M. Gérard Larcher. Eh oui !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Il faut dire qu’il est assez difficile d’y voir clair, dans la mesure où les concepts ont évolué : alors que nous étions habitués à nous exprimer en termes de déficit effectif, les techniques, la méthodologie choisies par l’Union européenne pour amener les États à se conformer à leurs obligations communes privilégient des notions plus sophistiquées, comme celle, aujourd’hui déterminante, d’« objectif de moyen terme », ce qui désigne la date à laquelle nous atteindrions l’équilibre structurel.
Dans le présent programme de stabilité, cette date est à nouveau décalée dans le temps, puisque c’est seulement en 2017 que l’équilibre structurel, nous assure-t-on, sera atteint. Mes chers collègues, souvenez-vous que, au début du quinquennat, c’est l’équilibre effectif que l’on nous promettait pour 2017 !
Il va de soi que ces techniques ne sont pas communicables à l’opinion publique. Comment imaginer, en effet, nous rendre dans nos départements pour faire partager des convictions sur les finances publiques au moyen de discours sur le « solde structurel », « l’effort structurel » et « l’objectif de moyen terme » ? Il est manifeste que les salles se videraient aussi vite que notre hémicycle s’est vidé ce soir ! (Sourires.)
Reste un problème, et il est politique, me semble-t-il. Après avoir entendu les propos du Président de la République, au début du mois, et ceux du nouveau Premier ministre, qui était dans cet hémicycle il y a quelques instants encore, on attendait, avec ce programme de stabilité, comme une rupture, c’est-à-dire une rupture avec le dogme bruxellois. Tel est, du moins, le message qu’on laissait les communicants communiquer.
Eh bien, non ! Voici que le temps des rodomontades est passé, et celui de la réalité revenu. Bien sûr, renégocier de tels engagements voulait simplement dire se parler à soi-même ; c’était sans lendemain.
La situation présente, à la fois techniquement complexe et politiquement difficile à vivre, pose – c’est inévitable – des problèmes importants à la majorité qui est aujourd’hui chargée de la conduite des affaires de la France. Aussi, quand je considère les prises de position des uns et des autres, je suis conduit à me poser deux questions : les efforts prévus dans le programme qui nous est présenté sont-ils plus ou moins ambitieux que ceux qui étaient inscrits dans la loi de finances pour 2014 ? Et, s’ils sont plus ambitieux, plus rudes, aussi, pour qui le seront-ils ?
Un premier élément de réponse nous est fourni par la notion d’« effort structurel ». La trajectoire associée à la loi de finances pour 2014 prévoyait 1,7 point de produit intérieur brut, puis 0,9 point. Le présent programme de stabilité prévoit 1,6 point de produit intérieur brut, puis 0,8 point. À la vérité, c’est à peu près la même chose et il n’y a pas de différence sensible.
Un deuxième élément de réponse se trouve dans l’« ajustement structurel » prévu pour les années 2015 à 2017. Je m’exprime en termes bruxellois, mais ce sont les instruments de mesure qu’il nous faut bien utiliser !
Le rapport économique, social et financier associé au projet de loi de finances pour 2014 indiquait que cet ajustement serait d’environ 0,6 point de PIB par an ; on ajoutait cette précision : « L’effort structurel sera porté intégralement par des économies en dépense ». Selon le programme national de réforme qui sera envoyé à Bruxelles demain, en même temps que le programme de stabilité, « sur la période 2015-2017, l’ajustement structurel sera d’environ 0,6 point de PIB par an en moyenne, avec un effort porté intégralement par des économies en dépense ».
C’est quasiment du copié-collé, comme si, de ce point de vue, il ne s’était véritablement rien passé d’un gouvernement à l’autre !
Je suis amené malgré tout à me poser encore d’autres questions. Ainsi – mais notre collègue Jean-Vincent Placé a quitté l’hémicycle –, comment procédera-t-on à la montée en puissance de la fiscalité écologique, censée financer la montée en charge du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi ? La recette de 4 milliards d’euros que l’on nous a annoncée paraît extrêmement hypothétique ! (M. le secrétaire d'État chargé du budget le conteste.)
Il demeure toutefois une différence de taille entre la trajectoire prévue à l’automne et celle du programme de stabilité : entre janvier et avril 2014, comme Marie-Hélène Des Esgaulx l’a signalé, une baisse supplémentaire des prélèvements obligatoires a été annoncée pour un montant de 25 milliards d’euros environ, dont 20 milliards d’euros en faveur des entreprises. C’est tout le paradoxe : on alourdit, puis on allège !
Bien sûr, les pertes de recettes ainsi consenties devront être compensées par encore plus de réductions de dépenses. De ce point de vue, le taux d’évolution en volume des dépenses publiques apparaît très ambitieux. À cet instant, nous ne pouvons raisonner que sur ce taux ; il faudra attendre les documents budgétaires pour connaître la déclinaison précise des économies ou des inflexions de trajectoire.
Je rappelle simplement que, lors de la campagne pour l’élection présidentielle, M. Hollande chiffrait le taux d’évolution en volume des dépenses publiques à 1 % par an en moyenne, quand M. Sarkozy le chiffrait à 0,4 %. Que n’a-t-on dit, d’ailleurs, sur la dureté de ce dernier objectif ! Or voici que l’on nous présente ici des objectifs plus durs encore que le 0,4 % de M. Sarkozy : 0,3 % en 2016, 0,2 % en 2017 et moins 0,3 % en 2015…
Pour finir, je tiens à soulever deux questions qui seront sensibles cette année, et sur lesquelles nous reviendrons lors de l’examen du projet de loi de finances rectificative. Car, cette année enfin, il y aura bien un collectif budgétaire : c’est, monsieur le secrétaire d’État, la seule bonne nouvelle !
L’année dernière, nous l’avions demandé, parce que nous avions le sentiment que les finances publiques dérapaient ; on nous l’avait refusé, alors que finances publiques dérapaient bel et bien un peu : le résultat de la gestion de l’année 2013 le prouve, et confirme qu’une loi de finances rectificative en cours d’année n’aurait pas été superflue.
Dans ce collectif, il faudra bien que le Gouvernement nous dise où il compte trouver les 4 milliards d’euros d’économies supplémentaires qu’il prévoit pour 2014, et qui supportera cet effort. Il faudra aussi qu’il nous dise comment il entend compenser en dépense la suspension de la taxe poids lourds, ou plutôt son annulation – un problème que notre excellent rapporteur général connaît bien.
En définitive, beaucoup d’incohérence et de temps perdu, le tout dans une accélération assez extraordinaire du calendrier des décisions en matière de finances publiques et de gestion de l’économie.
Mes chers collègues, souvenez-vous : il y a encore un an et demi, lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2013, on nous expliquait qu’il convenait de procéder à un ajustement reposant d’abord sur la hausse des recettes, lequel ajustement, nous disait-on, avait un impact moins récessif qu’une baisse brutale des dépenses.
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. C’est vrai !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Aujourd’hui, on nous explique le contraire ! Évidemment, on trouvera toujours un macro-économiste pour défendre une thèse ; mais reconnaissons que cela a de quoi nous plonger dans une certaine perplexité.
À la même époque, on nous assurait aussi que la politique de réexamen des fonctions de l’État qui avait été lancée sous la présidence de M. Sarkozy avait tous les défauts du monde : la révision générale des politiques publiques n’aurait été qu’un coup de rabot arbitraire, technocratique et décidé sans concertation.
Il semble pourtant que l’on cherche aujourd’hui à mettre en place un dispositif à peu près identique. Il faut cependant reconnaître que la modernisation de l’action publique, cette MAP prétendument plus intelligente, n’a rien produit, en tout cas rien de quantifiable en matière de réduction de la dépense publique ou de mise en œuvre de quelque réforme structurelle que ce soit.
En définitive, que retiendront l’opinion et les journalistes ? Que le Gouvernement fait semblant de se rallier à certaines recettes inspirées par des positions qui ont pu être prises par la droite ou par le centre. Telle est, du moins, l’objectif de l’opération de communication en cours, qui peut-être se retournera contre ses auteurs.
Je pense au basculement de la charge fiscale de l’impôt de production vers l’impôt de consommation, même s’il est tardif et insuffisant.
M. Jean Arthuis. Très insuffisant !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Je pense aussi à un ajustement reposant uniquement sur les dépenses, à la flexibilisation du marché du travail et à la préservation du crédit d’impôt recherche.
Seulement, la mise en œuvre de telles orientations n’est pas réellement possible avec une majorité qui n’y adhérera pas – le nombre d’abstentions enregistrées cette après-midi à l’Assemblée nationale le prouve, sans parler du refus du Gouvernement de demander un vote au Sénat.
Mme Annie David. Mon cher collègue, votre temps de parole est épuisé !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. En vérité, monsieur le secrétaire d’État, le chemin intermédiaire sur lequel le Gouvernement s’engage cumule toutes les difficultés : gardez-moi à droite, gardez-moi à gauche, je suis au milieu et mon chemin ne cesse de se rétrécir !
Pardonnez-moi, mes chers collègues, d’avoir abusé de mon temps de parole. Je vous donne rendez-vous pour la suite de la séquence budgétaire : réservons nos énergies pour examiner avec rigueur et exigence le prochain collectif budgétaire.
Monsieur le secrétaire d’État, si nous avions eu à voter,…
Mme Michèle André. Il n’y a pas à voter !
M. Didier Guillaume. Vous auriez hésité ! (Sourires.)
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. … il va de soi que je n’aurais pas hésité un seul instant ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, à cette heure avancée, je n’abuserai pas de votre patience ; mais il serait discourtois que le représentant du Gouvernement ne remercie par l’ensemble des orateurs qui se sont exprimés dans ce débat.
Certains ont apporté au programme de stabilité présenté par le Premier ministre un soutien vigoureux, parfois avec quelques nuances. D’autres ont fait valoir plus de divergences, mais à l’aide d’arguments toujours parfaitement respectables.
En réponse aux questions qui ont été posées, je me bornerai à répondre par quelques remarques générales.
On nous fait le reproche que les économies réalisées ne seraient pas de réelles économies, parce qu’elles sont calculées sur la base de l’évolution tendancielle des dépenses. Qu’elles soient ainsi calculées, c’est l’exacte vérité ; mais il en est toujours allé ainsi !
M. Didier Guillaume. Heureusement, d’ailleurs !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Tous les gouvernements ont procédé de la sorte et les standards européens, les standards de ceux qui nous observent, sont bien les mêmes.
En vérité, toutes les comparaisons budgétaires d’une année sur l’autre tiennent compte des évolutions tendancielles résultant de paramètres macroéconomiques bien connus, notamment les coefficients d’inflation.
Ces économies seraient insuffisantes pour les uns, et trop massives, voire insupportables, pour les autres. Le président de la commission des finances, M. Marini, a fait la démonstration que, finalement, les efforts demandés au budget de l’État ne sont que la poursuite, dans des proportions tout à fait comparables, de ceux qui ont été engagés les années antérieures. Cela étant, comme pour un régime, les premiers kilos sont souvent les plus faciles à perdre. Chemin faisant, cela devient de plus en plus dur…
Concernant les collectivités territoriales, si chères au Sénat, l’effort demandé s’élève à 11 milliards d’euros pour les trois ans à venir. Or, si l’on examine les trois dernières années, on s’aperçoit que les dépenses des collectivités territoriales ont augmenté de 12 milliards d’euros. In fine, nous leur demandons donc simplement de s’en tenir, en langage bruxellois, à une norme « zéro volume », c'est-à-dire à la même augmentation, ou plutôt à la même non-augmentation que durant ces trois dernières années.
On nous fait également le procès d’engager des réformes qui ne seraient pas structurelles. Effectivement, certaines d’entre elles pourraient justifier cette critique et apparaître comme n’étant pas structurelles, mais j’observe qu’elles sont parfois récurrentes et qu’elles se prolongent dans le temps. Par exemple, pour revenir aux collectivités territoriales, le débat est ouvert et les grandes orientations sont posées : il s’agit bien de réformes structurelles !
La stratégie nationale de santé a également été évoquée. N’y a-t-il pas, là aussi, des éléments parfaitement structurels ?
La réforme de l’État sera documentée, qu’il s’agisse du programme de stabilité ou du programme national de réforme, que peu de gens ont lu, d’ailleurs…Que ceux qui proposent 130 milliards d’euros d’économies, madame Des Esgaulx, nous livrent, eux aussi, la même documentation s’agissant des réformes qu’ils prônent !
Nous aurons l’occasion, dans les prochaines semaines, de construire, de décrire, voire d’infléchir ensemble ce qu’à Bruxelles on nomme les « sous-jacents » des chiffres posés dans le cadre des réformes annoncées ces derniers jours, notamment aujourd'hui.
Ce débat n’est pas une fin, c’est au contraire un commencement. C’est le début d’une étape et d’un travail en profondeur auquel le Gouvernement – le Premier ministre l’a souligné – nous invite collectivement à collaborer. Jean-Pierre Chevènement a évoqué la confiance. C’est effectivement un gage de réussite. Le rassemblement derrière les objectifs et les moyens fixés par le Gouvernement, avec éventuellement le travail en commun sur les améliorations à apporter, pour certains, ou sur les infléchissements à prévoir, pour d’autres, nous permettra de mobiliser l’ensemble des acteurs du territoire, qu’il s’agisse bien sûr des élus, mais aussi des forces économiques ou syndicales, en faveur d’un projet dans lequel beaucoup se retrouvent.
Car nous ne pouvons plus continuer sur cette trajectoire, il nous faut en changer, en dessiner ensemble une nouvelle pour les finances publiques, ce que nous aurons l’occasion d’entreprendre dans les prochains textes financiers qui vous seront soumis, dès le mois de juillet ou lors de l’examen du projet de loi de programmation des finances publiques, qui interviendra à l’automne, sans parler, bien entendu, des futures lois de finances. C’est à cette invitation, mesdames, messieurs les sénateurs, que je vous demande de répondre ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)°
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat consécutif à la déclaration du Gouvernement portant sur le projet de programme de stabilité pour 2014-2017.
12
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, mercredi 30 avril 2014, de quatorze heures trente à dix-huit heures trente :
1. Suite de la proposition de loi visant à introduire une formation pratique aux gestes de premiers secours dans la préparation du permis de conduire (n° 355, 2011-2012) ;
Rapport de Mme Catherine Troendlé, fait au nom de la commission des lois (n° 122, 2013-2014) ;
Texte de la commission (n° 123, 2013-2014).
2. Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à permettre le don de jours de repos à un parent d’enfant gravement malade (n° 301, 2011-2012) ;
Rapport de Mme Catherine Deroche, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 456, 2013-2014) ;
Texte de la commission (n° 457, 2013-2014).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée le mercredi 30 avril 2014, à zéro heure cinquante.)
Le Directeur du Compte rendu intégral
FRANÇOISE WIART