Mme Annie David. D’une certaine manière, il s’agit pourtant d’un abus de confiance !
M. Jean-Pierre Michel. Les actes en question ont été occultés ou dissimulés par la victime elle-même. Longtemps, elle n’a pu s’exprimer. Puis, un beau jour, la vérité a éclaté, la victime a pu parler ! En la matière, comparaison n’est pas raison.
Par ailleurs, je rappelle que les crimes de guerre qui, on le sait, impliquent des viols en série, des assassinats, des meurtres, entre autres, font l’objet d’une prescription de trente ans.
De plus, il faut bien se poser cette question : après tant d’années, quelle pourrait être l’issue d’un procès ? Bien sûr, on pourrait retrouver des preuves. La modernisation des méthodes d’investigation, notamment sur la base de l’ADN, a permis des avancées considérables.
Toutefois, après un tel laps de temps, les auteurs de l’infraction peuvent soit être décédés, soit avoir refait leur vie. Dans ce second cas, voilà qui ajouterait encore un traumatisme à leur famille qui ignore tout.
Enfin, il ne faut pas non plus donner aux victimes le sentiment qu’elles atteindraient le but qu’elles poursuivent après tant d’années. Car le procès pénal n’est pas fait pour les victimes, il n’a pas vocation à réparer le traumatisme qu’elles ont subi. Le procès pénal a d’abord pour objet de réprimer, de sanctionner une infraction.
Si les victimes ne sont pas toujours satisfaites des condamnations, c’est qu’elles attendent autre chose d’un procès : elles veulent que l’auteur de l’infraction leur présente ses excuses dans l’enceinte publique du tribunal, qu’il exprime des regrets. Or cela arrive rarement… La proposition de loi qui nous est soumise doit donc être regardée avec prudence.
Les membres de mon groupe se sont longuement interrogés, à deux reprises, sur ce qu’il y avait lieu de faire. Nous sommes tous d’accord avec le constat établi et l’esprit du texte, mais nous ne pouvons accepter celui-ci en l’état, pour toutes les raisons que j’ai évoquées, voire d’autres encore. Pour autant, nous ne l’avons pas balayé d’un revers de main, sort qui est parfois réservé à des propositions de loi émanant de l’opposition… Mais il est vrai, madame Dini, que vous siégez au centre de l’hémicycle… (Sourires.)
En cet instant, je veux saluer le travail de Philippe Kaltenbach, qui a conduit de nombreuses auditions et qui nous propose – certains parleront de demi-mesure, d’autres d’un progrès – d’éviter l’écueil de l’inconstitutionnalité en ajoutant dix ans au délai de prescription. On ne pourra donc plus reprocher au texte de permettre aux victimes de porter l’action publique. Ces dernières, qui ont subi ces traumatismes horribles dans leur enfance ou leur jeunesse, auront jusqu’à l’âge de quarante-huit ans pour engager des poursuites. Certes, la révélation peut ne survenir qu’à cinquante ans, mais ce nouveau délai permettra d’englober un certain nombre des cas douloureux que vous avez cités, ma chère collègue, et que vous connaissez. Ces victimes qui n’ont pu faire valoir leur parole, le délai de prescription étant expiré, le pourront désormais grâce à ces dix années supplémentaires…
Les membres du groupe socialiste voteront en faveur des amendements que nous présentera M. Kaltenbach et, s’ils sont adoptés par notre assemblée, voteront également en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Deroche.
Mme Catherine Deroche. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, la forte prévalence au sein de la société française des violences sexuelles est inacceptable.
Parce qu’elles atteignent la victime dans son intimité, les violences sexuelles diffèrent des autres types de violences et justifient la mise en place de dispositifs spécifiques de prise en charge et d’accompagnement des victimes.
Je rappellerai que l’INSEE et l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales ont mené une enquête conjointe auprès de personnes âgées de dix-huit à soixante-quinze ans. Selon les évaluations réalisées, cela a été dit, 383 000 personnes ont été victimes de violences sexuelles en 2010 et 83 000 femmes ont été victimes de viol ou de tentative de viol.
Ces chiffres alarmants démontrent à quel point ce type de violences constitue un véritable fléau contre lequel nous devons lutter. Qui plus est, comme l’a souligné Muguette Dini, l’ampleur de ces phénomènes est largement sous-estimée : d’une part, les enquêtes ne comptabilisent pas les agressions perpétrées sur les mineurs – or l’on sait les ravages de ces agressions sur les enfants ; on touche souvent là à l’inimaginable –, d’autre part, les déclarations auprès des autorités et les dépôts de plainte ne correspondent qu’à un faible pourcentage du nombre réel d’abus.
En effet, une victime sur six de violences conjugales, physiques ou sexuelles déclare avoir porté plainte et une victime sur dix de viol ou de tentative de viol porte plainte. Le nombre de condamnations inscrites au casier judiciaire s’élève en moyenne entre 7 000 et 8 000 par an, alors que les faits de violences sexuelles constatés par la police et la gendarmerie sont de l’ordre de 22 000 à 23 000.
Les victimes d’agressions sexuelles éprouvent toujours les plus grandes difficultés à parler du drame qu’elles ont vécu. Les raisons en sont multiples : la peur, la honte, le déni, mais aussi, cela a été souligné, l’amnésie traumatique qui suit le choc émotionnel profond. Le traumatisme subi peut placer la victime dans l’impossibilité de dénoncer les faits subis pendant une période très longue.
À l’occasion des assises nationales sur les violences sexuelles organisées au mois de janvier dernier par notre collègue Muguette Dini, en partenariat avec l’association Stop aux violences sexuelles, le docteur Violaine Guérin, médecin endocrinologue et gynécologue et présidente de cette association, a bien exposé ce traumatisme. Elle a d’ailleurs précisé – ce point est important – que l’amnésie traumatique pouvait être médicalement constatée : un médecin psychiatre formé à cette problématique est en mesure de l’établir scientifiquement.
Dans le même sens, dans le cadre de la commission spéciale chargée d’examiner la proposition de loi visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel, le docteur Muriel Salmona nous a présenté ses travaux sur la mémoire traumatique, qui peut être révélée scientifiquement par l’imagerie médicale.
Plusieurs raisons peuvent expliquer que ces violences sont souvent occultées par les victimes. Tout d’abord, lors du viol, la perte de connaissance n’est pas rare. De plus, un viol peut également engendrer des mécanismes de déconnexion du cerveau. Muguette Dini l’a rappelé, le viol est en outre de plus en plus souvent perpétré sur des personnes alcoolisées ou droguées, qui n’ont plus le souvenir de ce qui s’est passé. Enfin, un viol subi dans la très jeune enfance peut faire partie des souvenirs oubliés ou n’être pas conscientisé comme tel.
Le syndrome de stress post-traumatique peut conduire la victime à trois types de réactions. Elle peut tout d’abord se remémorer périodiquement les événements ou bien être sujette à cauchemars ou à des rappels d’images récurrents. Elle peut ensuite tout faire pour éviter d’être confrontée à une situation lui remémorant l’événement traumatisant. Dans ce cas, la victime éprouve un sentiment de culpabilité qui la conduit au silence et au repli sur soi. Enfin, elle peut rencontrer des difficultés à se concentrer et à mener à terme ses activités, ce qui provoque des phénomènes d’insomnie, d’instabilité, d’irritabilité ou d’agressivité. C’est ce que l’on appelle l’hyperstimulation. Et je n’évoque pas toutes les conséquences physiques multiples que décrivent les victimes.
Selon plusieurs études, chez 42,8 % des femmes et 33,3 % des hommes, la conscientisation des agressions est apparue après l’âge de trente-huit ans. Dans plus de 90 % des cas, la possibilité de parler des faits n’est survenue qu’après un travail thérapeutique de réparation et au-delà des trente-huit ans. Cet âge de conscientisation tardif a pour conséquence d’empêcher la victime d’obtenir réparation, puisque le délai de prescription est écoulé. Les délais de prescription actuels sont donc inadaptés.
Partant de ce constat, je soutiens, à titre personnel, l’esprit de la proposition de loi déposée par mes collègues Muguette Dini et Chantal Jouanno visant à reporter le point de départ du délai de la prescription à partir du moment où la victime est en mesure de révéler l’infraction dont elle a été victime.
Bien entendu, je suis consciente des obstacles juridiques soulevés par ce texte. Vous l’avez rappelé, monsieur le rapporteur, transposer aux agressions sexuelles la jurisprudence relative aux infractions occultes est délicat.
D’autre part, et Mme la secrétaire d’État l’a souligné, il existerait un risque d’inconstitutionnalité au regard du principe de légalité et du principe d’égalité. Mais Chantal Jouanno l’a bien dit, ce risque est souvent présent dans les textes que nous examinons. (Mme Chantal Jouanno opine.)
La question des délais de prescription, voire de l’imprescriptibilité, est complexe. Le débat que nous tenons cet après-midi le prouve. Monsieur le rapporteur, vous allez nous présenter des amendements dont l’adoption, selon vous, permettrait de sécuriser les dispositions juridiques de la présente proposition de loi et constituerait un premier pas vers une meilleure législation en faveur de toutes les victimes de ces drames avant le dépôt d’un texte global sur la prescription.
Je rappellerai toutefois que la lenteur du travail législatif est difficilement acceptable par des victimes pour qui chaque jour passé est un jour douloureux. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'UDI-UC, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. Alain Gournac. Très bien !
M. le président. La discussion générale est close.
La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion des articles de la proposition de loi initiale.
proposition de loi modifiant le délai de prescription de l’action publique des agressions sexuelles
Article 1er
Au dernier alinéa de l’article 7 du code de procédure pénale, les mots : « et ne commencent à courir qu’à partir de la majorité de ces derniers » sont supprimés.
M. le président. L'amendement n° 2, présenté par M. Kaltenbach, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
Au dernier alinéa de l’article 7 du code de procédure pénale, le mot : « vingt » est remplacé par le mot : « trente ».
La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Kaltenbach, rapporteur. Comme je l’ai indiqué lors de mon intervention au cours de la discussion générale, j’ai recherché une solution juridique qui, si elle ne va pas aussi loin que l’auraient souhaité les auteurs de la proposition de loi, puisse tout de même être considérée – Jean-Pierre Michel l’a relevé – comme un premier pas.
Cet amendement vise donc à modifier l’article 7 du code de procédure pénale pour faire passer le délai de prescription du viol sur mineur de vingt à trente ans.
Cette solution permettra de couvrir nombre des cas dont a fait état Mme Dini. Les médecins que j’ai eu l’occasion d’auditionner m’ont tous confirmé que la révélation des faits intervenait souvent autour de la quarantaine. Or ce nouveau délai permettra à la victime de déposer plainte jusqu’à l’âge de quarante-huit ans.
Cette durée de trente ans n’est pas exceptionnelle, elle est déjà en vigueur pour les crimes de guerre, les crimes terroristes depuis les années quatre-vingt-dix et les crimes liés au trafic de stupéfiants. Il n’y a donc là rien d’aberrant ; un tel délai s’intègre parfaitement dans l’architecture générale du régime des prescriptions. C’est la raison pour laquelle, mes chers collègues, je vous soumets cet amendement, adopté ce matin par la commission des lois.
Je tiens maintenant à faire remarquer que, dans mon rapport, je n’ai jamais écrit que cette proposition de loi était le fruit d’un travail de lobbying mené par des associations sécuritaires…
Mme Chantal Jouanno. Nous ne pensions pas à vous, monsieur le rapporteur !
M. Philippe Kaltenbach, rapporteur. Ce qui m’engage, c’est le rapport que j’ai rédigé, auquel sont annexés les comptes rendus des débats en commission et donc les interventions des commissaires dont je ne puis être tenu responsable. Chaque membre de la commission se doit d’assumer ses propos... (Mmes Muguette Dini et Chantal Jouanno opinent.)
Enfin, s’agissant de l’aspect inconstitutionnel de cette proposition de loi, il nous faut faire preuve de prudence. On peut toujours voter un texte et attendre de voir quelle sera la réaction du Conseil constitutionnel,…
Mme Chantal Jouanno. Nous saurons vous le rappeler ! (Sourires.)
M. Philippe Kaltenbach, rapporteur. … mais, si nous ne sommes pas attentifs, nous encourrons sa censure, comme ce fut le cas du dispositif mis en place pour lutter contre le harcèlement sexuel, annulé par les Sages à l’occasion de l’examen d’une question prioritaire de constitutionnalité.
Madame Dini, madame Jouanno, si votre proposition de loi était adoptée en l’état, aux termes de l’article 1er, confirmé par l’article 2, le délai de prescription ne courrait plus à compter de la majorité de la victime. Or, s’il était saisi, le Conseil constitutionnel n’annulerait que l’article 3. Nous nous retrouverions donc dans une situation – le point de départ du délai n’étant plus fixé à la majorité de la victime et votre dispositif ayant été censuré – antérieure à celle de 1986. Quel retour en arrière considérable !
Nous devons par conséquent être extrêmement méfiants. Le risque constitutionnel a été soulevé par le Gouvernement et par la commission des lois. Faisons preuve de prudence et adoptons un amendement qui, s’il ne vous donne pas entière satisfaction, constitue néanmoins une avancée ne comportant aucun risque d’inconstitutionnalité.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État. Avec votre permission, monsieur le président, je donnerai l’avis du Gouvernement sur les amendements nos 2 et 3 de la commission, joints par leur cohérence et leur logique.
Ces amendements ont une première qualité : ils ne soulèvent aucun problème de constitutionnalité. Nous pouvons donc porter sur eux un regard plus confiant que sur la proposition de loi. (Sourires.)
Toute l’ambiguïté et la difficulté du sujet sur lequel vous travaillez, madame Dini, consistent à trouver la moins mauvaise solution pour les victimes. Il ne faut pas minorer le fait que plus on allonge le délai de prescription, plus les preuves vont être difficiles à rapporter. Il s’agit alors non plus de trouver des preuves matérielles, mais de s’appuyer essentiellement sur des témoignages.
Or, plus le temps passe, plus il est difficile de recueillir les témoignages. Il ne faudrait pas imposer à ces victimes une deuxième blessure, une deuxième souffrance : le classement sans suite de l’affaire, un non-lieu, ou, tout simplement, la difficulté à obtenir justice, ce qui reviendrait, pour elles, à un deuxième déni.
Il n’est pas aisé d’évaluer cette difficulté : autant de victimes, autant de situations différentes, autant de chemins psychologiques différents, autant de capacités différentes à faire valoir des témoignages, autant d’instructions et d’actions en justice qui se concluent différemment. Je tenais seulement à attirer votre attention sur ce point, mesdames, messieurs les sénateurs, qui vaut aussi pour les amendements déposés par M. le rapporteur.
En outre, attention à la proportionnalité. Certes, il s’agit là d’un système dérogatoire au droit commun de la prescription, qui, en principe, part des faits. En l’occurrence, nous partons non pas des faits, mais de la victime ; le point de vue est déplacé. Néanmoins, mesdames, messieurs les sénateurs, il faut maintenir une proportionnalité.
Pour toutes ces raisons, mais aussi parce qu’il sensible s’inscrit dans la démarche engagée ici et qu’il mène une réflexion globale et plus cohérente sur les délais de prescription, que l’on ne peut pas toujours traiter au cas par cas, le Gouvernement, sur les amendements nos 2 et 3, s’en remet à la sagesse du Sénat, et je sais à quel point elle est grande ! (Sourires.)
M. Vincent Capo-Canellas. Très bien !
M. le président. Merci de votre mémoire, madame la ministre !
La parole est à Mme Muguette Dini, pour explication de vote.
Mme Muguette Dini. Nos débats montrent, de manière évidente, tout l’intérêt que nos collègues portent à la question qui nous anime, et toute leur sensibilité à la douleur des victimes.
Personnellement, monsieur le rapporteur, madame la secrétaire d’État, je suis sensible au fait que vous nous proposez une solution, même si elle n’est pas aussi complète que celle que j’aurais souhaitée, mais vous mettez en avant les risques d’inconstitutionnalité.
Il est certain que, si le texte d’origine proposé par Chantal Jouanno et moi-même devait être rejeté, nous prendrions le risque de n’avoir rien du tout, alors que notre souci est d’aider les victimes à pouvoir s’exprimer. L’allongement de dix ans des délais de prescription, puisque les deux amendements peuvent être traités ensemble, est un progrès, auquel, j’en suis sûre, les personnes concernées seront sensibles.
Vous avez parlé d’« imprescriptibilité », monsieur le rapporteur. J’ai trop de respect pour les personnes victimes de crimes contre l’humanité pour souhaiter que l’on puisse prononcer ce mot s’agissant des situations que nous évoquons. Je rappellerai simplement que les crimes contre l’humanité apparaissent dans l’opposition d’un groupe contre un autre. Dans les cas qui nous occupent, il s’agit plutôt d’un individu contre un autre, et même d’un grand nombre d’individus contre un grand nombre d’autres.
Cela étant dit, nous pourrions faire un parallèle entre les crimes contre l’humanité et les crimes dont nous débattons : les personnes victimes d’agression sexuelle se sont vu retirer une partie de leur humanité ; les personnes victimes de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité, quant à elles, se sont souvent vu retirer leur humanité avant de se voir retirer leur vie. Je n’irai pas plus loin, car j’ai bien compris que l’on ne pouvait prévoir cette même imprescriptibilité pour les violences sexuelles.
Pour conclure, je tiens à remercier M. le rapporteur ; il a, je dois le dire, compris très rapidement l’importance du texte qui lui était soumis. Les auditions qu’il a menées ont, je le crois, contribué à l’éclairer et à le convaincre.
Je remercie également tous les sénateurs cosignataires de ce texte, ainsi que ceux qui m’ont écrit pour me témoigner de leur soutien. Il s’agit donc bien d’un sujet qui nous intéresse et nous touche, certainement parce qu’il traite d’événements dont, à un moment ou à un autre, nous avons pu avoir l’impression qu’ils n’étaient pas si loin de nous. En effet, s’il y a autant de prédateurs, c’est bien qu’ils sont quelque part, jusqu’à ce que, parfois, on les découvre et la situation est alors dramatique pour tout le monde, et d’abord pour la victime.
Par conséquent, je voterai les amendements nos 2 et 3 présentés par la commission. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe socialiste. – Mme Colette Mélot applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.
Mme Cécile Cukierman. Je l’ai laissé entendre au cours de la discussion générale, le groupe CRC va s’abstenir sur les trois amendements déposés par M. le rapporteur. En effet, ils ne répondent pas au problème soulevé en commission des lois lors de l’examen du texte dans sa version initiale, émanant notamment de Muguette Dini.
En réalité, ces amendements vont à l’encontre des principes dont nous nous targuons souvent en séance, et qui font l’unanimité au sein de la commission des lois, selon lesquels l’allongement des délais de prescription pour tous ne se justifie pas en soi.
Ces amendements, s’ils sont adoptés, concerneront tous les mineurs, indépendamment du traumatisme qu’ils ont connu, et qui fut à l’origine du dépôt de la proposition de loi.
Mes chers collègues, j’attire votre attention sur le fait que ces amendements tendent à complètement changer l’optique de la proposition de loi dans sa version initiale. Bien sûr, cette dernière posait des problèmes de constitutionnalité ; bien sûr, il y avait sans doute des choses à revoir. Certaines formulations, et ce point a été souligné, aboutissaient à priver les victimes de garanties contenues dans la procédure actuellement en vigueur. Mais nous aurions pu discuter de tout cela et retravailler le texte.
Avec cette proposition de loi, je vous le redis ici, madame Dini, vous posiez une vraie question, qui disparaîtra de la version finale du texte si ces amendements sont adoptés. En effet, l’agression sexuelle ou le viol, perpétrés sur une personne mineure ou sur une personne majeure, peuvent entraîner un tel traumatisme, un tel questionnement sur ce qu’est réellement cet acte – ou sur ce qu’il n’est pas –, qu’il est nécessaire de s’interroger sur le moment à partir duquel le délai de prescription doit courir.
Je ne reviendrai pas sur la situation des mineurs, sur leur souffrance, que tout le monde reconnaît. Prenons le cas des majeurs et des violences qui peuvent être commises, par exemple, au sein d’un couple marié. Certaines femmes peuvent ne réaliser que quinze, vingt, ou vingt-cinq ans après la prononciation du divorce que ce qu’elles ont subi dans le cadre du mariage, dans le lit conjugal, était un viol.
D’autres personnes majeures, je l’ai signalé, peuvent également subir ce traumatisme et n’en prendre conscience que plusieurs années après. Certains orateurs ont indiqué que les personnes victimes de violences sexuelles au cours de leur minorité pouvaient en prendre de conscience vers la quarantaine. Mais cela peut attendre plus longtemps. Dès lors, je ne vois pas pourquoi on n’allongerait pas encore par la suite les délais de prescription.
L’argument qui visait à détruire la proposition de loi, dans sa version initiale, était qu’elle tendait à l’imprescriptibilité. Pardonnez-moi, mes chers collègues, mais en allongeant toujours plus les délais de prescription pour ces violences, on se rapproche aussi de l’imprescriptibilité !
Les amendements de la commission peuvent avoir leur sens pour une meilleure protection des mineurs. Je vais peut-être vous choquer, mes chers collègues, en disant ce qu’aucun de vous n’a dit ici ou en commission, je le sais très bien : ces amendements reviennent à affirmer qu’une personne majeure victime d’un viol n’a qu’à faire un petit effort pour s’en souvenir dans le délai de prescription. Ce n’est pas vrai, mais c’est ce que, in fine, inconsciemment, nous sous-entendons si nous adoptons ces amendements.
L’enfant, le mineur, mérite d’être protégé par l’allongement de dix ans du délai de prescription. Je l’entends très bien ; personne, d’ailleurs, n’oserait le remettre en cause : ce qu’il a subi est affreux ! Or, mes chers collègues, pourquoi ne nous interrogeons-nous pas sur les raisons pour lesquelles nous n’allons pas au bout de ce débat ? Pourquoi ne nous demandons-nous pas à partir de quel moment le délai de prescription en matière d’agression sexuelle doit-il courir ? J’ai eu l’occasion de faire cette même remarque au sein de mon groupe, lorsque nous évoquions les problèmes liés à la formulation initiale du texte.
Nous n’avons pas étudié cette question à fond parce que, quelque part, elle nous dérange ; nous ne l’avons pas fait parce que, quelque part, inconsciemment, et de manière collective, nous considérons qu’une personne majeure qui a été violée aurait pu faire un effort pour ne pas l’être, ou qu’il est fondamentalement impossible qu’elle ne puisse pas s’en souvenir, tellement l’acte est violent.
Adopter ces amendements, c’est, en somme, refuser de mener le débat jusqu’à son terme. C’est pourtant ce que nous voulions.
Pour toutes ces raisons, le groupe CRC, après un échange de vues poussé en son sein, s’abstiendra sur les amendements présentés par la commission. (Mmes Éliane Assassi et Gisèle Printz applaudissent.)
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, lors de la discussion générale, Chantal Jouanno a parlé d’un « conflit de loyautés ». Je trouve l’expression parfaitement opportune. Elle vaut pour les amendements qui ont été déposés.
La proposition de loi initiale visait à trouver une solution. Ce dont nous discutons ne peut, d’ailleurs, que nous rappeler nos cours de droit, et le concept de « conditions purement potestatives ». Ces conditions sont réputées non écrites, puisqu’on ne peut décider soi-même de conditions que l’on ne va pas remplir.
La rigueur du droit est une chose très importante dans cette maison, monsieur le président de la commission des lois, même si, Chantal Jouanno et d’autres orateurs l’ont souligné, nous en manquons parfois cruellement : quand nous sommes moins rigoureux sur le caractère non normatif et bavard de la loi, on l’a vu à plusieurs reprises ces derniers jours, et dans les mois qui ont précédé ; ce n’est pas nouveau.
Ce conflit de loyautés, je reprends les propos de Muguette Dini, se pose entre l’humanité qu’il nous faut pour essayer de résoudre ce problème et la question de la constitutionnalité de certaines dispositions, que nous percevons bien.
Vous avez trouvé une cote mal taillée pour y répondre. Néanmoins, la question reste entière. En cela, je rejoins tout à fait les propos tenus à l’instant par Cécile Cukierman. Je dirai même que les amendements déposés posent plus de problèmes qu’ils n’en règlent, en nous obligeant à changer de logique, ce qui n’était pas dans l’esprit des rédacteurs et cosignataires de la proposition de loi, dont je suis.
Pour autant, mes chers collègues, peut-on prendre le risque de ne pas voir un délai de prescription allongé de dix ans pour les victimes qui en ont besoin ? Tout cela, madame la secrétaire d’État, mérite une réflexion très approfondie.
Voilà sept ans que je suis sénateur. C’est au forceps que nous avons réussi à modifier quelques dispositions relatives à la prescription, dans la loi sur la presse, par exemple. Bien sûr, je ne parle pas des dispositions qui ont trait aux abus de biens sociaux, que l’on ne peut pas toucher.
Ce grand débat sur l’harmonisation des prescriptions est un problème absolu, madame la secrétaire d’État. Mais ce qui nous occupe aujourd’hui c’est un problème humain. Je dois dire que je n’ai pas encore décidé si j’allais m’abstenir ou bien voter les amendements présentés par M. le rapporteur, tant le sujet est poignant et important. Je pose néanmoins la question : en restant sur des principes, ne risque-t-on pas d’être à l’origine de plus de victimes, de plus de traumatismes ?
En tout état de cause, je remercie Muguette Dini et Chantal Jouanno de nous avoir proposé ce texte, d’avoir fait preuve d’obstination, car ce n’est pas la première fois qu’un tel texte est déposé. Espérons qu’il sera voté aujourd’hui, même si ce doit être dans des termes peut-être insatisfaisants. Espérons, surtout, que l’Assemblée nationale l’examine assez vite, pour que l’on ait moins de victimes à déplorer dans les mois et années qui viennent. (Mmes Chantal Jouanno et Colette Mélot applaudissent.)