la veille et la sécurité sanitaires, la santé environnementale, la régulation de l’offre de soins de ville, l’encadrement et l’accompagnement de la politique hospitalière, l’organisation du secteur médicosocial, le suivi des professionnels de santé sur les territoires ou encore l’animation des instances de démocratie sanitaire, ces dernières permettant de recueillir les besoins des usagers.
Ainsi, ce sont des professionnels extrêmement divers qui s’engagent au quotidien : médecins, pharmaciens, ingénieurs du génie sanitaire, inspecteurs de l’action sanitaire et sociale, spécialistes de l’organisation de l’offre de soins, contrôleurs de gestion,… Venant de services de l’État ou de la sécurité sociale, ces professionnels ont des histoires et des parcours très différents, c’est ce qui fait la richesse du dispositif, mais c’est ce qui explique aussi les difficultés qu’ils peuvent rencontrer. Issus d’horizons divers et ayant des histoires administratives différentes, ces professionnels sont en effet confrontés à des statuts pluriels ; j’y reviendrai.
Grâce à ces équipes, à leur implication et à leur mobilisation, nous avons réalisé depuis deux ans des progrès importants. Je pense notamment au développement de la contractualisation entre les agences régionales de santé et les établissements de santé, au rôle d’impulsion des agences dans la mutualisation au service d’une meilleure prise en charge des patients.
Je veux rappeler, par exemple, que ce sont les agences régionales de santé qui ont porté la mise en œuvre du pacte territoire-santé, que j’ai présenté afin de lutter contre les déserts médicaux. Dans ce cadre, une attention particulière est portée à chaque territoire, en particulier à la Martinique, monsieur Antiste. C’est précisément parce qu’il existe une déclinaison régionale que nous avons prévu un bloc d’objectifs spécifiques pour l’outre-mer et les moyens qui permettront de les atteindre.
Je tiens à saluer l’action des agences régionales de santé, qui ont fait preuve d’un grand dynamisme pour la mise en place des bourses en direction des étudiants en médecine, en contrepartie de leur engagement à exercer dans des territoires sous-dotés. Elles ont également montré leur engagement pour le déploiement du dispositif, que le Parlement a adopté, en faveur des praticiens territoriaux de médecine générale, lequel vise à favoriser l’installation de jeunes professionnels dans ces territoires sous-dotés. Ce dispositif, plébiscité par les jeunes médecins, je l’ai reconduit pour 2014. À la fin de l’année, ce sont 400 nouveaux médecins, notamment des jeunes femmes, qui s’installeront dans nos territoires, en particulier en zone rurale.
Dans le cadre de ce pacte, se pose aussi la question de la coordination et de la prise en charge des interventions d’urgence. Monsieur Antiste, vous avez insisté sur l’organisation de la permanence des soins, à laquelle je suis très attentive. C’est bien parce que la permanence des soins doit être coordonnée qu’il faut veiller à la prise en charge des urgences.
Je sais, monsieur Lenoir, qu’il y a un enjeu autour de l’articulation entre les urgentistes médecins hospitaliers et les services départementaux d’incendie et de secours. Mon directeur de cabinet a reçu, aujourd’hui même, les responsables de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers. Je crois pouvoir dire qu’un dialogue constructif s’est engagé. Une méthode de travail commune au ministère des affaires sociales et au ministère de l’intérieur sera rapidement proposée pour traiter des questions liées à cet enjeu tout à fait fondamental.
M. Jean-Claude Lenoir. C’est une bonne chose !