Mme Élisabeth Lamure. En effet, indépendamment de l’intention initiale, cet article nous paraît aussi injuste pour les propriétaires qu’inefficace pour les salariés désireux de reprendre leur entreprise.
Tout d’abord, l’information préalable des salariés en cas de transmission d’une entreprise saine est superflue.
Ainsi, vous le savez, mes chers collègues, les entreprises de plus de cinquante salariés doivent d’ores et déjà consulter le comité d’entreprise dans un certain délai dès qu’un projet de cession est formalisé. Dans ce cas de figure, l’information des salariés est donc assurée par le comité d’entreprise, qui est le plus à même de déterminer les éléments qui doivent être communiqués à l’ensemble des employés.
Quant aux entreprises de moins de cinquante salariés, la valeur ajoutée de la disposition qui nous est proposée ne nous semble pas flagrante. En effet, la proximité entre propriétaires et salariés ou entre propriétaires et gestionnaires, inhérente à ce type d’entreprise, garantit de manière naturelle l’information des salariés.
Les patrons de ces petites entreprises, qui ont créé une activité florissante, souvent à partir de rien, n’ont aucun intérêt, ne serait-ce que sur le plan humain, à vendre le fruit de décennies d’effort au premier venu qui conduira peut-être à la perte son ancienne entreprise.
Dans les faits, comment les cessions se déroulent-elles aujourd’hui ? Les chefs d’entreprise sélectionnent l’offre la plus sérieuse, c’est-à-dire le candidat qui a une expérience de l’entreprise et, si possible, une surface financière importante. Au cours de cette démarche, les chefs d’entreprise se tournent le plus souvent d’abord vers leurs salariés, voire leurs anciens salariés.
Le second grief que je formulerai à l’encontre de l’article 11 tient à la nuisance que la mesure prévue occasionnera durant les cessions.
Restons dans le cas des entreprises de moins de cinquante salariés. L’information, outre qu’inutile, sera nuisible.
En effet, au moment de céder son entreprise, un patron peut très bien avoir identifié un repreneur privilégié parmi ses salariés. Personne n’est plus capable que le chef d’entreprise de savoir lequel de ses employés pourra assumer cette nouvelle charge.
Or les négociations entre le propriétaire et le ou les salariés concernés doivent se dérouler dans la discrétion, notamment vis-à-vis des autres salariés qui ne seront pas associés à la reprise.
Dans une telle situation, l’information des salariés créera des tensions entre les candidats et nuira aux projets de reprise, notamment aux projets internes à l’entreprise.
Inéluctablement, les risques de divulgation de la cession vont augmenter avec le délai incompressible de deux mois qui est prévu. Je me demande d’ailleurs si cette disposition n’a pas cette finalité ; en tout cas, elle sera utilisée de la sorte.
Par ailleurs, si certains pensent que la transparence en matière de cession d’entreprise est facteur de préservation d’activité économique et d’emplois, je les invite à consulter les principaux intéressés : les chefs d’entreprise. Parce qu’ils ne pourront préparer la cession dans la confidentialité, préalable indispensable à la recherche de repreneurs, ils retarderont leurs démarches, au risque de ne pas trouver de repreneurs.
De plus, cette information contribuera à installer un climat anxiogène, aussi bien chez les salariés, que chez les associés.
Qu’adviendra-t-il lorsque l’intention de vente se soldera par un échec car aucun repreneur ne se sera manifesté ? De telles situations seront de plus en plus nombreuses en raison du caractère prématuré de l’annonce de la vente. Par conséquent, l’information conduira purement et simplement à faire avorter toute possibilité de transaction.
Mais indépendamment des problèmes inhérents à la reprise, l’information des salariés, eu égard au risque de divulgation qu’elle entraîne, créera une inquiétude tant chez les clients qui hésiteront à passer commande, que chez les fournisseurs qui limiteront leur crédit.
En d’autres termes, cette information préalable des salariés sera facteur d’une grande insécurité et ne profitera à personne.
Si elle part d’une bonne intention, elle semble se faire en méconnaissance de la vie des entreprises, qui inévitablement en seront les victimes.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 7 rectifié est présenté par M. César, Mme Lamure, MM. Retailleau, P. Leroy et Bécot, Mme Cayeux, MM. Mayet, G. Bailly, Houel, Leleux, Couderc et les membres du groupe Union pour un Mouvement Populaire.
L'amendement n° 165 est présenté par M. Tandonnet et les membres du groupe Union des Démocrates et Indépendants - UC.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Élisabeth Lamure, pour présenter l’amendement n° 7 rectifié.
Mme Élisabeth Lamure. Nous estimons que la disposition présentée, qui concerne les entreprises de moins de cinquante salariés, est en décalage complet avec la réalité de l’entreprise, plus particulièrement avec celle des très petites entreprises.
C’est pourquoi nous proposons de supprimer l’article 11.
M. le président. La parole est à M. Henri Tandonnet, pour présenter l’amendement n° 165.
M. Henri Tandonnet. Nous abordons le fameux titre II et les articles 11 et 12, qui ont déjà fait couler beaucoup d’encre et suscité de nombreux commentaires dans la presse et dans cet hémicycle.
Comme vous l’avez indiqué lors de votre réponse aux orateurs à l’issue de la discussion générale, monsieur le ministre, les articles 11 et 12 ne doivent pas masquer le reste du texte. Ils n’en sont pas le cœur ; j’ose même dire qu’ils se situent à la marge. J’ai envie d’ajouter que, s’ils étaient supprimés, le texte serait encore très bien, voire encore meilleur, à nos yeux.
L’instauration d’un nouveau droit d’information préalable des salariés en cas de cession d’un fonds de commerce ou de transmission d’entreprises de moins de 250 salariés a provoqué des réactions négatives venant de nombreux horizons. De prime abord, cette mesure semble utile pour faciliter la transmission d’entreprises. Pourtant, l’opportunité supplémentaire que constitue cette information préalable peut produire l’effet inverse de celui qui est recherché – rassurer les acteurs –, en créant un climat anxiogène, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’entreprise.
Sur le terrain, la transmission d’une entreprise est une opération délicate et la recherche d’un repreneur est souvent longue et difficile, y compris lorsqu’il existe des repreneurs potentiels. La confidentialité du processus est un facteur clé du succès de la transmission. La mesure proposée aurait pu se concevoir autrement, c’est-à-dire non pas généralisée à tous les salariés, mais ciblée vers les salariés et cadres responsables.
Pour ces raisons, je pense que l’instauration d’un délai incompressible de deux mois pour informer les salariés conduirait à multiplier les risques de divulgation de la cession et pourrait, parallèlement, déstabiliser la structure concernée. Je ne peux m’empêcher de penser que le chef d’une entreprise de moins de 250 salariés qui souhaite transmettre sa structure se donnera la possibilité et les moyens d’encourager la reprise par les salariés, si celle-ci est envisageable. L’information circulera donc avec ou sans loi. Il ne me semble pas utile de légiférer sur ce point. C'est pourquoi je vous propose de supprimer l’article 11.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc Daunis, rapporteur. Nous avons déjà eu de nombreux échanges sur ce sujet. Je regrette la conception presque archaïque de l’entreprise qu’a encore une grande partie de ce qu’il est convenu d’appeler le patronat. Selon cette conception, dans le projet entrepreneurial, il y aurait d’un côté le chef d’entreprise, et de l’autre du matériel, des hommes, des locaux. Bref, un homme porterait l’entreprise en vertu d’un droit de propriété sur les êtres et les choses.
Mme Élisabeth Lamure. Là, on est dans l’idéologie !
M. Marc Daunis, rapporteur. Cette conception me choque profondément, étant donné la réalité de l’entreprise.
Mme Élisabeth Lamure. On la connaît, la réalité !
M. Marc Daunis, rapporteur. Qu’est-ce qui fait la richesse de l’entreprise ? Ce sont certes les capitaux, les valeurs mobilières, mais ce sont surtout l’intelligence et le talent de ceux qui concourent tous les jours au projet entrepreneurial partagé au sein de l’entreprise.
M. André Reichardt. Qui a dit le contraire ?
M. Marc Daunis, rapporteur. Dire que les salariés seraient si immatures que le fait de les informer présenterait des risques…
Mme Élisabeth Lamure et M. André Reichardt. Personne n’a dit ça !
Mme Christiane Demontès, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. C’est exactement ce qui a été dit !
M. Marc Daunis, rapporteur. Ce sont exactement les propos qui ont été tenus.
Mme Élisabeth Lamure. Personne n’a parlé d’immaturité !
M. Marc Daunis, rapporteur. Il est profondément troublant de sous-entendre que – je vais être un peu trivial – les salariés, qui sont les premiers concernés, seraient incapables de tenir leur langue, de sorte que le fait de les informer poserait des problèmes de confidentialité.
Madame Lamure, monsieur Tandonnet, vous avez également dit que l’information pouvait être traumatisante, « anxiogène » pour reprendre le terme exact que vous avez employé. Est-il plus anxiogène que l’entrepreneur donne lui-même l’information à ses salariés, ou que ceux-ci l’apprennent dans la presse, a posteriori ? Ne pensez-vous pas que, s’ils ne sont pas informés, les salariés peuvent avoir le sentiment qu’on les a trahis, qu’on ne les a pas considérés à leur juste valeur ?
La conception qui transpire de vos remarques me surprend. Je m’adresse en particulier à vous, madame Lamure, car il nous est souvent arrivé de partager nos expériences d’élus locaux. Je suis un élu du territoire qui accueille la première technopole d’Europe, Sophia Antipolis. Des entreprises de la nouvelle économie y côtoient des artisans comme ceux de Vallauris, pour lesquels se pose le problème de la reprise et de la transmission d’entreprises. Nous travaillons avec la maison de l’emploi pour trouver des moyens de transmettre les savoir-faire des petites entreprises artisanales, par exemple dans le domaine de la poterie. Tout cela est très concret.
Nous devons avoir en tête ces éléments pendant l’examen des articles 11 et 12. Il faut éviter les postures idéologiques. M. le ministre rappelait que, lors de ses débats avec les représentants du patronat, il avait souvent en face de lui des permanents d’organisations patronales plutôt que de vrais créateurs. Je constate moi aussi que nombre de nos interlocuteurs n’ont pas montré leur capacité de création d’entreprises, mais ont bénéficié d’une transmission à caractère familial ; je ne voudrais pas faire d’allusion trop lourde à une organisation particulière…
Que constatons-nous sur le terrain ? Nous voyons que les entreprises ont besoin du dispositif de transmission que nous proposons. Chaque année, 50 000 emplois sont détruits dans des entreprises en bonne santé ; c’est une réalité qui ne peut être occultée. Il est nécessaire de sécuriser le dispositif et d’accompagner sa mise en œuvre pour récupérer, non pas les 50 000 emplois d’un coup, évidemment, mais le maximum d’entre eux, grâce à vrai projet entrepreneurial reposant sur la mobilisation des salariés. Nous devons leur offrir cette opportunité.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Benoît Hamon, ministre délégué. Je dirai quelques mots et j’indiquerai quelques chiffres. Tout le monde est d'accord sur le nombre d’emplois détruits à cause de la fermeture d’entreprises en bonne santé. Tant les sources publiques, comme l’INSEE, que les sources privées, comme la BPCE, partagent ce constat. Plusieurs de ces petits cabinets ou officines qui se prétendent spécialistes de la transmission ignorent pourtant cette réalité ; il suffit de lire la presse ou d’écouter les commentaires pour s’en rendre compte.
Pourquoi arrive-t-il que des entreprises en bonne santé ferment ? Parce que leurs dirigeants partent à la retraite. Comment leur reprocher d’avoir envie de se mettre au vert après une vie de travail ? Mais ils surestiment souvent la valeur de leur entreprise, au point qu’ils n’arrivent pas à la vendre. Cette situation est si fréquente que, je le répète, 50 000 emplois – c’est une fourchette basse, selon l’estimation des sources publiques – sont détruits chaque année dans des entreprises en bonne santé. Reconnaissez qu’il s’agit d’un gâchis insupportable dans une période de chômage de masse.
Prenons les chiffres de la chambre de commerce et d’industrie, la CCI, d’Île-de-France : 87 000 chefs d’entreprise franciliens sont âgés de plus de cinquante-cinq ans et partiront donc à la retraite dans les dix ans. Ce sujet est discuté dans toutes les CCI et dans toutes les organisations patronales depuis cinq, dix, quinze ans, mais aucune alternative à la solution du Gouvernement n’a été proposée ; c’est également ce qui ressort de votre intervention, madame Lamure.
C’est bien une solution que propose le Gouvernement. Nous nous saisissons d’un problème, et vous nous répondez que nous allons créer un climat anxiogène. Mais il faut ne pas connaître la réalité de la vie économique de notre pays pour ignorer que, quand le patron d’une entreprise a soixante ans, tout le monde, autour et à l’intérieur de l’entreprise, sait qu’il va bientôt partir et cherche donc un cédant. Est-ce que cela fait fuir les fournisseurs et les clients ? Non ! La preuve, c’est que les 50 000 emplois dont je viens de parler sont détruits dans des entreprises en bonne santé.
M. Jean-Jacques Mirassou. Tout à fait !
M. Benoît Hamon, ministre délégué. Telle est la réalité du fonctionnement de nos entreprises. En ce moment, dans des entreprises françaises, des salariés savent que leur chef veut céder son entreprise, même s’ils n’en ont pas été officiellement informés. Ils ressentent bien une angoisse, mais c’est l’angoisse de ne pas tout savoir. Informer, clarifier, associer, allier, en quelque sorte, les forces productives – le chef d’entreprise et les salariés – autour de l’objectif de maintenir l’emploi et l’activité économique, voilà le pari du Gouvernement.
Ce que je regrette dans l’attitude des organisations patronales, c’est qu’elles ne saisissent pas la main tendue du Gouvernement, qui leur propose de mieux les accompagner dans la transmission de leurs biens. Actuellement, qui perd de l’argent ? Les collectivités qui voient des entreprises disparaître, mais aussi les chefs d’entreprise qui n’arrivent pas à vendre leur entreprise. Qui perd le fruit de son travail ? Le chef d’entreprise qui ne réussit pas à vendre son entreprise. Qui perd son travail ? Le salarié dont l’entreprise ferme alors que son activité est rentable.
Si encore vous nous proposiez une solution alternative…
Plusieurs organisations patronales suggèrent que les salariés soient informés après la cession de l’entreprise. Merci bien ! Les salariés seront contents d’apprendre la nouvelle non pas dans la presse, mais juste après la conclusion de la vente… Cela reviendrait seulement à inscrire dans la loi la pratique des chefs d’entreprise. En effet, l’immense majorité d’entre eux informent leurs salariés de la cession de leur entreprise.
M. Marc Daunis, rapporteur. Évidemment !
M. Benoît Hamon, ministre délégué. Il est heureusement rare que des patrons – des patrons voyous – s’en aillent sans informer leurs salariés, qui découvrent donc par eux-mêmes, le lendemain, qu’ils ont un nouveau patron. En général, les choses se passent bien.
Nous proposons une alliance entre les chefs d’entreprise et les salariés, afin de favoriser la transmission de l’entreprise et le maintien de son activité. Je regrette que vous rejetiez cette alliance. Je veux saluer le soutien unanime de la CTFC, de la CFE-CGC, de la CGT, de FO et de la CFCDT. Je veux saluer leur engagement, notamment celui de la CFE-CGC, qui représente les cadres. Ces derniers pensent que nous proposons une mesure intelligente, et souhaitent même que le délai d’information soit porté à quatre mois, parce qu’ils connaissent les clients, l’outil de production, les processus de fabrication, les fournisseurs. Ils veulent et peuvent souvent reprendre leur entreprise, mais encore faut-il qu’ils sachent que l’entreprise est officiellement à vendre.
Y a-t-il un problème de confidentialité ? Madame Lamure, vous connaissez l’entreprise ; on ne peut rien vous reprocher à cet égard.
Mme Élisabeth Lamure. Ah non !
M. Benoît Hamon, ministre délégué. Or ce n’est pas le cas de tout le monde. Moi aussi, je connais l’entreprise. Parlons de la réalité. La négociation d’une cession d’entreprise dure plus de deux mois – beaucoup plus, même –, sauf quand il s’agit d’une pépite et que des Qataris pensent pouvoir obtenir un rendement annuel de 15 %. Même si l’on a de bonnes relations avec son club d’entreprises et la CCI, il est très compliqué de vendre une entreprise de charpente, dont le rendement annuel n’est que de 3 %, à Saint-Renan, dans le Finistère, à Riantec, dans le Morbihan, à Prades, dans les Pyrénées-Orientales, ou encore à Trappes, dans les Yvelines. Non, Trappes est un mauvais exemple, car elle fait partie d’un gros bassin d’emploi ; je me suis laissé emporter par le souvenir de mon cheminement personnel. Mais, dans les trois autres communes, il est très compliqué de vendre, et cela prend du temps.
Aujourd'hui, sauf si le chef d’entreprise a préparé les choses bien à l’avance – je remercie d'ailleurs M. le rapporteur de son travail sur l’information tout au long de la vie –, la solution du rachat par les salariés n’intervient en général qu’au dernier moment. Or nous considérons que rien ne justifie que les salariés ne puissent pas formuler une offre de premier rang. Il n’y a aucun problème de confidentialité.
Si dans certains débats, on peut considérer que, option contre option, les arguments se tiennent, je suis frappé par la friabilité de votre argumentation en l’espèce. En effet, à mon sens, elle ne repose pas sur la réalité du fonctionnement des entreprises françaises.
Mesdames, messieurs les sénateurs, avec cet article, s’il est voté, je serai très fier de créer un nouveau droit pour les 8,8 millions de salariés français travaillant dans les entreprises de moins de 250 salariés, qui seront dorénavant traités comme les salariés des entreprises au-dessus de ce seuil.
Grâce à la loi ESS telle que je souhaite la voir votée, ils sauront à l’avenir que leur entreprise est potentiellement à vendre et ils feront peut-être une offre de reprise, ou pas, mais ce choix leur appartient, à eux et non à nous, car c’est la vie des entreprises. Les propriétaires de ces PME pourront comparer l’offre des salariés avec l’offre d’un tiers et choisir celle qu’ils veulent, ou ils pourront tout simplement constater qu’il n’y a pas d’offre des salariés, ce qui sera l’immense majorité des cas.
En tout état de cause, cela permettra peut-être au chef d’entreprise de partir avec la plus-value qu’il avait imaginée et qu’il n’aurait pas obtenue s’il n’y avait pas eu de reprise par les salariés.
Mesdames, messieurs les sénateurs de l’opposition, de grâce, face à cette mesure qui concilie progrès social et performance économique au sens où elle tend à maintenir de l’emploi, j’aimerais que vous proposiez une autre option : on parle de transmission depuis quinze ans et je ne vois aucune proposition susceptible de faciliter la transmission.
Quelles sont vos solutions ?
M. André Reichardt. On va vous le dire !
M. Benoît Hamon, ministre délégué. J’insiste : quelles sont-elles ?
En ce qui nous concerne, nous parlons de formation, de mobilisation des acteurs, d’accompagnement.
Messieurs les sénateurs, madame la sénatrice, vous qui siégez sur les travées de l’UMP, je vous rappelle qu’une entreprise transmise aux salariés est, dans 75 % des cas, toujours vivante à cinq ans, alors que le taux est seulement de 60 % lorsqu’elle est reprise par un tiers.
Le vote de cet article permettrait non seulement de faciliter le maintien de l’activité et de promouvoir un progrès social, mais également de parier sur l’entreprise durable, ce dont il faut se réjouir. De ce point de vue – entreprise durable, progrès social et performance économique –, nous avons une belle loi et une belle mesure favorable à l’emploi, à l’intérêt des salariés et à l’alliance entre les intérêts des chefs d’entreprise et les intérêts des salariés. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – MM. Gérard Le Cam, Stéphane Mazars et Joël Labbé applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou, pour explication de vote.
M. Jean-Jacques Mirassou. Incontestablement, cet article contient une des mesures emblématiques de ce projet de loi que nous étudions depuis de nombreuses heures. Il est également parfaitement indissociable de l’article 1er, lequel définit ce que peut être une entreprise relevant de l’économie sociale et solidaire au travers du triptyque que j’évoquais hier : un but recherché qui éloigne l’entreprise de l’exigence de lucrativité ; un mode de gestion qui garantit plus de transparence et de démocratie ; une recherche continuelle de la pérennité de l’entreprise par la réinjection des bénéfices dans son activité.
Comme je l’ai également dit hier, ce triptyque permet d’engager une démarche entrepreneuriale éminemment citoyenne. C’est la raison pour laquelle je pense qu’il s’agit d’un beau projet de loi.
Je suis d’accord avec M. le ministre quand il dit que, globalement, les transmissions d’entreprises se font dans de bonnes conditions. Du reste, lorsque l’entente a été bonne entre l’entrepreneur et ses employés, généralement, la démarche se fait tout naturellement.
Pour autant, mes chers collègues, nous ne pouvons pas faire l’impasse sur les fois où le processus se passe mal. Nous avons tous en tête le souvenir de ces entreprises dont les machines-outils avaient été démontées et déménagées en catimini, de nuit. En l’occurrence, le choc a été terrible pour les employés de ces entreprises : ils ont assisté à une partie de poker menteur qui a duré quelques semaines, voire quelques mois, et, de manière abrupte, une herse s’abat devant eux, les privant à la fois de leur gagne-pain et de leur outil de travail. Ce projet de loi a aussi vocation à prendre en compte ce type de distorsions, lesquelles correspondent à une forme de paroxysme, qui existe le plus souvent quand de telles situations se produisent.
Mes chers collègues, je ne voudrais pas, y compris à travers ces amendements, que vous cherchiez, sous couvert du louable souci de préserver l’entreprise et l’emploi, à privilégier in fine l’entrepreneur qui souhaite vendre son entreprise. La question mérite d’être posée !
M. André Reichardt. C’est incroyable !
M. Jean-Jacques Mirassou. Pour ce qui nous concerne, nous avons choisi notre camp : nous faisons partie de ceux qui pensent que les intérêts de l’entreprise et de tous ceux qui y travaillent sont conciliables.
Votre amendement manque de lucidité (Mme Élisabeth Lamure proteste.) eu égard à l’importance des enjeux qui se présentent à nous. Nous considérons que cet article est emblématique de notre volonté politique de franchir, dans le domaine entrepreneurial, un palier sur le plan tant qualitatif que quantitatif, qui, j’en suis persuadé, nous permettra, là comme ailleurs, de changer d’ère. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. André Reichardt, pour explication de vote.
M. André Reichardt. Je voudrais rendre hommage à M. le rapporteur qui a dit tout à l’heure que tout avait déjà été dit à ce propos. Je ne souhaitais pas intervenir, mais j’y suis poussé par ce que je viens d’entendre, à savoir qu’il y aurait, de notre côté, une vision archaïque de l’entreprise. M. le ministre a déclaré qu’il ne se passait rien – je caricature à peine – depuis des années en matière de reprise et de transmission d’entreprise, tandis que M. Mirassou vient de distinguer les « gentils », qui sont du côté gauche de l’hémicycle et se préoccupent des salariés et de l’avenir des entreprises, et les « méchants », à droite, qui ne se préoccupent que de faire gagner de l’argent aux chefs d’entreprise…
M. Marc Daunis, rapporteur. Ne caricaturez pas !
M. David Assouline. Vous avez tout compris ! C’est comme cela depuis des siècles !
M. André Reichardt. Ne pouvant accepter de tels propos, je voudrais rétablir certaines vérités.
Je n’ai pas la prétention de connaître l’entreprise mieux que les autres, mais il s’avère que j’ai été directeur général de la chambre des métiers d’Alsace, qui est un peu particulière puisqu’elle a une notion de l’artisanat que n’est pas tout à fait celle qui prévaut outre-Vosges. En effet, elle affilie aussi des entreprises artisanales de plus de 10 salariés, qui peuvent parfois atteindre 100 salariés. Elle représente 28 000 entreprises – excusez du peu ! –, et celles-là au moins je les connais un peu.
Monsieur le ministre, ces entreprises, lorsqu’elles sont transmissibles, se transmettent toujours.
M. André Reichardt. Les entreprises qui ne se transmettent pas, dont vous parlez, ne sont tout simplement pas transmissibles (M. le ministre sourit.), pour une raison ou pour une autre.
Elles ne sont pas en difficulté, mais elles se trouvent simplement dans des secteurs où – la vie économique est ainsi faite – elles ne vont pas trouver de repreneur. C’est la vérité…
M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. Mais non !
M. André Reichardt. … et je vais vous le prouver.
En affirmant qu’elles ne se préoccupent pas de transmission d’entreprises, vous faites injure aux compagnies consulaires, c’est-à-dire aux chambres de commerce et d’industrie et aux chambres des métiers, ainsi qu’aux organisations professionnelles.
M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. Laissez-les où elles sont !
M. André Reichardt. Je le répète, j’ai été en fonction dans une chambre des métiers qui avait pour priorité absolue la création et la transmission d’entreprises, et il y en a beaucoup d’autres dans notre pays. Comment procédions-nous ? Nous recensions régulièrement toutes les entreprises artisanales dont le dirigeant propriétaire avait plus de 55 ans ! À un moment, nous sommes même descendus à 50 ans. (M. le ministre s’entretient en aparté avec M. Jacques Mézard.) Si M. le ministre veut bien m’écouter… Une démarche personnelle était faite par les animateurs économiques de la chambre des métiers ou de la chambre de commerce et d’industrie auprès de chacune de ces entreprises recensées pour examiner avec elle, à travers un diagnostic, les potentialités d’une éventuelle reprise ou transmission.
Monsieur le président de la commission des affaires économiques, vous pouvez sourire, mais interrogez-les : c’est ce qu’elles font !
M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. C’est faux !
M. André Reichardt. Je n’accepte pas que vous me traitiez de menteur ! Je l’ai fait des années durant !
M. David Assouline. Vous le faisiez mal !
M. André Reichardt. Un recensement et un diagnostic sont faits ! Après, le chef d’entreprise a intérêt, lorsqu’elle est transmissible, à céder son entreprise. Pourquoi un chef d’entreprise ne transmettrait-il pas quelque chose qui est vendable ? (Mme Marie-Noëlle Lienemann s’exclame.)
J’entends M. le ministre dire que celui-ci va demander trop cher. Soit ! Mais lorsque le chef d’entreprise verra qu’il n’arrive pas à vendre, il baissera le prix, comme le ferait n’importe qui, et donnera un nouveau mandat de négociation.
C’est de la vie économique que je vous parle !
Mme Christiane Demontès, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. C’est de l’absence de lucidité, mon cher collègue !
M. André Reichardt. Entendre parler de l’archaïsme de notre vision de l’entreprise me fait mal ! Je suis simplement en train de vous parler de ce qui se fait tous les jours.
Aussi, vous ne pouvez pas nous dire qu’il ne s’est rien passé jusqu’à présent et que, grâce à ce droit d’alerte des salariés, vous allez régler le problème. Vous ne réglerez rien du tout, parce que, en ratissant à ce point large, monsieur le ministre, votre objectif, qui est de faire en sorte d’éviter que des entreprises saines ne soient liquidées faute de repreneur, ne sera pas atteint. En effet, le dispositif vise à s’appliquer à l’ensemble des cessions d’entreprises, y compris celles qui s’inscrivent déjà dans un processus de reprise banalisé.
Qui plus est, – nous n’en avons pas assez parlé – ce dispositif fait planer une incertitude juridique majeure sur toutes les opérations de transmission de PME du fait de la sanction prévue, à savoir, rendez-vous compte, une nullité relative.
Par ailleurs, vous l’avez vous-même reconnu, le délai incompressible de deux mois prévu n’est ni réaliste ni praticable. Lorsqu’un mandat de cession est signé, on ne sait pas quelle est la date de réalisation.
Enfin, une information mal maîtrisée peut entraîner des risques de déstabilisation de l’entreprise, qui se trouvera fragilisée dans ses relations avec ses partenaires, qu’ils soient commerciaux ou financiers, et, surtout, ses clients.
C’est pourquoi nous souhaitons la suppression de cet article. Le dispositif peut être largement amélioré si vous n’imposez pas cette forme d’automaticité au travers de l’article 11. Excusez-moi de le dire ainsi : je ne peux pas accepter vos critiques !
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Benoît Hamon, ministre délégué. Monsieur Reichardt, je souhaiterais porter un certain nombre d’éléments à votre connaissance.
Plus d’une entreprise francilienne sur trois est dirigée par un chef d’entreprise âgé de 55 ans ou plus, comme je l’ai dit tout à l’heure. Potentiellement, ce sont donc 266 300 entreprises de moins de 50 salariés qui vont être concernées par la problématique du changement de dirigeant à court ou moyen termes. Par ailleurs, 33 % de ces entreprises employant un ou plusieurs salariés, ce sont donc 59 900 salariés qui se trouveraient chaque année menacés par la disparition de leur entreprise, faute de repreneur.
Monsieur Reichardt, même si nous mettons de côté l’étude de l’INSEE sur laquelle s’appuie CCI France, parce que vous n’auriez pas confiance en la parole du Gouvernement et de l’État, pour prendre en compte une autre étude, à savoir celle du groupe BPCE, qui est susceptible de mieux vous convenir, du fait de son origine et bancaire et privée…
M. André Reichardt. L’une ou l’autre, cela m’est complètement égal !