M. Pierre Bernard-Reymond, rapporteur. La méthode intergouvernementale, quant à elle, est à bout de souffle et la règle de l’unanimité, en usage encore dans bien des domaines, retarde et édulcore les décisions, lesquelles sont, reconnaissons-le, plus difficiles à prendre à vingt-huit qu’à six.
En France, les pro-Européens sont séparés par le mur de la bipolarisation et ont de plus en plus tendance, chacun de leur côté, à prêter une oreille trop attentive à la démagogie des extrêmes. Mais, peut-être plus que tout, c’est la coexistence de deux conceptions fondamentalement différentes de l’Europe qui pose problème : l’Europe-espace, prônée par le Royaume-Uni, qui s’accommode du seul marché unique et d’une politique transatlantique, et l’Europe-puissance, qui rassemble des partenaires souhaitant davantage d’intégration, autrement dit, à terme, une Europe à visée fédérale, et ambitionnant notamment que l’on fasse plus de place à des politiques communes telles que l’Europe sociale.
Il faut réorganiser la cohabitation de ces deux Europe en conservant, si possible, les vingt-huit pays dans l’Union, mais en faisant en sorte que ceux qui veulent aller plus vite et plus loin, au besoin selon des rythmes différenciés, puissent le faire sans être entravés par ceux qui n’adhèrent pas à la vision d’une Europe plus intégrée. Les premiers doivent lancer un véritable appel d’offres pour plus d’intégration.
Ce diagnostic, s’il est partagé, nous trace le chemin, nous dicte le projet.
Dans le rapport que j’ai eu l’honneur de présenter en commission et dans lequel, je le reconnais, j’ai davantage affirmé une conviction que cherché une impossible synthèse, j’ai articulé vingt-quatre propositions.
Bien sûr, toutes doivent être soumises à discussion, à concertation, à amélioration ; certaines disparaîtront et il faudra du temps, certainement beaucoup de temps, pour que les autres entrent éventuellement dans le droit positif.
Mais, mes chers collègues, j’estime qu’il est important que, après ces élections, l’Europe soit à nouveau dotée d’un grand projet, d’une grande ambition susceptible de rassembler une majorité d’Européens.
Il est important que les chefs d’État, à défaut d’hommes d’État, cessent de louvoyer, de ne s’intéresser qu’au futur proche et à des politiques réactives et sectorielles, dont l’efficacité serait démultipliée si elles étaient intégrées à un plan d’ensemble et à une vision à long terme. Il suffirait que quelques chefs d’État de l’Union, le président de la Commission et quelques commissaires, ainsi que le président du Parlement soient des visionnaires courageux plutôt que des tacticiens frileux, pour que l’Europe se réconcilie avec elle-même et entraîne à nouveau les peuples vers un projet fédérateur.
L’Europe doit être un projet de civilisation, servi par une puissance organisée à terme sur le mode du fédéralisme pour forger une communauté de nations. Ce projet pour l’Europe devrait franchir une nouvelle étape démocratique, renforcer sa capacité de gouvernance et développer son économie pour promouvoir, avec beaucoup plus d’efficacité, de nouvelles politiques, sociales, fiscales, énergétiques, climatiques, numériques, tant il est vrai que l’Europe sera politique ou ne sera plus !
Il faudra renforcer également la convergence et l’efficacité des politiques étrangère et de défense, faire élire le président du Conseil européen par tous les parlementaires d’Europe – députés, sénateurs, parlementaires européens, soit plus de 10 000 personnes dans un premier temps, avant de passer au suffrage universel –, faire élire le président de la Commission directement par le Parlement européen, hiérarchiser cette Commission comme un gouvernement en désignant des hauts commissaires, des commissaires, des commissaires délégués, promouvoir un mode de scrutin uniforme et garantissant une proximité de l’élu avec le citoyen pour désigner les parlementaires européens, conférer davantage de pouvoirs au Parlement européen en lui faisant partager une partie du pouvoir d’initiative aujourd’hui entièrement aux mains de la Commission et en lui conférant, dans certaines limites, le droit de voter une partie des recettes, mieux associer enfin les parlements nationaux à la conduite des affaires européennes.
Toutes ces orientations pourraient constituer, me semble-t-il, un programme d’approfondissement de la démocratie dans les années à venir.
Sur le plan économique, doter à nouveau le budget européen de ressources propres à hauteur de 60 % d’ici à dix ans, doubler le montant du budget dans la même période, autoriser l’Europe à emprunter en lui appliquant néanmoins les règles de Maastricht, créer des eurobonds dès lors que les productivités des différents États convergeraient, confier la politique des changes à la Banque centrale européenne – c’est elle qui a sauvé l’euro –, réformer la Cour des comptes européenne, en lui donnant des responsabilités d’analyse plus affirmées à l’instar de notre propre Cour des comptes, voilà autant de mesures qui, me semble-t-il, seraient, elles aussi, en mesure d’accroître collectivement notre capacité et notre intégration économiques.
Oui, l’Europe est au milieu du gué. Je crois profondément que c’est en étant davantage Européens que nous pourrons rester souverains.
L’évolution du monde nous interpelle, le défi ne sera relevé qu’avec imagination et courage. Comme le disait John Maynard Keynes, « la difficulté n’est pas de comprendre les idées nouvelles, mais d’échapper aux idées anciennes ».
Il ne s’agit pas de faire la révolution ou le grand bond en avant, mais il s’agit de ne plus tergiverser, il s’agit de sortir du clair-obscur, de s’affranchir des égoïsmes nationaux, de dessiner un projet et de tracer un chemin. Face aux gigantesques défis que nous lance le XXIe siècle, la nation ne peut demeurer le stade ultime de l’organisation des peuples. « Les provinces ont fait la France, aujourd’hui les États doivent faire l’Europe sans défaire les nations. » (Applaudissements sur les travées de l’UMP, de l’UDI-UC, du RDSE, du groupe écologiste et du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. André Gattolin.
M. André Gattolin. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous ne sommes plus qu’à quelques jours des élections européennes, et pourtant, c’est un peu comme si ce scrutin n’existait pas !
L’exemple du débat qui a opposé, le 15 mai dernier, les prétendants à la présidence de la Commission européenne est, à cet égard, assez emblématique. Non seulement les grandes chaînes de télévision n’ont pas voulu le diffuser, mais l’une d’entre elles, la principale antenne du service public, a mis en place un programme concurrent, certes consacré à l’euro, mais sans aucun des candidats en lice sur son plateau !
France 2 entendait faire de l’info-audience plutôt que de faire de l’information citoyenne. Ceux qui, notamment parmi les politiques, avaient osé critiquer cette impasse allaient voir ce qu’ils allaient voir, selon les dires de la chaîne : eh bien, ce fut tout vu ! Cet ersatz de programme de campagne n’a recueilli que 7,7 % de parts de marché, une des plus faibles audiences de l’histoire de la chaîne !
C’est avec la même désinvolture que France Télévisions et ses consœurs privées se sont exonérées des équilibres des temps de parole durant la phase de précampagne, obligeant le Conseil supérieur de l’audiovisuel, et son président, à procéder à un sérieux rappel à l’ordre la semaine dernière.
Ces manquements à leurs obligations de nos grands médias démontrent, s’il le fallait encore, la justesse de l’initiative, approuvée par le Sénat, de notre collègue Pierre Bernard-Reymond lorsqu’il a défendu la création d’une « Radio France Europe », vouée à informer de manière récurrente nos concitoyens sur l’Europe.
J’en profite ici pour saluer l’engagement européen sans faille de notre collègue, sur lequel je le rejoins totalement, au-delà de nos différences politiques. Cette assemblée ne serait pas tout à fait la même sans la voix de ce grand fédéraliste ! Les Européens tels que lui sont encore trop peu nombreux en France, car les lacunes de la classe politique n’ont, sur ces questions, rien à envier à celles qui sont observées dans nombre de nos médias.
Les responsables nationaux cèdent souvent à cette trop facile tentation : se défausser sur l’Europe pour masquer leurs propres erreurs ou leur absence de véritable vision politique. Il est si facile de blâmer des institutions lointaines forcément complexes en raison de leur fonctionnement, de leur localisation, de leur caractère polyglotte et des tâches ingrates que l’on veut bien leur confier !
L’Europe n’est évidemment pas parfaite. Telle qu’elle existe aujourd’hui, elle est même foncièrement viciée, inachevée. Elle est loin d’être suffisamment démocratique, lisible et efficace. C’est d’autant plus difficile à accepter, que le monde évolue très vite, alors que l’Europe semble, elle, faire du surplace.
Dans trente ans, comme l’a rappelé notre collègue Pierre Bernard-Reymond, plus aucun pays de l’Union européenne ne sera membre du G8, alors qu’ils sont quatre aujourd’hui à figurer : c’est évidemment une source d’inquiétude, et d’exigence, aussi.
Cette exigence, et elle n’est pas propre à la France, est aussi la résultante d’un autre trait commun qui renvoie à nos valeurs partagées : les Européens ont soif de progrès, de libertés, de démocratie. Or, au-delà de l’Union européenne elle-même, ce sont ces notions même de progrès, de liberté, de solidarité et de démocratie qui sont aujourd’hui en crise.
Comment l’Europe, qui s’est construite, dès l’origine, en tentant d’articuler ces attentes, pourrait-elle échapper à ces difficultés et à ces questionnements ? En paraphrasant l’abbé Sieyès, je résumerai ainsi la situation que nous vivons aujourd’hui : qu’est-ce que l’Europe ? Tout. Qu’a-t-elle été jusqu’à présent dans l’ordre politique ? Rien. Que demande-t-elle ? À devenir quelque chose.
L’Europe, c’est une formidable rupture historique, volontaire et pacificatrice, c’est une aventure visant à réunir des peuples qui, par-delà leurs frontières, leurs langues, leurs coutumes respectives, partagent déjà l’essentiel.
L’Europe, aujourd’hui, est la première puissance économique mondiale et le plus grand espace démocratique commun, après l’Inde. Le brassage de ses populations se voit à tous les niveaux de la société, dans tous nos pays. Aujourd’hui, le Premier ministre français et la maire de Paris sont d’origine espagnole ; le président de l’Assemblée nationale est d’origine italienne : autant d’illustrations de ce que l’Europe, en dépit de ses faiblesses, est bel et bien unie dans sa diversité, qu’elle constitue une part essentielle de notre identité collective.
Au lieu de l’assumer, les gouvernements successifs sont passés maîtres dans l’art de pousser toujours plus loin une certaine intégration européenne tout en cherchant à en minimiser l’aspect fédéral, démocratique, politique.
La Commission européenne est condamnée pour ses orientations libérales, mais on oublie de dire que ce sont les orientations des gouvernements réunis au sein du Conseil qu’elle sert.
Le Parlement européen est critiqué pour son impuissance politique, mais ce sont les États qui veulent à toute force restreindre son pouvoir législatif. L’opacité dans laquelle se négocie actuellement le projet de traité transatlantique est un véritable déni de démocratie. Cela n’est plus possible !
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le débat du 15 mai dernier, en dépit de son insuffisante médiatisation, a constitué une première historique.
Certains ont parlé d’un « putsch démocratique » lorsque les candidats ont, l’un après l’autre, prévenu les gouvernements que ce processus démocratique d’un genre nouveau s’imposerait à eux et qu’ils devraient choisir comme président de la Commission celui ou celle d’entre eux qui aurait réuni une majorité européenne sur son nom. Attendons encore de voir si les cinq conjurés tiendront bon face aux oukases de tel ou tel chef d’État ou de gouvernement, mais c’est bel et bien à un mini serment du Jeu de paume que nous avons assisté dans l’assourdissante indifférence des responsables politiques nationaux.
« Les pensées qui mènent le monde arrivent sur des pattes de colombe » écrivait un grand philosophe. Si nous sommes cohérents avec nous-mêmes, si nous voulons donner à l’Europe de nouvelles perspectives, nous devons nous joindre à ce serment et l’appuyer dans les faits.
Il ne tient qu’à nous de sortir de l’ornière dans laquelle nous nous trouvons, non pas en sortant de l’euro, mais en complétant l’Union, non pas en donnant plus de poids aux États ou à je ne sais quel marché intérieur, mais en rendant les institutions européennes plus démocratiques et en améliorant les interactions entre niveau européen et niveau national.
Il s’agirait, par exemple, de doter le Parlement européen, le cas échéant appuyé sur les parlements nationaux, d’un véritable pouvoir d’initiative législative, de déconnecter la citoyenneté européenne de l’unique et stricte notion de nationalité, de créer pour 2019 une circonscription transnationale dans laquelle serait élue une partie des eurodéputés, pour que les élections européennes de cette année soient les dernières à se dérouler uniquement à l’échelon national ou infranational.
Nous sommes déjà Européens sur les plans économique, historique et culturel, mais nous n’assumons pas encore de l’être sur le plan politique. C’est pourtant en franchissant ce pas décisif que nous donnerons enfin vie à l’Europe ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste, du RDSE, de l’UDI-UC et de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Bizet.
M. Jean Bizet. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en cette année de commémoration du centenaire de la guerre de 1914 et alors que l’Ukraine sombre dangereusement dans la guerre civile, le projet européen a plus que jamais du sens et doit être l’objet de tout notre intérêt et de tous nos soins.
Le rapport de notre collègue Pierre Bernard-Reymond, qui est le support de notre débat d’aujourd’hui, nous le rappelle très utilement, comme d’ailleurs, le rapport de Jean Arthuis sur l’avenir de la zone euro, remis en 2012.
Certes, la défiance de nos concitoyens vis-à-vis de l’Europe augmente sous l’effet de la crise. Or c’est exactement pour cette raison que nous devons continuer et consolider ce qui a été élaboré depuis cinquante-sept ans, avec patience et détermination.
Jamais la construction d’un espace européen commun n’a été un long fleuve tranquille, pas plus hier qu’aujourd’hui, et il n’y a aucune raison valable pour que nous nous en lassions. L’Union européenne est un processus en perpétuelle évolution. Sous le choc de la crise, elle est au milieu du gué et il est de notre responsabilité de lui donner un nouvel élan.
Nos concitoyens ne doivent pas se laisser séduire par les sirènes des extrémistes ou des eurosceptiques. Pierre Bernard-Reymond l’a rappelé avec force : ce qui est en jeu aujourd’hui, ce n’est pas l’Europe elle-même, à laquelle la majorité continue d’adhérer, mais son fonctionnement. Nous devons consolider ses succès, combler ses manques et résoudre ses faiblesses, dans un cadre collégial et démocratique.
Oui, mes chers collègues, l’Europe est toujours un projet enthousiasmant, qui a déjà de nombreux succès à son actif ! Permettez-moi de les rappeler brièvement, en commençant par les valeurs de paix, de liberté, de dignité et de solidarité qui animent, intrinsèquement, le projet européen et le légitimeraient à elles seules, malgré les interrogations du moment.
Les jeunes générations ont tendance à l’oublier, mais la construction européenne a sorti le continent de guerres régulières qui, à deux reprises, ont débouché sur une conflagration mondiale.
L’Europe a consolidé la sortie de la guerre froide et accueilli l’est du continent dans la démocratie. Elle nous a ouverts les uns aux autres grâce à la liberté de circulation et au remarquable programme d’échange entre étudiants – je veux parler d’Erasmus.
De même, les politiques communes que sont la politique agricole commune et la politique commerciale, même si elles doivent s’adapter à la nouvelle donne économique mondiale, constituent, par leurs succès, de solides acquis.
Enfin, d’un point de vue économique, André Gattolin le rappelait à l’instant, l’Union européenne est le plus grand marché du monde. Sa balance commerciale est en excédent ; ses parts dans le marché mondial sont stables – autour de 16 %. Elle présente un surplus industriel et une réelle compétitivité en matière de services.
Il n’y a donc pas à douter du succès économique de l’Union européenne.
Surtout, ce serait une catastrophe que d’abandonner l’euro ! Générateur de confiance, de faible inflation et de stabilité des prix, l’euro a d’abord supprimé le risque de change et le coût des transactions monétaires. C’est aujourd’hui la deuxième monnaie la plus échangée au monde et la deuxième monnaie de réserve.
Sortir de l’euro et revenir à une monnaie nationale, dévalorisée, signifierait une hausse immédiate des taux d’intérêt, un renchérissement du coût de la dette publique. Cela entraînerait une dévaluation monétaire qui alimenterait l’inflation, laquelle serait elle-même combattue par une politique de hausse des taux d’intérêt, source de handicap pour le financement entier de l’économie.
Le résultat d’une sortie d’un pays de l’euro est clair : contraction du produit intérieur brut, appauvrissement et déstabilisation de toute l’Europe. Est-ce ce que nous voulons ? Assurément, non !
Il faut, au contraire, tordre le cou aux idées économiques aléatoires, qui ne sont que des mirages ineptes ! Ce n’est pas parce que l’Union européenne et la zone euro ne fonctionnent pas de façon optimale que nous devons tout arrêter. Bien au contraire, il nous incombe aujourd’hui de surmonter définitivement la crise et de consolider l’œuvre entreprise.
De fait, le choc de la crise a eu un effet remarquable : dans l’urgence et la contrainte – parfois, je vous l’avoue, de façon chaotique et quelque peu tardive – les pays de la zone euro ont réussi à améliorer la gouvernance économique. Pour y parvenir, ils ont créé le mécanisme de gestion de crise pérenne qui manquait – le Mécanisme européen de stabilité. Ils se sont accordés sur des orientations budgétaires communes – c’est le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance ; c’est la procédure du semestre européen, qui améliore la supervision économique et budgétaire - et ils ont forgé une union bancaire ! Je le rappelle, la Banque centrale européenne sera officialisée en novembre prochain en tant qu’organe destiné à superviser les cent vingt-huit organismes bancaires de l’ensemble des vingt-huit États membres.
La conclusion est évidente : même avec ses défauts, la zone euro a résisté à la crise en faisant acte de solidarité envers les pays les plus en difficulté. Et les marchés financiers ne se risquent plus à considérer son démantèlement comme possible.
C’est le fruit des engagements des États, de la politique monétaire de la Banque centrale européenne et des efforts consentis par l’ensemble des citoyens européens.
Allons-nous relâcher nos efforts aujourd’hui, alors que la situation économique globale de l’Europe est en voie d’amélioration et qu’elle a des conséquences politiques qu’il est de notre responsabilité de traiter ?
Ce serait, à mon sens, gâcher ce que nous avons construit à la veille d’en récolter les fruits ! Ce serait renier une partie de notre histoire et de notre culture !
Notre objectif, pour reprendre les mots de Mario Draghi, est bien « une union plus parfaite ». Pour nous, la désaffection à l’égard de l’Europe s’explique en effet largement par les circonstances économiques actuelles.
Oui, la construction européenne connaît une période de fragilité, mais la crise nous fait définitivement comprendre qu’il n’y a pas d’avenir pour notre pays seul et isolé.
Seuls, nous ne pourrons pas relever le défi du chômage ! Seuls, nous ne pourrons pas réussir la transition énergétique ! Seuls, nous ne pourrons pas gérer la question de l’immigration !
Ce dernier sujet intéresse particulièrement nos concitoyens. Le quotidien et les médias nous le rappellent, hélas, cruellement, presque chaque semaine.
La libre circulation des Européens est une réalisation essentielle de l’Union à laquelle ils tiennent. Et ils ont raison !
Alors, comment gérer collectivement l’arrivée de migrants en situation illégale ? Comment accueillir les réfugiés et traiter les demandes d’asile ? Comment faire face à des afflux d’ampleur historique ? Nous soutenons une plus grande coopération entre les États membres, la création d’un Commissaire européen à l’immigration et, surtout, le renforcement des moyens de l’agence Frontex.
En matière économique, si nous voulons résorber le chômage, la convergence et la cohérence des politiques économiques et budgétaires est nécessaire.
Faut-il rappeler ici le « péché originel » qui consista à créer une union monétaire sans avoir préalablement créé une union économique et budgétaire ? On savait que la convergence n’irait pas de soi. Aujourd'hui, c’est malheureusement plus que le cas !
Car c’est en créant les conditions favorables à l’investissement des entreprises que l’on trouvera le chemin d’une croissance durable et créatrice d’emplois. Prendre le risque de bâtir des systèmes fiscaux et sociaux trop différents, c’est implicitement faire le choix d’une Europe des transferts et des subventions, alors qu’il faudrait collectivement créer de la croissance et de la richesse.
Telle est la logique de l’union bancaire et de la politique monétaire de la Banque centrale européenne, que notre collègue Richard Yung connaît bien et qu’il nous explique régulièrement.
C’est dans ce sens que nous devons poursuivre.
Pour nous, il y a cependant un préalable : chaque pays doit prendre ses responsabilités et faire sa part du travail, qui consiste à réduire ses déficits et son niveau d’endettement, à engager des réformes structurelles.
Or, à ce titre, monsieur le secrétaire d’État, la politique économique actuellement menée par le Gouvernement nous laisse très sceptiques.
Vous le savez, mes collègues du groupe UMP l’ont dit à de nombreuses reprises au cours de nos débats : non seulement espérer le retour à la croissance ne fait pas une politique, mais, pire encore, cela fait prendre un risque collectif à l’Europe tout entière !
Dans cette perspective, le débat sur l’austérité est un faux débat : il faut arrêter de faire de l’Europe un bouc émissaire, comme le dit très justement notre collègue Pierre Bernard-Reymond dans son rapport.
Nous devons construire la convergence économique et fiscale en prenant les bonnes mesures au niveau national. Je sais que ce n’est pas facile. Je suis intervenu à plusieurs reprises dans ce type de débat et je n’ai jamais caché mon intention de transgresser les particularités entre partis pour nous permettre de nous retrouver sur des décisions importantes qui concernent l’ensemble de notre pays.
Il en va de même s’agissant de la transition énergétique – je viens de terminer un rapport sur la coopération énergétique franco-allemande qui m’a beaucoup appris. Dans un souci tant de préservation de l’environnement que de coût pour nos industries, la transition énergétique doit être menée au niveau européen, et par tous les États ensemble. L’une des grandes conclusions que j’ai retirées de ce rapport, c’est qu’aucun pays ne peut la réaliser seul.
Le choix des bouquets énergétiques nationaux doit être cohérent et coordonné. Nos réseaux doivent être modernisés en conséquence. Et l’indépendance énergétique doit être appréhendée à l’échelon européen. Ce qui se passe depuis plusieurs mois en Ukraine nous le rappelle : l’indépendance énergétique ne peut pas se concevoir en dehors de ce cadre européen.
Réinvestissons l’un des projets d’origine de la Communauté européenne, la Communauté européenne du charbon et de l’acier, et mettons en place une véritable Union européenne de l’énergie.
Il y a une vraie logique à agir de concert et de vrais gains à en attendre pour nos concitoyens et, bien évidemment, pour notre environnement !
Mes chers collègues, pour résumer, je dirai que le sujet n’est pas celui d’une Europe fédérale, mais bien celui de la poursuite d’une construction selon un modèle original.
Le choc de la crise et la réponse qui lui a été collectivement apportée par l’Europe ont profondément modifié l’organisation de l’Union européenne.
Aujourd’hui, nous devons franchir une nouvelle étape : il nous faut nous accorder sur l’étendue et les modalités de gestion de ce que nous voulons en commun, et trouver un nouvel équilibre entre le communautaire et l’intergouvernemental.
Nous devons choisir les politiques à traiter ensemble et ne plus laisser les administrations européennes réglementer dans le détail de trop nombreux domaines. Nous suivons presque quotidiennement ce sujet au sein de la commission des affaires européennes.
J’ai déjà donné plusieurs exemples, mais j’aimerais maintenant aborder la question d’un point de vue plus institutionnel.
Nous pensons que, s’il est très difficile d’envisager une modification des traités, il est tout à fait possible, en revanche, d’avancer dans le contexte légal actuel.
Pour cela, nous pouvons imaginer une Europe à plusieurs cercles. La zone euro doit poursuivre sur la voie d’une meilleure coordination économique avec un calendrier d’harmonisation fiscale, comme Jean Arthuis l’a souvent recommandé ici.
Nous devons aussi avancer vers un véritable budget européen, après les remarquables avancées négociées, en fin d’année dernière, par notre collègue Alain Lamassoure, président de la commission des finances au Parlement européen. Ce serait un budget plus important et plus intégré, qui devrait prioritairement financer des projets communs en matière de recherche, d’infrastructures et de transports.
Nous devons officialiser l’Eurogroupe et, mieux encore, l’identifier par une présidence permanente.
Pour conclure, mes chers collègues, nous sommes conscients que nombre de nos concitoyens n’ont plus une approche intuitive de la construction européenne. Ils demandent, légitimement, une Europe plus lisible et plus démocratique – cela a été dit par les intervenants qui m’ont précédé.
Nous sommes aussi conscients des faiblesses du fonctionnement de l’Europe et il est de notre devoir de les corriger. Il y a une voie pour l’amélioration, mais pas pour l’abandon du projet européen.
C’est ce à quoi nous devons nous employer. Le choix du futur président de la Commission, selon une procédure plus démocratique, en fonction du résultat des élections au Parlement, est déjà un premier pas, mais nous devons aller plus loin.
Dans cette perspective – et je terminerai par-là –, le couple franco-allemand a un rôle pilote à jouer, et un rôle déterminant. L’Europe ne peut se passer du « couple franco-allemand » non pas comme figure hégémonique, mais comme facteur de propositions et de dynamisme.
C’est pourquoi, monsieur le secrétaire d’État, comme j’ai pu le dire à plusieurs reprises dans cet hémicycle, nous ne pouvons qu’être inquiets des divergences économiques, voire politiques, qui se creusent de plus en plus entre nos deux pays. En effet, à force, elles vont finir par empêcher la structuration d’un noyau dur central européen. Ou alors, la France n’en ferait pas partie… Je suis persuadé que telle n’est pas la solution souhaitée sur l’ensemble de nos travées ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.