M. Jacques Legendre. Certes !
Mme Catherine Procaccia. Il faut espérer que la MGEN incite aussi la mutuelle à développer des services sur internet pour désengorger les plateformes d’accueil ; la consultation du dossier personnel et des remboursements ne suffisent pas. Outre l’édition d’attestations diverses doivent apparaître les accusés de réception des réclamations et, surtout, l’état de la demande. Trop de dossiers sont déclarés perdus, ce qui n’est pas acceptable. La gestion par internet devrait donc s’imposer à tous.
En guise de conclusion, je veux vous faire partager ma déception. En effet, en un an, hormis pour ce qui concerne les dispositions prévues par les amendements que vous aviez acceptés, madame la ministre, rien n’a bougé, malgré notre rapport, malgré les avis de la Cour des comptes, malgré les articles du Monde, malgré l’enquête menée par l’UFC-Que Choisir, malgré certaines déclarations, émanant parfois des rangs des parlementaires socialistes.
Qu’est-ce qui justifie aujourd’hui le maintien d’un régime étudiant séparé, qui coûte cher ? Je vous propose de consacrer une partie des 93 millions d’euros susceptibles d’être économisés à des politiques de prévention ciblées, efficaces et, surtout, évaluées. Même si vous décidiez, pour quelque raison que ce soit, de maintenir ce système sous respiration artificielle, pourquoi n’en simplifieriez-vous pas drastiquement la gestion, qu’il s’agisse des modalités d’inscription ou des mutations inter-régimes ?
Je sais, madame la ministre, puisque nous avions échangé à ce sujet, que vous partagez nos préoccupations. Si je compte sur vous, je ne suis pas la seule ! Ce ne sont pas moins de 500 parlementaires qui ont posé des questions au Gouvernement ; les étudiants et les parents en ont assez !
Pour terminer, j’évoquerai simplement ces étudiants étrangers, dont vous souhaitez qu’ils soient plus nombreux à venir en France. Ils sont encore plus mal lotis que les Français. Pensez-y ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. Gilbert Barbier applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Ronan Kerdraon.
M. Ronan Kerdraon. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la santé des étudiants est un sujet que nous tient particulièrement à cœur. Aussi me réjouis-je de ce débat, qui ne peut que contribuer à améliorer leur protection sociale. Même si les jeunes, cela vient d’être dit, sont moins malades que le reste de la population, ce fait ne doit en aucun cas constituer une excuse à une dégradation des services sanitaires et sociaux qui leur sont dédiés.
En France métropolitaine et dans les départements d’outre-mer, les étudiants de l’enseignement supérieur n’ont jamais été aussi nombreux puisqu’ils sont près de 2 350 000. Or 63 % d’entre eux considèrent que la société ne leur offre pas les conditions nécessaires à leur réussite. Ces dernières années, la situation sanitaire et sociale de ces étudiants s’est en effet fortement dégradée. Comme l’a affirmé le Président de la République, « les conditions de vie des étudiants ne cessent de se dégrader […], leur précarité augmente, les inégalités entre eux s’accroissent ».
Depuis 1948, les étudiants bénéficient d’un régime spécifique de sécurité sociale. La gestion est assurée aujourd’hui par deux organismes : LMDE et le réseau emeVia. Ce régime n’a pas d’équivalent au sein de l’Union européenne.
Depuis des années, le niveau de vie des jeunes recule sous les effets de la crise. Ainsi, la part des étudiants vivant sous le seuil de pauvreté est de 20,3 %, contre 14,3 % pour la population générale. La dégradation de leurs conditions de vie a des effets notables sur leur santé : le renoncement aux soins des jeunes n’est plus une probabilité, mais bien une réalité ! En 2011, 34 % des étudiants renonçaient à se soigner, contre 25 % en 2005. Car se soigner est devenu un parcours du combattant ! Pour lutter contre le renoncement aux soins, la société doit offrir aux jeunes l’accès au droit commun.
Chaque année, le projet de loi de financement de la sécurité sociale constitue l’occasion d’améliorer les choses, mais l’année 2014 et la future loi de santé publique représentent à mon sens une réelle opportunité de traduire nos propositions en actes.
Premier point positif, énoncé dans la stratégie nationale de santé, le tiers payant devra être généralisé d’ici à 2017, pour faciliter l’accès aux soins de ville. Dans une optique de montée en charge progressive du dispositif et afin de lutter contre le renoncement aux soins des jeunes, j’avais déposé, lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, un amendement visant à faire bénéficier les étudiants du tiers payant dès 2014. Les contraintes budgétaires actuelles, que je comprends, ne nous ont pas permis de l’adopter.
En termes de couverture complémentaire, les étudiants sont statistiquement trois fois moins couverts que la population générale : 19 % n’ont pas de complémentaire santé, alors qu’ils étaient 13 % en 2008. Plus alarmant encore, 34 % d’entre eux renoncent à se soigner, contre 15 % pour l’ensemble de la population. Il est temps de réinventer, de redéfinir le parcours de santé des jeunes, afin de mettre l’offre de soins au service des patients.
Dans un rapport sénatorial publié en décembre 2012, dont je suis corapporteur avec ma collègue Catherine Procaccia, nous avions souligné une qualité de services globalement très insatisfaisante. En effet, les étudiants et leurs familles sont régulièrement confrontés à des délais de remboursement importants et à des difficultés pour contacter les mutuelles. Les problématiques ne changent guère : longs délais de remboursement et, surtout, très grandes difficultés à joindre un correspondant, tant au téléphone que par courrier ou messagerie électronique.
L’enquête plus exhaustive qu’a publiée l’UFC-Que Choisir en septembre 2012 a confirmé cette impression : elle mettait en avant la complexité du système pour les étudiants, le coût pour la société, une qualité de service « en berne », une difficulté récurrente à joindre certaines plateformes téléphoniques et des courriers et mails restés sans réponse. L’UFC-Que Choisir avait relevé que le taux d’appels décrochés, c’est-à-dire le pourcentage des appels entrants effectivement traités, pouvait varier du simple au double selon les mutuelles.
Par ailleurs, un tiers des nouveaux étudiants seraient toujours sans carte Vitale trois mois après leur affiliation.
Néanmoins, quelques progrès sont observés. Je pense notamment au rapprochement entre LMDE et la MGEN, qui a facilité une « gouvernance partagée ». Les services de la MGEN assument ainsi des tâches touchant au cœur du fonctionnement de LMDE. Par exemple, leurs plateformes informatiques sont communes, ce qui permet à La Mutuelle des étudiants de bénéficier de moyens logistiques et techniques performants et, ainsi, d’améliorer ses services. Il s’agit en particulier des activités de liquidation et d’exploitation informatique.
Reste que le processus d’affiliation est une première cause de difficulté. La refonte de cette procédure, notamment l’ouverture des droits dès le 1er septembre, permettrait une nette amélioration dans le traitement des dossiers. Actuellement, les mutuelles étudiantes reçoivent une information de la part de l’établissement d’enseignement supérieur qui est chargé de recueillir le choix de son centre de gestion par l’étudiant. Ces informations sont fournies sous des formats variables, éventuellement via un formulaire papier qui n’a pas été actualisé depuis trente ans. Alors que les inscriptions s’effectuent le plus souvent au début de l’été, l’affiliation au régime étudiant ne débute qu’à compter du 1er octobre et les établissements transmettent les informations selon leur bon vouloir, parfois plusieurs semaines après cette date théorique d’ouverture des droits. En outre, l’ensemble des inscriptions arrivent sur une période courte dans l’année, ce qui crée un pic d’activité très important. Il existe donc une première série de difficultés au moment de l’affiliation.
Le régime étudiant est un régime de transition. Par définition, les jeunes n’y étaient pas inscrits avant de commencer leurs études supérieures. C’est la « mutation inter-régimes ». Ce seul fait engendre une lourdeur administrative, le régime étudiant se voyant dans l’obligation de récupérer les informations de la caisse antérieure. Aussi ai-je tendance à penser que la fusion des deux mutuelles étudiantes en un régime unique global permettrait une amélioration, tout en conservant l’objectif d’autonomie de 1948.
Mon souhait n’est pas de mettre fin à la délégation de service public, car on ne peut nier l’utilité de la sécurité sociale étudiante : elle développe des couvertures sanitaires adaptées aux problématiques étudiantes, mène des campagnes d’information ainsi que des actions de prévention indispensables. Il est temps en revanche de mettre fin à la concurrence à laquelle se livrent trop souvent les deux organismes. La situation est devenue intolérable et le statu quo n’est plus envisageable. Cette concurrence, « commerciale » voire sauvage, est préjudiciable aux étudiants eux-mêmes.
À son tour, la Cour des comptes a pointé les défaillances du système et l’insatisfaction des étudiants. Les deux rapports convergent. Les pouvoirs publics doivent maintenant se saisir de ce besoin réel de réformer en profondeur le système de sécurité sociale des étudiants.
La revendication originelle de 1948 d’un régime spécifique unique intégré à la sécurité sociale et géré démocratiquement par des étudiants reste, me semble-t-il, toujours d’actualité. Cependant, la fin de cette dualité permettrait – ce n’est pas inintéressant – de supprimer des surcoûts de gestion importants pour le régime étudiant. Il serait donc tout à fait envisageable que les mutuelles étudiantes se regroupent. Elles conserveraient l’accueil physique, les courriers et les réclamations, et l’assurance maladie liquiderait les prestations, assurerait les contrôles et la gestion des fraudes, voire gérerait les affiliations en ce qui concerne le répertoire national inter-régimes ou les cartes Vitale. Comme nous l’avons souligné avec Catherine Procaccia dans notre rapport, cette solution présenterait des avantages indéniables.
Je suis convaincu, mes chers collègues, que nous devons au minimum nous diriger vers une telle solution : pas de big-bang, mais une amélioration sensible des modalités de gestion. Car, aujourd’hui, la complexité du système dessert en réalité l’autonomie de l’étudiant : les parents sont dans l’obligation, lorsqu’ils le peuvent, d’aider leurs enfants face au véritable fatras auquel ils sont confrontés.
Il apparaît aussi clairement que le mutualisme étudiant manque cruellement des moyens nécessaires au bon accomplissement de ses missions de service public que sont la prévention et l’éducation à la santé. Ce sous-financement est, semble-t-il, lié au mode de calcul retenu par la CNAMTS, la Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés, dans le cadre de la remise de gestion accordée aux mutuelles. Ainsi, seul 1,3 euro par an et par étudiant est prévu en matière de prévention.
Par ailleurs, des mesures ont été prises ces dernières années qui pèsent lourdement sur la gestion des mutuelles étudiantes. Ainsi, les frais de gestion sont estimés à 13,7 % des remboursements, contre 4,5 % pour l’assurance maladie. La taxe spéciale sur les contrats d’assurance, qui était de 3,5 % le 1er janvier 2011 et qui a été relevée à 7 % depuis le 1er octobre, est venue s’ajouter à la taxe CMU de 6,27 %. L’État prélève au final 13 euros sur les 100 euros de cotisation versés par un étudiant à sa mutuelle.
Le Sénat, l’UFC-Que Choisir et la Cour des comptes ont tiré la sonnette d’alarme. Aujourd’hui, le moment est propice à une réforme.
La mesure la plus urgente serait vraisemblablement l’attribution d’un chèque santé national, dont le montant reste à définir, mais qui pourrait être compris entre 100 et 200 euros. Des collectivités locales, notamment certains conseils régionaux, l’ont mis en place avec succès. Je pense au conseil régional d’Île-de-France et au conseil général de Loire-Atlantique. Ce dispositif mériterait, au nom de l’équité territoriale et de l’égalité de tous devant la santé, d’être repris par l’État. D’ailleurs, dès 2006, un député, nommé par la suite ministre, Laurent Wauquiez, proposait sa création dans un rapport. François Hollande avait lui-même souhaité ouvrir une concertation sur l’extension du chèque santé. Il me semble que nous pouvons dès ce soir poser cette question.
Dans le même esprit, l’aide à l’acquisition d’une complémentaire santé serait un levier important pour favoriser l’accès aux soins des étudiants. Néanmoins, des critères d’attribution particulièrement restrictifs – indépendance fiscale, décohabitation, absence de pension alimentaire – constituent un frein à son accès.
Il est important de noter que, en dix ans, le coût de la sécurité sociale étudiante a augmenté de plus de 17 %. Pourtant, le budget de rentrée d’un étudiant est toujours aussi serré. Ayons toujours à l’esprit, mes chers collègues, qu’agir aujourd’hui pour enrayer la dégradation de l’état sanitaire des étudiants, c’est éviter des dépenses supplémentaires demain à notre système de protection sociale.
M. Jacques Chiron. Tout à fait !
M. Ronan Kerdraon. Mais, à plus long terme, c’est bien à l’élaboration d’un véritable statut social – temps de l’étudiant, logement, santé et alimentation – auquel nous devrons nous atteler, en concertation avec les organisations représentatives d’étudiants, sous peine d’aggraver le fossé qui existe entre eux et la société dans son ensemble.
Je tiens à aborder un autre point, celui des services alloués aux étudiants pour leur santé.
Des structures existent au sein des établissements d’enseignement supérieur pour assurer le suivi sanitaire des étudiants et effectuer auprès d’eux des actions de prévention. Malheureusement, elles sont souvent confrontées à un manque chronique de moyens ainsi qu’à l’absence d’une véritable politique de santé publique qui leur permettrait d’avoir un cadre d’action clair et déterminé.
Au sein des universités, ce suivi est assuré par les SUMPPS ; il en existe cinquante-neuf, répartis sur l’ensemble du territoire. Ces services ont en particulier pour mission d’organiser au moins un examen préventif par étudiant au cours des trois premières années passées dans l’enseignement supérieur. Les SUMPPS organisent également chaque année des campagnes d’information et de sensibilisation. Il est aussi possible de s’y procurer de la documentation médicale de prévention sur de nombreux thèmes.
Depuis 2008 et la parution du décret qui a profondément modifié leurs conditions de fonctionnement, les SUMPPS peuvent officiellement se constituer en centres de santé ; ils sont alors en mesure d’exercer une réelle activité de soins auprès des étudiants. Ce statut doit certainement être encouragé.
Les SUMPPS souffrent d’un manque de visibilité auprès des étudiants. Une enquête sur la santé des étudiants parue en 2011 révèle que seulement 1,9 % d’entre eux choisissent de s’y rendre lorsqu’ils sont malades. La politique universitaire doit à ce stade jouer un rôle important.
Il faut savoir que ces structures s’adressent d’abord aux étudiants inscrits à l’université. Certes, 80 % d’entre elles ont signé des conventions avec d’autres établissements d’enseignement supérieur, mais ces partenariats ne suffisent pas à couvrir l’ensemble de la population étudiante, notamment les étudiants inscrits en brevet de technicien supérieur ou en classe préparatoire, qui continuent d’être scolarisés dans les lycées.
En outre, les moyens humains et financiers des SUMPSS sont insuffisants pour leur permettre d’exercer leurs missions dans des conditions satisfaisantes. Deux sources principales de financement alimentent leur budget : une dotation de l’État et une participation des étudiants comprise dans leurs droits de scolarité, soit 5 euros depuis la rentrée de 2012.
D’autres structures peuvent venir en aide aux étudiants. C’est notamment le cas des bureaux d’aide psychologique universitaires, qui sont composés d’équipes pluridisciplinaires et qui accueillent gratuitement les étudiants. Il n’en existe cependant que vingt sur l’ensemble du territoire.
Autre service qui, à mon sens, doit également disposer de moyens supplémentaires : le service d’accueil des étudiants handicapés. Dans chaque université, ce service est un véritable lieu de ressources où l’on peut trouver des informations et des aides. Il définit avec l’étudiant les mesures d’accueil et d’accompagnement indispensables à sa réussite.
L’évolution du nombre d’étudiants handicapés dans l’ensemble des établissements d’enseignement supérieur est une preuve du travail qui est fait sur place et qui doit continuer à s’améliorer. En 2000, ils étaient plus de 7 000 à poursuivre des études supérieures ; en 2012, ils étaient 13 000, soit une progression moyenne de 7,3 % par an. C’est bien, mais nous pouvons et devons faire mieux, notamment en offrant aux étudiants handicapés les moyens de faire les études qu’ils souhaitent, dans de bonnes conditions. Toutefois, en fonction de la nature de leur handicap, les étudiants sont inégalement présents dans les différentes filières de formation.
Face à ces constats, quels remèdes pouvons-nous préconiser ?
Le fonctionnement de l’ensemble de ces services doit être amélioré de façon urgente sur plusieurs points. En premier lieu, il convient de mettre fin à la situation de précarité dans laquelle se trouvent trop souvent leurs personnels. Les SUMPPS n’ont pas tous le statut de centres de vaccination, alors même que cette mission est au cœur de leur rôle de prévention. Il serait nécessaire d’étendre cette compétence à l’ensemble des services.
S’il est difficile, compte tenu des contraintes budgétaires actuelles, d’envisager une hausse importante des moyens alloués aux SUMPPS par l’État, un effort nous semble cependant indispensable afin de leur permettre de répondre correctement aux demandes de soins de premier recours des étudiants. En tout état de cause, ces services doivent nouer des partenariats avec les autres services de soins et d’accompagnement sur le territoire.
De façon générale, leurs méthodes de communication, notamment en ce qui concerne la visite médicale de prévention, gagneraient à être améliorées à partir d’une étude des meilleures pratiques observées dans certains services. À plus long terme, et avant toute mesure d’ampleur, il pourrait être demandé un rapport d’inspection pour dresser un état des lieux de la situation, de leur positionnement et des perspectives d’évolution. Le principe d’autonomie des universités, qui fait dépendre les services médicaux du niveau d’engagement de leur président, ne devrait pas, à tout le moins, s’opposer à une meilleure coopération, à un échange des bonnes pratiques et à un pilotage stratégique sur le plan national.
J’ouvre à cet instant une parenthèse pour signaler que le problème de la sécurité sociale des étudiants est un sujet qui touche trois ministères : celui des affaires sociales et de la santé, celui de l’enseignement supérieur et de la recherche et celui de l’éducation – je ne parle même pas du ministère de l’économie sociale et solidaire. Cette situation est difficile à gérer, car elle ne fait que multiplier les interlocuteurs.
Autre grand projet de l’année qui vient, la négociation de remise de gestion, qui va sans doute permettre une redéfinition de l’ensemble des missions.
La vie étudiante étant une phase d’apprentissage avant l’arrivée à l’âge adulte, elle constitue un moment privilégié pour permettre aux jeunes d’acquérir certains réflexes et de bonnes habitudes dans leurs comportements en matière de santé. L’ensemble des syndicats étudiants se saisissent aussi du problème. Je pense à la FAGE – la Fédération des associations générales étudiantes –, à l’UNEF, laquelle organise des états généraux de la santé et de la protection sociale des jeunes le 31 janvier prochain. Nous pouvons compter sur leur coopération et leur soutien.
Madame la ministre, mes chers collègues, je pense que nous avons mis en lumière les difficultés, les défaillances du système de protection sociale destiné aux étudiants. Nous savons dès lors le travail qu’il nous reste à accomplir et les pistes à explorer. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Michel Le Scouarnec applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Gilbert Barbier.
M. Gilbert Barbier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens avant tout à remercier le groupe UMP, qui a suscité l’inscription de ce débat à l’ordre du jour de notre assemblée. Cette initiative nous donne l’occasion de poursuivre le travail effectué par nos collègues Catherine Procaccia et Ronan Kerdraon, près d’un an après la publication de leur rapport. Sous leur autorité, le groupe de travail sur la sécurité sociale et la santé des étudiants a organisé dix-sept auditions et quatre déplacements, qui ont permis de définir plusieurs pistes de réflexion intéressantes, parfois divergentes dans leurs conclusions.
À la suite de revendications de l’UNEF en faveur d’une plus grande autonomie et d’une reconnaissance du statut d’étudiant, la loi du 23 septembre 1948 a étendu aux étudiants le régime applicable aux salariés et en a prévu le service par une mutuelle. Il s’agissait à l’époque d’offrir à ces jeunes une protection sociale spécifique.
L’idée était généreuse. Pourtant, force est de constater que, plus d’un demi-siècle plus tard, le régime délégué de sécurité sociale étudiante est devenu inefficace et coûteux, comme l’ont montré les deux orateurs précédents. Cela nous impose de nous pencher très sérieusement sur le sujet.
Dès septembre 2012, l’UFC-Que Choisir – dont les affirmations sont parfois contestables par ailleurs – avait dressé un bilan accablant : les étudiants, dans leurs relations avec les mutuelles, sont confrontés à un incroyable parcours du combattant. Il leur est ainsi souvent difficile, voire impossible, de joindre un correspondant, les files d’attente devant les guichets sont interminables, les courriers de réclamation en attente de traitement s’accumulent et les remboursements des prestations prennent de plus en plus de retard. Plus grave encore, comme cela a été dit, un tiers des nouveaux inscrits attendent plus de trois mois leur carte Vitale, délai pendant lequel les étudiants ne bénéficient pas du tiers payant. Or nous savons bien que, chaque année, ils sont un peu plus nombreux à renoncer à des soins médicaux, faute d’argent. Cette situation n’est pas acceptable !
Ces dysfonctionnements sont aggravés par une concurrence entre la mutuelle nationale et les mutuelles régionales et une confusion volontaire, comme l’a souligné Catherine Procaccia, entre sécurité sociale et complémentaire santé. À chaque rentrée, les mutuelles se livrent une véritable bataille pour attirer un maximum d’étudiants auxquels elles espèrent surtout vendre une complémentaire santé, souvent 20 % à 30 % plus chère qu’une complémentaire classique. Les nouveaux inscrits ignorent d’ailleurs, pour la plupart, que les mutuelles étudiantes cumulent une délégation de service public et une activité d’assureur, et 37 % d’entre eux ne savent pas que les complémentaires santé sont facultatives.
Nous devons également nous référer à ce qu’écrit la Cour des comptes, qui s’est, elle aussi, saisie de ce dossier, comme on l’a déjà évoqué. Au-delà de l’insuffisance de la qualité de service et de la complexité de la gouvernance, elle pointe du doigt le surcoût faramineux du régime étudiant. Les mutuelles auraient ainsi dépensé, en 2011, 93 millions d’euros en frais de gestion pour remplir leur mission de sécurité sociale, ce qui représente près de 13 % du montant des prestations versées. Alors que l’ensemble des gestionnaires du régime général réduisent leurs frais de gestion, les remises de gestion versées par l’assurance maladie aux mutuelles étudiantes ont progressé de 8,1 % entre 2006 et 2011. La CNAMTS leur a ainsi versé, en 2011 et 2012, 54,77 euros par étudiant alors que les mutuelles de fonctionnaires n’ont perçu qu’une dotation équivalente à 44,29 euros par affilié. L’enjeu financier est considérable !
Ces dysfonctionnements appellent nécessairement des réponses concrètes immédiates, comme l’indiquent les deux auteurs du rapport sénatorial. Nous sommes tous d’accord sur ce point : le statu quo n’est plus envisageable. La question qui se pose désormais est donc simple : quel avenir envisageons-nous pour la sécurité sociale étudiante ? À l’évidence, ce mode de gestion, défavorable aux étudiants et coûteux pour la collectivité, doit être reconsidéré. Faut-il conserver le régime délégué et le confier à une seule structure ? Personnellement, je ne suis pas favorable à cette solution.
La Cour des comptes préconise la reprise de la gestion de la population étudiante par les caisses d’assurance maladie. Cette solution aurait le mérite d’améliorer la qualité de service et permettrait une économie qui a été évaluée à 70 millions d’euros.
Madame la ministre, les travaux menés par Catherine Procaccia et Ronan Kerdraon ont démontré l’impérieuse nécessité de réformer le régime de sécurité sociale étudiante. La Cour des comptes a fait des recommandations. Quelles suites comptez-vous leur donner ? Parce que ce système est complexe, instable et peu compréhensible, parce qu’il remet en cause l’accès aux soins des étudiants, j’espère que vous donnerez l’élan nécessaire à l’amélioration de la situation. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Corinne Bouchoux.
Mme Corinne Bouchoux. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, sans vouloir paraître grandiloquente ou politiquement incorrecte, il est évident que, sur ce dossier, il y a quelque chose à changer. La sécurité sociale, me disait un ancien étudiant, c’est Kafka !
Les étudiants sont trois fois moins couverts par une complémentaire santé que la moyenne de la population française : 19 % n’ont en effet pas de complémentaire santé, alors que la moyenne nationale se situe aux alentours de 6 %. Une fois ce constat fait, on doit impérativement s’interroger sur les raisons de l’exclusion des étudiants du dispositif de l’ACS, l’aide à l’acquisition d’une complémentaire santé, alors qu’ils y sont éligibles et contribuent à son financement.
Pour rappel, comme cela a été dit, l’aide à l’acquisition d’une complémentaire santé consiste en une réduction forfaitaire du montant de la cotisation annuelle à payer à l’organisme auprès duquel est contractée la complémentaire santé. En pratique, la caisse primaire d’assurance maladie remet à l’assuré qui le demande et qui remplit les conditions d’éligibilité une attestation, un « chèque », qu’il fournit à l’organisme de son choix – mutuelle, assurance ou institution de prévoyance –, chèque dont le montant varie selon l’âge du bénéficiaire. L’organisme choisi déduit alors l’aide obtenue du montant de la cotisation.
Les étudiantes et les étudiants boursiers sont par définition éligibles à l’aide à l’acquisition d’une complémentaire santé puisque leurs revenus correspondent aux barèmes de l’ACS, laquelle est destinée aux foyers fiscaux dont les revenus n’excèdent pas 35 % du plafond de la CMU, soit 11 600 euros en 2013. Toutes et tous devraient donc en bénéficier, pour un montant de 200 euros par ans, comme c’est le cas pour les autres bénéficiaires âgés de seize à quarante-neuf ans. Cependant, ils en sont de facto exclus.
Trois verrous réglementaires cumulatifs engendrent un taux de recours quasi nul : l’obligation de justifier d’un logement indépendant, or 41 % des étudiants n’en disposent pas ; l’obligation de ne pas percevoir de pension alimentaire de la famille, or 73 % d’entre eux déclarent que l’aide familiale est leur première source de revenu ; l’obligation d’être indépendant fiscalement, or 82 % des étudiants ne le sont pas. Cumulées, ces conditions aboutissent au fait que, parmi les étudiants âgés de seize à vingt-neuf ans, seuls 1,3 % d’entre eux pourraient en bénéficier.
Deux injustices inhérentes au système aggravent encore la situation.
Tout d’abord, le montant de la bourse sur critères sociaux entre dans l’assiette des revenus pris en compte pour l’instruction de la demande d’ACS. Obtenir une bourse réduit les chances d’obtenir l’ACS, parfois même pour la famille entière, ce qui est pour le moins paradoxal.
Ensuite, alors que les étudiants financent l’ACS par le biais de la taxe CMU par un prélèvement de 6,27 % sur leur complémentaire santé affecté au fonds CMU, lequel est la seule source de financement de l’ACS, ils en sont exclus. Ils payent mais n’en profitent pas !
Pour toutes ces raisons, il est incompréhensible que l’ACS ne bénéficie pas aux étudiants boursiers. Selon nous, ouvrir cette possibilité constituerait un formidable levier de promotion de la santé pour les étudiants. Les interventions de nos collègues ont d’ailleurs montré à quel point cela est nécessaire. Une telle mesure favoriserait également l’autonomie en donnant aux étudiants les moyens de s’équiper d’une complémentaire santé propre et de mieux gérer leur santé. En outre, ce dispositif serait neutre pour les finances publiques.
Il est à relever – cela a été dit précédemment – que plusieurs initiatives ont été développées par des collectivités territoriales pour pallier les lacunes des dispositifs existants. Par exemple, la région Pays de la Loire a lancé à la rentrée de 2011 un « pass complémentaire santé », dont le montant peut s’élever jusqu’à 100 euros pour l’acquisition d’une première complémentaire. Au cours de l’année universitaire 2012-2013, 7 000 jeunes en ont bénéficié.
Pour simplifier encore l’accès aux droits sociaux, j’appelle l’attention sur le remarquable rapport remis par notre collègue Aline Archimbaud, dans lequel elle propose que la demande puisse se faire au moment où l’étudiant remplit en ligne le dossier social, c’est-à-dire en amont. Cette demande est en effet une démarche connue de la quasi-totalité des étudiants et des familles. Elle pallierait donc le manque de notoriété du dispositif ACS. On pourrait même imaginer une automaticité entre l’obtention d’une bourse sur critères sociaux et de l’ACS.
L’article 45 du projet de loi de financement de la sécurité sociale semble aller en ce sens en indiquant que « les étudiants bénéficiaires de certaines prestations mentionnées à l’article L. 821-1 du code de l’éducation, déterminées par arrêté des ministres chargés de l’enseignement supérieur et de la sécurité sociale, peuvent bénéficier, à titre personnel, de la protection complémentaire ». La question est de savoir quand cet arrêté interviendra et ce qu’il prévoira exactement, car nous n’avons à ce stade aucune certitude sur la portée de ce qui a été voté par nos collègues de l’Assemblée nationale. J’espère en tout cas qu’il ne s’agira pas finalement de n’ouvrir l’ACS qu’aux étudiants en « rupture familiale », dont le nombre ne s’élèverait qu’à 500 ou 1 000 chaque année, même si leur situation doit être prise particulièrement au sérieux. Malgré tout, cela constitue un signal encourageant, ne serait-ce que parce que c’est la première fois qu’un gouvernement reconnaît les difficultés des étudiants pour accéder à l’ACS et à la CMU complémentaire.
Un autre espoir réside dans les décrets relatifs à l’accord national interprofessionnel, qui sont en cours de rédaction, puisque l’ANI reconnaît que tout salarié doit avoir accès une complémentaire santé. Cependant, la plupart des emplois précaires vont a priori être exclus du champ d’application de ce texte. La majorité des étudiants qui ont un emploi « à côté » ne devraient donc pas être protégés à ce titre.
Un espoir est-il encore permis en la matière ? Bien sûr, cela induirait un changement significatif dans la structuration du système actuel concernant les étudiants. Cependant, la santé de nos étudiants n’est ni de gauche ni de droite ; c’est la santé « tout court ». Ce sujet ne doit pas nous diviser. Il faut aligner le régime des étudiants le plus possible sur le droit commun, les insérer dans une protection sociale inclusive et non exclusive, afin d’éviter les dérapages et les ratés qui ont pu être constatés au fil du temps. Il faut instaurer une vraie prévention pour nos étudiants.
Madame la ministre, les étudiants vous regardent. Ils comptent sur vous. Nous devons répondre à leur attente. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)