M. Thierry Repentin, ministre délégué auprès du ministre des affaires étrangères, chargé des affaires européennes. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la multitude et la diversité des questions soulevées démontrent, s’il en était encore besoin, l’utilité d’un tel débat.
En préambule, je vous prie d’excuser l’absence de mon collègue et ami Jean-Yves Le Drian, dont vous connaissez la force de l’engagement. Il a d’ailleurs été auditionné aujourd’hui même par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat et partira tôt demain pour le Tchad.
La France consacre à la défense près de deux points de PIB. Une part importante de ces dépenses a des retombées pour notre économie, au travers des investissements en matière de recherche et d’innovation. Ainsi, nous réfléchissons, avec nos partenaires européens, aux moyens de mieux tenir compte, dans le calcul des déficits publics, de ces investissements porteurs de croissance. En outre, j’ai indiqué tout à l’heure que nous sommes favorables à l’instauration d’exemptions de TVA pour alléger le coût de la recherche.
MM. Mazars, Billout et Pozzo di Borgo ont souligné la nécessité d’avancer en matière de politique de sécurité et de défense commune. Je relève qu’il s’agit d’une politique relativement jeune, qui a tout de même connu des progrès non négligeables depuis une dizaine d’années. En tout, vingt-sept opérations ont été engagées au titre de la PSDC, sur trois continents différents.
La valeur ajoutée de l’Union européenne en tant qu’acteur de la gestion des crises est aujourd’hui reconnue. Il faut encore la renforcer, en améliorant l’efficacité de son action sur le terrain. Il faut notamment permettre à l’Union européenne de lancer rapidement des missions civiles et militaires visant à favoriser le renforcement des capacités des États tiers. Cette démarche passe également par le développement de capacités militaires robustes permettant d’asseoir la crédibilité de l’Union européenne. C’est notamment en se dotant d’avions ravitailleurs et de drones de surveillance que les Européens pourront affirmer leur autonomie stratégique. Il importe enfin, dans cette optique, de préserver la base industrielle et technologique de défense européenne, qui est source d’emplois et garantira la sauvegarde de notre savoir-faire industriel : c’est un enjeu fondamental pour l’autonomie de notre défense et pour notre sécurité commune.
Les conclusions du Conseil des affaires étrangères et de la défense des 18 et 19 novembre derniers ont permis d’identifier des axes d’action en vue d’affirmer l’Union européenne comme acteur majeur de la sécurité internationale et de conforter son autonomie stratégique.
Des orientations concrètes et opérationnelles ont ainsi été fixées pour les trois volets du mandat de décembre 2012. C’est désormais la mise en œuvre de ces conclusions qui doit être notre priorité. Des mandats ont été confiés à cette fin aux institutions européennes, des calendriers précis ont été établis. Nous entamons un processus de longue haleine, dont le Conseil européen de décembre constitue en fait le premier moment clef.
Les questions de sécurité et de défense doivent rester à l’ordre du jour du Conseil européen, et nous y veillerons. À mon sens, il sera même indispensable de fixer, pour la fin de 2014 ou le début de l’année suivante, un nouveau rendez-vous spécifiquement consacré à la PSDC. Nos amis Italiens, qui assumeront la présidence de l’Union au cours du second semestre 2014, sont très mobilisés sur ce sujet. Il m’a été récemment assuré à Rome que c’est l’une des priorités qu’ils se fixent.
À nos yeux, les contractions budgétaires découlant de la crise économique doivent encourager les Européens à s’investir davantage dans la mutualisation et le partage des capacités militaires, pour organiser des interdépendances capacitaires. La France a joué un rôle moteur en matière de partage des avions ravitailleurs. L’Union européenne souffrait d’une lacune à cet égard, constatée au cours des opérations menées sur le continent africain durant ces derniers mois. Aujourd’hui, nous observons avec satisfaction des avancées concrètes : une flotte plurinationale de six à huit avions ravitailleurs sera prochainement mise en place.
M. Mazars a regretté que nous ne soyons pas suffisamment présents sur le continent africain, mais, depuis 2010, l’Union européenne y a mené plusieurs opérations au titre de la PSDC : je songe aux missions militaires EUTM Somalie, EUTM Mali, EUCAP Sahel-Niger et EUBAM Libye, la France ayant été à l’initiative des trois dernières. À l’avenir, il importera que l’Union européenne envisage une mission de type EUTM destinée à former les forces armées centrafricaines.
Monsieur Pozzo di Borgo, la place de l’Europe dans l’intervention en République centrafricaine a effectivement suscité des interrogations. J’observe que l’on ne peut à la fois souligner l’urgence absolue d’intervenir et invoquer la nécessité de prendre le temps de la concertation, en vue d’un engagement de l’Union européenne. L’intervention de nos forces, en appui aux Africains, était indispensable pour mettre un terme aux massacres. Disons-le clairement, la défense européenne n’existe pas encore en tant que telle, en termes de forces réactives mobilisables du jour au lendemain. Néanmoins, ce n’est pas une raison pour nier ce qui existe : aujourd’hui, plus d’une dizaine de pays nous apportent un soutien concret en République centrafricaine ou s’apprêtent à le faire. De surcroît, outre sa contribution humanitaire de 20 millions d’euros, l’Union européenne a d’ores et déjà débloqué, dans un premier temps, 50 millions d’euros pour le financement des opérations militaires.
Vous le savez, les opérations nationales ne peuvent pas être financées par l’Union européenne. En revanche, à l’occasion du Conseil des affaires étrangères et de la défense des 18 et 19 novembre, les Européens ont répondu à une difficulté observée lors des dernières missions, en donnant mandat à la haute représentante de l’Union européenne pour proposer des solutions permettant de mettre en place un mécanisme de financement des équipements des unités formées à l’échelon européen au titre de la PSDC. L’objectif est, là aussi, de relancer l’Europe de la défense.
Nous avons retenu les leçons du passé, notamment celles du premier Conseil européen consacré aux questions de défense et de sécurité, en 2008, sous présidence française. À l’époque, aucun calendrier n’avait été adossé aux décisions prises et aucun mandat clair n’avait été défini. Aujourd’hui, la situation est tout autre : nous restons mobilisés pour que ces questions restent inscrites à l’ordre du jour du Conseil européen. Je le répète, sans préjuger des conclusions à venir, il est probable qu’une échéance soit fixée, à l’horizon d’un an, pour l’obtention d’avancées concrètes. J’ai moi-même abordé ce sujet lundi dernier avec nos amis Grecs, qui assumeront la présidence du Conseil de l’Union à compter du 1er janvier prochain. Il convient en effet de garantir une continuité entre les présidences successives.
Lors du récent Conseil des affaires étrangères et de la défense, mandat a été donné à l’Agence européenne de défense pour développer un drone de surveillance européen à l’horizon 2020-2025. Ce mandat sera confirmé lors du prochain Conseil européen. Par la suite, nous pourrons envisager le développement d’un drone tactique. Ainsi, sur ce plan également, l’Europe de la défense se construit, pas à pas.
Le dernier Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale évoque la mise en place d’un Livre blanc européen. Cet exercice pourrait débuter en 2015. Toutefois, comme le suggèrent les conclusions du Conseil des affaires étrangères et de la défense, il est essentiel que celui-ci ait une portée concrète, pour éviter que certains débats par trop conceptuels ne nous éloignent de la mise en œuvre de décisions opérationnelles.
J’en viens maintenant à l’Union économique et monétaire.
Monsieur Gattolin, les experts de la Commission européenne, du FMI et de la Banque centrale européenne sont en effet à Lisbonne depuis le début de la semaine pour étudier le versement d’une nouvelle tranche de crédits d’un montant de 2,7 milliards d’euros, dans le cadre du programme d’assistance dont bénéficie le Portugal.
Cette visite de la troïka intervient dans un contexte assez particulier, puisque le Portugal a adopté, à la fin de novembre, un nouveau budget d’austérité pour l’année 2014. Les dirigeants portugais sont sous pression, leur pays étant censé recouvrer sa souveraineté financière et revenir sur le marché des dettes souveraines cette même année. Nous verrons ce qui résultera de cette mission. Voilà quelques heures à peine, la directrice générale du FMI a affirmé que la consolidation budgétaire avait été trop rapide et trop brutale.
Les politiques de recherche et d’innovation sont au cœur de l’emploi et de la croissance. Il est essentiel de les soutenir. C’est d’ailleurs forts de cette conviction que, lors de la négociation du cadre financier de l’Union européenne pour la période 2014-2020, nous avons décidé d’étoffer sensiblement la ligne budgétaire concernée, dont les crédits augmenteront de 38 % au cours de cette période. Le Portugal, comme les autres pays, bénéficiera naturellement de cette mesure.
M. Bizet a eu l’honnêteté de reconnaître que le budget de la France a été salué par la Commission européenne, via l’avis qu’elle a rendu mi-novembre, pour la première fois, au titre de la procédure du « two-pack ».
Si la Commission européenne nous a invités à poursuivre nos efforts en matière de réformes, le commissaire Olli Rehn, que l’on ne peut suspecter d’une trop grande proximité avec le Gouvernement français, a qualifié notre budget de « responsable et prudent, fondé sur des hypothèses plausibles et réalistes en matière de croissance ».
En ce qui concerne les prévisions pour 2015 en matière de déficit des finances publiques, je vous le dis, monsieur Bizet, il n’y aura pas de dérapage ! Si nos chiffres diffèrent de ceux de la Commission européenne, c’est pour une raison très simple : celle-ci établit ses prévisions à politique inchangée, sans tenir compte, par conséquent, des mesures que nous prendrons au titre du projet de loi de finances pour 2015. Or notre objectif est de ramener le déficit public à moins de 3 % du produit intérieur brut en 2015.
La mise en œuvre du pacte européen pour la croissance et l’emploi adopté en juin 2012 progresse, monsieur Billout, sur plusieurs volets.
Par exemple, on en parle rarement, mais le capital de la Banque européenne d’investissement, la BEI, a été augmenté de 10 milliards d’euros. Depuis sa création, jamais une telle opération n’avait eu lieu. Des moyens supplémentaires pourront ainsi être injectés dans l’économie de nos territoires pour financer des projets présentés tant par des collectivités locales que par des entreprises. Grâce à cette augmentation de capital, la France, qui recevait environ 4 milliards d’euros avant 2013, disposera désormais d’un peu plus de 7 milliards d’euros par an.
Nous avons déjà signé des prêts pour un montant légèrement supérieur à 5,7 milliards d’euros. Voilà dix jours, mes collègues Marisol Touraine, Pierre Moscovici et moi-même avons signé un protocole d’accord avec la BEI pour mettre 1,5 milliard d’euros à la disposition des hôpitaux dans le cadre du programme Hôpital d’avenir : voilà de l’argent bien placé dans un service public ! Un tel financement des hôpitaux par la BEI était impossible auparavant. Dans quelques semaines, nous conclurons un engagement du même ordre au bénéfice des universités, qui n’étaient pas davantage éligibles aux prêts de la BEI avant la modification des règles d’intervention de cette dernière.
J’en viens au sujet complexe de la taxe sur les transactions financières, la TTF. L’engagement pris par le Président de la République sera tenu dans le cadre d’une coopération renforcée entre les onze États s’étant déclarés volontaires pour mettre en place cette taxe.
L’unanimité des vingt-huit États membres est requise. Les discussions sur le projet de la Commission européenne sont toujours en cours, en particulier sur l’assiette de la taxe. Elles prennent du temps parce que nous voulons éviter tout effet pervers sur le financement de l’économie, mais nous devons donner corps à ce projet dans les meilleurs délais.
Une fuite est survenue dans la presse, voilà quelques semaines, à propos d’un avis rendu sur cette taxe par le service juridique du Conseil, donnant à penser que celle-ci ne pourrait pas être mise en place. En fait, l’avis en question ne portait que sur la territorialité de la TTF. Il remettait en cause la taxation suivant le principe de résidence. Quoi qu’il en soit, la France a toujours défendu le principe du lieu d’émission dans le cadre des travaux préparatoires.
Sur cette question, je le redis, nous avançons, main dans la main avec l’Allemagne. L’accord de coalition passé entre l’Union chrétienne-démocrate, la CDU, et le Parti social-démocrate, le SPD, précise d’ailleurs que la mise en place de la TTF restera un objectif de l’Allemagne. C’est aussi une question que j’ai abordée, au nom de la France, avec mon homologue grec, lundi dernier à Athènes. Nous souhaitons aboutir avant le 25 mai prochain et le renouvellement du Parlement européen.
Plusieurs d’entre vous, notamment MM. Bailly et Billout, ont évoqué la dimension sociale de l’Union économique et monétaire, ainsi que la mise en place d’indicateurs en matière sociale et d’emploi.
À nos yeux, la création d’un tel tableau de bord constitue un bon début, même un acte fondateur, dans la mesure où jamais, dans l’histoire de l’Union économique et monétaire, il n’avait été fait référence à des indicateurs sociaux. C’est à la demande de la France et de l’Allemagne, formulée dans un document cosigné, le 30 mai dernier, par la Chancelière allemande et le Président de la République, que le commissaire européen László Andor a, pour la première fois, fait une communication sur la dimension sociale de l’Union européenne. Certes, cela n’a pas soulevé un très grand enthousiasme au sein du collège des commissaires européens, mais il n’empêche que cinq indicateurs sont proposés. Ils devraient être validés à l’occasion du Conseil européen du mois de décembre et rien n’interdit d’en proposer d’autres s’il semble pertinent, au moment de la détermination des politiques de l’Union économique et monétaire, de se référer à la situation sociale des États dans lesquels ces politiques doivent être mises en place. La France ne se privera pas de participer à cette réflexion et de proposer de nouveaux indicateurs. Cela permettra aussi, à terme, que les ministres du travail, des affaires sociales ou de l’éducation nationale puissent prendre part à des réunions avec l’Eurogroupe.
C’est donc une dimension nouvelle qui s’ouvre. Certains jugeront que l’on ne va pas suffisamment loin, mais il s’agit d’un premier pas, qui en permettra d’autres à l’avenir.
La création d’une capacité budgétaire de la zone euro ne sera pas facile ni spontanée, monsieur Bailly. Là aussi, il faudra que les États fassent preuve de volontarisme, mais ce point figure également dans la « plateforme » établie par François Hollande et Angela Merkel. Les deux locomotives de la zone euro estiment donc que celle-ci devra, à terme, disposer d’un budget propre. Pourquoi ne pas lever l’emprunt à l’échelle de la zone euro ?
La discussion sur la mise en place d’une capacité budgétaire propre à la zone euro est donc engagée. Il a été indiqué que des solutions pourraient sans doute être trouvées dans un délai de deux ans. Dans le même temps, il faudra certainement instaurer une présidence à temps plein de l’Eurogroupe, pour permettre une plus grande réactivité, une plus grande efficacité et une parole politique forte. Parallèlement, le Parlement européen devra mettre en place en son sein une instance spécifique à la zone euro, qui sera le pendant démocratique de la nouvelle gouvernance de celle-ci. Le président Martin Schulz a demandé qu’une réflexion soit engagée sur ce point.
Par ailleurs, la dimension sociale de l’Union économique et monétaire est un point clé de la feuille de route élaborée par Herman Van Rompuy, ce sujet ayant donné lieu à des discussions lors du Conseil européen du mois d’octobre. Il a alors été rappelé qu’il était essentiel d’intégrer les questions sociales au diagnostic du semestre européen.
S’agissant de l’union bancaire, je remercie le président Sutour d’avoir souligné les avancées obtenues dans ce domaine !
C’est une petite révolution qui se jouera, à cet égard, les 19 et 20 décembre prochains. Il s’agit de la mise en place d’un système unique de supervision des plus grandes banques par un organisme commun, chargé de parer aux risques de défaillance qui, un temps, ont menacé l’ensemble de la zone euro. Ce mécanisme de supervision unique sera opérationnel en novembre 2014, c'est-à-dire dans moins d’un an. C’est le premier pilier de l’union bancaire : conçu comme un outil de surveillance du système bancaire de la zone euro et des États membres volontaires, il a vocation à prévenir la répétition des errements que nous avons connus dans le passé.
Par ailleurs, un accord politique a été obtenu la nuit dernière, au sein du conseil Ecofin, sur les principaux contours d’un mécanisme de résolution unique, pour répondre à une demande exprimée lors du Conseil européen d’octobre dernier. Ce mécanisme sera associé à un fonds de résolution unique, qui constitue le deuxième pilier de l’union bancaire. Il s’agit de se doter d’un système clair de prise de décision et de répartition des coûts en cas de faillite bancaire. Cela étant, grâce au dispositif de supervision que je viens d’évoquer, de telles situations seront sans doute moins fréquentes que par le passé. Je précise d’ailleurs, à cet égard, que des tests de résistance seront effectués sur l’ensemble des établissements bancaires au début de l’année 2014.
Enfin, l’accord conclu hier a permis d’ouvrir la voie à l’adoption, avant la fin de l’année, de deux directives portant sur l’harmonisation des règles nationales existantes en matière de résolution et de garantie des dépôts des épargnants. Cela répond aussi à une demande formulée, en octobre, par le Conseil européen.
Concernant maintenant le partenariat oriental, il me semble que le paraphe des accords d’association avec la Géorgie et la Moldavie, lors du sommet de Vilnius, ne doit pas être passé sous silence. Il marque une avancée majeure et nous soutenons l’objectif d’une signature rapide, d’ici à l’automne 2014, de ces deux accords d’association.
Nous regrettons bien évidemment que l’Ukraine ait refusé de signer l’accord d’association proposé par l’Union européenne. Nous demeurons pleinement convaincus que cet accord est dans l’intérêt des Ukrainiens au premier chef. L’enjeu a été parfaitement perçu par les manifestants qui, à Kiev, réclament le rapprochement de leur pays avec l’Union européenne. L’offre européenne reste sur la table, mais nous devons refuser toute surenchère en termes d’accroissement du soutien financier sans condition ou de changement de nature de la relation entre l’Union européenne et l’Ukraine par l’ouverture d’une perspective d’adhésion : l’Ukraine n’est pas plus à acheter que l’Europe n’est à vendre !
Le partenariat oriental vise le développement économique des pays concernés au bénéfice de tous, Russie comprise. C’est dans cet esprit que nous devons envisager le réamorçage sur de nouvelles bases de notre dialogue avec la Russie et mettre à profit le sommet des 27 et 28 janvier 2014 entre celle-ci et l’Union européenne. Dans l’hypothèse, qui ne doit pas être exclue, où la Russie prendrait de nouvelles mesures de rétorsion, il nous faudrait faire preuve de solidarité avec les États concernés, notamment les deux qui ont eu le courage de signer un accord d’association avec l’Union européenne. Celle-ci et la France ont lancé plusieurs appels fermes à la non-violence à l’égard des manifestants ukrainiens et à la reprise du dialogue. D’un côté, le président Ianoukovitch accepte le principe d’une conciliation ; de l’autre, il prend des mesures visant les dirigeants de l’opposition et déploie les forces de l’ordre dans le centre-ville. Un dialogue réel et serein doit pouvoir se nouer. Laurent Fabius en a parlé aujourd’hui avec le leader de l’opposition, M. Vitali Klitschko, qui doit être respecté et écouté.
Je l’ai moi-même rencontré il y a quelques semaines. Je me suis en outre rendu à Kiev, la semaine dernière, pour écouter les revendications et l’appétit d’Europe des opposants : il n’est pas donné tous les jours à un ministre chargé des affaires européennes de voir des manifestants brandir le drapeau européen !
Le Président de la République a rencontré, au sommet de Brdo, le 26 juillet dernier, les représentants de l’ensemble des pays des Balkans. La Commission européenne a mis l’accent, cette année, sur les perspectives de l’Albanie et de l’ancienne République yougoslave de Macédoine. La décision d’octroyer à l’Albanie le statut de candidat à l’Union devra être envisagée à la lumière du déroulement, d’ailleurs relativement satisfaisant, des élections générales qui ont eu lieu en juin. Mais elle dépendra également, nous l’avons dit de façon très claire, de la réalisation de réformes internes, en premier lieu en matière de droit – organisation du système judiciaire, lutte contre la corruption, la criminalité organisée – et d’administration publique, de très importantes lacunes subsistant encore.
Concernant la Serbie, la France a encouragé et soutenu le dialogue entre ce pays et le Kosovo. Les réformes engagées par Belgrade, notamment en matière économique, de justice et d’affaires intérieures, doivent être approfondies. Sur la base des avancées constatées, la France a soutenu l’ouverture des négociations d’adhésion de la Serbie à l’Union européenne. Elle devrait être effective dès le mois de janvier 2014. Parallèlement, nous appuyons les négociations engagées en vue de la conclusion d’un accord d’association entre l’Union européenne et le Kosovo. Il est important de faire progresser ces deux négociations ensemble, même si les objectifs ne sont pas tout à fait identiques, car cela constitue un gage de paix entre deux pays qui se déchiraient encore il y a peu.
L’élargissement en direction des Balkans occidentaux doit être poursuivi, d’une façon rigoureuse. Il doit constituer une priorité de l'action de l’Union européenne pour les années à venir, car il y va de la stabilisation d’une région qui, dans l’histoire, a été un foyer de très fortes tensions : nous portons à cet égard une responsabilité majeure. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Débat interactif et spontané
M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif et spontané, dont la durée a été fixée à une heure par la conférence des présidents.
Chaque sénateur peut intervenir pendant deux minutes au maximum. S’ils sont sollicités, le Gouvernement ou la commission des affaires européennes pourront répondre.
La parole est à M. Jacques Gautier.
M. Jacques Gautier. Après des résultats indéniables, l’Europe, en matière de défense, tourne au ralenti depuis plusieurs années. Cela est vrai dans les domaines politique, industriel, capacitaire ou opérationnel, à tel point que, ici au Sénat, avait été présenté un rapport au titre quelque peu provocateur : « Pour en finir avec l’Europe de la défense ».
Ce rapport, qui fut adopté à l’unanimité par la commission, préconisait la création d’un groupe pionnier, l’« Eurogroupe de défense », réunissant les pays voulant et pouvant y participer !
Monsieur le ministre, avez-vous repris cette proposition dans vos négociations préparatoires ? La PSDC, dont nous attendions beaucoup, se limite à une approche globale, civilo-militaire, en fait plus civile que militaire. Afin de permettre la mise en œuvre d’une opération de maintien de la paix, d’actions humanitaires, d’un processus électoral ou d’une aide au développement, il faut pourtant qu’un pays accepte d’intervenir le premier pour écarter la menace armée, mettre fin aux meurtres et aux actes de violence. Au Mali comme en République centrafricaine, sur le terrain, aux côtés des troupes africaines, la France est bien seule à payer le prix de la sueur et du sang !
Nous sommes à quelques jours d’un Conseil européen qui portera en partie sur la défense, et dont nous ne voulons pas qu’il se réduise à des félicitations, à des annonces de mutualisation ou de projets non financés. Monsieur le ministre, nous attendons des réponses claires : en Europe, qui viendra à nos côtés en Afrique, sur le terrain ? Que vont faire les groupements tactiques ? À quoi servent-ils, d’ailleurs ? Qui mettra à notre disposition à temps, c'est-à-dire maintenant, et en nombre les matériels qui nous font encore défaut ?
Enfin et surtout, au niveau de l’Union européenne, comment nos amis et partenaires entendent-ils compenser notre engagement humain et nos dépenses ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thierry Repentin, ministre délégué. Monsieur le sénateur, j’ai déjà longuement répondu à certaines de vos questions.
Hier, à Strasbourg, le président du Mali a indiqué très clairement que si la France avait joué un rôle moteur, l’Union européenne avait répondu à la demande de soutien formulée par notre pays. J’en suis témoin, certains de nos partenaires ont répondu en moins de quarante-huit heures aux demandes du ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian. C’est aussi de cette manière que se construisent les solidarités.
Nous voulons progresser à vingt-huit dans l’approfondissement d’une politique de sécurité et de défense commune qui est encore jeune, pour obtenir des avancées concrètes, en matière tant de capacités que de présence conjointe sur les théâtres d’opérations, notamment dans les Balkans, la KFOR étant appelée à se retirer très prochainement. Nous pourrons, à l’avenir, juger de l’efficacité de la PSDC à l’aune des réponses qui seront apportées aux demandes exprimées par les pays tiers.
Nous savons qu’il reste beaucoup de travail à réaliser. Un calendrier sera arrêté ce mois-ci et un mandat clair sera donné aux présidences grecque et italienne pour aboutir fin 2014, ou au plus tard en 2015. J’espère que, dans un an, nous pourrons dire : que de chemin parcouru ! (M. Robert del Picchia applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.
Mme Catherine Morin-Desailly. Le scandale engendré par l’affaire PRISM résonne encore dans toutes les consciences, dès lors que nous abordons la question de la protection des données personnelles. Il s’agit d’une atteinte aux libertés individuelles, mais également à la souveraineté des États européens, même s’il est récemment apparu que certains d’entre eux n’étaient pas entièrement innocents en matière de surveillance. Au demeurant, la mainmise américaine sur les données européennes ne constitue qu’une demi-surprise, dans la mesure où nous savons que la loi américaine l’organise.
Alors que le Sénat a constitué une mission commune d’information sur ces sujets, nous souhaiterions connaître la position du Gouvernement en matière de cyberdéfense et de cybersécurité. La question concerne, au-delà des données personnelles, la sécurisation de nos réseaux en vue de garantir notre souveraineté.
En outre, où en est la préparation du règlement intérieur européen sur la protection des données personnelles ? Paradoxalement, le récent scandale qui nous a touchés n’a suscité aucun sursaut au sein de l’Union européenne. Bien au contraire, les positions des différents États membres sont de plus en plus divergentes, et les réactions à l’affaire PRISM fragilisent désormais la réforme globale des règles adoptées en 1995 par l’Union européenne en matière de protection des données. Cette réforme, engagée par la Commission européenne en janvier 2012, vise à mieux garantir le respect de la vie privée.
Nous souhaiterions savoir dans quelle mesure le Gouvernement se montre proactif sur ces sujets, afin que l’Europe s’unisse pour peser davantage dans le cyberespace. (M. André Gattolin applaudit.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thierry Repentin, ministre délégué. Il s’agit d’une question stratégique. La protection des données constitue un enjeu majeur pour les citoyens européens ; il est exact que l’affaire PRISM et les récentes révélations concernant l’agence de sécurité américaine ont montré qu’il était nécessaire de renforcer les règles en vigueur.
À notre demande, la question sensible de la protection des données a été inscrite à l’ordre du jour du Conseil des 24 et 25 octobre derniers. Il a été décidé, à cette occasion, que le règlement intérieur relatif à la protection des données personnelles serait adopté au plus tard au début de 2015. Une directive sur la cybersécurité est aujourd’hui en préparation.
La législation européenne devra se fonder sur les principes suivants.
Tout d’abord, toute personne résidant dans l’Union européenne devra bénéficier des garanties offertes par cette législation, quel que soit le lieu où se trouve le responsable du traitement des données.
Ensuite, les transferts de données en direction des États tiers devront être encadrés, afin d’assurer une protection adéquate des citoyens et de ne pas procurer d’avantages concurrentiels aux entreprises extraeuropéennes destinataires de ces données. Les responsables de traitement dont les activités viseront des citoyens européens devront se voir appliquer la législation européenne.
Enfin, s’agissant des modalités de mise en œuvre du nouveau règlement, un niveau élevé de protection des droits des personnes devra être garanti, tout en assurant la simplification des formalités auxquelles sont soumises les entreprises.
Par ailleurs, la protection des données sera d’autant mieux garantie que la PSDC sera forte. Le système de géo-positionnement Galileo, qui sera opérationnel dans deux ans et dont le fonctionnement repose sur trente-huit satellites, sera sous complète maîtrise civile de l’Union européenne, tandis que le système américain GPS est contrôlé par les militaires. On peut imaginer que les données recueillies par le biais de ce dernier sont utilisées à diverses fins… La mise en place de Galileo est aussi une question de souveraineté européenne.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Des millions d’Ukrainiens, que l’on disait désabusés après la « révolution orange », manifestent depuis une dizaine de jours dans tout le pays, et pas seulement à Kiev, pour protester contre la décision brutale de leur gouvernement de rejeter l’accord d’association avec l’Union européenne, dont la signature était pourtant attendue depuis deux ans par l’ensemble des forces du pays.
Vous l’avez dit, monsieur le ministre, voir des manifestants en appeler à l’Union européenne et aux valeurs qui la fondent – la paix, la démocratie, l’État de droit – nous fait du bien alors que nous doutons de nous-mêmes et du projet européen. Nous devons remercier les Ukrainiens de ce message !
Un certain nombre des conditions posées pour la signature de l’accord d’association avec l’Union européenne n’étaient toujours pas respectées à la veille du sommet de Vilnius. Je pense en particulier à la libération de Ioulia Tymochenko, cas emblématique d’une justice sélective, ou à un certain nombre de points d’ordre institutionnel.
On prétend que les pressions russes ont contraint le Gouvernement ukrainien à changer d’avis ; pour ma part, j’ai pu constater qu’elles avaient renforcé la détermination du peuple à sortir d’une dépendance trop étroite à l’égard du voisin de l’Est, pour s’arrimer à l’Union européenne.
La décision de renoncer à l’accord d’association permet au président ukrainien d’éviter de libérer Mme Timochenko et de faire monter les enchères entre l’Union européenne et la Russie, alors que le pays est confronté à des difficultés financières. Voilà qui n’est pas, me semble-t-il, à la hauteur de l’enjeu et des attentes des Ukrainiens. Si l’Union européenne n’est pas en mesure de garantir à ceux-ci l’État de droit auquel ils aspirent, c’est le sens même du projet européen qui est remis en cause.
Monsieur le ministre, comment l’Union européenne peut-elle favoriser aujourd'hui le dialogue entre toutes les parties ukrainiennes afin d’éviter les dérives violentes que l’on a pu craindre hier soir et de faire prévaloir in fine la démocratie ? (M. André Gattolin applaudit.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thierry Repentin, ministre délégué. Monsieur le sénateur, personne ne peut apporter les garanties que vous demandez ; pour autant, nous pouvons agir.
J’ai eu le privilège de passer une partie de la nuit place Maïdan, auprès des manifestants qui occupent aujourd’hui la mairie de Kiev. J’ai vu des hommes et des femmes de toute condition, de tous âges. Il s’agit non pas d’un mouvement suscité par un parti politique, mais d’un soulèvement de la population, qui n’a pas accepté la décision du Gouvernement de tourner le dos à l’Europe.
Un contrat implique des engagements pour les deux parties. L’Union européenne était prête à apporter à l’Ukraine quelques centaines de millions d’euros et à lui ouvrir la perspective d’accéder, à terme, à un autre statut. Elle demandait, en contrepartie, la mise en œuvre de trois réformes structurelles avant le sommet de Vilnius : l’instauration de la liberté de la presse – un projet de loi était prêt –, une réforme du code électoral, afin que chacun puisse être électeur et être éligible, et la fin de la justice sélective, symbolisée par le sort fait à Mme Timochenko, dont nous exigions la libération.
En dépit de ses déclarations, le Gouvernement ukrainien, pour des raisons qui lui sont propres, tenant notamment aux relations particulières qu’il entretient avec un grand pays voisin qui a sans doute exercé des pressions, a renoncé à signer l’accord d’association. Nous avons indiqué le jour même que la porte restait ouverte, mais que la signature de cet accord supposait une évolution démocratique de l’Ukraine.
Nous continuerons à faire pression en ce sens. Une mission de médiation a été confiée à Catherine Ashton, haute représentante de l’Union européenne, en vue de réunir toutes les parties prenantes autour d’une table, comme le demandent les manifestants.
Nous ne rompons pas le dialogue avec le pouvoir en place, car nous savons qu’il faut avancer ensemble. Toutefois, nous veillerons à ce que la force ne soit pas employée contre les manifestants, tant qu’ils ne recourent pas eux-mêmes à la violence. L’Union européenne sera présente tout au long de ce processus de dialogue.
M. le président. La parole est à Mme Annie David.
Mme Annie David. Monsieur le ministre, je souhaite revenir sur la directive relative aux travailleurs détachés.
Je suis satisfaite du premier pas obtenu en la matière, tout en étant frustrée que cette avancée se borne à entériner la directive d’exécution telle qu’elle avait été proposée, alors que nous avions estimé ici, à l’unanimité, qu’elle était insuffisante. En effet, elle n’applique cette mesure phare qu’est la responsabilité solidaire qu’au seul secteur du BTP, et uniquement aux sous-traitants de niveau 1, alors que nous demandions que la responsabilité solidaire concerne tous les secteurs et l’ensemble de la chaîne des sous-traitants, à l’instar de la directive 2009/50/CE.
J’aimerais donc savoir si le Gouvernement entend continuer à promouvoir l’élargissement du champ de la responsabilité solidaire.
Nous avions également demandé la limitation à trois échelons de la chaîne de sous-traitance, qui peut aujourd’hui en comporter douze. Allez-vous maintenir cette exigence ?
Une liste d’informations pourra être demandée aux entreprises : c’est un premier pas, mais il s’agira pour les États d’une simple faculté. Il est regrettable que le dispositif ne soit pas plus contraignant, afin de lutter contre les entreprises « boîtes aux lettres ». S’agira-t-il de la liste « ouverte » prévue à l’article 3 de la directive d’exécution ou d’une liste « fermée » ? Le Royaume-Uni et la Pologne ayant donné leur accord, je m’interroge sur le contenu de cette liste.
Enfin, M. Sapin a indiqué que la transposition de cette directive dans notre droit interne interviendrait au mois de janvier prochain, par le biais d’une proposition de loi déposée par les députés socialistes. J’aurais préféré que le Gouvernement présente lui-même un texte à cette fin, car l’application de l’article 40 de la Constitution nous empêchera de demander des moyens supplémentaires pour les URSSAF, la police ou l’inspection du travail, contrairement à ce qu’a affirmé M. Sapin.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thierry Repentin, ministre délégué. Madame la sénatrice, je suis pour ma part très satisfait de ce premier pas. Je puis vous assurer que nous revenons de très loin ! La probabilité qu’un texte de base puisse être approuvé par une majorité qualifiée des États membres était mince. Heureusement, un pays a rejoint notre position à la dernière minute, mais beaucoup pariaient sur notre échec. Absolument rien n’aurait alors changé sur cette question pendant au moins un an, car je ne vois pas quel pays aurait demandé à en rediscuter dans les mêmes termes, sans apporter d’élément nouveau susceptible d’emporter l’accord des États s’étant une première fois opposés à l’adoption d’une telle directive.
Concernant l’article 9, il s’agit bien d’une liste ouverte,…
Mme Annie David. Très bien !
M. Thierry Repentin, ministre délégué. … dont le contenu sera déterminé par la loi nationale, qui précisera donc quels seront les documents exigibles. À cet égard, j’indique que ces documents devront être écrits en français, ce qui facilitera le contrôle sur pièces. La directive permettra également d’imposer des règles dans les pays qui en étaient dépourvus.
L’article 12 met en place, pour tous les États, et sans seuil d’application, une responsabilité des entreprises donneuses d’ordres du secteur du bâtiment et des travaux publics à l’égard de leurs sous-traitants. Il sera donc possible d’établir une chaîne de responsabilité pour lutter plus efficacement contre la fraude et, plus largement, contre les montages frauduleux.
Ensuite, il appartiendra à chacun des pays d’inscrire ou non dans son droit interne une limitation du nombre d’échelons de la chaîne de sous-traitance. Cela ne relève pas de la directive.
Il s’agit à mon sens d’une belle avancée. Je peux vous dire que nous n’aurions pas pu faire bouger les choses d’un iota il y a dix-huit mois sur ce sujet : certains pays directement intéressés n’auraient pas fait ce pas dans notre direction.
Il est significatif de constater que des pays qui n’avaient pas vocation ou intérêt à accepter une telle évolution, parce qu’ils étaient fournisseurs de travailleurs détachés, ont pris conscience de la résonance de ce dossier dans l’opinion publique et n’ont pas voulu prendre le risque, à l’approche des élections européennes de mai prochain, de donner du grain à moudre à des partis qui rejettent l’Europe. Je salue tout particulièrement l’attitude courageuse de la Pologne, premier pays d’origine des travailleurs détachés, qui a privilégié l’intérêt européen en faisant un choix qu’elle devra maintenant expliquer à ses entreprises.
M. le président. La parole est à M. André Gattolin.
M. André Gattolin. Monsieur le ministre, je voudrais poursuivre la discussion sur le dumping social.
C’est une bonne chose que de fixer des règles intra-européennes, mais, dans certains domaines, l’Europe souffre aujourd'hui d’une absence totale de vision industrielle.
Ainsi, la Commission européenne ne se lasse pas d’arguer que le crédit d’impôt est une forme de concurrence déloyale. Pour pouvoir y recourir, et encore dans une mesure très restreinte, il faut par exemple s’appuyer sur l’exception culturelle.
Or, l’accord signé entre l’Union européenne et le Canada, que j’ai examiné de très près, ne fait aucune mention des crédits d’impôt, alors qu’ils atteignent 50 % dans ce pays ! Les entreprises de certains de nos secteurs industriels les plus performants – je pense notamment à la création de jeux vidéo – se trouvent de ce fait totalement pillées…
Actuellement, l’Union européenne négocie un accord de libre-échange avec les États-Unis. Il ne faut pas rêver : le prétendu « miracle » de la relocalisation industrielle aux États-Unis tient non pas à des coûts salariaux particulièrement bas, mais simplement au fait que les crédits d’impôt s’élèvent, dans certains secteurs, à 100 % !
J’ai parlé, dans mon intervention liminaire, du dogmatisme de la Direction générale de la concurrence de la Commission européenne, qui assène en permanence une rhétorique anglo-saxonne que les pays anglo-saxons se gardent d’ailleurs bien de mettre en œuvre… Ce dogmatisme, consistant à écarter tout ce qui pourrait entraver la concurrence, nous pénalise aujourd'hui gravement dans des secteurs clés.
Les négociations menées avec les États-Unis sont tout à fait opaques. Que prévoira concrètement l’accord de libre-échange en matière de crédits d’impôt, sachant que l’Organisation mondiale du commerce, moribonde malgré un accord arraché de justesse (M. Jean Bizet s’exclame.), ne considère pas qu’ils représentent une forme de dumping ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thierry Repentin, ministre délégué. La négociation de l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada est bien avancée. On dit qu’il est adopté, mais c’est en fait un abus de langage : notre pays a posé une réserve d’examen et un accord de cette nature doit être ratifié par l’ensemble des États membres de l’Union européenne. Vous serez donc saisis de la ratification de cet accord. Il suffit qu’un seul pays ne le ratifie pas pour qu’il n’entre pas en vigueur.
Cela vaudra également pour l’accord de libre-échange avec les États-Unis, dont le président Obama espère la conclusion sous son mandat, sans certitude dans la mesure où un énorme travail préparatoire, portant sur l’ensemble des aspects normatifs pour tous les secteurs d’activité économique, reste à accomplir. En tout état de cause, je le redis, chacun des États membres de l’Union européenne devra le ratifier pour qu’il puisse s’appliquer.
Cela étant, c’est à juste titre que la Commission européenne est très attentive aux crédits d’impôt et aux subventions qui pourraient apparaître injustifiés, le marché unique étant tout de même au cœur de l’idée européenne. Nous ne saurions donc fausser la concurrence entre nous !
Pour autant, la mise en œuvre de tels mécanismes ne pose pas problème lorsqu’elle répond à un réel besoin économique et se justifie. Je pourrais citer, à cet égard, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE, qui est au cœur de notre action visant à renforcer la compétitivité de nos entreprises, et l’excellent crédit d’impôt recherche, qui a fait la preuve de son efficacité. De tels dispositifs répondent clairement au besoin de dynamiser nos entreprises. La Commission européenne n’est pas opposée par principe à des mécanismes de ce type. Elle a ainsi salué la mise en place du CICE : si ce dispositif ne lui avait pas convenu, elle l’aurait clairement fait savoir.
M. le président. La parole est à M. Robert del Picchia.
M. Robert del Picchia. Monsieur le ministre, pour l’heure, nous sommes seuls à intervenir en Afrique. Les Européens nous aident un peu, mais ils ne sont pas présents sur le terrain.
La coopération en matière de défense sera l’un des thèmes prioritaires du prochain Conseil européen. Il est temps, dans ce domaine, de passer enfin des belles déclarations aux réalisations concrètes. Dans cette optique, je souhaiterais vous interroger sur deux points, monsieur le ministre.
Premièrement, quelle sera la position française : souhaitons-nous une simple mutualisation des moyens ou la mise en place d’une politique de coopération renforcée entre quelques États vraiment décidés à ne plus envisager l’industrie de la défense à travers le prisme national ?
Deuxièmement, quelles seront les propositions françaises quant au nécessaire renforcement de la base industrielle et technologique européenne en matière de défense ? Je souhaiterais obtenir des précisions sur ce point, d’autant que vous avez procédé à un report de crédits de 3,6 milliards d’euros. Quelle sera, d’ailleurs, l’incidence de ce report sur nos capacités industrielles et sur la mutualisation des équipements, que nous appelons de nos vœux ?
Enfin, le ministre de la défense a annoncé que la France aurait la première armée d’Europe en 2019. Or l’Allemagne a investi 31,7 milliards d’euros dans sa défense en 2013, contre 31,4 milliards d’euros pour la France, hors pensions il est vrai. Il ne faudrait pas que cet écart s’accroisse, car la France ne pourrait alors plus prétendre au rôle de leader au sein de l’Union européenne en matière de défense. Si nous voulons être crédibles, les chiffres doivent être à la hauteur de nos ambitions !
M. Jean Bizet. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thierry Repentin, ministre délégué. Monsieur le sénateur, je n’entrerai pas dans un débat budgétaire qui relève davantage de l’examen du projet de loi de finances, d’autant que je ne suis pas le membre du Gouvernement le plus compétent en la matière, tant s’en faut !
Je voudrais réaffirmer ce que j’ai dit tout à l’heure à propos de la politique de sécurité et de défense commune : notre position s’articule selon des orientations concrètes et opérationnelles, définies sur la base des trois volets du mandat de décembre 2012. La mise en œuvre de ces conclusions sera à l’ordre du jour du Conseil européen des 19 et 20 décembre prochains.
Des mandats très clairs ont été donnés aux institutions européennes, des calendriers précis ont été fixés. Nous entamons un processus de moyen terme, sinon de long terme, qui rassemblera les vingt-huit pays de l’Union européenne. Nous souhaitons, en effet, qu’un projet européen soit mené par l’ensemble des États membres sur cette question, sous l’impulsion des pays les plus résolus à avancer.
Le Conseil européen de décembre constituera le premier moment de cette démarche. Le deuxième, opérationnel et décisif, interviendra à la fin de 2014 ou au début de 2015, sur la base des orientations qui seront fixées par le Conseil européen de décembre.
Des progrès devront être faits, notamment, dans la définition du périmètre de la base industrielle et technologique de défense européenne. Au-delà des seuls impératifs de défense et de préservation de l’outil industriel et technologique, quelque 400 000 emplois sont en jeu à l’échelle de l’Europe. Cet autre aspect essentiel n’a échappé à aucun des gouvernements européens.
D’ailleurs, certains pays qui envisageaient la défense européenne avant tout sous l’égide de l’OTAN rejoignent peu à peu une dynamique européenne. Je citerai de nouveau, à cet égard, la Pologne, avec qui nos échanges, sur ce sujet de la défense commune, se sont fortement intensifiés depuis quelques mois. Il se pourrait même que ce pays prenne prochainement des décisions d’investissement importantes, en matière de défense et de coopération industrielle. Il m’est difficile de vous en dire davantage à ce stade, mais nous travaillons de façon très étroite avec la Pologne dans ce domaine.
M. Robert del Picchia. J’espère que vous serez entendu, monsieur le ministre !
M. le président. La parole est à M. Yannick Botrel.