Sommaire
Présidence de M. Thierry Foucaud
Secrétaires :
MM. Jean Boyer, Hubert Falco.
2. Débat sur les négociations commerciales transatlantiques
M. Daniel Raoul, au nom du groupe socialiste.
MM. Jean-Pierre Chevènement, André Gattolin, Jean Bizet, Mme Nathalie Goulet, M. Michel Billout, Mmes Bernadette Bourzai, Marie-Noëlle Lienemann, MM. Jean-Yves Leconte, Alain Richard.
3. Souhaits de bienvenue à une délégation de la Chambre des Lords
4. Débat sur les négociations commerciales transatlantiques (suite)
Mme Nicole Bricq, ministre du commerce extérieur.
5. Engagement de la procédure accélérée pour l’examen d'un projet de loi
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Bel
6. Questions d’actualité au Gouvernement
MM. Nicolas Alfonsi, Frédéric Cuvillier, ministre délégué chargé des transports, de la mer et de la pêche.
MM. Philippe Dallier, Jean-Marc Ayrault, Premier ministre.
MM. Hervé Marseille, Alain Vidalies, ministre délégué chargé des relations avec le Parlement.
aides à la suite des dégâts sur le littoral atlantique
Mmes Françoise Cartron, Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée chargée de la décentralisation.
déraillement d'un train de déchets nucléaires en gare de drancy
Mme Aline Archimbaud, M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué chargé des transports, de la mer et de la pêche.
politique générale du gouvernement à la suite des vœux du président de la république
Mme Éliane Assassi, M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre.
état de catastrophe naturelle à la suite du cyclone à la réunion
Mme Jacqueline Farreyrol, M. Victorin Lurel, ministre des outre-mer.
action du gouvernement en faveur des départements
M. Gérard Miquel, Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée chargée de la décentralisation.
MM. Éric Doligé, Alain Vidalies, ministre délégué chargé des relations avec le Parlement.
feuille de route du gouvernement en matière d'égalité hommes-femmes
Mmes Laurence Rossignol, Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes, porte-parole du Gouvernement.
obligation d'installer des défibrillateurs cardiaques dans les lieux publics
M. Alex Türk, Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé.
7. Communication du Conseil constitutionnel
8. Décision du Conseil constitutionnel sur une question prioritaire de constitutionnalité
compte rendu intégral
Présidence de M. Thierry Foucaud
vice-président
Secrétaires :
M. Jean Boyer,
M. Hubert Falco.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Débat sur les négociations commerciales transatlantiques
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur les négociations commerciales transatlantiques, organisé à la demande du groupe socialiste.
La parole est à M. Daniel Raoul, au nom du groupe socialiste.
M. Daniel Raoul. Madame la ministre, vous voici devant nous pour débattre du futur partenariat transatlantique sur le commerce et l’investissement. Ce débat, auquel vous vous étiez très spontanément engagée à participer, a été organisé sur l’initiative du groupe socialiste.
En préalable, et avant d’entrer dans le vif du sujet, je salue la méthode retenue par le Gouvernement qui, avant même l’ouverture des négociations bilatérales entre la Commission européenne et le représentant des États-Unis, a choisi d’associer le Parlement, d’une part, mais aussi la société civile, les organisations non gouvernementales, ou ONG, les syndicats et les fédérations professionnelles, d’autre part.
J’en veux pour preuve trois éléments : tout d’abord, la tenue d’échanges réguliers, comme celui que nous avons aujourd’hui au Sénat, avec la représentation nationale ; ensuite, la mise en place d’un comité stratégique du partenariat transatlantique réunissant un panel de parlementaires et de personnalités qualifiées : ce comité, qui a tenu sa première réunion le 8 octobre dernier, est appelé à se réunir trimestriellement pour faire le point sur les négociations en cours et sur leurs enjeux stratégiques ; enfin, l’organisation de réunions – je pense à celle du 18 décembre dernier à Bercy – avec tous les acteurs de la société civile.
Ce souci de transparence, cette volonté d’associer les parlementaires est de nature, je crois, à satisfaire même nos collègues les plus exigeants, tel Jean Bizet.
Cette exigence de transparence que vous soutenez, madame la ministre, est particulièrement importante pour le sujet qui nous occupe aujourd’hui. On s’est rendu compte à de nombreuses occasions, parfois dramatiques – je pense à Seattle, en 1999, ou plus récemment à Gênes, en 2001, où les manifestations ont fait un mort et six cents blessés –, combien l’opacité en matière de négociations commerciales internationales ne faisait qu’alimenter la suspicion, la désinformation ou les fantasmes parfois, affaiblissant du même coup les États, privés du soutien de leurs populations dans la défense de leurs intérêts légitimes.
Aurions-nous autrefois eu gain de cause sur l’exception culturelle sans le soutien de nos concitoyens ? L’engagement de la société civile aux côtés des gouvernements est un atout et non une contrainte. Nos concitoyens sont certes quelquefois des aiguillons, mais ils peuvent être également notre soutien.
Je regrette à cet égard comme vous, madame la ministre, que les gouvernements allemand, néerlandais et danois n’aient pas accepté la publication du mandat de négociation donné à la Commission européenne par les gouvernements de l’Union le 14 juin dernier.
M. André Gattolin. Eh oui !
M. Daniel Raoul. Je le déplore d’autant plus que la France a obtenu, grâce à votre ténacité, madame la ministre, des garanties particulièrement importantes pour nos concitoyens, pour nos entreprises et pour l’Europe, notamment en matières culturelle, sociale, environnementale et stratégique.
Sont ainsi exclus du mandat les services audiovisuels et les marchés de défense, comme l’avait du reste souhaité la commission des affaires économiques, qui a adopté une résolution, devenue résolution européenne du Sénat le 9 juin 2013. Le mandat donné garantit également un haut niveau de protection de l’environnement, des travailleurs et des consommateurs, ce que Pascal Lamy appelle les « préférences collectives », préservant l’acquis des États membres et le droit des partenaires à établir des règles publiques dans ces domaines.
La question des préférences collectives est pour nous très importante tant les différences d’approche de ces enjeux sont nombreuses de part et d’autre de l’Atlantique. Il est bien évident pour nous tous, ici, qu’en aucune mesure le futur partenariat ne devra fragiliser les garanties que nous avons édictées en Europe comme en France en matière de sécurité sanitaire et de protection des consommateurs ou de l’environnement, domaines dans lesquels nos standards sont notoirement plus exigeants que ceux de nos amis américains. Je pense aux règles qui prévalent en matière d’organismes génétiquement modifiés, les OGM, de viande aux hormones, de clonage, etc.
Les négociations, qui ont déjà commencé, portent sur quatre thèmes principaux, quatre domaines majeurs.
Premièrement, elles concernent l’accès au marché des biens et des services avec l’abaissement des barrières douanières, ce qui est un classique.
Deuxièmement, elles portent sur l’ouverture des marchés publics, domaine intéressant particulièrement les entreprises françaises et dans lequel les progrès en termes d’accessibilité ne peuvent être que positifs. Comme vous le rappelez souvent, madame la ministre, mais aussi comme Laurent Fabius l’a souligné, alors que 95 % des marchés publics en Europe sont ouverts aux entreprises extra-européennes, seuls 30 % des marchés américains le sont aux entreprises étrangères. Autrement dit, notre marge de progression ne peut être que remarquable.
Troisièmement, elles traitent de la convergence et de la coopération réglementaire.
Enfin, quatrièmement – et ce n’est pas le moindre des sujets –, elles concernent le mécanisme de règlement des différends États-investisseurs dont nous avons déjà largement débattu au Sénat. Nous avons d’ailleurs exprimé notre plus grande réticence – c’est un euphémisme ! –, voire notre opposition, à sa mise en œuvre.
L’importance des enjeux en cause n’aura échappé à personne. Les bénéfices potentiels d’un partenariat transatlantique équilibré sont considérables.
Faut-il rappeler, mes chers collègues, que l’Union européenne et les États-Unis représentent ensemble près de la moitié du produit intérieur brut mondial, deux tiers des investissements en matière de recherche et développement, et un tiers des échanges mondiaux ?
Les États-Unis sont le deuxième fournisseur de l’Union européenne après la Chine, soit 14 % de nos importations de marchandises, et constituent le premier marché pour nos exportations, soit 17 %, pour un montant de 260 milliards d’euros.
Si ces échanges bilatéraux se font encore aujourd’hui au bénéfice de l’Union européenne, la balance commerciale européenne présentant un solde positif de plus de 70 milliards d’euros, il convient cependant de bien garder à l’esprit qu’au cours des quatre dernières années l’économie américaine a considérablement renforcé sa compétitivité, notamment en raison d’une forte diminution des coûts de son énergie, en particulier grâce à l’exploitation des gisements de gaz de schiste,…
M. Jean Bizet. Eh oui !
M. Daniel Raoul. … et de sa main-d’œuvre, il est vrai rendue particulièrement vulnérable en raison de la crise et d’une faible protection des droits des travailleurs.
Les négociations en cours, forts du mandat donné à la commission par les États membres, doivent nous permettre de défendre nos intérêts offensifs, de valoriser les atouts de nos entreprises et de gagner de nouvelles positions outre-Atlantique.
Le troisième cycle de négociations qui vient de s’achever à Washington clôt la phase préliminaire des pourparlers avant l’entrée en phase de réelle négociation avec, dans un premier temps, l’échange d’offres tarifaires. Le débat d’aujourd’hui tombe donc à point nommé pour nous permettre de faire le point sur l’état d’avancement des négociations. Chacun est désormais normalement en mesure de connaître les positions défendues par l’autre.
Avant d’en venir aux positions de fond, à savoir nos intérêts offensifs, défensifs, les préférences collectives ou le mécanisme de règlement des différends, j’évoquerai un point problématique de la négociation en cours, lié aux spécificités institutionnelles de notre partenaire américain.
Les négociations en cours, leur incidence réelle sur nos échanges commerciaux futurs semblent, en effet, relever d’une équation à plusieurs inconnues. Si nous avons nos propres contraintes institutionnelles – approbation du futur accord de partenariat par le Conseil européen et par le Parlement européen ; ratification par chacun des vingt-huit États membres –, la situation aux États-Unis, en raison du caractère fédéral des institutions, est autrement plus complexe. Elle est de nature à impacter les retombées effectives du partenariat négocié, d’autant que les négociateurs américains ne disposent pas d’un mandat en bonne et due forme, le Congrès n’ayant pas renouvelé depuis 2007 le Trade Promotion Authority Act, le fameux TPAA. En cas de désaccord, rien n’empêcherait donc le Congrès américain de remettre en cause le travail des négociateurs. Plus grave, quand bien même Congrès et Président auraient validé le futur partenariat transatlantique, les États fédérés comme certaines administrations américaines indépendantes pourraient très bien ne pas s’estimer liés par l’accord : treize États n’ont-ils pas fait valoir par le passé leur droit constitutionnel à ne pas appliquer les règles de l’Organisation mondiale du commerce, l’OMC, en matière d’ouverture de leur marché ?
Madame la ministre, pouvez-vous nous apporter des précisions concernant cette difficulté institutionnelle et nous indiquer, notamment, si les pourparlers engagés ont permis d’obtenir des engagements de la part de notre partenaire américain au sujet de l’implication de l’échelon « sous-fédéral » dans le champ d’application du futur accord ?
J’en viens aux positions défendues par le Gouvernement.
Comme je l’ai indiqué tout à l’heure, les entreprises françaises disposent de nombreux atouts à même de leur permettre de conquérir de nouveaux marchés outre-Atlantique. Les positions défendues par la France ne sont pas exclusives, bien au contraire, des intérêts que peuvent défendre par ailleurs nos partenaires européens.
Vous aviez évoqué, madame la ministre, l’intérêt d’une coopération renforcée avec nos amis allemands et polonais. Avez-vous pu rencontrer nos partenaires à ce sujet ? Une telle coopération serait de tout évidence bénéfique pour la défense de positions fortes, notamment, mais pas seulement, dans les domaines de l’agriculture et de l’agroalimentaire.
Notre agriculture et notre industrie agroalimentaire attendent bien évidemment beaucoup de l’abaissement des barrières tarifaires américaines particulièrement élevées dans certains cas. Madame la ministre, pouvez-vous nous préciser les intérêts offensifs et défensifs que vous défendez en faveur, notamment, de ce secteur éminemment important pour notre pays ? La France a-t-elle d’ores et déjà défini et fait connaître la liste des secteurs pour lesquels elle entendait revendiquer l’application d’une clause de sauvegarde ?
Au-delà de la levée des barrières tarifaires, notre pays a également, me semble-t-il, tout à gagner à une levée des barrières non tarifaires, ainsi qu’à une convergence réglementaire. L’enjeu est particulièrement important. La question de la convergence réglementaire concerne, en effet, les fameuses « préférences collectives » que j’évoquais au début de mon intervention. Il nous faut éviter un nivellement par le bas des règles européennes existantes en matière environnementale et sanitaire, mais également des droits des consommateurs. La reconnaissance mutuelle, la réciprocité ne doivent pas conduire à affaiblir notre droit ; il y va de l’acceptabilité sociale du partenariat. Il est essentiel d’obtenir un accord, sinon un engagement en ce sens.
Il n’est cependant pas interdit de penser que le modèle européen, en particulier le modèle social, présente un attrait grandissant pour les Américains. La couverture universelle en matière de santé, obtenue par l’administration Obama, est un indice de cette évolution.
Où en sommes-nous, également, madame la ministre, des négociations sur l’ouverture des marchés publics ? J’ai indiqué tout à l’heure qu’une telle ouverture présentait un intérêt tout particulier pour nos entreprises, très compétitives dans de nombreux secteurs, qu’il s’agisse des transports, de l’énergie, de l’eau, des services aux collectivités ou du traitement des déchets.
Ma dernière question, enfin, concerne le mécanisme de règlement des différends États-investisseurs. Bien que l’éventualité d’une telle procédure ait été strictement encadrée, à la demande de la France, la possibilité de l’inclusion d’une procédure de règlement des différends entre États et entreprises ou investisseurs figure toujours dans le mandat de négociation de la Commission européenne.
Nous aurions souhaité que cette possibilité du recours à l’arbitrage soit supprimée, comme le Sénat l’avait indiqué dans la résolution qu’il a adoptée sur ce point. Le fonctionnement des mécanismes déjà existants dans les accords de libre-échange ou les accords bilatéraux le montre assez, un tel dispositif est de nature à remettre en cause la capacité des États à légiférer, ainsi que les réglementations nationales et européennes en vigueur. Il aurait, en outre, un coût inacceptable pour les contribuables. Nous y restons opposés, même s’il est assorti de garanties.
Un premier tour de table sur cette question devait avoir lieu. Madame la ministre, avez-vous des informations plus précises sur l’état des discussions ?
Pour conclure, je dirai que l’enjeu d’un tel accord est, à l’évidence, de parvenir à un compromis win-win, ou, en français, gagnant-gagnant. Or, les discussions préliminaires le prouvent, il n’est pas sûr que les deux parties partagent véritablement les mêmes objectifs, ni que tous les pays européens en profitent réellement. Nous devons être au clair sur les objectifs de cet accord. La Commission européenne doit négocier dans cette optique : savoir ce que l’on cherche à obtenir, et non pas seulement ce que l’on serait prêt à concéder. La Commission européenne ne doit pas tomber dans le piège du principe de négociation initial posé par les Américains, selon lequel « tout est inclus, sauf si ce qui est expressément exclu ».
Quels avantages pourrait-on tirer de cet accord ? Cette question doit être posée ; elle permettrait à nos concitoyens de mieux comprendre les enjeux d’un tel partenariat. L’idée novatrice de ce dernier pourrait être – cela a été largement évoqué – l’établissement de normes mondiales pour des domaines nouveaux, encore peu réglementés, et en faire un accord modèle pour les relations commerciales internationales. Cet accord pourrait être le vecteur de progrès considérables dans les domaines de la propriété intellectuelle, mais aussi des normes sociales et environnementales.
Nous souhaitons entendre vos réponses à toutes ces questions, madame la ministre. Soyez assurée, en tous cas, de notre soutien dans vos négociations,…
M. Daniel Raoul. … et sachez que nous serons très vigilants sur le contenu final des accords. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Chevènement.
M. Jean-Pierre Chevènement. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’idée d’un partenariat transatlantique a été avancée en février 2013 par le président Obama. Dans son discours sur l’état de l’Union, il a fait apparaître l’Union européenne comme demanderesse d’un tel accord. Il est vrai que M. Barroso s’est exprimé aussitôt pour reprendre l’idée au vol. Faut-il aussi rappeler que le Parlement européen s’était prononcé dès 2009 pour la construction d’un marché transatlantique intégré à l’horizon 2015 ?
L’ouverture de cette négociation a été actée en juin 2013 par le Conseil européen. Tout est donc allé très vite ! Mais, même si le coup est parti, ce débat sur la négociation d’un accord de partenariat transatlantique est tout à fait opportun. Les propositions faites à l’instant par M. Raoul sur ce sujet sont intéressantes.
Soyons clairs, ce projet répond à un souci ancien des États-Unis : supprimer tous les obstacles à l’essor des échanges internationaux. Il correspond aussi à la programmation libérale de la construction européenne telle qu’elle résulte des principaux traités. C’est sur ces traités, d’ailleurs, que s’appuie la Commission pour ouvrir des négociations, comme elle l’a fait, par exemple, avec la Corée du Sud, avec laquelle un accord est entré en vigueur en 2011.
Le premier paradoxe de cette négociation est que l’Union européenne connaît un excédent commercial, d’une importance variable, dans ses échanges avec les États-Unis. Les chiffres oscillent, dit-on – ce ne sont pas les miens –, entre 55 milliards d’euros et 86 milliards d’euros. L’excédent est surtout le fait de l’Allemagne, pour 46 milliards d’euros. Clairement – c’est la conséquence de cette situation –, les États-Unis voient dans un futur accord le moyen d’un rééquilibrage favorisant la création d’emplois sur leur sol. Le président Obama l’a déclaré explicitement. Il faut en être conscient, mes chers collègues.
Le second paradoxe tient au fait que les bénéfices estimés de l’accord – 0,5 point de croissance étalé sur plusieurs années – sont extrêmement minimes,…
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Des cacahuètes !
M. Jean-Pierre Chevènement. … pour ne pas dire imperceptibles ! Cela me rappelle le marché unique, qui devait créer six millions d’emplois à l’horizon 1992, et qui en a détruit de trois à quatre millions cette année-là !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Exactement !
M. Jean-Pierre Chevènement. Vous voyez à quel point, mes chers collègues, les prévisions sont aléatoires !
M. André Gattolin. Absolument !
M. Jean-Pierre Chevènement. En s’interrogeant sur ce que ce signifierait réellement cet accord, madame la ministre, on constate que la vérité de ce projet doit être cherchée ailleurs.
D’abord, il s’inscrit dans la stratégie des États-Unis pour contenir la montée de la Chine.
M. Jean-Pierre Chevènement. Ensuite, il procède de la permanente offensive des firmes multinationales pour réduire le pouvoir des États.
Puissance hégémonique de la deuxième mondialisation libérale, les États-Unis ont profondément modifié leur attitude à l’égard de la Chine, dont ils n’avaient probablement pas prévu la fulgurante émergence. En 2011, ils ont lancé le Trans-Pacific Partnership, ou TPP, associant au départ huit pays, rejoints en décembre 2012 par le Japon. Pour les États-Unis, l’Asie est évidemment l’enjeu principal. Si le partenariat transatlantique ne vient qu’après, il s’inscrit néanmoins dans une stratégie d’ensemble visant à rassembler autour des États-Unis tous les pays bordant les deux océans qui les baignent, afin d’isoler autant que faire se peut la puissance montante qu’est la Chine.
Il est clair que les États-Unis n’entendent pas laisser l’Europe s’autonomiser. Ils y sont parvenus dans le domaine de la défense à travers l’OTAN. C’est également leur ambition sur le plan économique, mais aussi en matière de politique extérieure.
Les conséquences du partenariat transatlantique pour l’Europe et pour la France sont préoccupantes. Les intérêts des firmes, notamment allemandes, désireuses d’unifier les normes de part et d’autre de l’Atlantique pour pouvoir se développer sur des plates-formes à bas coût comme le Mexique, mais aussi, pour des raisons monétaires, les États-Unis, ne rejoignent pas forcément ceux des États. La délocalisation de l’industrie allemande vers d’autres plates-formes à bas coûts peut avantager les fonds de pensions, mais elle n’avantage sûrement pas les salariés allemands ! C’est une idée à faire passer à nos amis d’outre-Rhin,…
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Aux sociaux-démocrates !
M. Jean-Pierre Chevènement. … et en particulier au SPD, afin qu’ils en soient bien conscients !
Pour la France, je ne vois pas en quoi ce traité de libre-échange transatlantique nous aidera à remonter le handicap de compétitivité que vous déploriez ce matin sur les ondes de France Info, madame la ministre. Je vous ai écoutée !
M. Jean-Pierre Chevènement. La France, vous le savez très bien, est écrasée par un euro surévalué. Compte tenu de la sensibilité de notre appareil productif aux « élasticités-prix », notre position n’est pas tellement avantageuse.
M. Jean-Pierre Chevènement. J’y reviendrai.
Le partenariat transatlantique s’inscrit dans le cadre de la permanente offensive des acteurs du marché, et d’abord des grandes firmes multinationales, pour s’affranchir de la tutelle des États.
J’attire votre attention, madame la ministre, sur le pilotage de la négociation. Avez-vous vraiment un mandat clair du Président de la République et du Premier ministre pour piloter en interministériel la négociation qui s’engage, de telle manière que la France, en tant que pays membre de l’Union européenne, exerce un contrôle réel sur la Commission, et notamment sur le commissaire au commerce international ? Est-il possible que vous réunissiez sous votre autorité les différents ministères concernés : l’industrie, l’agriculture, la santé, l’économie, les finances, les transports et la défense ? Oui, la défense aussi, madame la ministre !
M. André Gattolin. Et la culture !
M. Jean-Pierre Chevènement. Vous devez pouvoir vous appuyer sur la Délégation générale à l’armement pour la préservation de nos intérêts et le maintien de la base industrielle et technologique de défense européenne. Nous savons – l’affaire des avions ravitailleurs dont a été victime EADS le montre assez – combien les États-Unis jouent en la matière un jeu tout à fait protectionniste, qui va bien au-delà du Buy American Act : c’est un régime renforcé d’application de la préférence nationale. Ce qui vaut aux États-Unis devrait valoir pour l’Europe ! Et qui défendra cette cause, si ce n’est la France ? Nous savons trop bien ce qui se passe en Europe en la matière ; nous savons ce que veut dire la libéralisation des marchés de défense. Il faut donc garder un œil sur ces sujets, madame la ministre.
J’ai peu de temps pour vous signaler, mes chers collègues, que les aides des États et les subventions agricoles de la PAC seront également dans le collimateur de la négociation. Ce sont nos préférences collectives qui sont en cause. Je pense notamment aux OGM, aux viandes traitées aux hormones de croissance, mais aussi aux appellations d’origine contrôlée. D’autres secteurs méritent une attention vigilante, comme l’industrie, et tout ce qui l’entoure, notamment.
Dans quelques secteurs, néanmoins, cet accord pourrait avoir des effets positifs, comme la prescription de normes à l’échelle mondiale. (Mme la ministre marque son approbation.)
J’attire également votre attention sur l’automobile, madame la ministre. La réglementation de l’ONU en la matière épargne jusqu’à présent les États-Unis. Il me semble, en outre, que nous devons veiller à préserver les dispositifs existants en faveur de la construction automobile.
Un point me préoccupe particulièrement : la réintroduction de l’Accord multilatéral sur l’investissement, l’AMI. Ne nous leurrons pas, il s’agit de permettre aux firmes multinationales de contester devant les tribunaux, en se prévalant du traité, ce qui restera de la réglementation des États. Par une sorte d’effet de cliquet, le traité rendrait ainsi impossible tout retour en arrière. Quelles clauses de sauvegarde entendez-vous maintenir en ce domaine, madame la ministre ?
Je terminerai mon propos en abordant une question fondamentale, qui se situe à l’arrière-plan de la négociation : la nécessaire remise en ordre du système monétaire international.
Je propose que le gouvernement français publie un mémorandum affirmant le primat de la question monétaire sur la négociation commerciale tarifaire et non tarifaire, ou du moins un traitement simultané des deux questions. Un serpent monétaire transatlantique permettrait une remise en ordre en douceur des parités pour tenir compte du niveau réel de compétitivité et favoriser ainsi un redémarrage de la croissance, qui bénéficierait aux deux rives de l’Atlantique.
Madame la ministre, il n’est pas possible de parler de libre-échange quand les parités monétaires peuvent varier du simple au double dans le cours d’une même décennie, entre 2000 et 2010 précisément, pendant laquelle la valeur d’un euro est passée de 82 centimes de dollar à 1,6 dollar !
Peut-être faut-il même voir plus large, et se situer dans la perspective d’une réforme du système monétaire international tout entier. Nous allons vers l’internationalisation du yuan. Il faudra donc créer un système monétaire où les principales devises mondiales pourraient fluctuer de manière ordonnée, dans des fourchettes périodiquement renégociées.
La négociation d’un accord de libre-échange transatlantique pose ainsi le problème de l’avenir de la mondialisation. Il ne faut pas l’aborder par le petit bout de la lorgnette. La France apporterait une contribution conforme à son génie si elle proposait d’introduire dans la négociation un paramètre ainsi essentiel que celui de la monnaie.
L’enjeu de cette négociation est trop important, madame la ministre, pour qu’on ne vous donne pas tous les moyens de la piloter dans l’intérêt de la France aussi bien que de l’Union européenne. Celle-ci a besoin d’une France vigilante pour ne pas passer sous les roues du char ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. André Gattolin.
M. André Gattolin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, concevoir le projet de traité dont il est question ici « comme un accord bilatéral de libre-échange de plus, alors qu’il s’agit de l’accord bilatéral de trop, révèle [...] une myopie stratégique étonnante ».
Mme Bernadette Bourzai. Très bien !
M. André Gattolin. « Comment l’expliquer sinon [...] par le conformisme néolibéral qui prévaut toujours dans les enceintes européennes malgré la crise, et […] par l’activisme des lobbies ? » Dans ce domaine, « les affinités politiques ou mercantilistes entre Londres et Berlin et Washington ont aussi joué à plein. »
Ce propos très critique à l’endroit du Transatlantic Trade and Investment Partnership, ou TTIP, que je partage largement, n’est pas le mien, mes chers collègues : c’est celui de Pierre Defraigne, que chacun connaît. Il s’agit d’un économiste et ancien haut-fonctionnaire européen, qui fut le bras droit de Pascal Lamy à Bruxelles ; un homme, en somme, qu’on ne peut soupçonner d’être un eurosceptique acharné, un anti-américain ou encore un anti-libéral viscéral.
Voilà matière, je pense, à donner à réfléchir à l’ensemble de la classe politique européenne et des décideurs nationaux.
Ce projet de traité, le TTIP, s’inscrit dans un double mouvement. D’une part, il poursuit des intentions déjà anciennes : supprimer autant que possible les obstacles au commerce et à la circulation des capitaux entre l’Europe et les États-Unis. D’autre part, il participe d’une dynamique plus récente, et qui a été très lourdement renforcée par l’actuelle Commission européenne, en particulier par Karel De Gucht, le commissaire en charge du commerce international : je veux parler de la démultiplication des traités de commerce bilatéraux, tandis que l’Organisation mondiale du commerce, l’OMC, ne cesse depuis plus d’une décennie de s’affaiblir encore et encore.
Ce n’est un secret pour personne, l’Europe ne s’est jamais construite contre, ni même en dépit des États-Unis. L’histoire de l’Union européenne est largement celle d’un compagnonnage avec ces amis et alliés, qui sont à l’origine du rapprochement entre ceux qui allaient devenir les fondateurs de la CECA, la Communauté européenne du charbon et de l’acier. Mais l’Union européenne a aussi pu, et su, au cours du temps, affirmer et conserver une identité qui lui était propre, une identité fondée sur une culture largement partagée, celle de la démocratie libérale, de la norme que l’on veut fonder « en raison », comme un souvenir du Siècle des lumières.
C’est peu de dire que la norme, les lois, les règles occupent, de fait, une place prépondérante dans notre organisation politique et sociale ! Certains s’en plaignent sans cesse, surtout de l’autre côté de la Manche. On peut évidemment juger ce système perfectible, et il l’est très amplement, mais c’est bel et bien cette approche qui a doté l’Europe, et notamment la France, de systèmes sociaux, de défenses juridiquement contraignantes des libertés fondamentales, et de normes sanitaires et environnementales que beaucoup nous envient.
Quelles seraient les conséquences concrètes du TTIP, si celui-ci devait être conclu, signé, voté et mis en application ?
Le moins que l’on puisse dire, c’est que les droits de douane n’en souffriraient guère. Ils sont en effet déjà très bas entre l’Union européenne et les États-Unis puisque, pour l’entrée sur le marché européen depuis l’autre côté de l’Atlantique, les taux sont en moyenne de 5,2 %, et, pour l’entrée sur le marché américain, ils sont en moyenne de 3,5 %.
En fait, les « barrières » que le TTIP veut abaisser, ce sont surtout les barrières sociales, sanitaires et environnementales. Ce sont aussi les règles d’attribution des marchés publics dont nous avons parlé, et les difficultés que cela crée d’État à État, comme nous en avons connu de province à province dans les accords avec le Canada.
Les hydrocarbures les plus polluants, issus de l’exploitation du gaz de schiste ou des sables bitumineux, pourront-ils être importés en Europe ? Les OGM pourront-ils aussi y être légalement commercialisés, comme pourrait l’être la viande de bœuf élevé aux hormones ? Dans quelle mesure Monsanto, les géants pharmaceutiques, ou encore les géants du numérique américains, pourront-ils renforcer leurs positions, souvent déjà extravagantes, sur l’économie européenne ?
Tels sont quelques-uns des enjeux qui sont devant nous, sachant que nous ignorons totalement, à l’heure actuelle, comment les éventuels conflits entre les États-Unis et l’Union européenne, voire entre les entreprises et les États, pourront être résolus.
Certes, l’on nous dira que les négociations en cours visent à lever ces incertitudes. Mais elles débutent dans une opacité quasi complète – en dépit de la tenue aujourd’hui de ce débat, que nous tenons à saluer.
La Commission européenne a reçu un mandat extrêmement large des États membres, conformément aux souhaits de Mme Merkel et M. Cameron. Les rares domaines qui ont été exclus a priori des discussions – à savoir la culture, et encore pas toute la culture, et l’armement – peuvent y être réintroduits à tout moment, ne serait-ce que pour faire pression sur d’autres points. Sans doute devrions-nous auditionner au Sénat M. De Gucht pour obtenir quelques précisions sur tout cela, comme l’ont fait nos collègues de la Tweede Kamer, le Sénat néerlandais. Je les ai rencontrés cette semaine ; ils ont pu obtenir une audition et s’expliquer de parlement à commissaire en charge.
Mais le dogmatisme et le manque de vision à moyen terme de ce projet semblent déjà caractérisés ! Selon ses défenseurs, le TTIP apporterait à l’Europe un demi-point de croissance supplémentaire, mais on ignore de quelle croissance il s’agirait, quels seraient les emplois induits et quels secteurs en bénéficieraient, voire si un tel demi-point de croissance apparaîtrait effectivement dans nos bilans économiques.
On voit bien que certains pays, notamment certaines zones portuaires du nord de l’Europe, comme Rotterdam ou Anvers, qui bénéficient déjà d’une forte activité et de dispositions fiscales extrêmement favorables, en profiteront, au détriment évidemment d’autres États membres. Donc, qu’en serait-il du reste ?
Le président de la commission des affaires européennes du Sénat, notre collègue Simon Sutour, a, à juste titre, réclamé à plusieurs reprises la réalisation d’études d’impact détaillées, État par État – et même région par région –, pour mieux cerner les coûts, les avantages éventuels et les disparités qui résulteraient de ce traité. C’est une pratique courante de l’autre côté de l’Atlantique. Cela se fait province par province au Canada, État par État aux États-Unis. Qu’attendons-nous pour les lancer et les communiquer à nos parlements nationaux ?
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je suis un fervent partisan d’une Europe unie et fédérale, et un grand ami de l’Amérique du Nord. C’est donc avec d’autant plus de franchise que je me permets de vous dire que, en l’état, ce projet est mauvais. Il existe d’autres façons d’entretenir et de renforcer nos liens avec les États-Unis. Nous devons en prendre conscience avant de nous laisser piéger.
Cela aurait déjà dû être fait lorsque le scandale des écoutes de l’Agence nationale de sécurité américaine, la NSA, a éclaté. Ce dernier a prouvé que les dés étaient pipés dès le début, puisque les Américains ont manifestement les moyens de tout savoir de nos priorités et de nos exigences. Ce sont des méthodes que l’Europe ne peut plus accepter !
Au reste, je ne suis pas certain que, au final, le Parlement européen votera ce projet de traité, quand bien même la Commission européenne et une majorité d’États y trouveraient officiellement leur compte, car c’est précisément sur des textes de ce genre que le Parlement européen trouve encore matière à affirmer son indépendance. Mais si tel était le cas, les dommages seraient très grands, car notre incapacité à réagir rapidement aura sans doute aggravé le scepticisme des citoyens européens vis-à-vis de leurs propres dirigeants et vis-à-vis de nos amis.
Alors que les institutions européennes seront renouvelées prochainement, nous devons œuvrer avec détermination à une réorientation des politiques de l’Union, et cela passe à notre sens par une remise en question de ce projet.
M. le président. La parole est à M. Jean Bizet.
M. Jean Bizet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de me réjouir de la tenue de ce débat consacré au Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement. Il est important que le Sénat s’en préoccupe et en informe ainsi, par la même occasion, nos concitoyens qui, eux, le vivront au quotidien.
J’aurais souhaité, il est vrai, que nous en arrivions au niveau du Sénat néerlandais, qui a été rappelé par notre collègue André Gattolin. Ce souhait n’est pas nouveau, et même si nous savons très bien que le négociateur sera le commissaire européen – et cette architecture nous satisfait pleinement –, il n’en demeure pas moins important que, sur de tels sujets, des échanges puissent avoir lieu avec les parlements nationaux.
Notre économie est totalement mondialisée et toute amélioration des flux commerciaux est un avantage incontestable pour le quotidien de nos entreprises et, par conséquent, pour l’emploi dans nos territoires. Si je me réfère à la récente étude d’un cabinet économique londonien, le bénéfice attendu d’un tel accord se chiffrerait – j’use à dessein du conditionnel – à hauteur de 119 milliards d’euros par an pour l’Union européenne, ce qui équivaudrait à 545 euros par ménage. Madame la ministre, avez-vous pu conforter, infirmer ou confirmer, une telle analyse d’étude d’impact ? Ce n’est pas facile, je le sais, mais, par les temps qui courent, alors que la reprise économique européenne, notamment française, est encore timide, nous aurions là une opportunité qui, de plus, n’engage nullement les finances de notre pays.
À l’examen des conditions de ce contrat bilatéral entre les États-Unis et l’Europe, il semble que nous soyons plus dans le réglementaire que dans le tarifaire. En effet, au fil du temps, comme cela a été rappelé, la moyenne des droits de douane entre ces deux continents a été abaissée aux alentours de 4 %. On peut difficilement imaginer obtenir une baisse supplémentaire. En revanche, les obstacles non tarifaires restent nombreux : ce sont les normes, les règles administratives, les contingences bureaucratiques, autant de paramètres qui ralentissent les échanges et qui, au final, ont un coût – un coût précisément payé par le consommateur.
Ce projet de partenariat n’est nullement en opposition avec l’accord multilatéral obtenu lors de la conférence ministérielle de l’OMC à Bali, fin décembre. Le bilatéralisme est complémentaire du multilatéralisme, chacun le concède, même si, pour ma part, j’ai un faible pour le multilatéralisme.
M. Jean Bizet. De plus, ce contrat, s’il parvient à son terme, permettrait de recentrer en hémisphère nord un commerce mondial qui se cristallise de plus en plus sur l’Asie.
Il convient également de préciser deux éléments fondamentaux.
Les exigences sanitaires et environnementales ne seront pas l’objet d’une harmonisation à la baisse. L’Union européenne s’est fixé un niveau d’exigence élevé en la matière, résultant d’une forte demande sociétale. Les standards européens seront donc maintenus. Il faut le dire très clairement afin de rassurer sur ce point nos concitoyens qui, par définition – c’est un mal français –, ont le sentiment de vivre une société d’inquiétude et perçoivent la mondialisation plus comme une fatalité que comme une opportunité.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Et ils ont raison !
M. Jean Bizet. Autre exigence nécessaire pour sécuriser les investisseurs aux États-Unis, évoquée également par Daniel Raoul : il convient de créer un règlement des différends entre investisseurs et État, afin d’optimiser et de protéger les industries européennes qui s’engageraient – c’est ce que nous souhaitons – sur le territoire américain.
À cet égard, trois domaines d’activité méritent une attention particulière afin d’éviter toute distorsion des échanges.
J’attirerai tout d’abord votre attention, madame la ministre, sur la propriété intellectuelle des marques et des produits sous IGP, indication géographique de provenance, en agroalimentaire.
Mon récent déplacement à Washington près de nos conseillers économiques de l’ambassade et le point que j’ai pu faire par téléphone hier matin, de bonne heure, m’ont permis de noter que, lors du prochain et traditionnel discours sur l’état de l’Union prévu le 28 janvier, le président Obama annoncerait…
M. Jean Bizet. … sa volonté de concrétiser rapidement l’Accord de partenariat trans-pacifique. Les marques et IGP ne feraient pas partie de la négociation, les partenaires des États-Unis y attachant peu d’importance.
D’après ce que j’ai pu analyser, les États-Unis souhaiteraient par la suite adopter sur ce point précis une position identique avec l’Union européenne. Or les marques, et surtout les IGP, sont l’image et la signature de l’agroalimentaire européen, et principalement français, fruit de l’investissement et du savoir-faire de nos agriculteurs.
Établir des comparaisons entre ces deux accords est assez délicat : on ne saurait comparer les pays de la zone Pacifique et ceux de l’Union européenne, car toute déclinaison identique sur ce point précis entre ces deux continents ne serait pas convenable. Aux yeux des consommateurs et sur les marchés, ces « signatures agroalimentaires » ont un prix, un prix élevé. C’est d’ailleurs un dossier qui est toujours en négociation au sein du cycle de Doha. (Mme la ministre acquiesce.) Même si nous sommes parvenus à un accord à Bali, ce point ne fait toujours pas partie des négociations, et c’est précisément un point sur lequel il y a toujours un blocage des Américains.
Il faut donc, dans cet accord transatlantique, rester ferme et exigeant sur ce sujet, au moment précis où l’on voit les exportations de fromages français croître de 20 % à 40 % par an et à la veille de la fin de quotas laitiers prévus pour 2015. Élu de Normandie, je ne pouvais laisser passer ce sujet, absolument majeur.
Mme Nathalie Goulet. Effectivement !
M. Jean Bizet. Sans vouloir être provocateur, mais pour être encore plus explicite, au moment où la guerre du champagne est en train de trouver son règlement, il ne serait pas responsable d’ouvrir celle du camembert !
Mme Nathalie Goulet. Je suis d’accord !
M. Jean Bizet. Le deuxième sujet que je souhaitais aborder, madame la ministre, a trait aux biotechnologies.
Je n’ignore pas que ce sujet fait partie des préférences collectives. Daniel Raoul et moi-même partageons une analyse rigoureusement identique sur ce point.
Mais j’aborderai la question non pas sous cet angle, mais sous celui de l’importation de céréales américaines. Nous sommes contraints d’importer 75 % de la couverture alimentaire de nos animaux. Cette proportion est malgré tout en baisse, il faut l’avouer, à la suite de la production de tourteaux issus de la filière biocarburant. Mais ces céréales américaines étant très majoritairement OGM, vingt-deux traits génétiques font l’objet d’un avis scientifique positif de l’Autorité européenne de sécurité des aliments – il s’agit de l’European Food Safety Authority, ou EFSA – et n’ont toujours pas reçu d’homologation à l’importation.
On n’est pas là dans le cadre du traité transatlantique, mais, dans l’hypothèse d’un accident climatique au niveau du continent européen, cette rétention administrative présente le risque non négligeable de placer l’élevage français en difficulté d’approvisionnement. Il faut être à cet égard extrêmement pragmatique : dès lors qu’un avis scientifique très clair a été émis, il nous faut adapter nos réglementations, ne pas faire de rétention administrative et assurer un flux normal d’activité économique en la matière.
Nous devons être conscients de ce risque. La transparence sur ce dossier est à mon sens loin d’être optimale, et il serait pertinent de faire des progrès en ce domaine.
Le troisième et dernier sujet concerne la fiscalité des activités numériques.
Cet aspect du numérique n’est pas non plus spécialement au cœur de l’accord. Cela étant, nous avons une opportunité extraordinaire de commencer à aborder plus concrètement ce sujet avec nos amis américains en nous accordant sur la notion d’« établissement stable virtuel ». C’est d’ailleurs la réflexion qui est en cours au Sénat, qu’ont évoquée Philippe Marini et Charles Guené.
Ce concept d’« établissement stable virtuel » permettrait d’appréhender dans chaque État l’activité des géants du numérique afin de fiscaliser à terme leur activité. Je ne suis pas un ayatollah de la fiscalisation, mais il est bien évident que, face à ce nouveau type d’activité, nous aurions là une opportunité de moraliser ce type d’activité.
C’est un travail de longue haleine qui ne peut se faire que dans le cadre de la renégociation des conventions fiscales bilatérales sous l’égide de l’OCDE, par exemple. Le Sénat s’est saisi, au travers d’une récente mission présidée par notre collègue Gaëtan Gorce, de la gouvernance européenne numérique. La fiscalisation y sera obligatoirement abordée. Le début de ces négociations transatlantiques serait l’occasion de reposer le problème, car, si la fiscalisation des activités du numérique nous pose problème en Europe, elle soulève également des difficultés dans toutes les autres parties du monde.
À Bali, dans le cadre de l’union interparlementaire, alors que je m’étais permis de déposer un amendement sur ce point, je me suis fait – pardonnez-moi l’expression – renvoyer dans mes lignes…
M. Jean Bizet. … par la délégation chinoise parce que je souhaitais casser la notion de monopole en la matière. Naïvement, j’imaginais que nos amis chinois pensaient que Google n’était pas insurmontable. Ils veulent créer un Google chinois. Il est donc temps de poser le problème. Si nous n’y parvenons pas, il sera extrêmement difficile à terme de pouvoir moraliser ce type d’activité.
En conclusion, madame la ministre, je souhaiterais rappeler deux évidences qui influent fortement sur ces négociations.
Comme je l’ai dit tout à l’heure en préambule, il est impératif de rester exigeant sur les niveaux de sécurité sanitaire et de qualité environnementale imposés à nos entreprises depuis de nombreuses années de façon quelque peu unilatérale. Ces contingences ont été autant d’éléments de distorsion de concurrence par rapport à d’autres entreprises étrangères. Il est donc temps aujourd’hui que nous permettions à nos entreprises d’engranger les bénéfices de ces investissements et de ces contingences.
Le principe de réciprocité doit aujourd’hui clairement s’exprimer. Il est maintenant intégré dans le cadre des négociations OMC, ce qui n’était pas évident au début. Ce principe, soulignons-le, doit s’appliquer dans toute sa rigueur et nous permettrait, si je puis dire, de retrouver un peu de compétitivité.
Compétitivité : le mot est prononcé, madame la ministre.
M. Jean Bizet. Voilà quelques mois, il était difficile de le prononcer.
M. Jean Bizet. Pourquoi concevoir et, je l’espère, conclure cet accord si notre politique nationale aboutit à fragiliser – j’étais jusqu’à maintenant gentil, je le deviens un peu moins… – nos entreprises, compte tenu d’une fiscalité insupportable et d’une quantité de normes ou d’exigences bureaucratiques insoutenables ?
La compétitivité de l’industrie française n’est plus. Soyons clairs, cela ne date pas du 6 mai 2012.
M. Daniel Raoul. Ah, quand même !
M. Jean Bizet. Bien évidemment !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Surtout que ces exigences sont à 80 % la transcription de normes européennes !
M. Jean Bizet. Mais il faut reconnaître que, depuis cette date, le gouvernement auquel vous appartenez, madame la ministre, a sérieusement chargé la barque !
Tout à l’heure, notre collègue Jean-Pierre Chevènement, dont j’apprécie chaque fois les analyses, à défaut d’en goûter toujours leur conclusion, nous a dit : attention de ne pas passer entre les roues du char allemand ! (M. Jean-Pierre Chevènement fait un signe dubitatif.) Il n’a pas prononcé le mot « allemand », c’est moi qui l’ajoute.
M. Jean-Pierre Chevènement. En l’occurrence, le char est plutôt américain… (Sourires.)
M. Jean Bizet. Entre les roues du char et les voies d’eau du paquebot France, madame la ministre, je suis inquiet. Il nous faut donc retrouver de la compétitivité.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Vous passez votre temps à dénigrer la France !
M. Jean Bizet. Je terminerai en soulignant que la mise en œuvre des instruments de convergence et de compétitivité, les ICC, qui ont été clairement abordés lors du dernier conseil européen de décembre, est une réelle urgence. Sur ce sujet précis, sachez-le, l’opposition pourrait se montrer particulièrement constructive, car il en va non pas de l’intérêt d’un parti, mais tout simplement de la France.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, j’espère que vous voudrez bien excuser ma petite forme matinale. Rentrant des États-Unis, je suis en effet en plein décalage horaire.
Nous poursuivons ce matin l’Amazon bashing amorcé hier lors du débat sur la politique culturelle de la France et les difficultés à la soutenir face à un géant américain.
J’évoquerai rapidement trois points.
Tout d’abord, je reviendrai sur le problème de l’agriculture, que Jean Bizet a déjà évoqué. Ensuite, je parlerai des régulations financières : c’est un point qui est à la limite des accords dont il est question aujourd’hui, mais il me paraît important d’y faire référence, d’autant qu’ayant été vice-présidente de la commission d’enquête sur l’évasion fiscale je crois qu’il y a, à cet égard, beaucoup à faire. Je terminerai par les données personnelles.
Il faut savoir que, lorsqu’on entreprend une négociation avec les États-Unis, c’est toujours bon pour les États-Unis ; quand les Américains cherchent à négocier quelque chose, c’est qu’ils y ont un avantage. L’Europe a pour habitude de marcher en ordre dispersé. Marcher d’un seul pas est un peu plus compliqué : la Grande-Bretagne va essayer de maintenir sa place financière, et l’Allemagne sa place industrielle. Compte tenu du fait que la France a une politique de défense, une politique culturelle, une politique agricole, elle a beaucoup plus à perdre qu’à gagner d’un accord qui serait mal négocié entre l’Europe et les États-Unis.
Sur l’agriculture, vous n’en voudrez pas à la sénatrice de l’Orne de vous parler du camembert, même si mon voisin de la Manche l’a déjà fait.
Mme Nathalie Goulet. Bien sûr, mais le Pont-l’évêque, c’est dans le Calvados !
Mme Nathalie Goulet. En effet, soyons normands, nous sommes entre nous, et c’est un débat tout à fait d’actualité !
Beaucoup d’agriculteurs et de consommateurs craignent que n’arrivent dans nos assiettes des produits transgéniques ou du moins ne respectant pas les normes sanitaires européennes. Ce débat semblait tranché en France depuis la décision du 18 juin 2008 du Conseil constitutionnel. Qu’en sera-t-il après l’adoption de cet accord ? Les États-Unis vont-ils revoir à la hausse leurs normes OGM, ou les pays européens devront-ils revoir leurs standards à la baisse ?
Mme Nathalie Goulet. De la même manière, cet accord conduira-t-il à qualifier les aides directes et les primes versées par la PAC de subventions directes, et donc à les regarder comme des distorsions de concurrence, ou seront-elles épargnées ? Ces craintes pèsent sur l’activité des exploitants agricoles et des éleveurs. Elles peuvent freiner leur décision d’investissement et un certain nombre de perspectives de reprises, compte tenu de l’importance du secteur agricole dans l’économie française.
La nouvelle économie n’est pas moins atteinte par ces incertitudes.
Les banques de la place new-yorkaise ont récemment porté un coup d’arrêt aux tentatives de régulation bancaire initiée à la suite de l’adoption de la loi bancaire américaine en juillet 2010. La mise en œuvre de ce texte avait été volontairement retardée pour favoriser le dynamisme des marchés financiers et la reprise de l’investissement outre-Atlantique. En France, nous venons tout juste de mettre en place un régime de séparation des activités de détail et de spéculation au sein des établissements bancaires. Là aussi, de quel côté penchera la balance ?
En l’état actuel, il semblerait que l’acte de décès de la régulation financière soit signé. Le secrétaire d’État américain au Trésor a proposé en novembre dernier d’exclure la finance du champ des négociations pour que cette question soit abordée au G 20. Cette annonce a suscité une levée de boucliers à Wall Street, mais aussi en Allemagne.
On se rappelle tous que la crise financière est partie des États-Unis. Mais les mauvaises habitudes ont été reprises bien rapidement, dès les premières craintes passées, et après le renflouement d’un certain nombre de banques. Ces mauvaises habitudes sont clairement de retour aux États-Unis et sur la place financière.
L’Europe et les États-Unis représentent 60 % du volume d’activité des marchés bancaires et financiers. L’intégration de leurs services dans l’accord entraînerait deux phénomènes qui reviendraient purement et simplement à rayer le mot « régulation » de la carte au moment où la France et l’Europe tentent précisément d’instaurer cette régulation. Je pense que le marché a besoin de cette régulation, faute de quoi nous ne sommes pas à l’abri d’une deuxième crise financière, semblable à celle que nous avons essuyée.
L’harmonisation des normes applicables aux produits et services bancaires et financiers est totalement contradictoire avec le travail législatif engagé depuis 2009. Les lois de régulation bancaire qui ont été adoptées ou sont en cours d’adoption aux États-Unis et en Europe ne sont pas strictement les mêmes. La loi Dodd-Frank aux États-Unis, qui est en cours de mise en œuvre, porte davantage sur l’adoption d’une série de mesures prudentielles que sur l’élaboration d’une filialisation à l’image de la loi française.
Qu’en sera-t-il de l’agrément bancaire ? Une banque américaine pourra-t-elle s’installer librement sur notre territoire ou du moins y distribuer ses services ? Aurons-nous la coexistence de deux secteurs, une banque régulée et une banque dérégulée ?
L’accord prévoit un mécanisme d’harmonisation au forceps. Là, madame la ministre, nous avons vraiment fort à faire compte tenu de la porosité de ce secteur.
J’en viens, pour finir, à la question des données personnelles.
Le récent scandale des écoutes de la NSA a réactivé ce problème. Les firmes, qui font peser un risque sur la protection des données personnelles et qui travaillent de concert avec les autorités de surveillance américaines, sont évidemment intéressées à la conclusion de cet accord. Facebook dispose d’un quasi-monopole dans la gestion des données en Grande-Bretagne. Qu’en sera-t-il pour Amazon, Apple ou Google ? Comment pourrons-nous développer une offre alternative en France face à l’emprise de tels géants ? Comment pouvons-nous lutter pour la protection des données personnelles ?
Nous avons déjà vu dans la loi de programmation militaire les difficultés qu’il y avait à instaurer cette protection des données.
Le 20 janvier prochain nous sera soumis un texte sur la géolocalisation qui posera exactement le même type de problèmes.
À titre personnel, je pense qu’il est tout à fait illusoire de croire que l’on peut véritablement protéger des données, compte tenu de la place qu’occupent dans nos vies les réseaux et les objets connectés. Dès que nous allumons notre téléphone portable, nous acceptons à la fois la géolocalisation et la transmission des données, y compris personnelles. Cependant, il nous faut tout de même mener ce combat.
Pour en revenir à ces négociations commerciales transatlantiques, j’ai le sentiment que la régulation bancaire et la protection des données personnelles sont des éléments absolument fondamentaux, qui marqueront l’empreinte de la France et de l’Europe face à la dérégulation prônée par les États-Unis, lesquels n’ont absolument rien appris de la crise économique et sont prêts à sombrer de nouveau, en nous entraînant avec eux dans leur naufrage.
M. le président. La parole est à M. Michel Billout.
M. Michel Billout. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous débattons ce matin, à la demande du groupe socialiste, des négociations commerciales transatlantiques. Il s’agit d’une initiative particulièrement utile car, malgré ce que prétend la Commission européenne, la plus grande opacité règne sur ces négociations.
Je constate vos efforts, madame la ministre, pour communiquer régulièrement sur le sujet et mettre en place un certain niveau de concertation, mais l’opacité en vigueur à l’échelon européen est un très mauvais signal envoyé aux citoyens, qui sont appelés à élire leurs députés européens en mai prochain. Le contenu de ces négociations devrait pourtant constituer un grand enjeu de ces élections.
En l’état, la négociation du partenariat transatlantique fait apparaître de grandes similitudes avec celle du projet d’accord multilatéral sur l’investissement, l’AMI, qui s’est déroulée entre 1995 et 1997. La divulgation in extremis d’une copie de ce dernier avait alors soulevé un tollé général, et le projet avait été remisé.
Quinze ans plus tard, nous voici confrontés à un nouveau projet de partenariat transatlantique de commerce et d’investissement entre l’Union européenne et les États-Unis.
S’il s’agissait d’une harmonisation vers le haut permettant une amélioration des règles sanitaires, sociales, économiques, environnementales, ce projet d’accord pourrait constituer une avance très positive. Cependant, lorsque l’on prend connaissance des éléments d’information qui filtrent çà et là, on constate qu’il présente au contraire un certain nombre de menaces pour les droits sociaux et l’emploi, l’environnement, l’agriculture, les droits civiques, la vie privée, la santé, la régulation financière et la démocratie.
Tout d’abord, j’émets quelques doutes quant à la véracité des schémas économiques proposés. Il faut savoir que la quasi-totalité des études réalisées en vue de l’élaboration de cet accord ont été financées par des acteurs largement favorables au libre-échange : c’est la raison pour laquelle on ne trouve que des prévisions très optimistes sur les retombées économiques de ce partenariat.
Le commissaire européen au commerce, reprenant à son compte ces études, estime que ces retombées « devraient être de l’ordre de 0,5 % à 1 % du PIB européen, avec à la clef des centaines de milliers d’emplois créés »…
La réalité pourrait se révéler bien différente. Ces prévisions doivent être prises avec la plus grande précaution, car elles sont décrites par de nombreux spécialistes comme extrêmement spéculatives. Elles sont fondées sur une hypothèse d’augmentation de la croissance de 0,5 %, que la Commission elle-même juge « optimiste ». Même le département du Parlement européen chargé des études d’impact les a critiquées, pointant notamment « l’absence de vérification quant à la crédibilité du modèle employé, qui semble basé sur un certain d’hypothèses idéalisées ».
Faute de véritables études d’impact indépendantes, nous pourrions considérer les précédentes expériences d’accords commerciaux, par exemple l’Accord de libre-échange nord-américain, l’ALENA, qui présente de nombreuses similitudes avec le présent projet et qui a conduit à la destruction de près de 1 million d’emplois aux États-Unis, alors que l’État fédéral promettait la création de 20 millions d’emplois… Une dégradation des conditions de travail a également été constatée.
Il me semble indispensable, pour la réussite de ce type d’accord, que la priorité soit aussi donnée au progrès social et à l’amélioration des conditions de travail. Si l’on veut éviter que surviennent de nouvelles crises, on ne saurait fixer pour seule priorité de libéraliser encore plus les marchés, de protéger seulement les investisseurs et les secteurs financiers.
Il me semblerait donc indéfendable que les politiques de protection sociale et de droit du travail, considérées comme des « barrières non tarifaires », soient mises à mal au travers de cet accord.
Certes, des dirigeants européens nous affirment que le mandat de négociation garantit un haut niveau de protection de l’environnement, des travailleurs et des consommateurs, préservant l’acquis réglementaire des États membres de l’Union européenne et le droit des partenaires à établir des règles publiques dans ces domaines. Cependant, compte tenu des disparités existant au sein même de l’Union européenne, pouvez-vous nous préciser, madame la ministre, comment on peut caractériser un « haut niveau de protection » ?
Au travers de nombreuses déclarations, des responsables européens soutiennent en outre que la haute qualité des services publics européens devra être préservée, en conformité avec leur reconnaissance par les traités européens. Les engagements internationaux déjà pris par l’Union européenne, notamment au sein de l’Accord général sur le commerce des services, l’AGCS, élaboré par l’OMC, doivent rester la référence, mais, là encore, je m’inquiète sincèrement pour le devenir de ces services publics, car nous savons que le futur traité a aussi vocation à porter sur les secteurs non marchands.
Le Sénat, dans sa résolution adoptée en juin dernier, a souligné un certain nombre de priorités européennes pour ces négociations. Certains principes me paraissent intangibles, tels la préservation de la sécurité sanitaire, la non-brevetabilité du vivant, le maintien des restrictions applicables à la diffusion des OGM. Or, de grandes firmes états-uniennes comme Monsanto exercent une forte pression afin que ces derniers puissent être écoulés sur le marché européen.
Les normes de qualité dans l’alimentation sont, elles aussi, prises pour cibles. Pour l’industrie agroalimentaire américaine, la réglementation européenne doit être assouplie et autoriser, par exemple, la désinfection des poulets au chlore ou l’utilisation de la ractopamine dans l’élevage porcin : ce médicament, destiné à « gonfler » la teneur en viande maigre, est pourtant interdit dans cent-soixante pays, dont la Chine et la Russie… Il est donc indispensable que le futur accord reconnaisse la possibilité, pour chaque partie, d’apprécier différemment le risque alimentaire, sanitaire ou environnemental.
La proposition de résolution européenne du groupe CRC relative au respect de l’exception culturelle dans le mandat de négociation, reprise en partie dans la résolution du Sénat, me semble également importante au regard de la préservation de la diversité culturelle, cette richesse indispensable. Seule l’exception culturelle a permis à la France et à l’Europe de maintenir une offre culturelle propre, vivante, d’une grande qualité et d’une grande diversité. Elle est vitale pour la création.
La France a toujours défendu avec force l’application de l’exception culturelle en Europe, l’identité et la diversité culturelles contre le commerce international. Mais cette bataille, malgré l’exclusion des services audiovisuels du champ du mandat de négociation, est loin d’être gagnée. Il est donc nécessaire de rester très vigilants.
Le mécanisme de règlement des différends est un autre point auquel il me paraît essentiel d’être attentifs. Pour le moment, on nous indique que la décision finale sur l’inclusion même d’un tel mécanisme dans le traité est renvoyée à une date ultérieure et sera prise après consultation des États membres. Imaginez les conséquences dramatiques que pourrait avoir la création de tribunaux spéciaux chargés d’arbitrer les litiges entre les investisseurs et les États et dotés du pouvoir de prononcer des sanctions commerciales contre ces derniers ! De telles dispositions existent pourtant dans certains traités commerciaux. Ainsi, l’Organisation mondiale du commerce a condamné l’Union européenne à payer plusieurs centaines de milliers d’euros pour sanctionner son refus d’importer des OGM, au motif qu’il s’agissait là d’une entrave au libre-échange.
La nouveauté que pourrait introduire le traité transatlantique est la possibilité, pour les sociétés multinationales, de poursuivre, en leur nom propre, un pays dont la réglementation aurait un effet restrictif sur leur déploiement commercial. Une cour spéciale pourrait condamner un État à de lourdes réparations dès lors que sa législation limiterait les « profits espérés » par la société. Dans de telles conditions, la souveraineté des États serait totalement remise en cause. Cela signifierait que, à tous les échelons démocratiques, seules les politiques répondant aux intérêts des grands groupes industriels et financiers seraient applicables. Les entreprises pourraient ainsi faire appel de décisions concernant les politiques de santé, la protection de l’environnement, la régulation des marchés financiers… Dans un tel contexte, où les parlements seraient dépossédés de leurs prérogatives et les citoyens totalement privés de recours, pourrait-on encore se référer à la démocratie ? Madame la ministre, pouvez-vous nous assurer que la France s’opposera à la mise en place de ce type de mécanisme de règlement des différends ? Il est impensable que les États puissent perdre ainsi leur droit à réguler !
Vous le savez, madame la ministre, mes chers collègues, cet accord transatlantique soulève de très nombreuses questions et craintes au sein du groupe communiste, républicain et citoyen. Je constate qu’un certain nombre de ces craintes sont largement partagées dans cette enceinte.
Nous pourrions aborder d’autres points tout aussi sensibles concernant l’agriculture, la pêche, l’environnement, la protection des données, etc., mais, faute de temps, je me bornerai à poser une question : quels moyens humains, institutionnels et financiers l’Union européenne consacre-t-elle à ces négociations ? Nous savons que, du côté américain, un nombre considérable de consultants sont dépêchés pour suivre l’évolution des négociations et que les lobbyistes s’affairent pour exercer d’énormes pressions. Qu’en est-il du côté européen ?
Un tel accord présente également de très lourds dangers pour l’équilibre du commerce international, notamment pour les pays du Sud, car il régira, s’il est adopté, environ 50 % de l’économie mondiale.
Pour conclure, je dirai qu’une coopération solidaire des peuples est un idéal à atteindre. Malheureusement, les éléments dont nous disposons actuellement n’indiquent pas que nous allions dans ce sens, l’humain venant au contraire bien après les intérêts financiers et économiques.
Je suis intimement convaincu que tout projet d’accord de ce type doit faire l’objet d’un examen démocratique avant d’être adopté. La consultation des peuples me paraît indispensable, si l’on veut faire en sorte qu’un tel accord serve principalement l’intérêt général. (Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Bernadette Bourzai.
Mme Bernadette Bourzai. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je me félicite de la tenue, sur l’initiative du groupe socialiste, de ce débat sur les négociations du partenariat transatlantique pour le commerce et l’investissement. Le Sénat montre une fois de plus sa pleine implication dans les grands débats portant sur des choix de société et dans la préparation de ces négociations dont les enjeux sont mondiaux et déterminants quant à la place de la France et de l’Europe dans l’économie internationale.
Le Sénat s’est saisi de ce sujet dès l’ouverture des négociations, en février 2013, et s’est exprimé par une résolution sur l’ensemble du mandat de négociation de ce partenariat transatlantique. Il y a rappelé son attachement au multilatéralisme, tout en faisant valoir que celui-ci n’exclut pas la conclusion d’accords bilatéraux plus ambitieux que ceux, décevants, conclus au sein de l’OMC.
Le Sénat estime que la perspective de ce partenariat transatlantique représente une opportunité importante pour l’Union européenne, et qu’un tel accord est susceptible d’insuffler une nouvelle dynamique aux relations transatlantiques et de contribuer à la croissance en développant nos échanges.
L’enjeu est de taille. Je rappelle que les États-Unis sont le premier partenaire de l’Union européenne. À eux deux, l’Union européenne et les États-Unis représentent près de la moitié du produit intérieur brut mondial, 25 % des exportations et 32 % des importations. Les États-Unis sont également le cinquième partenaire commercial de la France et le premier investisseur étranger dans notre pays, avec 88 milliards d’euros investis et 450 000 emplois créés.
Le Sénat a également rappelé les points sur lesquels il entend exercer sa vigilance et les priorités européennes à défendre dans la négociation.
La partie qui se joue est certes difficile, mais je suis convaincue que nous devons être ambitieux et faire preuve de détermination afin de négocier le meilleur accord possible, équilibré et bénéfique, tant pour l’Union européenne que pour la France.
Le débat d’aujourd’hui nous donne l’occasion, madame la ministre, de vous entendre sur l’état d’avancement des négociations alors que s’achève leur phase préliminaire, ainsi que d’évoquer devant vous certaines de nos interrogations, au moment où Européens et Américains s’apprêtent à entrer dans le vif du sujet.
Ces négociations vont porter sur plusieurs secteurs que nous considérons comme très sensibles. Nous mesurons les difficultés que ne manquera pas de poser, par exemple, l’harmonisation des normes et des standards des deux côtés de l’Atlantique, en particulier en ce qui concerne les règles phytosanitaires et environnementales, pour les produits agricoles notamment. Je souhaiterais aborder plus particulièrement ce sujet.
Madame la ministre, je connais votre volonté et votre attachement à la protection des consommateurs et à l’harmonisation par le haut des normes sociales et environnementales. Je salue la position de la France, qui est opposée au mécanisme de règlement des différends entre États et investisseurs. Il importe d’affirmer clairement notre détermination à veiller à éviter un nivellement par le bas de nos législations et à garantir la préservation de nos spécificités.
Je pense en particulier, dans le domaine de la recherche agricole, à la nécessité de maintenir le système du certificat d’obtention végétale pour les semences face au brevetage anglo-saxon, qui tend à le grignoter.
Vous le savez, cette négociation rencontre des points d’achoppement majeurs en matière agricole, qui crispent les relations entre les deux parties : les OGM, l’utilisation des hormones de croissance, la décontamination des carcasses et les fameux poulets chlorés, la viande issue d’animaux clonés ou la protection européenne des dénominations.
L’Europe a des intérêts importants à faire valoir en matière de mesures sanitaires et je tiens, madame la ministre, à saluer ici votre action, qui a permis d’inscrire dans le mandat de négociation la préservation des acquis européens et la non-remise en cause des législations nationales. Nous savons votre détermination à tenir bon sur les préférences collectives, mais nous craignons de voir certaines de ces questions réintroduites dans le champ de l’accord lors des discussions à venir. Pouvez-vous nous réaffirmer l’engagement de la France à être vigilante sur ce point ?
Par ailleurs, nous espérons que le système des indications géographiques sera pleinement reconnu par les États-Unis.
Sous l’impulsion de la France, la reconnaissance des indications géographiques protégées, les IGP, a été inscrite comme un objectif dans le mandat de négociation, et nous avons appris avec satisfaction que l’accord économique et commercial global entre l’Union européenne et le Canada intègre 145 indications géographiques, dont 31 françaises, ce qui va garantir aux producteurs européens de produits agricoles bénéficiant d’indications géographiques une protection sur le marché canadien, où ils n’en bénéficient actuellement d’aucune. C’est un précédent important pour les négociations commerciales multilatérales.
Sur ces sujets, l’Europe doit être ferme et solidaire pour défendre ses valeurs.
Cet accord commercial doit donc nous permettre de renforcer nos positions sur certains marchés et d’en conquérir de nouvelles en décloisonnant le marché américain, qui est très protégé.
Dans le secteur agricole, nous avons un fort potentiel d’exportation de nos produits laitiers – ceux de Normandie ont déjà été évoqués, je citerai pour ma part, au nom du Massif central, le roquefort ! (Sourires.) – et de nos produits transformés, pour lesquels notre balance commerciale avec les États-Unis connaît un excédent croissant. Il en va de même pour nos fruits et légumes, qui, pour le moment, ont trop peu de débouchés sur le marché américain.
La France dispose d’atouts indéniables dans tous ces secteurs, avec des groupes industriels positionnés parmi les leaders mondiaux, mais nous avons aussi des PME extrêmement performantes, pour lesquelles une ouverture durable et réelle de ces marchés doit constituer une nouvelle chance.
Bien entendu, ces avancées ne doivent pas se faire au détriment des secteurs où nos positions sont plus défensives. Je pense en particulier au marché de la viande : nous devons nous attacher à préserver la filière française, déjà très fragilisée, d’une ouverture accrue aux importations.
Nous savons la France vigilante sur ce point, puisqu’elle a demandé la classification en produits sensibles afin d’éviter ce risque et a clairement indiqué que l’accord avec le Canada pour les secteurs des viandes porcine et bovine ne devait pas servir de précédent.
Madame la ministre, nous sommes conscients des difficultés auxquelles vous allez être confrontée, mais nous savons votre détermination à mener à bien la mission qui vous a été confiée, pour que les négociations aboutissent à un partenariat équilibré répondant aux attentes et aux intérêts de tous. Vous pouvez compter sur notre soutien ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Daniel Raoul. Ceux des fromages en particulier ! (Sourires.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je veux d'abord remercier le groupe socialiste d’avoir pris l’initiative de demander un débat sur ce grand sujet qu’est le projet de traité transatlantique.
Je dois à la franchise de dire d’emblée que je suis personnellement très hostile à la conclusion d’un tel partenariat dans les conditions actuelles et au regard des évolutions passées en matière de libre-échange.
Pour autant, dès lors que la négociation est engagée, je vous interrogerai, madame la ministre, sur des éléments clés de cet accord. Notre collègue Bernadette Bourzai a évoqué des points de vigilance ; pour ma part, je parlerai plutôt de verrous, que la France doit être capable soit de lever, soit de fermer.
Si je ne suis pas favorable à ce traité, c’est parce que, comme on dit dans mon village, « chat échaudé craint l’eau froide ».
Pour être engagée depuis longtemps dans les débats portant sur ces questions, en particulier à l’échelon européen, j’ai l’habitude des promesses mirifiques sur les bénéfices devant résulter de la généralisation du libre-échange, censée régler nos problèmes de chômage, créer de la prospérité partagée entre les nations et permettre d’améliorer notre standard social. Force est de constater que cette mondialisation heureuse n’a pas eu lieu, parce qu’il s’agit en fait d’instaurer le libre-échange sans limites, sans règles, sans contraintes, où les firmes multinationales disposent d’une autonomie de décision et d’un pouvoir que les États ou les groupements d’États ne sont guère en mesure de réguler.
On nous promet que la signature du traité transatlantique permettra 0,5 % de croissance supplémentaire. Ces grandes promesses m’inspirent les quelques observations suivantes.
D'abord, les modèles économétriques qui les fondent sont très contestés par toute une série d’économistes. Surtout, ils sont invalidés par les enseignements du passé. Je vous renvoie à cet égard à l’Acte unique européen, dont la mise en œuvre devait déboucher sur la création de 20 millions d’emplois et le plein emploi à l’horizon 2015 : c’était du bidon ! De même, pour ce qui concerne l’ALENA, on avait annoncé des créations d’emplois aux travailleurs américains, mais les travaux de chercheurs et de l’AFL-CIO, instance qui regroupe les organisations syndicales américaines, font apparaître qu’il y a eu, au contraire, des destructions d’emplois et, surtout, un dumping social conduisant à un affaiblissement des normes sociales et du niveau des salaires dans les pays concernés.
Je ne vois pas par quel miracle il en irait autrement aujourd'hui, car toutes les évolutions actuelles vont dans le même sens ! Par parenthèse, on nous annonce un hypothétique gain de croissance de 0,5 % pour l’Europe : si l’on mettait en œuvre, plutôt qu’une nouvelle étape d’une dérégulation globale, une politique concertée de relance européenne par la consommation intérieure et l’engagement de grands travaux, il est clair que le surcroît de croissance serait nettement supérieur !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Au demeurant, je ne doute pas, madame la ministre, de votre attachement à la mise en place d’une stratégie de croissance européenne.
Par ailleurs, j’entends des cris d’orfraie contre les normes françaises, qui seraient d’une terrible dureté. Je constate que moins il y a de régulation, plus il y a de normes, souvent inadaptées aux réalités du terrain. De plus, ce sont les mêmes qui dénoncent les normes et qui chantent les louanges de l’Union européenne, alors que 80 % des normes sont issues de directives européennes ! Cela serait risible, si cette situation n’avait des incidences terribles pour notre économie nationale.
Dans cette négociation, quels sont les enjeux essentiels et les verrous pour l’Europe et pour la France ?
Premièrement, j’évoquerai les normes sociales et environnementales. On entend toujours les mêmes discours lénifiants sur la préservation de nos acquis communautaires, mais, concrètement, comment être sûrs que nous ne serons pas contraints, par exemple, d’accepter l’importation de produits OGM ? Comment être sûrs que les normes européennes seront préservées ? Comment être sûrs que toutes les normes de l’Organisation internationale du travail seront bien respectées par l’ensemble des signataires, même si elles ne suffisent d’ailleurs pas, hélas ! à limiter le dumping social ?
Deuxièmement, la désindustrialisation nous menace. Si l’Europe peut tirer globalement de la mise en place du partenariat un certain bénéfice en termes de croissance, la situation sera très différente selon les secteurs industriels et les pays.
D'ailleurs, madame la ministre, si l’étude d’impact de la Commission européenne nous laisse entrevoir le bonheur qui nous attend, elle indique cependant que certains secteurs subiront un choc initial, et d’autres un choc durable. La liste des secteurs concernés permet de mesurer à quel point ces chocs affecteront la France : viande, engrais, bioéthanol, machines électriques, équipements de transport – un domaine où nos positions sont particulièrement fortes –, métallurgie, bois, papier, services d’affaires, communication, services personnels… La Commission européenne indique qu’« il pourrait y avoir des coûts d’ajustement substantiels et prolongés. Il est clair que, même si la main-d’œuvre a la possibilité d’affluer dans les secteurs où la demande augmente, il y aura des secteurs où les pertes d’emplois seront importantes ». Excusez du peu !
La France et, d’une manière générale, les pays du sud de l’Europe seront touchés de plein fouet. En effet, la logique du libéralisme veut que le fort devienne plus fort, le faible plus faible, l’intermédiaire étant écartelé entre les deux. Dans ces conditions, comment allons-nous protéger nos secteurs industriels ? Quelles stratégies défensives allons-nous mettre en œuvre pour parer aux menaces décrites par la Commission européenne elle-même ?
Enfin, plusieurs des orateurs qui m’ont précédée, en particulier Daniel Raoul, ont mis l’accent sur le risque que les intérêts des investisseurs prévalent sur les choix démocratiques.
Madame la ministre, le gouvernement de Lionel Jospin avait refusé l’AMI. Je considère que le gouvernement de Jean-Marc Ayrault doit refuser que les investissements soient inclus dans le champ du partenariat transatlantique. En effet, nous savons d’expérience qu’il arrive souvent que des États soient condamnés à dédommager des firmes multinationales dont l’activité a été affectée par des changements de réglementation, par exemple dans les domaines sanitaire ou foncier. Il me semble donc que nous devrions tout de suite dire à nos partenaires que nous refuserons de ratifier un accord qui prévoirait la mise en place d’un tel mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. C’est une question de respect de la souveraineté et de la démocratie : s’agissant du bien commun et des services publics, il appartient aux peuples de décider.
Enfin, je voudrais évoquer le mécanisme de décision : pourquoi cette absence de transparence ? D'ailleurs, nous ne disposons toujours pas du texte de l’accord avec le Canada. Qu’y a-t-il donc à cacher ?
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Au Canada, par contre, les provinces et le Parlement ont été informés.
M. André Gattolin. Absolument !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Si l’Union européenne fait le silence, c’est parce que cet accord permet au Canada de gagner des parts de marchés dans des secteurs importants pour notre pays, comme la production porcine, la production bovine ou la sous-traitance automobile.
Je suis favorable à la défense des indications géographiques, mais, en termes d’échanges mondiaux, les produits couverts par celles-ci, tel le roquefort, représentent des cacahuètes par rapport à ce que nous perdons dans les secteurs que je viens de citer ! On nous accorde quelques hochets pour nous faire accepter une dérégulation qui frappera tout particulièrement la France et les pays du sud de l’Europe.
En conclusion, je suis favorable au développement des échanges et du commerce, car il constitue en effet une source d’enrichissement, mais à condition qu’il s’opère dans la justice, l’équité, au travers d’une négociation entre les États ne mettant pas en jeu des pouvoirs supranationaux qui s’imposeraient à la souveraineté populaire.
J’éprouve les plus vives inquiétudes, mais je sais, madame la ministre, votre détermination personnelle à défendre les intérêts de la France et à promouvoir une mondialisation mieux régulée. À défaut de donner un coup de pied dans la fourmilière, comme je le souhaiterais pour ma part, mettons au moins des verrous pour être sûrs que, in fine, nous n’en serons pas réduits à accepter l’inacceptable ! (MM. Michel Billout, Jean-Pierre Chevènement et André Gattolin applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je commencerai par saluer les chiffres du commerce extérieur que vous avez annoncés ce matin, madame la ministre. Depuis deux ans, ils sont en amélioration très sensible, malgré un contexte difficile.
Nous sommes aujourd'hui réunis pour débattre du partenariat transatlantique sur le commerce et l’investissement. Cela a déjà été dit : les droits de douane moyens pratiqués par l’Union européenne et les États-Unis ne sont que de quelques pour-cent. Le véritable sujet, c’est donc les barrières non tarifaires, les marchés publics, les normes, en particulier techniques, sanitaires, environnementales et sociales.
Avant d’entrer davantage dans le détail, je rappellerai que l’Union européenne représente 30 % du PIB mondial, les États-Unis à peu près 23 %, le Japon et la Chine environ 8 % chacun. Le partenariat envisagé unirait donc les deux principales forces économiques du monde. L’Union européenne et les États-Unis dominent les échanges de services, et se classent même avant la Chine en matière d’échanges de marchandises.
Les négociations commerciales transatlantiques sont absolument différentes de celles que l'Union européenne a pu mener jusqu’à présent en vue de conclure des accords de libre-échange. Il ne s'agit pas d’une négociation d'association ou d'adhésion, où l’autre partie doit tendre vers nos normes : c’est tout autre chose.
Nous sommes en présence de deux espaces vraiment différents. L'Union européenne, on ne le sait peut-être pas assez, est beaucoup plus intégrée sur le plan économique que les États-Unis.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Absolument !
M. Jean-Yves Leconte. Les directives relatives aux marchés publics unifient l’ensemble des procédures au sein de l'espace européen, alors que, aux États-Unis, les marchés publics ne relèvent pas de l’échelon fédéral. Même en matière de TVA, les procédures sont bien mieux harmonisées entre les États membres de l’Union européenne qu’elles ne le sont entre les États des États-Unis.
En revanche, les Européens sont divisés sur le plan politique, si bien que, en termes de négociations, nous sommes un nain. Au contraire, l’unité politique des États-Unis leur donne une grande force dans les négociations.
Ainsi, dans cette négociation destinée à donner un cadre aux échanges mondiaux, les deux parties n’ont pas les mêmes atouts ni les mêmes handicaps. Chez nous, le débat public s’est engagé non pas lorsque nous avons commencé à négocier avec les États-Unis, mais seulement quand nous avons négocié entre Européens pour déterminer quel mandat serait donné à la Commission européenne.
La Commission européenne annonce que la conclusion d’un accord apportera un bénéfice de 120 milliards d'euros à l'Union européenne et de 90 milliards d'euros aux États-Unis. Affirmer d’emblée que l’on gagnera davantage à la conclusion d’un accord que son partenaire n’est pas une très bonne façon de lancer les négociations…
Concernant les normes techniques, si le marquage CE n’est pas toujours satisfaisant – il mériterait d'évoluer encore –, les règles sont unifiées. Il n’en va pas du tout de même aux États-Unis et, de ce point de vue, l'accord risque d'être un miroir aux alouettes : nous serons totalement transparents tandis que, du côté américain, rien ne sera aisément compréhensible.
En matière de régulations applicables aux entreprises, c’est un principe de territorialité qui prévaut en Europe, et un principe d'universalité aux États-Unis. Par exemple, les États-Unis contrôlent et le cas échéant sanctionnent les transactions effectuées en dollars par les banques européennes ; nous ne procédons pas ainsi. Envers l’Iran, alors que nos sanctions sont dures et non flexibles, celles des États-Unis sont flexibles et universelles : notre commerce extérieur a perdu des milliards d'euros pour cette raison ! Il faut le savoir,…
M. Jean-Yves Leconte. … afin d’obtenir un changement de ces règles dans le cadre des négociations avec les États-Unis.
Rappelons-nous l'été 2011 : instaurer une unité commerciale sans prévoir de régulation financière et monétaire engendrera des difficultés pour l'euro et affectera la compétitivité de nos entreprises, ainsi que leur accès aux financements compte tenu des décalages existant entre l’Europe et les États-Unis en termes d’exigences imposées aux banques. Mettre en place une régulation financière et monétaire sera donc indispensable.
En matière d'énergie, aux États-Unis, le prix du gaz a été divisé par trois entre 2008 et 2012, et celui des matières premières de la pétrochimie par deux. Ainsi, les Américains paient trois fois moins cher leur gaz que les Européens, et deux fois moins cher toutes les matières premières destinées à la pétrochimie. Au cours des prochaines années, près de 80 milliards d'investissements doivent être réalisés aux États-Unis. La production d'éthylène est appelée à augmenter de 40 %, des projets énormes sont en préparation dans les domaines de la pétrochimie, des matières plastiques.
Tout cela conduira à une aggravation de la perte de compétitivité de notre industrie, à la fermeture de sites, comme pour Kem One, et, progressivement, à la perte des positions favorables que nous détenons encore dans certains secteurs, telle la production de propylène et de ses dérivés, les Américains ayant prévu des investissements dans ces domaines. En 2012, pour la première fois, l’industrie chimique des États-Unis a équilibré sa balance commerciale ; pour 2020, 40 milliards de dollars d'excédents sont prévus…
Pour faire face à cette montée en puissance, certains pays prévoient aussi de gros investissements, tel le Qatar dans la pétrochimie. Quid de l'industrie européenne ? J’ai pris l'exemple de la pétrochimie, mais l'ensemble des industries consommatrices d'énergie – la sidérurgie, les matériaux – seront logées à la même enseigne. L'industrie, c'est du savoir-faire, de la haute technologie. L'ensemble de nos pôles d'excellence, aéronautique comprise, risquent d’être affectés en chaîne. Prenons garde à l’approche de ce tsunami de compétitivité, qui sera probablement plus ravageur encore que celui que nous connaissons aujourd'hui.
Bien entendu, partenariat transatlantique ou pas, ce risque existe pour nos entreprises, mais il convient d’en avoir pleinement conscience au moment où nous discutons avec nos amis Américains.
Certes, concernant le gaz de schiste, faire des choix différents de ceux des États-Unis est parfaitement légitime : il s'agit de choix de société. Mais il faut alors en mesurer les conséquences, et assortir le principe de précaution d’un devoir d'anticipation.
Si le partenariat se met en place, ce sont 60 % des échanges de l'Union européenne qui se feront sur la base d'accords bilatéraux, et non plus multilatéraux : c'est un changement majeur. Depuis vingt ans, la croissance de l'économie mondiale s'est faite à l’extérieur du couple Union européenne-États-Unis. Dès lors, est-il vraiment indispensable de privilégier exclusivement cette orientation, au détriment des autres ? Pour réguler les échanges mondiaux, le multilatéralisme est la seule option permettant de résorber les trous noirs du commerce international, qui menacent de faire exploser le système et empêchent sa régulation. Il est donc absolument nécessaire de renforcer le multilatéralisme.
Les États-Unis conduisent parallèlement une négociation avec les pays de la zone Pacifique. Il y a un double risque : si cette négociation progresse trop vite, les États-Unis nous imposeront des normes ; si c’est au contraire la négociation avec l’Union européenne qui avance trop rapidement, ils s’appuieront sur elle pour imposer des normes à la zone Pacifique.
Il convient donc d’être vigilants, tout en ayant conscience de nos forces : nous représentons 30 % du PIB mondial et nous avons aussi noué des partenariats avec la Chine, le Brésil, l'Inde, la Russie et l'ensemble de l'Afrique.
Madame la ministre, je vous soumets ces pistes de réflexion. Il ne s'agit pas d'un accord comme les autres. Nous devons avoir pleinement conscience de nos forces, j’y insiste, mais aussi de nos faiblesses. Le débat est nécessaire, car c’est d'un véritable choix de société qu’il s’agit. La démarche est la même que celle qui a sous-tendu le Traité de Rome : on commence par les échanges commerciaux, par l'économie, pour construire ensuite une société.
Les États-Unis sont bien sûr un partenaire majeur, avec lequel nous avons mené des combats communs et partageons des valeurs, mais nos intérêts ne coïncident pas toujours.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Jean-Yves Leconte. Il faut conduire ces négociations sans précipitation, pour parvenir à bien défendre nos intérêts. Elles doivent pouvoir être suivies par la population et faire l'objet d'un large débat lors de la campagne pour les élections européennes, sans quoi nous risquons une désaffection de nos concitoyens. (MM. Michel Teston et André Gattolin applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Alain Richard.
M. Alain Richard. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, cette négociation nous oblige à confronter nos avis, naturellement variés, sur notre stratégie d'intérêts, à long terme, dans un monde en mouvement, en gardant à l'esprit que si nous nous replions dans une démarche d'abstention ou de retrait, le mouvement du monde ne s'en poursuivra pas moins.
Puisque nous sommes les représentants de la souveraineté nationale, je voudrais ici m'exprimer plus particulièrement en représentation de nos entreprises de taille intermédiaire et de nos innovateurs.
Comment peuvent-ils percevoir cette discussion ? L'ouverture d'un marché dynamique comme celui de l'Amérique du Nord est-elle de leur intérêt, ou serait-il souhaitable que cet accord n’ait pas lieu ? Cela nous renvoie à la question de savoir où se créeront les emplois français de demain. Sera-ce dans les activités où nous avons des intérêts défensifs ou dans celles où nous avons des intérêts offensifs ? C’est de ces derniers que je voudrais parler.
Je dois préalablement revenir rapidement sur ce que j’appelle le débat euro-européen. Depuis la signature du traité de Rome – cela ne fait jamais que cinquante-sept ans ! –, nous savons que cette négociation se mène au nom de toute l'Union européenne. Et, entre les vingt-huit États membres, leurs parlements respectifs, la Commission européenne, le Parlement européen et les autorités régulatrices indépendantes européennes et nationales, nous nous trouvons naturellement en pleine compétition pour définir qui pilote vraiment la négociation, et qui la conclura.
Aujourd'hui, tout le monde est inclus dans la négociation qui s'engage, mais, lorsque nous serons « dans le dur », la convergence sera extrêmement difficile. Prenons conscience que des débats comme le nôtre se déroulent aujourd'hui dans vingt-huit parlements nationaux, et que si nous jouons les oies du Capitole, si nous exagérons et amplifions nos différences de manière à nous immobiliser dans la négociation, nous n'avons aucune chance de défendre nos intérêts offensifs.
L'Union européenne ne peut agir comme la puissance commerciale mondiale qu’elle est que si elle agit en cohérence malgré sa diversité. Y parviendra-t-elle ? C'est là une des questions auxquelles j’espère que nous pourrons donner une réponse positive.
Pour nous, le défi est d'autant plus patent que, pour présenter la moindre utilité, cet accord Union européenne-États-Unis suppose obligatoirement un engagement beaucoup plus complet des institutions des États-Unis – j’entends de leurs États, ce qui est en particulier décisif pour les marchés publics, et de leurs autorités régulatrices, ce qui ne sera pas sans importance, par exemple, pour les services financiers.
M. Alain Richard. Nous devons donc rester extrêmement vigilants – cet adjectif est revenu, avec beaucoup d'éloquence, chez tous les orateurs –, mais si nous n'avons pas un minimum de stratégie de mouvement dans cette négociation, elle ne présente que des inconvénients.
Je mentionnerai rapidement l'enjeu central des normes et des contrôles. L'Union européenne a indubitablement établi à un haut niveau ses exigences sociales, environnementales, sanitaires et prudentielles. Cette négociation comporte, en raison de la multiplicité des intérêts en présence, un risque d'affaiblissement de ces normes.
Mais si ce risque s'avérait, nous savons tous qu’il n’y aurait pas d'accord puisque toutes les forces sociales et économiques qui animent notre Union parviendraient à s'y opposer. Les États-Unis, qui en sont conscients, ont relancé le processus de négociation en sachant très bien qu’il s'agit là d'un point clé.
Ne soyons donc pas uniquement défensifs : une stratégie offensive doit être menée au niveau des normes sociales et environnementales, et nous savons qu’il existe aussi des composantes critiques et offensives dans la société américaine. Ainsi, certains États et beaucoup de municipalités américaines adoptent des normes environnementales de facture européenne parce qu'ils savent très bien qu’elles seront conformes, à terme, à l'évolution de leur société et de leur économie.
Il me semble donc que nous ne pouvons pas nous placer dans une mentalité de guerre de tranchée en soutenant que nos normes sont les seules possibles, et en excluant par avance que les États-Unis arrivent à les comprendre et a fortiori à les partager. C'est au contraire, à mon avis, un enjeu essentiel en termes de commerce mondial que de savoir si l'on peut aboutir à un rapprochement vers le haut des normes des deux espaces pour en faire un outil vis-à-vis des pays tiers.
M. Jean Bizet. Très juste !
M. Alain Richard. L'autosatisfaction fait partie des immenses qualités de la France et de l'Union européenne, mais nous devons aussi nous poser rationnellement la question de savoir si nos normes sont toujours qualitativement les meilleures.
Ainsi, en matière de supervision bancaire, j’admets hésiter. Quand nos collègues parlementaires des États-Unis nous font remarquer que le système de supervision des banques – ils ont tiré quelques conclusions de la crise financière qui est née chez eux – est sans doute plus crédible et plus exigeant que celui issu des négociations européennes, je ne pense pas que l'on puisse écarter l'argument d'un revers de la main.
Nous devons donc, me semble-t-il, faire preuve de souplesse et de mobilité dans la négociation. C'est sûr, il existe in fine des divergences d'intérêt entre les États-Unis et l'Union européenne, et cette négociation constitue un enjeu stratégique mondial.
Cependant, et j’insiste sur cet aspect, adoptons-nous une stratégie de position ou une stratégie de mouvement ? Au fond, l’absence d’accord est-elle souhaitable ? Honnêtement, la conclusion à l’encre sympathique de quelques-unes des interventions que nous avons entendues avec beaucoup d’intérêt ce matin assez nettement cette réponse.
Pour ma part, je suggère à ceux qui souhaitent l’échec de cette négociation de réfléchir sur le point suivant. L’ouverture des marchés entre les pays occidentaux et les pays émergents va se poursuivre et nous voterons, au Sénat, des accords commerciaux avec la Chine, avec l’Inde, avec l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est, ou ASEAN, avec l’Amérique latine. Le renforcement de nos préférences collectives et de nos choix de société passera-t-il plus par de tels accords, alors qu’il est patent que ces pays, quelles que soient leurs préférences politiques intérieures, affirment tous un libéralisme totalement dérégulé dans leurs relations internationales ? Pensons-nous que c’est en contournant l’espace transatlantique que nous construirons le juste échange ? Je crois que nous connaissons la réponse.
Il faut, bien sûr, être rigoureux et cohérents avec le cœur de nos intérêts économiques et sociaux, c'est-à-dire avec les perspectives de nos nouveaux investisseurs et de nos innovateurs. Pour autant, gardons à l’esprit que ces intérêts sont au moins autant servis par une stratégie offensive de négociations que par un repli.
Par conséquent, le Gouvernement a bien fait d’approuver l’ouverture de cette négociation. Il nous associe loyalement et efficacement à son déroulement, et saura faire entendre nos priorités. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste. – M. Jean Bizet applaudit également.)
3
Souhaits de bienvenue à une délégation de la Chambre des Lords
M. le président. Mes chers collègues, j’ai le plaisir de saluer en votre nom la présence, dans notre tribune d’honneur, d’une délégation de la Chambre des lords, conduite par lord Boswell, président de la commission des affaires européennes. (Mme la ministre, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent.)
Cette délégation vient de se réunir avec notre commission des affaires européennes, que préside Simon Sutour. Le président du groupe d’amitié, Éric Bocquet, participait à cette réunion.
Nous formons tous le vœu que cette visite contribue à l’approfondissement de la coopération entre nos deux assemblées et nous souhaitons à nos collègues de la Chambre des lords la plus cordiale bienvenue au Sénat, ainsi qu’une bonne année 2014 ! (Applaudissements.)
4
Débat sur les négociations commerciales transatlantiques (suite)
M. le président. Nous reprenons le débat sur les négociations commerciales transatlantiques, organisé à la demande du groupe socialiste.
La parole est à Mme la ministre.
Mme Nicole Bricq, ministre du commerce extérieur. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je salue à mon tour l’initiative du groupe socialiste. Le Sénat lance le débat au Parlement sur les négociations transatlantiques, dans la continuité de la proposition de résolution qu’il avait adoptée en juin dernier. Je tiens à ce débat car, comme l’a souligné Jean-Yves Leconte, il ne s’agit pas d’un accord comme les autres – on l’a d’ailleurs appelé « partenariat » – et il recouvre un enjeu démocratique : il doit donc être négocié sous l’œil vigilant de la démocratie.
Je vais m’efforcer de répondre aux différents orateurs, qui ont, chacun à leur manière, posé les termes essentiels du débat.
Les interprétations sont diverses, mais je voudrais dire d’emblée qu’il ne faut pas aborder cette négociation avec ce sentiment d’infériorité qui se fait souvent jour du côté européen. Alain Richard l’a dit, nous sommes la première puissance commerciale mondiale, et nous discutons avec un partenaire qui n’a pas plus de poids économique que nous.
Certes, Jean-Yves Leconte l’a rappelé, il peut exister des écarts entre les deux rives de l’Atlantique, notamment en termes de compétitivité. Les États-Unis, depuis la survenue de la crise, ont largement pratiqué une politique de bas salaires. Ce n’est pas le choix que nous faisons en Europe ; nous ne voulons pas emprunter cette voie. Les États-Unis ont également obtenu de nombreux gains de compétitivité dans le domaine énergétique, mais nous nous engageons dans cette bataille d’une autre manière, en favorisant l’innovation au travers de la transition énergétique. Il s’agit, il est vrai, d’une politique de plus long terme, mais les différences de compétitivité que l’on peut constater aujourd’hui ne nous empêchent pas de discuter d’égal à égal avec les Américains.
M. le président de la commission des affaires économiques a mis l’accent sur l’ampleur exceptionnelle et l’enjeu économique majeur de cette négociation. Mais il y va aussi du partage de certaines valeurs et de leur traduction dans les normes, en particulier sociales et environnementales.
Confiance et vigilance seront les mots clés de mon intervention.
Nous devons d’abord avoir confiance en nous-mêmes, Européens, mais aussi en nos négociateurs.
À ce sujet, Michel Billout a demandé si nous étions suffisamment armés, du côté européen, face aux Américains et à leurs lobbyistes. Des lobbies, nous n’en manquons pas non plus en Europe ; ils sont peut-être moins voyants, mais ils n’en sont pas moins actifs ! Cela étant, j’ai moi-même soulevé cette question des moyens auprès de la Commission européenne : cette négociation mobilise toutes les directions générales, notamment celles du commerce, de l’agriculture et du développement rural, des entreprises et de l’industrie, du marché intérieur et des services. En matière de services financiers, bancaires et assurantiels, par exemple, le commissaire Barnier est très actif dans cette négociation. J’ajoute que quatre-vingts négociateurs européens ont participé au troisième cycle de négociations, au mois de décembre dernier.
Certes, ces moyens techniques et humains pourraient encore être renforcés, mais je crois aussi beaucoup en l’engagement du Parlement européen, qui a de nouveaux pouvoirs en matière commerciale en vertu du traité de Lisbonne, et des parlements nationaux. À cet égard, je veux souligner que la mobilisation sur la négociation de ce traité est beaucoup plus forte en France que dans les autres pays européens.
Nous devons avoir confiance en nos partenaires européens, au sein desquels il importe de trouver des alliés. C’est une question de méthode ; ce n’est pas toujours facile, mais on peut y parvenir en étant opiniâtres.
Nous devons avoir confiance en l’Union européenne, qui est bien sûr notre horizon commun, mais aussi confiance en la capacité de la France à prendre toute sa place dans les échanges mondiaux. Le Président de la République l’a rappelé avant-hier en présentant ses vœux aux corps constitués : « La France doit être toujours un pays en tête dans la mondialisation […] et doit aussi parfois, sans arrogance, pouvoir également montrer l’exemple. » C’est une bonne définition, qui me va droit au cœur, du rôle qui nous incombe dans cette négociation !
Je voudrais insister sur le fait que les États-Unis et l’Union européenne sont déjà partenaires en matière de commerce et d’investissements, comme l'a rappelé Jean-Pierre Chevènement. La zone euro présente ainsi un excédent de 74 milliards d’euros à l’égard des États-Unis.
Par ailleurs, on ne le souligne jamais assez, la France est la première destination des investissements américains en Europe pour les projets industriels. Les États-Unis sont le premier investisseur étranger en France, pour un montant de 88 milliards d’euros, à l’origine de 450 000 emplois. Par conséquent, nous sommes déjà des partenaires, et nous Français avons un intérêt objectif à renforcer ce partenariat.
Il est vrai que nous n’avons pas la même monnaie et que la volatilité des taux de change est un problème pour nos entreprises. Il faut tout faire pour mettre en place un système monétaire mondial ; ce sujet est débattu dans les enceintes internationales, notamment au sein du G 20.
Imaginons un instant quelles auraient été les variations des taux de change en Europe au cours des dernières années sans l’euro… Ne l’oublions jamais, l’euro nous assure la stabilité des taux de change pour près de 50 % de nos exportations. Mais surtout, ne nous trompons pas de diagnostic : les variations de taux de change ne sont pas la cause des pertes de parts de marchés de la France. La solution réside dans les gains de compétitivité, dans l’industrie notamment.
Pour faire écho aux propos d’Alain Richard, je dirai qu’il faut aller partout où se trouvent la croissance et l’innovation. L’Union européenne a ainsi conclu un accord avec la Corée du Sud, les discussions avec le Canada arrivent à leur terme et nous sommes en train de négocier un accord de libre-échange avec le Japon : ces trois grands pays sont, comme les États-Unis, des terres d’innovation. C’est aussi le cas de la France, ne l’oublions jamais, notamment dans le secteur du numérique ; j’y reviendrai. Évidemment, la conclusion de tels partenariats ne doit pas se faire au détriment de nos valeurs et de nos acquis normatifs.
Je remercie M. Bizet et Mme Bourzai d’avoir resitué le sujet dans le débat entre bilatéralisme et multilatéralisme. L’accord conclu à Bali lors de la conférence ministérielle de l’OMC nous permet d’espérer une relance du multilatéralisme. Vous avez indiqué, monsieur Bizet, avoir un faible pour le multilatéralisme : je crois que ce sentiment est largement partagé dans notre pays – y compris par moi-même –, car le multilatéralisme protège tout de même mieux le faible. Je vais maintenant m’employer à promouvoir la relance du multilatéralisme au sein du G 20, présidé cette année par l’Australie, qui souhaite introduire un volet commercial dans les discussions au sein de cette instance. Je me suis du reste engagée auprès de mon homologue australien, à Bali, à formuler des propositions.
Comme vous l’avez fort bien dit, monsieur Richard, ce n’est pas en contournant l’espace transatlantique que nous nous renforcerons. Nous devons aborder la négociation avec confiance, tout en restant, bien sûr, très vigilants.
Concernant la Chine, monsieur Chevènement, j’ai toujours dit publiquement que les négociations transatlantiques ne sauraient avoir pour but d’isoler ce pays, qui est l’un de nos grands partenaires commerciaux. (Mme Marie-Noëlle Lienemann approuve.) Je soutiens avec autant de détermination la Commission européenne quand elle recourt à des instruments de défense commerciale en cas de concurrence déloyale que quand elle négocie un accord avec la Chine en matière d’investissements. J’attends de cet accord un gain par rapport à la situation présente. Je défendrai bien sûr les intérêts français, mais je pense que nous avons intérêt à la conclusion d’un tel accord à l’échelon européen.
À propos de la Chine, il convient donc de faire passer ce message. J’ai bien compris que des intérêts géopolitiques étaient en jeu : ne soyons pas naïfs, aux États-Unis, le commerce et la politique sont liés. En tout état de cause, notre objectif est d’aboutir, à travers les négociations transatlantiques, à l’élaboration de standards mondiaux. Je sais que les Chinois y sont très attentifs. J’en veux pour preuve qu’eux-mêmes se dotent d’un dispositif de responsabilité sociale et environnementale.
Jean-Yves Leconte a évoqué le Partenariat transpacifique, le TPP, que les États-Unis sont en train de négocier avec les pays de la zone Pacifique. Il s’agit d’un élément de contexte important. Je pense que les États-Unis voulaient conclure très vite le TPP et s’en servir ensuite pour peser sur les négociations transatlantiques.
Ainsi, après la conférence de l’OMC de Bali, le négociateur américain, Michael Froman, s’est rendu à Singapour pour essayer de forcer l’allure : ce fut un échec. N’oublions pas que le Japon s’est intégré, certes tardivement, à la négociation et que ce pays – nous sommes bien placés pour le savoir, puisque nous discutons en ce moment avec lui – est un redoutable négociateur. (Mme Marie-Noëlle Lienemann acquiesce.) Je ne crois pas que cela va contribuer à accélérer les choses…
On ne sait pas suffisamment, dans notre pays, qu’il y a deux politiques communes à l’échelon européen : la politique agricole, bien sûr, mais aussi la politique commerciale, et ce depuis l’origine.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Hélas !
Mme Nicole Bricq, ministre. La vigilance est la seconde notion clé de mon intervention.
La vigilance doit s’exercer dans la défense de nos intérêts, tout d’abord. Dans une négociation, il est toujours possible de faire jouer une clause de sauvegarde. Quand nous avons donné mandat à l’Union européenne pour négocier avec le Japon, nous avons même précisé que cette clause de sauvegarde pourrait s’appliquer d’emblée au secteur automobile. En effet, les Japonais vendront sans doute plus de voitures en France que nous n’en vendrons chez eux ! Je n’oublie pas, pour autant, que les Japonais investissent beaucoup dans notre pays et y créent de nombreux emplois industriels : des voitures japonaises fabriquées en France sont exportées vers les États-Unis.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Toyota fait du made in France !
Mme Nicole Bricq, ministre. Il importe également, vous l’avez tous souligné, de faire preuve de vigilance quant au respect de nos préférences collectives. C’est là aussi une question de méthode : la meilleure vigilance relève du contrôle démocratique. Il est donc très important que nous ayons ce débat.
Le ressort démocratique est essentiel, au même titre que la transparence. J’ai tout de suite cherché à m’appuyer sur ces forces vives que sont les ONG, les organisations syndicales, les représentants du monde patronal : tous ont été consultés. Une telle démarche n’est pas habituelle au sein de l’Union européenne, mais je pousse nos partenaires à s’engager dans cette voie, notamment en leur demandant d’accepter la publication du mandat de négociation. Cependant, une telle décision doit être prise à l’unanimité, or trois États, et non des moindres, ont refusé.
Du côté américain, j’observe que le débat commence à naître, même sur les OGM, à l’échelon des États, parmi les citoyens et dans les entreprises. Rien n’est donc perdu en la matière !
On prétend souvent que l’enjeu est réglementaire, et non tarifaire. Il existe tout de même des pics tarifaires, messieurs Gattolin et Bizet : il faut y être vigilants. Ainsi, les exportations de textile ou de sucre européennes aux États-Unis sont pénalisées. Quelques barrières tarifaires restent donc encore à renverser…
Mme Lienemann, MM. Billout et Bizet ont évoqué la question des études d’impact. Comme je l’ai déjà indiqué publiquement, madame Lienemann, si je prends en compte les études macroéconomiques à l’horizon 2025, par exemple celle du Centre d’études prospectives et d’informations internationales, je n’en fais pas pour autant mes livres de chevet. Elles sont à considérer avec précaution.
M. Alain Richard. Certes.
Mme Nicole Bricq, ministre. La reprise étant beaucoup plus vive aux États-Unis qu’en Europe, nous aurions peut-être objectivement intérêt à nouer un partenariat avec eux.
Nous devons évidemment faire preuve de vigilance en termes de réciprocité, s’agissant notamment de l’ouverture des marchés publics. Il s’agit d’un objectif majeur de la négociation, et la France soutient activement la proposition de règlement de la Commission européenne relative à l’accès aux marchés publics dans les pays tiers. Le Parlement européen se prononcera le 15 janvier sur ce sujet en session plénière, et le Conseil devra ensuite se déterminer.
M. Raoul a insisté sur le fait que les États-Unis sont un État fédéral. Nous devons donc veiller à faire en sorte que l’échelon subfédéral se sente engagé par l’accord. Treize États fédérés ne sont pas liés par des accords internationaux. Je reviendrai sur ce point à propos des autorités de régulation, notamment en matière financière.
De ce point de vue, la situation était différente avec le Canada : ses provinces participaient aux négociations. Dans le cas des États-Unis, le Gouvernement fédéral est seul négociateur. Une très grande vigilance est donc nécessaire à cet égard.
Bien évidemment, la vigilance s’impose, encore, dans la défense de nos intérêts agricoles, concernant l’ouverture du marché américain et, parfois, la protection du nôtre. C’est à juste titre que vous avez évoqué la génétique, monsieur Bizet, madame Bourzai, car il s’agit d’un domaine d’excellence pour la France, s’agissant en particulier des semences végétales.
M. Daniel Raoul. Nous sommes les premiers !
Mme Nicole Bricq, ministre. J’ai reçu avant-hier le président du Groupement national interprofessionnel des semences et plants, le GNIS, et celui du conseil de surveillance de la société française RAGT, premier exportateur mondial de semences agricoles.
M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. Tout à fait !
Mme Nicole Bricq, ministre. Ils m’ont alertée sur l’importance, pour ce secteur d’activité, de la négociation. Cette excellence, nous voulons la conserver. Le débat parlementaire sur le projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, au cours duquel il sera évidemment question du régime des obtentions végétales, vient donc à point nommé.
Les indications géographiques protégées, les fameuses IGP, ne constituent pas une préoccupation exclusivement française, même si nous en avons beaucoup. Les Italiens, les Espagnols sont également concernés. Du reste, voyageant beaucoup de par le monde, je suis amenée à constater que certains pays asiatiques se dotent aussi d’IGP. Les États-Unis sont évidemment réticents : nous le savons, pour eux, le droit des marques prime. La Commission européenne et les États membres sont très mobilisés sur ce sujet.
Je voudrais rappeler que la négociation avec le Canada a abouti à la reconnaissance de 145 indications géographiques protégées, dont 31 françaises. Le roquefort, fromage aveyronnais que Mme Bourzai, sénatrice de la Corrèze, a annexé (Sourires.), fait partie de la liste. Il n’y a donc pas de raison que cette IGP ne soit pas reconnue par les États-Unis !
Mme Bourzai a aussi parlé de l’élevage. Je fais mien l’engagement très clair pris par le Président de la République, lors du salon de l’élevage de Cournon-d’Auvergne, que l’agriculture ne serait pas la variable d’ajustement de la négociation.
La vigilance sera aussi de mise dans le domaine du numérique. M. Gattolin, Mme Goulet et M. Bizet l’ont souligné, il s’agit d’un domaine extrêmement important, même si l’on en a moins parlé que de l’exception culturelle au sens « classique » de l’expression.
Nous avons en face de nous des géants, ceux qui sont rassemblés derrière l’acronyme GANA : Google, Apple, Netflix et Amazon. Je l’ai dit très tôt : le numérique ne peut être le butin de guerre de la négociation. Parce qu’elle compte dans ce domaine de nombreuses start-up et PME extrêmement innovantes, la France porte, plus que d’autres, ce message en Europe. Notre pays peut également s’appuyer sur le Conseil national du numérique, un organisme unique en son genre à l’échelon européen, qui me remettra très bientôt ses propositions, défensives et offensives. La France a donc un réel rôle à jouer en la matière.
Mme Goulet est allée plus loin en évoquant la protection des données personnelles. Nous devons rassurer les citoyens – c’est aussi notre rôle et celui de l’Union européenne – sur cette question.
Dans le cadre de l’élaboration des accords de libre-échange, l’Europe ne négocie pas sur la protection des données personnelles. Toutefois, il faut appuyer résolument la proposition présentée par Mme Reding, au nom de la Commission européenne, de renforcer le dispositif de protection dont nous disposons déjà, le safe harbor : il prévoit que les données transmises par les consommateurs aux fournisseurs de services internet ne peuvent pas être revendues sans leur autorisation expresse et que le transfert de données vers un pays tiers ne peut avoir lieu que si ce dernier assure un niveau de protection adéquat de ces données.
Mme Reding, dont nous avons tous appris à connaître l’énergie, entend donc renforcer cette protection. Nous devons appuyer fermement le projet de la Commission, dont la France souhaite l’adoption rapide. Le Parlement européen sera saisi de ce sujet le 11 mars prochain.
Le mécanisme de règlement des différends entre États et investisseurs devra faire l’objet d’une vigilance particulière de notre part. Pour l’instant, son inscription dans le mandat est assortie d’une condition suspensive. S’il devait finalement être inclus dans l’accord, la Commission européenne serait tenue de revenir vers les États membres, qui devraient alors approuver cette évolution à l’unanimité. Telle est la règle.
Au nom de la France, je me suis fermement opposée à la mise en place d’un mécanisme qui remettrait en cause la souveraineté des peuples à légiférer, par le biais soit de directives ou de règlements européens, soit des législations nationales des États membres. Nous avons des alliés sur ce sujet important, auquel je sais les Allemands très attentifs : je rencontrerai très prochainement mon nouvel homologue d’outre-Rhin, notamment pour aborder avec lui la question.
La vigilance doit aussi prévaloir en ce qui concerne les services publics. L’Union européenne a inscrit dans le mandat donné à la Commission européenne la préservation du bon fonctionnement des services publics. Nous veillerons au respect de ce principe.
Il faudra faire preuve de vigilance en matière de protection de l’environnement, des travailleurs et des consommateurs. L’acquis réglementaire des États membres ne saurait être remis en cause. S’agissant de nos préférences collectives, je le rappelle, l’Union européenne se réserve la possibilité de prendre des mesures pour protéger la santé et la vie des personnes, des animaux et des végétaux. Le mandat est clair.
La question de la responsabilité sociale et environnementale a été évoquée. Avec certains partenaires –nous ne sommes pas isolés en Europe, même s’il est parfois difficile de trouver des alliés –, nous voulons essayer d’établir une référence mondiale dans ce domaine, qui vaille tant pour l’OCDE et les pays développés que pour les pays émergents ou pré-émergents. Il s’agit là d’un véritable enjeu. Lors de mon déplacement aux États-Unis, au printemps dernier, j’ai pu constater à quel point les ONG environnementales ou les syndicats de travailleurs plaçaient en nous beaucoup d’espoirs pour faire évoluer les normes américaines, qui ne sont pas du tout du même niveau que les nôtres.
M. Daniel Raoul m’a tout à fait légitimement interrogée sur l’état d’avancement des négociations.
Les trois rounds de négociations préliminaires sont achevés. Nous entrons à présent dans le vif du sujet, sans que nos interlocuteurs américains se soient beaucoup dévoilés à ce stade : pour l’instant, c’est plutôt wait and see.
Toutefois, de premiers points d’achoppement ont d’ores et déjà été identifiés.
Le dialogue sur la convergence réglementaire a laissé apparaître des divergences de vues très fortes entre les États-Unis et l’Europe, chacun affirmant le bien-fondé de sa position.
Pour l’heure, les discussions sur les services n’ont qu’un caractère général. L’Union européenne attend des éclaircissements sur les contradictions entre les engagements fédéraux de libéralisation et les législations des États fédérés. Les Américains s’opposent à l’inclusion des services financiers, ce qui était prévisible. L’Union européenne propose que l’importance de la régulation du secteur des services financiers soit reconnue et qu’il y ait un engagement à appliquer les standards agréés au niveau international.
M. Michael Froman, le négociateur américain, n’est guère disert sur la question des autorités de régulation. Aux États-Unis, ces autorités sont très nombreuses et indépendantes. J’ignore quelle est la capacité de persuasion de l’État fédéral à leur égard, d’autant que toutes ne sont pas fédérales…
En outre, les Américains temporisent par rapport aux demandes européennes en matière d’ouverture des marchés publics, ce qui n’est pas surprenant, eu égard au Buy American Act.
Néanmoins, le calendrier se précise. Les premiers échanges sur le rythme de baisse des droits de douane devraient avoir lieu en février. Surtout, une réunion très importante, au niveau politique cette fois, se tiendra au cours de la troisième semaine du même mois, entre le commissaire européen Karel De Gucht et le négociateur américain. Il s’agira d’une étape importante. Nous devrons alors nous revoir, comme je l’ai déjà indiqué à l’Assemblée nationale.
À mes yeux, il faut mener la négociation dans la plus grande transparence possible, sachant que l’on ne peut tout de même pas tout mettre sur la table.
Je partage les propos de M. Richard sur la nécessité de la cohérence. Je garde en effet un très mauvais souvenir du conseil informel de Dublin. La présidence irlandaise avait invité les négociateurs américains, et il était facile de comprendre, en écoutant les conversations dans les couloirs, que les Européens n’étaient pas d'accord sur grand-chose…
L’intelligence économique est particulièrement développée du côté américain ; nous avons pu l’observer au cours des derniers mois. (Sourires.) Cela étant, nous ne pouvons pas emprunter un chemin solitaire. Pour atteindre notre but ou, à tout le moins, nous en approcher le plus possible, nous avons besoin, certes, de transparence, mais également d’alliés. Sur la réciprocité avec les pays tiers, je puis vous dire que ce n’est pas évident ; il a été rappelé lors de deux Conseils européens qu’il fallait avancer sur cette question. Le règlement sera adopté ce mois-ci, je l’espère, par le Parlement européen, avec un rapporteur allemand. Ensuite, les États seront au pied du mur : il leur appartiendra de se déterminer. Le concept de réciprocité n’est pas nécessairement cher à tous nos partenaires, en particulier au principal d’entre eux… On nous accuse de protectionnisme, mais il ne faut pas être naïf : les États-Unis, bien qu’ils se fassent le champion du libre-échange, sont tout de même très protectionnistes ! (Marques d’approbation sur plusieurs travées.)
L’enjeu démocratique est essentiel. Un scrutin européen suivra les élections municipales : il me paraît très important que ces négociations soient un thème du débat public. Il ne faut pas avoir peur d’aborder les vrais sujets !
À cet égard, du côté américain, le Congrès des États-Unis doit accorder une Trade Promotion Authority, une TPA, aux négociateurs. Pour l’instant, cela ne se dessine pas vraiment, sachant que les relations entre l’État fédéral et le Congrès ne sont pas simples, surtout à l’approche des échéances de mid-term : nous interrogeons régulièrement nos partenaires américains sur ce point car, à défaut de TPA, le Congrès pourra rouvrir tous les chapitres de la négociation.
En tout état de cause, la démocratie aura le dernier mot. Sur ce sujet comme sur d’autres, il ne faut pas avoir peur du débat ; c’est le moteur de la démocratie ! Je conclurai sur une note œcuménique : nous voulons tous que cet accord soit un outil de progrès. En effet, comme le Président de la République l’a souligné lors de ses vœux, le progrès est notre horizon commun ! (Applaudissements sur la plupart des travées.)
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur les négociations commerciales transatlantiques.
5
Engagement de la procédure accélérée pour l’examen d'un projet de loi
M. le président. En application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l’examen du projet de loi relatif à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises, déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale le 21 août 2013.
Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures vingt-cinq, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Jean-Pierre Bel.)
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Bel
M. le président. La séance est reprise.
6
Questions d’actualité au Gouvernement
M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.
Je rappelle que l’auteur de la question dispose de deux minutes trente, de même que la ou le ministre pour sa réponse.
SNCM
M. le président. La parole est à M. Nicolas Alfonsi, pour le groupe RDSE.
M. Nicolas Alfonsi. Ma question s’adresse à M. le ministre délégué chargé des transports.
Mes chers collègues, il est des images télévisées revenant en boucle qui vous sont familières, celles de tous ces passagers dans l’attente de départs problématiques imputables à ces grèves qui, depuis des décennies, auront paralysé les liaisons que la SNCM, la Société nationale Corse-Méditerranée, assure entre l’île et le continent. Grèves aux motifs futiles trouvant leur prétexte dans le licenciement de deux salariés ; grèves aux motifs pittoresques ou médiatiques, des grévistes larguant les amarres pour se transformer l’espace d’une nuit en pirates de haute mer !
Jamais pourtant le cynisme ne l’aura autant disputé à l’irresponsabilité qu’à l’occasion de la grève déclenchée depuis une semaine par la CGT. Qu’on en juge : en septembre dernier, la collectivité territoriale de Corse renouvelait pour une durée de dix ans la délégation de service public à la SNCM et à la CCM, la Compagnie Corse-Méditerranée. En guise de cadeau de Noël, la réponse aura été un préavis de grève prenant effet le 1er janvier 2014, date de l’entrée en vigueur de cette délibération.
Le motif de cette grève a une apparence : l’exigence – contraire, selon nous, aux règles communautaires –, pour toutes les compagnies ayant des activités en France, d’être sous pavillon français, l’objectif étant de supprimer la concurrence de Corsica Ferries, sous pavillon italien. Cette grève a également un objectif : tenter de sauver la SNCM de la faillite.
Le « toujours plus » syndical, l’image dégradée de la compagnie, l’incapacité de l’État actionnaire, qui a cru pouvoir se retirer du jeu en cédant, il y a sept ans, sa participation majoritaire, ont conduit à la situation que nous connaissons. Une flotte vieillie, une condamnation par l’Union européenne à rembourser 440 millions d’euros à l’État et à la collectivité territoriale, un chiffre d’affaires de 300 millions d’euros pour un personnel pléthorique de 1 700 personnes au moins – mais on parle de 2 000 personnes –, une gestion calamiteuse qui aura conduit dirigeants, syndicats et acconiers à se payer durant des décennies sur le budget de l’État : tous ces facteurs sont à l’origine de ce désastre.
La crise que nous connaissons sonne la fin de la récréation, et l’État n’a plus droit à l’erreur, monsieur le ministre ! Vous venez de déclarer que « les conditions étaient réunies pour une reprise de l’activité » ; je vous remercie de bien vouloir préciser à la Haute Assemblée la nature de ces conditions et de lui indiquer de quels moyens l’État entend se doter aujourd’hui pour mettre fin à ces désordres.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé des transports.
M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué auprès du ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche. Monsieur Alfonsi, je tiens à vous annoncer la nouvelle : l’assemblée générale des personnels de la SNCM vient de voter la reprise de l’activité, après une réunion décisive au ministère des transports qui faisait elle-même suite à de très longues négociations, qui ont permis d’évoquer les différents aspects de ce dossier fort compliqué et fort ancien. En effet, les contentieux auxquels vous faites référence sont liés à des décisions prises parfois en 2002 ou aux conditions de privatisation de la société que certains parlementaires ont pu qualifier de « troubles ».
Une discussion est encore actuellement en cours au ministère des transports concernant les conditions d’entrée en vigueur du décret d’application d’une loi déjà votée relatif aux règles de l’État d’accueil. Il permettra d’harmoniser les règles applicables aux différentes compagnies maritimes, quelles que soient leurs activités dans les eaux françaises, pour mettre fin au dumping social dans le secteur maritime. La France sera ainsi le premier pays européen à aller aussi loin en matière d’harmonisation, et ces règles permettront d’avoir une concurrence loyale et de faire obstacle au dumping social.
D’autres aspects du débat concernent la SNCM elle-même. Grâce à la décision prise par M. le Premier ministre le 31 décembre dernier, la liquidation de la société a été évitée et sa trésorerie assurée, permettant ainsi d’aborder les plans industriel et social. Ces questions ont été étudiées, hier, avec l’ensemble des représentants syndicaux afin de redonner une perspective à l’entreprise.
Tout d’abord, en ce qui concerne les contentieux européens – je signale que certaines des décisions rendues ne sont pas définitives –, l’État souhaite faire valoir un certain nombre de réalités, telles que la continuité territoriale ou l’obligation de service public, qui sont des spécificités.
Ensuite, un plan de renouvellement de la flotte sera mis en place pour améliorer la compétitivité de la société. Pour lancer ce plan, des financements seront recherchés avec l’appui, notamment, de la Caisse des dépôts et consignations et de la Banque publique d’investissement.
Enfin, le pacte social qui sera lancé concomitamment permettra le départ volontaire de plusieurs centaines de salariés.
J’avais demandé que l’esprit de responsabilité l’emporte. C’est ce qui s’est passé. Le vote qui a eu lieu il y a quelques minutes exprime précisément cette volonté de continuité, de sérieux et de sécurité. Il envoie également un message à l’adresse des usagers et des voyageurs concernant le maintien de l’activité dans les prochains mois et, je l’espère, les prochaines années.
tournant social-libéral
M. le président. La parole est à M. Philippe Dallier, pour le groupe UMP.
M. Philippe Dallier. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre.
M. Gérard Longuet. Il est là !
M. Philippe Dallier. Lors de ses vœux aux Français, le Président de la République a donné le sentiment de vouloir infléchir la politique économique et budgétaire du Gouvernement. Cet infléchissement, du discours en tout cas, partait d’un constat : la croissance n’a pas été au rendez-vous en 2013. François Hollande a d’ailleurs, une nouvelle fois, reconnu avoir sous-estimé la gravité de la crise, donnant à ses vœux un air de mea-culpa. En effet, s’il faut un infléchissement, c’est bien que la politique conduite n’était pas la bonne !
Le Président semble enfin admettre que nos entreprises ont toujours un grave problème de compétitivité. Pourtant, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE, instrument phare de la « boîte à outils » présidentielle, était censé y remédier, mais le bilan est là : en 2013, la marge de nos entreprises a atteint son niveau le plus faible historiquement. Pourquoi ? Tout simplement parce que les impôts et les charges pesant sur les entreprises ont augmenté de 16 milliards d’euros depuis l’été 2012, alors que le CICE n’a encore produit que peu d’effets. De toutes les manières, même en année pleine, il compensera à peine ces hausses. En quelque sorte, vous avez déjà repris d’une main ce que vous n’aviez pas encore donné de l’autre.
Le Président de la République ne pouvait pas mieux démontrer que le Gouvernement a eu grand tort de supprimer le dispositif de « TVA sociale » que nous avions adopté et qui aurait pu entrer en vigueur au 1er octobre 2012. Vous avez perdu dix-huit mois, et ces dix-huit mois se sont soldés par des milliers de chômeurs. Faut-il rappeler que 13 000 PME ont mis la clé sous la porte l’année dernière ? Voilà un autre record, vieux de vingt ans, que vous avez battu !
François Hollande nous a donc annoncé que le Gouvernement travaillait à un pacte de responsabilité et de compétitivité. Bonne nouvelle, car mieux vaut tard que jamais ! Cependant, monsieur le Premier ministre, le Parlement vient de voter le budget de l’État et celui de la sécurité sociale, et nous n’y avons rien vu qui ressemble à ce pacte. Le Président de la République a laissé entendre que celui-ci serait financé par des réductions de dépenses supplémentaires ; encore faudrait-il que de véritables réformes structurelles soient engagées et que vous cessiez d’annoncer de nouvelles dépenses tous les trois mois !
Monsieur le Premier ministre, le changement, est-ce maintenant ? Le discours des vœux présidentiels est-il vraiment le signe d’une inflexion sociale-libérale ? Si tel est bien le cas, quels sont les axes de ce pacte de responsabilité avec nos entreprises et, surtout, comment le financerez-vous ? (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Je suis toujours étonné d’entendre, aussi bien au Sénat qu’à l’Assemblée nationale, les représentants de l’UMP faire la leçon au Gouvernement (Exclamations sur les travées de l’UMP.),…
M. Alain Gournac. On pose des questions !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. … sans être capable de présenter la moindre proposition. Ah, si, le président de votre parti, M. Copé, a annoncé une baisse des dépenses publiques de 130 milliards d’euros, mais sans jamais dire une seule fois de quelles dépenses il s’agissait.
M. Alain Fauconnier. C’est inouï !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Vous vous êtes bien gardés de le dire, car, lorsque vous étiez au pouvoir, vous avez démontré que vous faisiez exactement le contraire !
Dans ma déclaration de politique générale de juillet 2012, j’avais décrit la situation du pays. Je vous y renvoie : en cinq ans de présidence Sarkozy, la part de la dépense publique dans le PIB a augmenté de 4 points. Ce n’est pas nous qui l’avons fait, c’est vous !
M. Jean-Louis Carrère. C’est très fort !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Nous avons hérité d’une dette qui avait augmenté de 600 milliards d’euros ; le déficit budgétaire, si nous n’avions rien fait, aurait atteint 6 % du PIB !
M. Didier Guillaume. Eh oui !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Depuis que j’exerce les responsabilités de chef du Gouvernement, nous n’avons eu de cesse de mettre en œuvre un programme de redressement…
M. Alain Gournac. Pas productif !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. … de la situation de notre pays. Nous ne sommes pas encore parvenus au terme de ce plan de redressement, monsieur le sénateur.
Puisque vous avez évoqué le projet de loi de finances et le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2014, je vous demande de faire preuve de mémoire. Rappelez-vous les amendements que vous avez proposés au Sénat.
Mme Françoise Cartron. Eh oui !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Vous savez de combien ils auraient augmenté la dépense publique ? De 70 milliards d’euros !
Mme Françoise Cartron. Voilà !
M. Didier Guillaume. Belle cohérence !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Je vous appelle donc à un peu plus de décence et de responsabilité.
M. Alain Gournac. Et vous !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Après la présentation du rapport Gallois, j’avais annoncé un pacte pour la croissance, la compétitivité et l’emploi. Vous avez fait allusion à certaines de ses mesures, mais on pourrait ajouter l’organisation en filière, l’évolution de notre système de formation professionnelle, le soutien aux PME, la création d’une banque publique d’investissement et, enfin, la baisse du coût du travail. Cette dernière coûtera – je le rappelle, car certains la critiquent – 20 milliards d’euros au budget de l’État. Cet effort considérable qui est demandé à tous les Français a pour but de redonner des marges de manœuvre aux entreprises. C’est en 2014 que ces mesures seront effectives.
L’année dernière, les entreprises qui en faisaient la demande avaient la possibilité d’anticiper le bénéfice de ce crédit d’impôt, grâce aux avances de trésorerie de la Banque publique d’investissement, mais seulement une petite partie des entreprises, en particulier les PME, y ont fait appel. Aujourd’hui, toutes les entreprises vont pouvoir bénéficier de cette baisse du coût du travail de 4 %, qui devrait leur donner une marge de manœuvre très importante et qui devrait atteindre jusqu’à 6 % en 2015.
Grâce à cette marge de manœuvre supplémentaire, nous souhaitons redonner aux entreprises les capacités d’investir, d’innover et d’embaucher, au moment où les efforts entrepris portent leurs fruits en matière de croissance. En effet, nous sommes repartis sur un rythme de croissance beaucoup plus élevé que celui que nous avons connu en 2013, alors que, pendant cinq ans, depuis la crise de 2008-2009, le taux de croissance a été de 0 % en moyenne, avec tous les dégâts qui en résultent en termes de chômage, de pertes d’emplois dans les régions et de destructions d’entreprises. Voilà la réalité que nous connaissions dans notre pays !
Mais l’activité redémarre, en France et en Europe. C’est donc maintenant qu’il faut consolider notre situation. Tel est le sens du pacte proposé par le Président de la République aux entreprises et aux partenaires sociaux, pour que le redressement soit au service de l’emploi. La priorité de toutes les priorités, avec le retour de la croissance, c’est la création d’emplois. Dans cette bataille décisive, vous pourriez aussi apporter votre concours, au lieu de présenter des propositions démagogiques !
L’enjeu est essentiel pour l’avenir de notre pays. Bien sûr, nous n’en avons pas fini avec les difficultés financières, notamment avec la réduction de la dette, indispensable pour rendre des marges de manœuvre à notre pays ; le chantier est loin d’être terminé. Pour autant, nous voulons à tout prix préserver les fondamentaux de notre modèle social.
Comme l’a dit le Président de la République, mais cela, vous ne l’avez pas évoqué dans votre intervention, l’enjeu, c’est de réformer notre pays, de le moderniser, sans pour autant défaire ce qui fait sa cohésion, en particulier sa cohésion sociale, c’est-à-dire notre modèle social. Pour cela, il faut accepter des réformes, et la France est capable de se réformer !
Je voudrais prendre plusieurs exemples pour montrer que nous sommes capables de nous réformer, contrairement à ce qu’on dit dans cette espèce de mauvaise mode de France bashing dans laquelle vous vous laissez parfois entraîner. Qui donc a été capable de créer les conditions permettant aux partenaires sociaux de trouver, le 11 janvier 2012, un accord pour la réforme du marché du travail ? C’est cette majorité !
Il y a également eu la réforme des retraites.
M. Gérard Longuet. Quelle réforme ?
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Rappelez-vous, les autres réformes ont toujours donné lieu à des mouvements sociaux considérables. Cette réforme des retraites, après concertation, nous l’avons fait voter par l’Assemblée nationale, en dernière lecture, juste avant Noël.
J’en viens à la dernière réforme en date, celle dont vous allez débattre dans quelque temps et qui concerne la formation professionnelle, grâce à un accord intervenu, en fin d’année 2013, entre le patronat et les syndicats. J’espère, mesdames, messieurs les sénateurs, que vous serez nombreux à voter cette nouvelle réforme.
Toutes ces réformes, y compris celle de la refondation de l’école, qui est, elle aussi, essentielle pour l’avenir de notre pays et de sa jeunesse, comme pour sa compétitivité, vont porter leurs fruits. Elles permettront à la France de repartir de l’avant avec puissance, force et confiance tout en gardant sa spécificité, son modèle social, qui est aussi le garant du pacte et de la solidarité nationale. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
découpage électoral
M. le président. La parole est à M. Hervé Marseille, pour le groupe UDI-UC.
M. Hervé Marseille. Ma question s'adresse à M. le ministre de l’intérieur.
Depuis l’élection du Président de la République, on ne compte plus les modifications qui ont été apportées aux modes de scrutin. Tous ont été concernés, des élections municipales et sénatoriales aux élections des représentants des Français établis hors de France. Dans les départements, un scrutin binominal a été institué. Et le calendrier électoral lui-même a été modifié !
L’architecture globale a été repensée, mais le but recherché ne trompe personne. Certains pourront objecter que ce n’est pas la première fois que de telles réformes ont lieu, mais ils se trompent. En effet, ce charcutage n’a rien à voir avec, par exemple, les découpages législatifs de 1986 et de 2009, qui respectaient les limites cantonales préexistantes et qui avaient été effectués sous le contrôle d’une commission nationale indépendante dont les avis publics avaient été largement suivis par le gouvernement. Au demeurant, le découpage de 1986 a permis plusieurs alternances.
Issu d’une loi justifiée par la parité mettant en place le scrutin binominal, le découpage actuel oublie totalement les territoires. Aussi l’atteinte portée à ces derniers ne fait-elle aucun doute.
Je souhaite saluer ici le travail des élus locaux, qui, en dehors de toute considération politique, ont depuis de nombreuses années travaillé à la mise en place d’intercommunalités reposant sur des bassins de vie qui structurent nos territoires. Or, monsieur le ministre, votre découpage réalisé à l’encontre de ces logiques territoriales va augmenter la confusion chez nos concitoyens et sera, à l’évidence, à l’origine d’un nouveau déficit démocratique.
Cette loi ruralicide sacrifie les territoires au profit du seul critère démographique. Les élus ont de nouveau été oubliés et n’ont pas été consultés. En tout état de cause, ce découpage est arbitraire. Outre qu’il répond à des critères très souvent hétérogènes, il est, en réalité, uniquement politicien aux yeux de nombre de nos collègues.
Vous faites peu de cas des écarts entre les chiffres de la population au moment de la parution du décret et les chiffres réels connus par le recensement au 1er janvier 2014. De même, la continuité géographique, le respect des critères liés à la réalité des territoires ne semblent pas avoir été des préoccupations majeures.
Enfin, reste, bien sûr, le problème du calendrier. Pour nous conformer à la loi, nous sommes en effet obligés de respecter des délais, dont on se demande comment ils pourraient être tenus si certains décrets devaient être annulés dans les semaines à venir.
De nombreux départements, y compris dans vos rangs, se sont clairement opposés à ce découpage. Ainsi, l’Aisne, le Puy-de-Dôme, le Tarn-et-Garonne et la Seine-Saint-Denis ont rejeté le projet qui leur avait été soumis.
M. le président. Veuillez poser votre question !
M. Hervé Marseille. Monsieur le ministre, vous justifiez votre redécoupage par l’application de la règle du plus ou moins 20 %. Néanmoins, cette démarche a été réalisée au mépris des logiques intercommunales. Aussi, je vous demande si vous entendez rectifier votre démarche afin de créer, dans toute la mesure du possible, des cantons sur la base des EPCI. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé des relations avec le Parlement.
M. Alain Vidalies, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, Manuel Valls regrette de ne pouvoir vous répondre personnellement. (Exclamations sur les travées de l'UMP.) Il est aujourd’hui en déplacement en région Bretagne.
Vous semblez vous inquiéter de la progression du travail du remodelage cantonal. Je vais essayer de vous rassurer.
À ce jour, quatre-vingt-treize projets de décrets de redécoupages ont été transmis aux conseils généraux. Les derniers le seront d’ici à la fin de la semaine prochaine. Cinquante-six assemblées départementales ont déjà émis un avis sur ces projets, les autres le feront dans les prochaines semaines.
M. Philippe Dallier. Pas sûr !
M. Alain Vidalies, ministre délégué. Le Conseil d’État a déjà été saisi de cinquante-trois projets et a émis un avis favorable sur quarante-sept d’entre eux. Les légères modifications qui leur ont parfois été apportées visent toutes à un respect très strict, encore plus strict que les propositions du ministre, des critères démographiques.
Vous le voyez, cette opération sera bien achevée, comme l’impose la loi du 11 décembre 1990, un an avant l’échéance prévue pour le renouvellement des conseils départementaux.
S’agissant des délais de recours contentieux, vous le savez, les dispositions de la loi de 1990 ne leur sont pas applicables. L’éventuelle annulation d’un décret portant délimitation des cantons d’un département constitue, en effet, juridiquement un événement extérieur à l’exercice du pouvoir réglementaire, seul concerné par l’article de loi.
Vous avez aussi évoqué – c’est légitime – la question de la prise en compte de l’intercommunalité. Cette dernière est très clairement prise en compte, mais, vous le savez, les schémas départementaux de coopération intercommunale ne peuvent pas toujours être strictement respectés dans la délimitation des nouveaux cantons, notamment parce que le critère principal, le critère prioritaire imposé par la décision du Conseil constitutionnel et repris, y compris dans ses avis, par le Conseil d’État, est bien le critère démographique.
Le Gouvernement essaie de tenir compte au maximum des limites de l’intercommunalité. Lorsque le schéma départemental n’a pas été adopté, la règle de substitution conduit à tenir compte au maximum des limites des cantons existants.
Vous le voyez, monsieur le sénateur, ce redécoupage progresse. Il sera fait dans un cadre juridique très strict puisque le Conseil constitutionnel a défini les critères pour y procéder. Dans tous les cas, il aura lieu sous la surveillance – ce qui est bien normal dans un État de droit – du Conseil d’État. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Alain Gournac. Charcutage !
M. Jean-Louis Carrère. Et c’est un charcutier qui vous le dit !
aides à la suite des dégâts sur le littoral atlantique
M. le président. La parole est à Mme Françoise Cartron, pour le groupe socialiste.
Mme Françoise Cartron. Ma question s'adresse à Mme la ministre déléguée chargée de la décentralisation.
Ces derniers jours, le littoral atlantique a subi une nouvelle fois les assauts de l’océan.
Sur le front des inondations, après la Bretagne, l’Aquitaine a été à son tour durement touchée. Lundi soir, à certains endroits, des vagues atteignaient près de douze mètres de haut.
De nombreuses villes côtières ont souffert de ces intempéries. À Biarritz, une femme est décédée, une disparition inquiétante est signalée, des jeunes ont été blessés.
Les déferlantes ont également causé des dégâts matériels dans tous les départements du littoral : dans les Pyrénées-Atlantiques, en particulier sur la Grande Plage et la plage du Vieux Port à Biarritz ; en Charente-Maritime, où les îles de Ré et d’Oléron ont été en première ligne ; dans les Landes, notamment à Mimizan, Capbreton et Vieux-Boucau.
Enfin, dans mon département, les côtes de Gironde ont été durement malmenées. Le gros des dégâts s’est essentiellement concentré sur trois stations balnéaires : Lacanau, Montalivet et Soulac, zone réputée fragile qui a été la plus touchée par les déferlantes. L’océan a gagné près de quatre mètres sur les dunes, menaçant un immeuble aujourd’hui au bord de l’écroulement. Si des travaux de renforcement ont d’ores et déjà été engagés, la commune devra nécessairement être accompagnée pour qu’une solution pérenne soit trouvée.
Plus généralement, derrière la tempête, nous le savons, c’est bien l’érosion continue du littoral qui pose problème. L’Aquitaine est la région la plus touchée par le recul du front de côte, qui menace les espaces naturels et forestiers, les zones d’activités, de loisirs et les habitations. Chaque année, la côte sableuse perd du terrain : de un à trois mètres par an en moyenne, jusqu’à six à dix mètres par endroits. Et cela va s’aggraver !
Des stratégies ont été mises en place pour faire face à l’érosion côtière en Aquitaine. Elles encouragent la prévention, la connaissance et la culture du risque. Elles facilitent le pilotage partenarial d’une politique territoriale.
Mes questions sont donc les suivantes : sur les départements touchés, pouvez-vous nous dire comment ont fonctionné les systèmes d’alerte ? Quel accompagnement de l’État à destination des communes impactées, notamment en termes d’indemnisation, envisagez-vous ? Enfin, à long terme, l’État soutiendra-t-il les départements côtiers du grand Sud-Ouest pour élaborer des solutions pérennes afin de protéger le littoral menacé ? (Applaudissements.)
M. Jean-Louis Carrère. Questions importantes !
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de la décentralisation.
Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée auprès de la ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique, chargée de la décentralisation. Madame la sénatrice, le Gouvernement est totalement mobilisé face à ce problème, dont vous avez souligné le caractère exceptionnel, non seulement dans votre département et sur toute la côte atlantique, mais aussi en Bretagne et à La Réunion. Le ministre de l’intérieur et le ministre de l’écologie, M. Valls et M. Martin, se trouvant précisément en Bretagne, c’est donc également en leur nom que je vous réponds.
L’alerte, sur laquelle vous m’avez interrogée, a fonctionné. Dès le lundi 6 et le mardi 7, les services préfectoraux ont invité la population à prendre des mesures.
Désormais, l’important est bien entendu le retour à la vie normale. Le ministre de l’intérieur – je peux en attester – y veille avec un soin particulier. Tous les services qui relèvent de sa compétence sont sur le terrain pour aider la population.
La procédure de catastrophe naturelle va être engagée, comme l’a dit le ministre, mais elle ne pourra être déclarée que lorsque le phénomène aura été totalement constaté.
Restent maintenant les problèmes de prévention. À ce sujet, je voudrais appeler votre attention sur la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles. Deux de vos collègues sénateurs, Pierre-Yves Collombat et Louis Nègre, ont milité pour qu’y soit intégrée une disposition concernant les inondations. Elle a été adoptée. Elle va donc être mise en œuvre.
M. Simon Sutour. C’est très important !
Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée. Elle revêt en effet un caractère important puisqu’elle permettra à l’État et aux collectivités locales de travailler ensemble au bénéfice de nos communes et des zones particulièrement sinistrées, susceptibles de comporter les dangers que vous avez relevés, notamment sur la côte atlantique.
Enfin, le ministre de l’écologie, Philippe Martin, a mis en place un fonds de prévention des risques naturels majeurs dans lequel État et collectivités locales travaillent de concert pour trouver des modalités de simplification. L’objectif est que réactivité et efficacité soient au rendez-vous face à ces problèmes très difficiles. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
déraillement d'un train de déchets nucléaires en gare de drancy
M. le président. La parole est à Mme Aline Archimbaud, pour le groupe écologiste.
Mme Aline Archimbaud. Ma question s'adresse à M. le ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie.
Lundi 23 décembre, à seize heures treize, un wagon transportant de l’uranium appauvri UF6 déraillait à Drancy, en Seine-Saint-Denis, à cinquante mètres des habitations et à cent mètres des quais du RER B.
Au même endroit, onze jours auparavant, un wagon d’acide chlorhydrique venait de dérailler et de percuter un wagon de nitrate d’ammonium, les deux matières qui, entrées en contact, sont à l’origine de l’explosion d’AZF.
Au même endroit sont survenus ces dernières années quarante-quatre accidents, dont vingt-deux sont considérés comme graves par l’État. Cette situation ne peut plus durer.
M. Alain Gournac. Tout déraille !
Mme Aline Archimbaud. Nous ne pouvons continuer à faire preuve d’amateurisme et de désinvolture en la matière.
Des déchets d’une haute dangerosité continuent de transiter à travers notre pays, y compris dans des zones urbaines très denses, sur des voies empruntées par des dizaines de milliers de voyageurs, à proximité de sites Seveso et sans même que les maires des communes concernées en soient informés.
Les alarmes de confinement, qui auraient retenti à seize heures quinze, n’ont pas été entendues par les riverains, lesquels, de toute manière, n’ont jamais été informés de ce qu’ils sont censés faire quand elles se déclenchent.
Les cheminots qui ont été vus en train d’évoluer autour du wagon ne portaient ni dosimètres ni équipements spéciaux. Qu’avez-vous à répondre à la population, aux cheminots et aux élus extrêmement inquiets ?
Chaque année, 200 à 300 transports ferroviaires de déchets radioactifs sillonnent la France sur des dizaines de milliers de kilomètres. Ils s’ajoutent aux convois routiers, encore plus dangereux, qui transportent ces déchets depuis les centrales nucléaires françaises jusqu’à l’usine de retraitement de La Hague. La plus grande partie des déchets repart ensuite vers le sud, à Marcoule, pour la production du MOX.
Monsieur le ministre, quelles mesures d’urgence allez-vous prendre pour assurer la sécurité autour de la gare de Drancy ? Quand allez-vous informer les élus et la population ? Quand allez-vous mettre fin à ces transports de déchets nucléaires qui font courir aux populations des risques énormes ? Quand allez-vous organiser l’entreposage des déchets à proximité des centrales ?
Le Président de la République a pris des engagements très clairs, notamment sur une réduction de 50 % de la part du nucléaire. Mais à quand l’abandon de la filière MOX, qui est la cause de nombre de ces transports ? (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé des transports.
M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué auprès du ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche. Madame la sénatrice, vous faites référence à deux incidents importants qui ont eu lieu à quelques jours d’intervalle, le 12 et le 23 décembre dernier. Ils concernaient, pour l’un, un wagon vide d’acide chlorhydrique et, pour l’autre, un wagon de déchets d’origine nucléaire. Ce dernier incident a été classé par l’Autorité de sûreté nucléaire, sur une échelle allant de zéro à sept, au niveau zéro, le wagon étant simplement sorti des rails sans se renverser et sans provoquer de collision.
Je rappelle que les mesures de sécurité sont nombreuses et découlent d’une réglementation très précise, qui est à la fois internationale, communautaire et nationale. Il s’agit de permettre de mettre en œuvre toutes les dispositions nécessaires en matière d’information et de sécurité, même si, bien sûr, celles-ci ne sont jamais suffisantes.
Je tiens à vous assurer de la mobilisation du Gouvernement. Philippe Martin et moi-même avons été associés et informés en temps réel des dispositions qui ont été prises, s’agissant notamment des modalités d’organisation du périmètre de sécurité, qui a été très rapidement levé.
Il n’en demeure pas moins que la réglementation applicable doit être confortée. C’est pourquoi nous avons demandé qu’un retour d’expérience nous soit fait par le préfet le 16 janvier prochain. Par ailleurs, un comité d’information doit être mis en place, comme je l’évoquais encore hier avec Marie-George Buffet et avec le maire du Blanc-Mesnil : il faut que l’on puisse réunir très rapidement autour de la table non seulement les élus locaux, mais aussi les opérateurs et l’ensemble des acteurs. Je tiens d’ailleurs à rendre hommage à toutes les personnes qui ont fait preuve d’une grande responsabilité en pareille situation, qu’il s’agisse des cheminots, des autorités locales et des services de sécurité.
Mme Éliane Assassi. Exactement !
M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. J’ai demandé à RFF et à la SNCF une expertise complémentaire pour que nous puissions déceler les risques que peut entraîner le transport ferroviaire, dont on sait qu’il est le mode de transport le plus sûr. Les déchets ou les matières dangereuses peuvent être transportés soit par la route, soit par le rail, mais encore faut-il que RFF et la SNCF puissent apporter toutes les garanties. Telle est notre préoccupation !
Vous nous avez interrogés enfin sur la filière MOX. Le Président de la République a confirmé, lors du conseil de politique nucléaire d’octobre 2012, notre stratégie de retraitement des combustibles usés et de réemploi dans les réacteurs français des matières fissiles extraites sous la forme de combustible MOX.
M. le président. Merci, monsieur le ministre !
M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. La réglementation internationale impose le retour dans le pays d’origine de ces matières. Un transport sécurisé s’impose donc. (Applaudissements sur quelques travées du groupe socialiste.)
politique générale du gouvernement à la suite des vœux du président de la république
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour le groupe CRC.
Mme Éliane Assassi. Ma question s'adresse à M. le Premier ministre.
Aujourd’hui, une majorité de Français exprime de l’hostilité à l’égard du fait politique, du Gouvernement et, de façon plus générale, des élus.
M. Éric Doligé. Et du parti communiste !
Mme Éliane Assassi. Cette situation nourrit l’abstention. Elle détourne la population, en particulier celle qui souffre et qui attend le plus du pouvoir, vers le populisme, symbolisé par le Front national.
Monsieur le Premier ministre, cette perte de confiance et cette exaspération proviennent pour beaucoup des promesses non tenues, des actes qui prennent le contre-pied du discours.
Notre peuple, en 2012, ne supportait plus les excès de la présidence de Nicolas Sarkozy,…
M. Pierre Charon. Ah non !
Mme Éliane Assassi. … ce « travailler plus pour gagner plus », qui s’était traduit par un renforcement inédit des inégalités, par un gouvernement pour les riches.
François Hollande a été élu le 6 mai 2012 sur un mandat qu’il s’était lui-même fixé : « Le changement maintenant ».
Plusieurs sénateurs du groupe UMP. Raté !
M. Éric Doligé. Vous vous êtes fait avoir !
Mme Éliane Assassi. Lui qui avait obtenu 29 % le 29 avril 2012 a pu rassembler à gauche le 6 mai en promettant la rupture avec la politique de la droite, changement symbolisé par le fameux discours du Bourget.
Or M. Hollande, plagiant MM. Blair et Schröder, a confirmé, en présentant ses vœux à notre peuple, sa conversion aux vieilles recettes éculées du libéralisme (Exclamations ironiques sur les travées de l'UMP.) :…
M. Philippe Dallier. Merci de me faire écho !
Mme Éliane Assassi. … réduire la dépense publique, lutter contre la fraude sociale et soulager ce patronat qui souffre tant.
Mme Catherine Tasca. Caricature !
Mme Éliane Assassi. Même le mot « changement » n’a pas été prononcé !
En annonçant un pacte de responsabilité avec le patronat, M. Hollande privilégie explicitement le partenariat avec le patronat, au détriment des salariés. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Monsieur le Premier ministre, les vœux du Président Hollande sont un aveu d’échec programmé, le ralliement à une cause qui n’est ni la nôtre, ni la vôtre, ni celle des femmes et des hommes de gauche, qu’ils fussent communistes, du Front de gauche, socialistes ou écologistes.
Aucun mot sur l’évasion fiscale scandaleuse, aucun mot sur les patrons voyous qui licencient alors qu’ils engrangent les bénéfices et sur les entreprises du CAC 40, qui accumulent les profits et qui souvent ne paient pas l’impôt, aucun mot sur l’accroissement des inégalités, sur la désagrégation du code du travail qui fait exploser la précarité et plombe le pouvoir d’achat ! Rien sur les conséquences dramatiques de l’austérité que vous mettez en œuvre dans les services publics locaux et nationaux !
Gouverner à gauche, ce n’est pas exercer un métier de comptable ; gouverner à gauche, c’est embrasser la cause du peuple, et non celle du marché.
Monsieur le Premier ministre, votre gouvernement va-t-il continuer de prendre à revers les promesses de 2012 et de valider les tristes renoncements de ce 31 décembre 2013 ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. Christian Cointat. Nous ne sommes pas aussi méchants !
M. Gérard Longuet. Avec des alliés comme ceux-là…
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Roger Karoutchi. Mais un peu quand même…
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Je ne sais pas si vous pensez vraiment ce que vous venez de dire, car vous êtes vraiment allée très loin. Un discours de ce type conduit au néant…
Mme Dominique Gillot. Oui !
M. Éric Doligé. Le communisme, c'est le néant !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. … et, surtout, à l’impuissance. Or, je le sais, telle n’est pas votre volonté.
Votre volonté, c’est que les choses aillent mieux pour les Français, que le chômage diminue, que la justice sociale progresse et que les inégalités reculent. Vous l’avez d’ailleurs dit dans votre propos. Mais les solutions, je ne les vois pas.
M. Alain Gournac. On s’en était aperçu !
M. Jackie Pierre. Quel aveu !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Vous dites que, pour gérer un pays, il ne faut pas être simplement comptable. Nous ne sommes pas un gouvernement de comptables, mais nous avons des comptes à rendre au peuple français !
M. Christian Cointat. Absolument !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Des comptes à rendre, cela signifie – je répète ce que j’avais dit dans ma déclaration de politique générale de juillet 2012 – que nous ne pouvons pas construire le développement et l’avenir du pays en laissant filer à ce point la dette,…
M. Gérard Longuet. C’est vrai !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. … payée par les générations futures, car cela nous empêche de préserver notre souveraineté et notre capacité à décider par nous-mêmes.
La dette atteint presque 100 % du PIB, seuil qu’elle finira par dépasser si nous ne faisons rien. Pouvons-nous accepter d’être demain dans la main des marchés financiers ? Vous avez rappelé les engagements qui ont été pris, notamment par le Président de la République dans son discours du Bourget. Justement, ce n’est pas à la finance, aux marchés financiers de décider pour la France ! C’est la raison pour laquelle nous voulons mettre fin à cette spirale.
Lorsque le budget de remboursement des intérêts d’emprunts d’un pays est plus important que son budget de l’éducation nationale, c’est que quelque chose ne va pas ! L’enjeu du Gouvernement, c'est de faire non pas une politique comptable, mais une politique qui redonne à la France des marges de manœuvre, pour investir et soutenir l’innovation, l’industrie, les infrastructures, mais aussi l’humain !
Croyez-vous que la France n’a pas besoin de refonder son école pour que celle-ci soit plus efficace ? Notre pays ne doit pas se résigner à ce que, chaque année, 20 % des enfants échouent à l’école et à ce que, dans certains quartiers, la norme ne soit pas la réussite scolaire, comme c’est le cas heureusement pour la majorité des enfants de notre pays, mais l’échec.
Pour cela, il faut des moyens. Gouverner, c’est choisir, et nous choisissons nos priorités. Je les ai évoquées il y a quelques instants en répondant à M. Dallier.
Mme Catherine Procaccia. On ne les a pas comprises !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Madame Assassi, j’essaye de vous convaincre que ce que nous faisons est non seulement utile au pays, mais également juste. Il nous faut de la lucidité et du courage. Ce n’est pas dans la fuite en avant verbale, dans la fuite en avant dans la dépense budgétaire que vous trouverez des solutions. Je le répète, il faut faire un effort, en toute lucidité et avec courage.
M. Alain Gournac. Il faut du changement !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Cet effort doit être juste. Je pense à tous les grands chantiers que nous avons lancés avec le Président de la République et qu’il a évoqués dans son message de vœux aux Français le 31 décembre dernier.
M. Alain Gournac. Un pas en avant, deux pas en arrière !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Nous proposons aux entreprises un pacte pour renforcer encore leur engagement à investir, à innover et à embaucher, tout en faisant en sorte que les salariés y trouvent des contreparties et que le dialogue social soit conforté.
M. Alain Gournac. Blablabla !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. C’est ce que le Président de la République a dit dans son discours. Vous n’en avez pas fait mention dans votre propos. En revanche, vous avez souligné qu’il n’y avait pas un mot sur la justice sociale et sur les inégalités. Mais François Hollande a évoqué un point extrêmement important : nous devons réformer notre modèle pour le sauver, et non pour l’abandonner.
Vous avez fait référence à 2012 et à la campagne pour l’élection présidentielle. L’un des points sur lesquels nous avions un désaccord fondamental avec le président sortant, Nicolas Sarkozy, qui, je le rappelle, n’a pas été réélu, c’était sur sa tentative, menée pendant plusieurs années, de convaincre les Français que les difficultés de notre pays à retrouver la performance économique, la compétitivité et la croissance provenaient de son modèle social et de son organisation politique. Nous pensons l’inverse ! Pour nous, c’est au contraire un socle sur lequel s’appuyer, un levier dont il faut se servir pour réformer. C’est bien ce que François Hollande a dit dans son discours du Bourget lorsqu’il expliquait que la France n’était pas le problème, mais la solution.
La solution, nous devons la trouver en nous-mêmes, dans ce que nous avons de meilleur, dans ce que la République a porté et qui, aujourd’hui, ne tient pas toujours ses promesses. Cela demande, je le répète, du courage, de la lucidité et de la volonté pour réformer, transformer et remettre sur les rails notre pays, sans pour autant abandonner ce que nous sommes. Voilà le combat du Gouvernement ! Je souhaite que nous soyons plus nombreux encore à le soutenir, et je vous invite à le faire, car je n’ai pas de doute : en matière de justice sociale, telle est également votre volonté.
Si vous en êtes d’accord, en toute simplicité et dans un souci d’écoute réciproque, nous pouvons avancer ensemble. Je préférerais, madame Assassi, que vous laissiez de côté les paroles quelque peu excessives et les anathèmes, car ils n’ont pas de raison d’être et ne sont pas utiles à l’avenir de la France. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur plusieurs travées du groupe écologiste.)
état de catastrophe naturelle à la suite du cyclone à la réunion
M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Farreyrol, pour le groupe UMP.
Mme Jacqueline Farreyrol. Ma question s'adresse à M. le ministre des outre-mer.
Monsieur le ministre, vous avez eu l’occasion de souligner mardi dernier à l’Assemblée nationale la mobilisation des services de l’État à la suite du passage du cyclone Bejisa à La Réunion. La transmission hier soir par la préfecture, au ministère de l’intérieur et au ministère des outre-mer, des demandes de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle formulées par les vingt-quatre communes de La Réunion vous permet aujourd’hui d’agir vite.
Lors de votre visite samedi dernier, qui témoigne de votre réactivité et pour laquelle je tiens à vous remercier très sincèrement, vous avez pu constater les conséquences désastreuses de ce cyclone pour la population comme pour tous les secteurs économiques.
Identifié comme prioritaire à La Réunion par la loi pour le développement économique des outre-mer, le tourisme, déjà fortement impacté par la succession de différentes crises – les incendies du Maïdo, les émeutes du Chaudron, la « crise requin » et bien sûr la crise économique –, a de nouveau été aujourd’hui durement touché.
Avec le cyclone Bejisa, les professionnels du tourisme ont subi des pertes importantes au niveau des infrastructures. Des boutiques et des hôtels ont été inondés ou partiellement détruits, de même que des gîtes de montagne. Vingt-cinq bateaux ont coulé, près de 30 % du parc nautique a été endommagé et des plages sont aujourd'hui impraticables, rendant impossibles les activités nautiques. Comme vous avez pu le constater, les jardins, les forêts, les parcs animaliers, l’aquarium de Saint-Gilles et les conservatoires botaniques ont subi des dommages importants, empêchant leur réouverture au public. Ce secteur est aujourd’hui sinistré, anéantissant les efforts financiers fournis tant par les professionnels que par le conseil régional depuis trois ans.
Alors que la haute saison touristique court jusqu’en mars, les pertes d’exploitation subies nécessitent que la priorité soit donnée à la reprise des activités. Il faut pour cela financer les réparations et le remplacement des équipements et matériels endommagés. Il y a donc urgence à mettre en place les dispositions de catastrophe naturelle et le fonds de secours, sans quoi la reprise de l’activité des mois futurs sera durement compromise.
À l’heure où vous travaillez à la rédaction d’une loi sur la compétitivité outre-mer, à l’heure également où vous participez aux assises du tourisme pour y défendre l’outre-mer, pouvez-vous nous indiquer les mesures spécifiques envisagées, en lien notamment avec le ministère du tourisme, afin de permettre la reprise la plus rapide possible des activités touristiques sur l’île de la Réunion ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre des outre-mer.
M. Victorin Lurel, ministre des outre-mer. Madame la sénatrice, vous l’avez rappelé, votre île, La Réunion, a été durement frappée par le cyclone Bejisa les 2 et 3 janvier dernier. Le Premier ministre m’a immédiatement dépêché sur place où j’ai pu constater les dégâts de visu : votre île est endommagée, sinistrée, mais elle n’est pas abattue. La population s’est immédiatement mobilisée et, en moins de six jours, les dégâts causés sur les réseaux d’eau potable, d’électricité, de téléphonie, comme sur le réseau routier, ont presque tous été réparés. Au moment où je vous parle, seuls quelques foyers ne sont toujours pas raccordés au réseau d’eau potable ou à l’électricité. Mais, vous le savez, nous avons à déplorer un mort, une personne âgée, et quinze blessés, dont deux graves.
Certains secteurs de l’économie ont été frappés. L’agriculture, par exemple, est très sérieusement endommagée. Très rapidement néanmoins, nous allons pouvoir mobiliser le fonds de secours pour les biens non assurables en faveur des collectivités, des entreprises et des particuliers. Pour les autres dossiers, il faudra un peu plus de temps : cela relève de ce qu’on appelle la « post-crise ».
Le Gouvernement a demandé aux vingt-quatre maires de l’île de se mobiliser ; ils l’ont fait. Vous l’avez souligné, madame la sénatrice, ils ont adressé les dossiers au préfet de région, qui les a immédiatement transmis. J’ai donc la faveur de vous informer que l’état de catastrophe naturelle pourra être déclaré le 15 janvier, date à laquelle la commission se réunit, si tant est que les dossiers remis soient complets.
Il est vrai que, dans le secteur de l’agriculture, un problème spécifique se pose, que l’on rencontre également dans l’Hexagone lorsqu’une calamité se déclare, celui du réamorçage et de la relance. Quelles que soient la célérité et les diligences dont on fait montre, il faut un certain temps avant que les aides ne parviennent. Que faire alors ? Il existe le Fonds de garantie agriculture-pêche-bois, le FOGAP. Pour le dire rapidement, l’État a déposé à l’Agence française de développement, l’AFD, 10 millions d’euros pour l’ensemble des outre-mer. Il sera possible de mobiliser ces crédits : les banques pourront accorder des prêts ; les interprofessions, les coopératives et les groupements de producteurs pourront accorder une avance aux intrants. Tout cela sera garanti par le FOGAP.
Vous avez également évoqué le secteur du tourisme. Le Gouvernement s’est immédiatement mobilisé, avec les services des collectivités, pour réparer les sentiers de randonnée, afin de relancer le tourisme vert, notamment à Mafate et à la Roche Écrite.
M. le président. Veuillez conclure, monsieur le ministre.
M. Victorin Lurel, ministre. Dès la semaine prochaine, le tourisme pourra reprendre. S’il faut mobiliser Atout France avec qui nous avons des conventions, nous ne manquerons pas de le faire. En outre, comme cela s’est déjà produit ailleurs, des campagnes de promotion pourront permettre à ce secteur de repartir.
M. le président. Il faut conclure, monsieur le ministre !
M. Victorin Lurel, ministre. Monsieur le président, laissez-moi encore rappeler, avec votre permission, que la compétence est décentralisée. Il faudra donc une mobilisation des collectivités. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées de l'UMP.)
action du gouvernement en faveur des départements
M. le président. La parole est à M. Gérard Miquel, pour le groupe socialiste.
M. Gérard Miquel. Ma question s'adresse à Mme la ministre déléguée chargée de la décentralisation.
Madame la ministre, le 16 juillet 2013 est une date historique pour les départements : M. le Premier ministre a signé avec Claudy Lebreton, président de l’Assemblée des départements de France, un accord portant sur le financement pérenne des allocations individuelles de solidarité.
Cet accord est historique, parce que, pour la première fois depuis les transferts successifs de compétences aux départements, l’État accepte de venir en aide aux départements, alors que beaucoup d’entre eux se trouvent dans un état d’asphyxie budgétaire dont ils ne peuvent sortir.
Cet accord est également historique, parce que ces dispositifs interviennent à un moment où la situation des finances nationales ne se prête guère à ce genre d’initiative.
Au total, ce sont 2 milliards d’euros supplémentaires qui viendront abonder les budgets départementaux. Une part significative est répartie entre les départements selon des critères de charge, plus particulièrement le reste à charge par habitant, mais aussi des critères de richesse.
L’ensemble de ces mesures étaient attendues par les élus départementaux depuis très longtemps. Aucun gouvernement n’avait jusqu’à présent été capable d’apporter une réponse satisfaisante au problème posé. Je tiens donc à vous remercier et à vous exprimer toute ma reconnaissance pour ces décisions qui renforcent l’équité et la solidarité entre les territoires. (Applaudissements sur quelques travées du groupe socialiste.) Par-dessus tout, je salue le sens de la justice du Premier ministre et son courage : il a assumé ses engagements avec détermination, sans jamais céder à la facilité.
Par ces actes, vous redonnez aux départements confiance en l’avenir. Forts de ce soutien, ils seront mieux armés pour prendre leur part dans le processus de redressement de notre pays.
Lorsque vous en aurez la possibilité, je vous inviterai à compléter les premiers dispositifs que je viens d’évoquer en allant encore plus loin dans la compensation du financement de ces allocations de solidarité. Je sais que c’est la voie que vous choisirez, car vous connaissez le rôle irremplaçable d’échelon de proximité joué par les départements, contrairement à de grands responsables politiques, qui, sous prétexte d’illusoires économies, voudraient les faire disparaître. À mes yeux, une telle décision serait synonyme de recentralisation et particulièrement préjudiciable aux territoires ruraux.
Lors de la clôture de la Convention des départements de France à Lille, le Premier ministre déclarait : « Le département est là où les citoyens ont besoin de lui. » Avec mes collègues présidents de conseil général, je partage pleinement cette conviction. Le renouveau de l’institution départementale est en route.
Madame la ministre, dans quelques semaines, au printemps prochain, le Parlement sera invité à débattre du projet de loi de réorganisation territoriale, en particulier des départements et des régions. Je vous remercie de préciser à la Haute Assemblée les premiers contours de votre réforme. Dans quelle mesure la place des départements sera-t-elle réaffirmée et confortée dans le paysage institutionnel ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de la décentralisation.
Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée auprès de la ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique, chargée de la décentralisation. Monsieur le sénateur, je vous remercie d’avoir souligné l’effort sans précédent que le Gouvernement a consenti à l’égard des départements. Cet effort, chacun a voulu le saluer en reconnaissant le travail accompli pendant des mois non seulement avec les membres de l’Association des départements de France, mais aussi avec les parlementaires et les instances qui ont œuvré sur un dossier que nous n’étions pas jusqu’à présent parvenus à traiter de façon harmonieuse.
Vous l’avez rappelé, des mesures sans précédent ont été prises. Ainsi, une première subvention a été consentie : il s’agit d’un fonds spécial de 570 millions d’euros créé dans le cadre de la loi de finances rectificative pour 2012. À la suite du pacte de confiance et de responsabilité entre l’État et les collectivités locales, des dispositions ont été retenues : des ressources pérennes – et dynamiques – ont été décidées, sur des frais de gestion ou des fonds particuliers développés sur les droits de mutation à titre onéreux, les DMTO.
Ces décisions ont été saluées par tous nos partenaires, même si, chacun en est conscient aujourd’hui, les dépenses sociales continueront à augmenter. C’est pourquoi il nous faudra continuer à y réfléchir. C’est en particulier ce qui est en train de se faire pour la dépendance et les personnes âgées.
M. Jean-Louis Carrère. Bien sûr !
Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée. Monsieur le sénateur, pour répondre à votre question sur la place des départements, je tiens à rappeler que le projet de loi que vous avez voté le 19 décembre dernier conforte la compétence des départements en matière non seulement de solidarité sociale, mais aussi de développement social, de solidarité territoriale, d’aide aux personnes âgées.
Dans le cadre du projet de loi qui est en cours d’élaboration et qui vise à renforcer les compétences des régions et des départements, nous travaillerons de la même façon pour faire en sorte que solidarité territoriale, ingénieries publiques et accès aux services pour tous soient des priorités absolues.
Je sais, au regard des travaux qui ont été conduits par la mission commune d’information Raffarin-Krattinger et qui ont été examinés mardi dernier, que nous œuvrerons ensemble pour le bénéfice de nos collectivités territoriales. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
découpage électoral
M. le président. La parole est à M. Éric Doligé, pour le groupe UMP.
M. Éric Doligé. Monsieur le ministre délégué chargé des relations avec le Parlement, selon les sondages, le ministre de l’intérieur, à qui s’adressait ma question, est promis à un avenir flatteur. Pour certains, Matignon serait à sa portée.
M. Gérard Longuet. Au minimum !
M. Éric Doligé. Pour d’autres, les portes de l’Élysée lui seraient grandes ouvertes. (Exclamations ironiques sur les travées de l’UMP.) Dans ces conditions, pourquoi s’est-il engagé dans une opération de découpage de l’ensemble des départements qui confine à la manipulation ?
La loi relative à l’élection des conseillers départementaux a été votée dans la douleur : 278 députés et sénateurs l’ont approuvée, soit 38 % des votants, alors que 444 parlementaires ont voté contre, soit 62 %. Le Gouvernement a été sauvé par la Constitution, qui donne le dernier mot à l'Assemblée nationale.
Cette loi pose deux grands principes : la parité et l’équilibre démographique. Ils sont actés, et il n’est plus nécessaire que vous les commentiez. Je souhaite plutôt vous interroger sur la méthode employée pour découper.
M. Valls affirmait : « S’il n’y a pas de critères, c’est la loi de la jungle. ». Il a donc pris des engagements forts. Il a été, comme à l’habitude, ferme, précis, voire autoritaire. De plus, il tient la plume en rédigeant les décrets et les ciseaux en découpant à sa guise.
Il nous a fait plusieurs déclarations : « La représentation des territoires est une nécessité, notamment dans les départements à fort caractère rural » ; « des cantons trop étendus seraient absurdes. La superficie et le nombre de communes seront donc pris en compte » ; « les territoires ruraux seront mieux représentés, d’autant que les intercommunalités seront intégrées » ; « associer mon modeste nom à une révolution, tout en conservant la dimension rurale, c’est un motif de fierté ».
M. Alain Gournac. Paroles… Paroles…
M. Éric Doligé. Aucun de ces engagements, parmi tant d’autres, n’a été tenu.
M. Gérard Larcher. Absolument !
M. Éric Doligé. Nombre des cinquante-deux avis déjà rendus par les conseils généraux ainsi que des milliers de délibérations de communes, que vous vous êtes bien gardés de consulter, mais qui s’expriment, sont édifiants, voire cinglants. Ils constatent majoritairement, tous bords confondus, que vous étouffez la ruralité et que vous vous jouez des bassins de vie et des intercommunalités.
M. Jean-Louis Carrère. C’est ce que vous voulez faire croire !
M. Alain Fauconnier. Vous n’avez fait que cela pendant dix ans !
M. Éric Doligé. Évoquant les services publics et notamment les gendarmeries, M. Valls annonçait : « Je souhaite envisager une réorganisation des services publics en tenant compte de la carte cantonale. » Est-ce à dire que, divisant par deux le nombre de cantons, vous allez diviser par deux la présence des services publics ?
M. Gérard Larcher. Et oui !
M. Michel Berson. C’est excessif !
M. Éric Doligé. Les citoyens apprécieront !
J’en viens à mes questions.
Tiendrez-vous compte des avis des conseils généraux ? Avez-vous l’intention de publier en bloc, dans la seconde quinzaine du mois de février prochain, les quatre-vingt-dix-huit décrets vous permettant ainsi de paralyser la réaction des conseils généraux ?
En raison des milliers de recours qui viendront de tous bords, au-delà du 1er mars, le Conseil d’État pourrait procéder à quelques annulations. Prendrez-vous de nouveaux décrets quitte à ne pas respecter la loi de 1990 ?
Pouvez-vous nous préciser à moins de deux mois de l’échéance que les règles sur les comptes de campagne pourront fonctionner ? Maîtrisez-vous la situation nouvelle issue de cette loi, source de contentieux ? Envisagez-vous, si nécessaire, de revoir la date des élections ou de faire voter une nouvelle loi ?
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Éric Doligé. Mme Lebranchu a affirmé mardi devant la Haute Assemblée que le Gouvernement avait une interprétation sur ces risques. Une interprétation... N’est-ce pas une aberration juridique et politique ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé des relations avec le Parlement.
M. Alain Vidalies, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, il n’y a pas de lois votées dans la douleur : il n’y a que des lois de la République ! (Rires sur les travées de l'UMP.) C’est la loi de la République que nous allons appliquer, en respectant les principes énoncés par le Conseil constitutionnel.
M. Jean-Louis Carrère. Très bien !
M. Alain Vidalies, ministre délégué. Ce n’est pas le moment d’y revenir, mais, vous l’avez vous-même rappelé, vous avez combattu cette loi, estimant même qu’elle n’était pas constitutionnelle. Tout cela est désormais derrière nous.
Cette loi de la République, validée par le Conseil constitutionnel, obéit à des principes que vous avez tus, je peux comprendre votre discrétion : l’objectif principal qui nous a amenés à choisir ce système, c’est de disposer enfin de la parité dans les conseils départementaux. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Éric Doligé. Je l’ai dit !
M. Alain Vidalies, ministre délégué. Le conseil général du Loiret, votre département, compte aujourd’hui sept femmes.
M. Éric Doligé. Ce n’est pas le sujet !
M. Alain Vidalies, ministre délégué. Demain, grâce à cette loi, il en comptera vingt et une. Je pense que vous pouvez vous en féliciter. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Exclamations sur les travées de l'UMP.)
Mme Éliane Assassi. Eh oui !
M. Alain Vidalies, ministre délégué. Dans votre département, le ratio entre le plus petit canton et le plus grand est de un à cinq. Demain, dans votre département comme partout en France, chaque voix comptera de la même manière. C’est l’objectif du redécoupage et des nouveaux critères démographiques retenus.
M. Éric Doligé. C’est faux !
M. Alain Vidalies, ministre délégué. La jurisprudence du Conseil constitutionnel, comme celle du Conseil d’État, vous donne toutes les garanties. Je ne répéterai pas ce que j’ai répondu à M. Marseille : ces règles sont précises, hiérarchisées, même au-delà de ce que l’on avait pu comprendre. La règle prioritaire est celle de l’équilibre démographique. Vous pouvez prendre connaissance des observations du Conseil d’État, y compris sur les propositions de redécoupage émises par le ministère de l’intérieur. C’est la raison pour laquelle ce redécoupage s’opère dans la clarté et selon une procédure transparente. (Exclamations ironiques sur les travées de l'UMP.)
Vous vous étonnez de ces objectifs et de ce redécoupage. Permettez-moi de vous rappeler que la création des conseillers territoriaux, qui auraient remplacé les conseillers départementaux et les conseillers régionaux, rendait nécessaire le même redécoupage, avec les mêmes conséquences et le recours aux mêmes critères. (Protestations sur les travées de l'UMP.)
M. Alain Fauconnier. Voilà !
M. Éric Doligé. Ce n’est pas la question !
M. Alain Vidalies, ministre délégué. Enfin, au nom du ministre de l’intérieur, je tiens à récuser certains de vos propos. Il n’y a strictement aucun lien entre le redécoupage cantonal ou la circonscription cantonale et l’implantation des services publics. Il est tout à fait inopportun de véhiculer l’idée que ce redécoupage entraînerait une remise en cause des services publics. Le ministre de l’intérieur s’inscrit en faux contre une telle affirmation. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
feuille de route du gouvernement en matière d'égalité hommes-femmes
M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour le groupe socialiste.
Mme Laurence Rossignol. Ma question s’adresse à Mme la ministre des droits des femmes.
Lundi dernier, à l’occasion d’un déplacement dans les Yvelines auquel vous participiez également, madame Vallaud-Belkacem, M. le Premier ministre a lancé officiellement l’année de la mixité professionnelle. Il est vrai que, en la matière, même si la France n’a pas à rougir de son taux d’activité des femmes, il reste encore des marges de progression.
Certains métiers, particulièrement ceux du soin aux autres, qu’il s’agisse des jeunes enfants, des personnes âgées dépendantes ou des malades, sont occupés principalement par des femmes. Les métiers d’aides à domicile ou d’assistants maternels sont à 98 % féminins, et seulement 15 % des salariés travaillent dans un secteur mixte.
La mixité est une condition de l’égalité professionnelle, de celle des rémunérations comme de celle des carrières.
Promouvoir la mixité professionnelle, c’est déconstruire les stéréotypes qui enferment les femmes dans des métiers qui sont souvent sous-qualifiés. La mixité, c’est tout à la fois un changement des mentalités et des pratiques.
Dans le cadre de la mobilisation du Gouvernement pour l’emploi, le redressement productif et la croissance, les femmes et leur travail sont un atout. Dans un récent rapport de l’OCDE, il était ainsi relevé que, si le taux d’activité professionnelle des femmes était égal à celui des hommes, nous gagnerions mécaniquement 0,5 point de croissance, ce qui n’est pas totalement anecdotique.
Madame la ministre, vous pouvez compter, dans votre action, sur le soutien du Sénat – je rappelle le vote extrêmement large que vous avez obtenu dans cette enceinte en faveur du projet de loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes. Pourriez-vous toutefois nous préciser aujourd’hui la méthode que vous avez retenue pour engager encore davantage la France sur le chemin de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre des droits des femmes.
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes, porte-parole du Gouvernement. Madame Rossignol, votre constat est parfaitement exact : que l’on s’intéresse à l’égalité des salaires, à l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes ou à la compétitivité des entreprises, on ne peut rester indifférent à l’absence de mixité flagrante dans notre pays.
Les chiffres que vous avez rappelés sont justes. Autrement exprimés, ils signifient que 88 % des Français actifs exercent aujourd’hui des métiers que l’on considère comme non mixtes, c’est-à-dire où l’autre sexe est représenté à moins de 40 %. Les femmes sont particulièrement affectées par ce phénomène de ségrégation professionnelle, puisque la moitié des femmes actives dans notre pays se concentrent dans une toute petite dizaine de métiers, sur une palette de quatre-vingt-dix métiers.
Nous connaissons tous les types de métiers à prédominance féminine – vous en avez d’ailleurs évoqué quelques-uns. Nous savons quelles sont les conditions de rémunération de ces professions, qui sont aussi fréquemment sous-valorisées. Le projet de loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes, dont vous parliez, va heureusement nous donner les moyens d’impulser la revalorisation d’un certain nombre de ces métiers.
Nous savons aussi dans quels métiers, pourtant souvent porteurs de perspectives d’avenir, on ne trouve pas les femmes. Je pense non seulement aux métiers du BTP ou des transports, mais aussi à tous ces métiers techniques de l’informatique ou de l’aéronautique. Dans ces secteurs, les entreprises elles-mêmes déplorent de n’avoir pas davantage de candidatures féminines. Cela signifie en effet, par définition, moins de talents disponibles, la diversité étant précisément l’opportunité de recruter les meilleurs.
En trente ans, ce taux de ségrégation professionnelle, c’est-à-dire de sexuation des métiers, n’a baissé que de 4 points selon une récente enquête de la DARES. Ce constat n’est pas si étonnant, étant donné que les pouvoirs publics ne se sont pas saisis de ce sujet dans toutes ses composantes. Ce qui fait la non-mixité, c’est à la fois l’éducation, les représentations collectives et la façon dont les entreprises s’adaptent ou non pour attirer le sexe manquant.
Nous avons décidé d’agir sur tous ces points, et l’année 2014 sera celle du déploiement de la stratégie en faveur de la mixité. Nous avons déjà commencé à mettre tous les acteurs autour de la table : l’éducation nationale, le service public d’orientation, les régions, les organismes de formation professionnelle et, surtout, les branches d’activité les plus concernées par cette non-mixité.
Nous sommes en train de préparer une dizaine de plans mixité. Ils seront adoptés prochainement et porteront sur les métiers les plus concernés par cette problématique. Des objectifs chiffrés seront fixés, une campagne de sensibilisation publique sera lancée et une réflexion sera engagée sur les formations et les processus de recrutement.
M. le président. Merci, madame la ministre !
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Ces plans nous permettront d’atteindre l’objectif fixé par le Premier ministre : 30 % des métiers réellement mixtes d’ici à dix ans. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées de l’UMP.)
obligation d'installer des défibrillateurs cardiaques dans les lieux publics
M. le président. La parole est à M. Alex Türk, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.
M. Alex Türk. Ma question s’adresse à Mme la ministre de la santé.
Chaque année, 50 000 personnes meurent à la suite d’une fibrillation cardiaque, ce qui constitue la deuxième cause de mortalité en France. Le taux de survie dans notre pays avoisine les 5 %, alors que, aux États-Unis, il est proche de 25 % dans certains États fédérés. Or nous pourrions aujourd’hui intervenir sur un quart environ de ces fibrillations cardiaques, celles qui surviennent en dehors du domicile. C’est donc un pourcentage extrêmement important.
Voilà quelques années, en 2006, notre ex-collègue Sylvie Desmarescaux et moi-même avions décidé de consacrer notre réserve parlementaire, tellement décriée par ailleurs, à la constitution d’un réseau dans le département du Nord, en liaison bien évidemment avec les maires. C’est ainsi que, grâce aux efforts fournis par le Sénat, nous avons pu financer l’achat de 2 000 appareils dans les 500 communes qui constituent ce réseau. Plus d’une trentaine de personnes ont ainsi été sauvées à ce jour. Cette expérience, qui ne constitue bien évidemment qu’une première initiative, m’amène à poser deux questions.
En premier lieu, je constate que nous accusons un retard considérable en matière de formation. Certes, la journée citoyenne prévoit la possibilité, et même normalement l’obligation, pour chaque jeune, garçon ou fille, de suivre une formation aux premiers secours.
Dans le milieu scolaire – j’ai procédé à une rapide enquête qui m’a permis de confirmer ce que je soupçonnais –, l’organisation de la formation dépend de la présence sur le site du matériel nécessaire et des personnels compétents. Un certain nombre de jeunes vont donc vivre leur vie d’adulte, jusqu’à leur propre décès, sans être capables de porter secours sous la forme d’un massage cardiaque ou de l’utilisation d’un défibrillateur. Je m’adresse donc à Mme la ministre pour lui demander s’il ne serait pas temps de rendre réellement obligatoire cette formation et de lui consacrer les moyens nécessaires.
En second lieu, se pose le problème de l’installation des défibrillateurs. Il faut absolument multiplier les appareils à disposition de la population. Pour ce faire, nous pourrions imaginer de rendre leur présence obligatoire non seulement dans les entreprises au-delà d’un certain seuil de salariés, dans tous les locaux qui accueillent un certain nombre de personnes, mais également dans les logements collectifs et, bien évidemment, dans les établissements scolaires et universitaires.
Pour conclure, je rappelle un seul chiffre : lorsque nous aurons atteint le taux de survie de l’Amérique du Nord ou d’un certain nombre d’autres pays européens, 3 000 personnes supplémentaires seront sauvées chaque année. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de la santé.
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé. Monsieur Türk, je salue votre engagement depuis de nombreuses années pour faciliter l’accès aux défibrillateurs cardiaques. Je profite aussi de cette occasion pour saluer les associations qui, sur le territoire national, sont fortement impliquées dans cette cause.
Depuis 2007, toute personne est désormais autorisée à utiliser un défibrillateur, et nous devons effectivement faire en sorte que l’accès aux défibrillateurs soit garanti dans de bonnes conditions. Deux orientations doivent être privilégiées, qui sont d’ailleurs celles que vous avez indiquées.
Il s’agit de permettre le déploiement effectif de défibrillateurs dans un nombre plus important de lieux. C’est une politique que nous menons activement, et je veux à cette occasion saluer l’action de la ministre des sports, Valérie Fourneyron, qui vient de prendre la décision de rendre obligatoire, dans tout projet de construction ou de rénovation d’équipements sportifs financé par le Centre national de développement du sport, la présence d’un défibrillateur cardiaque.
Au-delà de l’installation de ces équipements, il est nécessaire de mieux former la population à leur utilisation. En effet, un appareil dont on ne sait pas se servir ne présente guère d’utilité.
Nous avons engagé au niveau interministériel un suivi très précis des actions menées dans l’éducation nationale. J’indique que certains départements ont d’ores et déjà un taux d’élèves formés supérieur à 50 %, ce qui doit servir d’exemple.
Lors de la journée défense et citoyenneté, un apprentissage des gestes de premiers secours est réalisé, grâce à l’engagement de la Croix-Rouge française. C’est une étape importante.
Pour le reste, j’ai signé un arrêté qui fixe le contenu minimal d’une initiation à l’utilisation d’un défibrillateur cardiaque, afin qu’une formation encadrée et identifiée puisse être dispensée.
Mes services travaillent actuellement sur l’obligation de déclaration de ces appareils et sur la création d’une base de données nationale, qui permettrait notamment au centre 15, celui qu’on appelle en cas d’urgence, de savoir où se trouve le défibrillateur le plus proche.
Vous le voyez, monsieur le sénateur, nous sommes fortement mobilisés, et je vous remercie une nouvelle fois de votre engagement pour cette belle cause. (Applaudissements.)
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.
7
Communication du Conseil constitutionnel
M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le 9 janvier 2014, que, en application de l’article 61-1 de la Constitution, la Cour de cassation a adressé au Conseil constitutionnel deux décisions de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur :
- les articles L. 3122-32, L. 3122-33 et L. 3122-36 du code du travail (Travail de nuit) (2014-373 QPC).
- l’article L. 3132-24 du code du travail (Repos dominical) (2014-374 QPC).
Le texte de ces décisions de renvoi est disponible à la direction de la séance.
Acte est donné de cette communication.
8
Décision du Conseil constitutionnel sur une question prioritaire de constitutionnalité
M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courrier en date du 9 janvier 2014, une décision du Conseil sur une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l’article 87 de l’ordonnance n° 45-2441 du 19 octobre 1945 et l’article 9 de l’ordonnance n° 45-2441 du 19 octobre 1945 issu de la loi n° 54-395 du 9 avril 1954 (Perte de la nationalité) (n° 2013-360 QPC).
Acte est donné de cette communication.
9
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 14 janvier 2014, à quatorze heures trente et le soir :
- Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, de programmation pour la ville et la cohésion urbaine (n° 178, 2013-2014) ;
Rapport de M. Claude Dilain, fait au nom de la commission des affaires économiques (n° 250, 2013-2014) ;
Avis de M. Jean Germain, fait au nom de la commission des finances (n° 264, 2013 2014) ;
Texte de la commission (n° 251, 2013-2014).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à seize heures dix.)
Le Directeur du Compte rendu intégral
FRANÇOISE WIART