M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, mesdames, messieurs les sénateurs, comme vient de l’indiquer Mme la rapporteur, nous examinons cet après-midi un texte d’une extrême importance, qui a bénéficié de l’expérience très riche et d’une grande qualité du Contrôleur général des lieux de privation de liberté.
La réflexion et le recul sur cette expérience ont permis d’élaborer une proposition de loi très bien structurée, dont les huit articles permettent de couvrir l’essentiel des conclusions tirées par le Contrôleur général de l’action qu’il a conduite, mais surtout des difficultés qu’il a rencontrées dans les diverses situations auxquelles il a été confronté.
Je tiens à vous remercier, madame la rapporteur, du travail que vous avez effectué. Lorsque j’ai reçu pour la première fois à la Chancellerie le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, en juin 2012, il m’a fait part d’un certain nombre d’améliorations qu’il estimait souhaitable d’apporter à la loi du 30 octobre 2007, en vue de consolider l’exercice de la haute mission qui lui avait été confiée, cela dans un esprit de désintéressement, dans la mesure où son mandat n’est pas renouvelable.
Je vous ai donc fait connaître très rapidement, madame la rapporteur, l’a priori positif de la Chancellerie à l’égard de cette proposition de loi et j’ai mis à votre disposition toutes les informations susceptibles de vous être utiles, afin que la loi du 30 octobre 2007 puisse être améliorée au mieux.
Le texte que vous nous présentez s’inscrit dans un long processus d’élaboration de la condition juridique du détenu.
Ce processus a connu une inflexion assez forte dans les années quatre-vingt, grâce aux initiatives prises par le garde des sceaux d’alors, Robert Badinter. Je pense notamment à la généralisation des parloirs sans dispositif de séparation, ainsi qu’à des mesures relatives à la protection sociale et au régime disciplinaire : il s’agissait de garantir le respect effectif des droits fondamentaux dont continuent à bénéficier les personnes détenues, bien qu’elles soient privées de leur liberté en exécution d’une décision de justice.
Ces évolutions ont été favorisées par un contexte général ayant donné lieu à plusieurs initiatives, prises notamment par le pouvoir exécutif, mais pas seulement. Le contrôle extérieur s’est développé : celui des juges, qui peuvent désormais se présenter dans les établissements pénitentiaires à tout moment, mais aussi celui d’autres autorités, telles que le préfet, la CNIL, la Commission d’accès aux documents administratifs, la CADA, et l’inspection du travail.
Un processus de contrôle s’est donc mis en place. La loi du 18 janvier 1994 relative à la santé publique et à la protection sociale a reconnu aux personnes détenues le droit à l’accès aux soins. Quant à la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes, présentée par Élisabeth Guigou, alors garde des sceaux, elle a permis aux parlementaires de visiter librement les établissements pénitentiaires. Enfin, le projet de loi relatif à la protection du secret des sources des journalistes, dont la discussion a malheureusement été différée, contient une disposition autorisant les journalistes à accompagner les parlementaires lors de ces visites inopinées.
En 1995, déjà, l’autorité administrative elle-même avait considéré qu’elle pouvait étendre son champ de contrôle aux mesures d’ordre intérieur. Elle a ainsi prononcé des jugements portant, par exemple, sur des décisions de changement d’affectation, des sanctions disciplinaires et même les conditions d’inscription au registre des détenus particulièrement surveillés.
Ce processus a donc permis de construire une condition juridique du détenu, qui devait trouver sa concrétisation dans un texte de loi.
Le contexte que j’évoquais à l’instant a également été marqué par un certain nombre de rapports remarquables et d’initiatives ayant contribué à informer et à sensibiliser l’opinion publique. Je citerai notamment le rapport rédigé en 1999 par Guy Canivet, alors premier président de la Cour de cassation, celui de la commission des lois de l’Assemblée nationale et celui de la commission des lois du Sénat, cosigné par MM. Hyest et Cabanel.
M. Jean-Jacques Hyest. C’était une commission d’enquête.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. En effet, monsieur Hyest, deux commissions d’enquête avaient été mises en place au Sénat et à l’Assemblée nationale !
Le rapport que vous avez rédigé avec M. Cabanel a débouché sur le dépôt d’une proposition de loi, qui a été adoptée par le Sénat au mois d’avril 2001. Les débats qui se sont tenus à cette occasion ont permis d’informer l’opinion publique et de la sensibiliser au fait qu’une prison républicaine ne saurait être un lieu de relégation : les droits fondamentaux des personnes privées de liberté par décision de justice qu’elle accueille sont respectés.
À la même époque, le livre du docteur Vasseur a eu l’effet d’un électrochoc sur l’opinion publique. Enfin, il faut saluer le travail des associations, dont la vigilance civique est tout à fait utile.
Sur le plan international, le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants a été signé par la France en 2002 et ratifié en 2008. Il constitue l’une des sources de droit ayant conduit à la loi du 30 octobre 2007 instituant un Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Avant l’adoption de ce texte, les règles pénitentiaires européennes adoptées par le Conseil de l’Europe en 2006 ont également contribué à construire l’architecture de cette autorité indépendante chargée du contrôle des lieux de privation de liberté.
Inspirée par le Protocole de 2002, la loi du 30 octobre 2007 charge le Contrôleur général des lieux de privation de liberté de vérifier que les personnes détenues ne sont pas soumises à des traitements cruels, inhumains ou dégradants. Elle va toutefois plus loin, le Contrôleur général ayant également pour mission de s’assurer du respect des droits fondamentaux des personnes privées de liberté.
Les lieux de privation de liberté incluent évidemment les établissements pénitentiaires, mais aussi les locaux de garde à vue, les centres de rétention administrative, les zones d’attente, les locaux de rétention douanière et les établissements hospitaliers où des patients sont admis sans leur consentement.
La loi du 30 octobre 2007 accorde au Contrôleur général des lieux de privation de liberté un large champ de compétence et un certain nombre de prérogatives lui permettant d’exercer correctement ses missions. Son domaine d’intervention s’étend à tous les lieux de privation de liberté que je viens d’énumérer. Étant soumis au secret professionnel, ainsi que vous l’avez rappelé, madame la rapporteur, il a accès librement à ces lieux, ainsi qu’aux documents qui lui paraissent nécessaires à la compréhension des situations auxquelles sont confrontées les personnes privées de liberté.
Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté peut être saisi par le Premier ministre, les membres du Gouvernement, les parlementaires, le Défenseur des droits, ainsi que par les personnes physiques et les personnes morales concernées par les questions relatives au respect des droits fondamentaux des personnes privées de liberté.
Nous avons la chance que le premier titulaire de cette haute fonction soit une personnalité de l’envergure et de la qualité de Jean-Marie Delarue : je me joins très volontiers à l’hommage que vous lui avez rendu, madame la rapporteur. M. Delarue se distingue en effet par sa grande rectitude morale, sa grande exigence, son intransigeance au sens noble du terme : pour lui, l’éthique et les principes sont intangibles. En outre, il fait montre d’une profonde intelligence des situations, du contexte législatif, des relations internationales et de l’apport de certains textes, notamment européens, à l’évolution de notre droit.
À cet égard, la loi pénitentiaire de 2009, qui a largement intégré les règles pénitentiaires établies en 2006 par le Conseil de l’Europe, fait partie du dispositif législatif ayant conduit à la création du Contrôleur général des lieux de privation de liberté.
M. Jean-Marie Delarue a su prendre du recul par rapport à l’exercice de sa haute mission pour en mesurer les faiblesses et les points forts, ainsi que les aménagements à y apporter. Grâce à son extraordinaire expérience, nous examinons aujourd’hui une proposition de loi dense, substantielle, propre à améliorer le fonctionnement de cette haute autorité indépendante.
Le bilan du Contrôleur général des lieux de privation de liberté est tout à fait remarquable : il a visité 179 établissements pénitentiaires, 18 établissements hospitaliers accueillant des personnes sans leur consentement ; il a émis des recommandations sur la base de la procédure d’urgence, notamment, en 2011, sur l’établissement pénitentiaire de Nouméa, en Nouvelle-Calédonie, et il a aussi formulé des avis sur la situation à Mayotte. Il est heureux qu’il ait pris en compte les outre-mer, car ceux-ci ont souvent été fortement négligés et le parc pénitentiaire y accuse un retard considérable, tout comme le parc judiciaire d’ailleurs.
Grâce à ses avis, notamment sur la Nouvelle-Calédonie, j’ai pu prendre un certain nombre d’initiatives assez rapidement. J’ai d’abord diligenté une inspection de nos propres services, puis une mission dirigée par la conseillère d’État Mireille Imbert-Quaretta, qui a permis de mettre très vite en œuvre un programme de réhabilitation et de construction en Nouvelle-Calédonie.
Dans le cadre de la procédure d’urgence, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté a également formulé des observations concernant la prison des Baumettes, à Marseille. Cela étant, nous les avions anticipées, puisque nous avions inscrit dans la loi de finances rectificative de la fin de 2012 la réalisation d’un certain nombre de travaux au sein de cet établissement.
En tout état de cause, ce qui importe, c’est que l’action, extrêmement fournie, du Contrôleur général a contribué à améliorer de façon très substantielle la gestion de ces établissements et les conditions de vie en leur sein.
Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté a en outre émis toute une série d’avis thématiques relatifs par exemple à la présence de jeunes enfants dans les prisons et aux quartiers mères-enfants, aux politiques sociales et de réinsertion, à la prise en charge des personnes transsexuelles ou à l’exercice des cultes, autant de sujets extrêmement divers ayant trait à la vie à l’intérieur de ces lieux clos. Ces avis, extrêmement utiles, nous ont permis d’améliorer le fonctionnement de ces établissements.
Le champ d’action du Contrôleur général des lieux de privation de liberté a donc couvert l’ensemble de nos établissements, tant dans l’Hexagone que dans les outre-mer. Je veille à ce que les réponses qui lui sont adressées soient circonstanciées et transmises dans les délais requis. Répondre à ses très nombreuses demandes et interpellations exige de la direction de l’administration pénitentiaire un travail assidu, précis et de qualité, dont les conclusions sont en général publiées en même temps que ses avis et interpellations. Au-delà, je considère que ces réponses fournies au Contrôleur général des lieux de privation de liberté engagent la Chancellerie : l’inspection des services pénitentiaires et les inspecteurs territoriaux veillent à l’application des dispositions correspondantes, y compris dans les territoires lointains.
Aujourd'hui, nous avons l’occasion d’améliorer le fonctionnement d’une instance indépendante dont la qualité du travail nous a permis d’appréhender un certain nombre d’urgences et de faire entendre la nécessité de prendre certaines dispositions. En effet, il ne faut pas sous-estimer la méconnaissance, par la société, du fonctionnement des établissements pénitentiaires et de la vie qui s’y déroule, ainsi que du travail considérable incombant au personnel pénitentiaire.
Par ailleurs, il importe de faire en sorte que ces établissements soient des lieux de privation de liberté, mais pas d’autres droits. La prison est confrontée à ce défi paradoxal qui consiste à retirer de la société des personnes sur lesquelles pèsent des décisions de justice tout en préparant leur réintégration. En d’autres termes, le temps passé en détention doit être utilisé pour faire en sorte que, une fois sa peine exécutée, la personne concernée puisse revenir dans la société sans constituer un danger pour celle-ci. Il doit donc s’agir d’un temps utile, maîtrisé par l’administration, afin que le temps passé en prison n’aggrave pas les conditions sociale, économique et personnelle des détenus, qui sont appelés à réintégrer la société.
Grâce au travail effectué par Jean-Marie Delarue, nous avons pu avancer et ouvrir un certain nombre de chantiers, y compris ici au Sénat. Madame la rapporteur, je vous remercie d’avoir rappelé qu’il s’agit de politiques publiques s’inscrivant dans une démarche visant à moderniser la justice pour l’adapter au XXIe siècle, à la mettre véritablement au service des citoyens, à faire en sorte que son efficacité, sa diligence, son accessibilité constituent un progrès général pour la société et contribuent à la paix sociale et à la paix publique.
Je salue la qualité du travail fourni par la commission des lois du Sénat, en particulier par Mme Tasca, dont le rapport souligne que le Contrôleur général des lieux de privation de liberté exerce un magistère moral reconnu : ce point est absolument indiscutable. Grâce aux dispositions contenues dans le présent texte, ce magistère d’influence deviendra en plus un magistère d’efficience. En effet, l’évaluation de l’exercice de cette haute mission nous permettra d’améliorer celui-ci, pour faire en sorte que l’action du prochain Contrôleur général des lieux de privation de liberté soit encore plus efficace.
Jean-Marie Delarue continuera d’exercer ses fonctions pendant encore un semestre. Il lui reste du travail à accomplir, et la Chancellerie continuera à lui apporter les éclairages nécessaires à l’exercice de ses missions de contrôle.
Je tiens à rendre hommage au personnel pénitentiaire. Madame la rapporteur, je vous remercie d’avoir rappelé que l’amélioration des conditions de détention contribue à celle des conditions de travail du personnel pénitentiaire et qu’il n’y a donc pas d’antagonisme entre ces deux dimensions, au contraire.
Avec les représentants des différents métiers pénitentiaires, nous avons pris un certain nombre d’initiatives. Nous avons notamment signé un protocole avec l’organisation syndicale majoritaire et adopté un plan de sécurisation des établissements pénitentiaires. En d’autres termes, nous avons conduit des actions qui améliorent non seulement la situation des personnels dans leur parcours de carrière, mais également les conditions immédiates de travail dans nos établissements pénitentiaires. Il reste encore beaucoup à faire, car un retard important a été accumulé en matière de recrutement, d’effectifs, de définition et d’évolution des métiers, de prise en compte de contrôles qui sont une garantie du fonctionnement démocratique des établissements pénitentiaires, mais qui constituent aussi une pression exercée sur le personnel : il est important que ces contrôles soient vécus comme des actes démocratiques contribuant au bon exercice des métiers de l’administration pénitentiaire.
Ces contrôles permettent d’identifier les défaillances et les obligations de l’État, les manquements de la puissance publique, et d’exonérer les personnels pénitentiaires d’un certain nombre de responsabilités que l’on a tendance à leur imputer indûment. Ces contrôles sont donc propres à faciliter l’exercice des métiers de l’administration pénitentiaire.
En conséquence, il n’existe aucun antagonisme entre, d’une part, l’amélioration des conditions de détention et le respect des droits fondamentaux des personnes détenues, et, d’autre part, la prise en compte des difficultés du travail des personnels pénitentiaires, en vue de leur permettre d’accomplir celui-ci dans des conditions plus favorables.
C’est à cette tâche que nous nous consacrons depuis vingt mois maintenant. J’ai évoqué le protocole d’accord visant à revaloriser les métiers pénitentiaires, s’agissant notamment des métiers d’encadrement et du passage de surveillant à surveillant-brigadier. Nous avons en outre mis en place un plan de formation et un groupe de travail sur les maisons centrales, ainsi qu’un plan de sécurisation des établissements, doté de 33 millions d’euros. Toutes ces mesures convergent pour améliorer les conditions de travail du personnel et les conditions de fonctionnement des établissements pénitentiaires.
Pour conclure, je salue une nouvelle fois cette initiative, qui permettra, avant la fin du mandat de M. Delarue, de consolider le rôle du Contrôleur général des lieux de privation de liberté : c’est heureux pour notre démocratie ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. François Zocchetto.
M. François Zocchetto. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, dans cette période où le Sénat est régulièrement incompris, marquée par des majorités fluctuantes, voire inexistantes, nous devons nous réjouir de la belle unanimité qui semble se dégager autour du texte que nous présente notre collègue Catherine Tasca.
Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté est une autorité protectrice des libertés qui a su trouver sa place dans nos institutions.
Les débats qui se sont tenus lors de l’examen du projet de loi organique relatif au Défenseur des droits ont permis de réaffirmer l’indépendance du Contrôleur général, puisque le Sénat a rejeté l’intégration de ce dernier au Défenseur des droits. Nous sommes heureux que cette position, qui avait été défendue par la commission des lois du Sénat, ait prévalu.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Absolument !
M. François Zocchetto. En effet, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté présente une réelle spécificité. Il n’est pas saisi par des personnes individuelles. Il visite tous les lieux de privation de liberté, à tout moment, parce que les détenus et les gardiens hésitent souvent à saisir une autorité de la défense de leurs droits, par peur des représailles. Le Contrôleur général prononce des avis et des recommandations, avec l’autorité qu’on lui connaît.
Le garde des sceaux de l’époque, Michel Mercier, avait d’ailleurs reconnu la particularité du Contrôleur général et s’en était remis à la sagesse du Sénat sur le point de savoir s’il devait ou non être rattaché au Défenseur des droits.
L’indépendance du Contrôleur général ne l’empêche pas de travailler de concert avec le Défenseur des droits, comme en témoigne la convention qui a été conclue entre ces deux institutions dès le mois de novembre 2011.
Comme l’ensemble de mes collègues, je tiens ici à saluer la qualité du travail réalisé depuis 2008 par M. Delarue. Son mandat, qui arrive bientôt à échéance, lui aura permis d’effectuer plus de 800 visites de lieux de privation de liberté. Les locaux de garde à vue représentent plus du tiers des visites réalisées, ce qui est, me semble-t-il, une bonne chose. Il ne fait pas de doute que les mentalités et les pratiques ont évolué ces dernières années grâce aux visites et aux observations de M. Delarue.
Je profite de cette occasion pour rappeler, à la suite de Mme la garde des sceaux, que ces changements sont aussi à mettre au crédit de l’administration pénitentiaire, qui a beaucoup évolué ces dernières années, notamment grâce à la formation dispensée par l’École nationale d’administration pénitentiaire. Ses fonctionnaires font évoluer le quotidien des prisons. Je ne méconnais pas les difficultés qui existent encore – notre collègue Nathalie Goulet abordera tout à l’heure le cas de la prison d’Alençon –, mais il faut aussi souligner les progrès accomplis : je me bornerai à citer, à cet égard, le travail important réalisé en matière de prévention des suicides, dont les statistiques récentes montrent qu’il a porté ses fruits.
Après plusieurs années d’exercice de ses missions par le Contrôleur général, l’heure est venue de faire le point sur le rôle de celui-ci et de s’interroger sur les éventuels aménagements à apporter à la loi du 30 octobre 2007.
Plusieurs des aménagements prévus par le texte visent à pérenniser des pratiques mises en place par M. Delarue et à les inscrire dans la loi. À l’heure où le mandat de M. Delarue approche de son terme, cela ne me paraît pas être une précaution inutile : il convient de nous assurer que son successeur continuera dans la même voie.
Ainsi, l’article 4 de la proposition de loi prévoit de rendre systématiquement publics les avis, recommandations ou propositions émis par le Contrôleur général, de même que les observations en réponse des autorités publiques. Aujourd’hui, cette publication constitue une simple faculté ; la rendre systématique représente un progrès pour notre démocratie. Je rappelle qu’il ne s’agit pas des observations formulées à l’issue de chaque visite, qui, elles, n’ont pas vocation à être publiées ; je pense que la Chancellerie partage cet avis.
J’évoquerai brièvement les amendements déposés par nos collègues écologistes et visant à étendre la compétence du Contrôleur général des lieux de privation de liberté aux établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, les EHPAD, conformément à une demande exprimée par M. Delarue dans son dernier rapport annuel.
Il semble que ces amendements ne seront pas débattus. En tout état de cause, une telle modification du champ de compétence du Contrôleur général serait à mon sens inopportune ; je crois que cette opinion est partagée par un certain nombre de nos collègues.
En effet, l’extension de la compétence du Contrôleur général à ces établissements se heurterait à plusieurs obstacles sérieux, qui avaient d’ailleurs été exposés par M. Delarue lui-même.
Le premier obstacle tient au fait qu’aucune décision d’une autorité publique n’est à l’origine du placement dans un tel établissement. Ce placement résulte toujours de la demande d’une personne privée ou de ses proches. Il est donc difficile de considérer comme un captif quelqu’un qui a demandé à être admis dans un EHPAD.
Le deuxième obstacle tient à la réalité de la privation de liberté : chacun sait qu’il n’y a pas d’interdiction d’aller et de venir pour les personnes âgées hébergées dans les EHPAD.
Je tiens à remercier une nouvelle fois notre collègue Catherine Tasca pour le dépôt opportun de ce texte législatif et pour la qualité de son travail de rapporteur, qui a fait l’unanimité. Comme elle, nous pensons qu’il est essentiel de continuer à mieux faire connaître les fonctions du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, en particulier auprès des auxiliaires de justice, notamment les avocats. Ces acteurs pourraient sans doute faire parvenir au Contrôleur général des éléments d’information utiles à l’exercice de sa mission, à condition toutefois d’encadrer l’exercice de cette faculté.
En conclusion, j’espère que la belle unanimité qui s’annonce au Sénat sur cette proposition de loi ne restera pas lettre morte et que nos collègues députés inscriront rapidement ce texte à leur ordre du jour. Nous comptons sur vous, madame la ministre, pour l’inscrire, le cas échéant, à celui qui relève du Gouvernement. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, après une latence de quelques années, la loi du 30 octobre 2007 a marqué la naissance, qui était fortement attendue, d’une nouvelle autorité administrative indépendante, chargée spécifiquement du contrôle des lieux de privation de liberté.
En effet, un consensus sur la création d’un mode de contrôle indépendant des prisons existait depuis la parution, au début des années 2000, du rapport Canivet. Sept années se sont écoulées avant que ce contrôle indépendant, dont les membres de mon groupe appelaient depuis longtemps de leurs vœux l’instauration, ne voie enfin le jour.
Permettez-moi de retracer très brièvement le cheminement de cette idée. Elle a réellement émergé en 2000, à un moment où la question pénitentiaire était sur le devant de la scène et où plusieurs rapports importants avaient paru, mettant en évidence à la fois les conditions indignes de détention dans notre pays et la nécessité d’améliorer le contrôle extérieur des établissements pénitentiaires. Je pense ici, en particulier, au rapport Canivet, ainsi qu’aux rapports des commissions d’enquête parlementaires du Sénat et de l’Assemblée nationale sur les prisons.
Sur le principe, nous étions bien évidemment favorables à l’instauration d’un contrôleur général de tous les lieux de privation de liberté, conformément à l’engagement pris par notre pays auprès des Nations unies, le 16 septembre 2005, de créer un mécanisme national de prévention des traitements inhumains et dégradants.
Concernant les modalités de sa mise en œuvre, nous avions néanmoins formulé certaines critiques sur le dispositif tel qu’instauré par le gouvernement de l’époque, jugeant que l’on nous proposait un texte a minima.
Les amendements émanant de l’ensemble des travées de gauche tendaient à faire de cette structure de contrôle une autorité incontestable, impartiale et indépendante, tant sur le plan politique que sur le plan financier.
Déjà, à l’époque, nous gagions que la première personnalité qui serait nommée, dès l’entrée en vigueur de la loi, pour exercer les fonctions de Contrôleur général saurait donner le ton quant au rôle et à la place de cette instance de prévention des traitements inhumains, en termes d’utilité, de crédibilité, d’efficacité et, bien sûr, d’indépendance.
Depuis, les différents rapports de M. Jean-Marie Delarue ont effectivement mis en exergue les points forts de cette institution, mais également ses quelques faiblesses. Leur présentation a été l’occasion de préconiser des mesures nécessaires pour conforter la place et le rôle du Contrôleur général, que personne ne songe aujourd’hui à remettre en cause.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui prévoit, comme l’a rappelé Catherine Tasca, de reprendre un certain nombre de ces recommandations, afin précisément de renforcer le cadre légal de l’action du Contrôleur général, de pallier les difficultés rencontrées par ce dernier dans l’exercice de ses missions, d’aligner un certain nombre de ses prérogatives sur celles qui ont été attribuées, postérieurement à sa création, à certaines autorités indépendantes, en particulier au Défenseur des droits, et de consacrer dans la loi un certain nombre de bonnes pratiques mises en place par M. Delarue depuis sa prise de fonctions, afin de les pérenniser.
Nous saluons l’ensemble de ces avancées, ainsi que le travail fourni par Mme la rapporteur.
La proposition de loi comporte une disposition visant à protéger les interlocuteurs du Contrôleur général, une autre destinée à lui donner accès à davantage d’informations, une autre encore consacrant sa compétence en matière d’exécution des mesures d’éloignement forcé d’étrangers en situation irrégulière.
Nous approuvons l’ensemble de ces dispositions, qui, j’en suis sûre, permettront au Contrôleur général d’exercer encore plus efficacement ses fonctions. Comme le souligne le rapport de notre collègue Catherine Tasca, aujourd’hui, au terme de cinq ans et demi d’activité, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté peut se prévaloir d’un bilan remarquable : plus de 800 établissements accueillant des personnes privées de liberté ont été visités et son action a largement contribué, très certainement grâce à la personnalité du titulaire de la fonction et à la qualité de ses collaborateurs, à faire progresser la situation des personnes privées de liberté dans notre pays.
Cependant, il ne faut pas oublier que, malheureusement, le contexte dans lequel cette institution a vu le jour demeure. En effet, la situation des prisons françaises, qui a motivé la mise en place de cette nouvelle autorité en 2007, a peu évolué. Malgré l’adoption de la loi pénitentiaire de 2009, les constats demeurent les mêmes : surpopulation carcérale, allongement progressif de la durée des peines, sans parler de la situation dans le secteur psychiatrique, dans les centres de rétention ou dans les zones d’attente.
Pour parfaire le travail du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, il reste donc au législateur à agir pour que la loi pénitentiaire soit appliquée réellement dans son intégralité.
Je souhaite aussi que des dispositifs suffisants soient inscrits au cœur de la réforme pénale que vous annoncez, madame la ministre, afin que l’action du futur Contrôleur général des lieux de privation de liberté soit à la hauteur des exigences de notre démocratie. (Applaudissements au banc des commissions.)