M. le président. La parole est à M. Dominique Watrin, sur l’article.
M. Dominique Watrin. Alors que nous n’avons jusqu’à présent eu à débattre que de dispositions régressives pour les salariés, notamment l’allongement de la durée de cotisation ou encore le décalage dans la revalorisation des pensions des retraités, l’article 5, relatif à la prévention des expositions à certains risques professionnels, apparaît comme une avancée, même si nous considérons qu’elle est encore trop timide.
Bien que positive, notamment en ce qu’elle marque une rupture avec la conception défendue par la droite et le patronat, cette mesure demeure limitée, au point que la prise en compte de la pénibilité dans le texte apparaît par trop corsetée.
Certes, l’étude d’impact signale que cet article devrait permettre à plus de 3 millions de salariés de bénéficier du compte personnel de prévention de la pénibilité, permettant d’obtenir soit une formation professionnelle, soit une réduction du temps de travail, soit, dans quelques cas trop rares, un départ anticipé à la retraite – nous reviendrons bien évidemment sur ce sujet lorsque nous examinerons l’article 6 du texte.
Cela étant, je voudrais soulever un problème particulier : les salariés ayant, par exemple, été exposés durant vingt-cinq ans à un facteur de risque ne pourront bénéficier que de deux années de retraite anticipée, et devront, pour ce faire, être âgés d’au moins cinquante-deux ans.
Assurément, il s’agit d’une amélioration par rapport au dispositif initial, lequel n’ouvrait ce droit qu’aux salariés de cinquante-sept ans, et, surtout, par rapport au système validé par la droite, fondé sur un taux d’invalidité qui aboutissait à n’ouvrir un droit qu’à partir d’une main coupée…
On regrettera certaines limites du dispositif proposé, notamment pour les salariés qui sont exposés à une multiplicité de facteurs de risque. Le dispositif ne permet de cumuler des points que dans la limite de deux facteurs d’exposition. Ainsi, un salarié qui serait exposé à plus de deux facteurs de risque ne bénéficierait d’aucune mesure supplémentaire.
Vous ne l’ignorez pas, plus les salariés sont exposés à des facteurs de risque différents, plus des effets cumulatifs peuvent se manifester. Il faudrait pouvoir tenir compte de cette situation – tel était le sens de mon intervention.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, sur l’article.
Mme Laurence Cohen. Je rejoindrai ce qui vient d’être dit quant à notre appréciation d’un dispositif qui, au fond, réalise un compromis entre une volonté réelle de prendre enfin en compte la pénibilité et la volonté de limiter la dépense sociale tout en préservant la fameuse compétitivité des entreprises.
Qui plus est, nous regrettons que le nombre de points soit plafonné à cent et, à cet égard, nous ne partageons pas l’analyse, faite par certains, selon laquelle octroyer plus de points inciterait les salariés à rester durablement dans une situation de pénibilité.
Dire cela, c’est méconnaître profondément le monde du travail et les aspirations des salariés à ne plus user leur vie ou leur santé au travail. Rappelons que les ouvriers continuent à avoir une espérance de vie en bonne santé réduite de sept ans par rapport à celle des cadres. Est-ce à dire que les ouvriers dont il est ici question seraient, en quelque sorte, responsables de cette situation ?
De plus, vous ne pouvez pas ignorer que les employeurs ont, à l’égard de leurs salariés, une obligation légale de protection. Il s’agit d’une obligation renforcée, puisqu’il s’agit d’une véritable obligation de résultat et non pas seulement d’une obligation de moyens.
Aussi, la question ne devrait pas être de plafonner les points par crainte que les salariés ne restent à leur poste. Il faudrait plutôt adopter la logique inverse : déplafonner les points, de telle sorte que les employeurs trouvent un intérêt certain à affecter les salariés à des postes moins exposés, à prendre les mesures significatives pour réduire les risques, ou à accéder à leurs demandes de bénéficier d’une formation professionnelle.
L’inversion de paradigme qui nous est proposée ici ne peut donc nous satisfaire et, malgré les apparences d’une mesure positive, il nous reste des motifs d’inquiétude.
D’une certaine manière, le maillon faible de ce dispositif est sans doute son aspect préventif, beaucoup trop absent à notre goût. Dès lors que le travail rend malade, c’est le travail qu’il faut changer. Mes chers collègues, en 2013, avec tous les progrès scientifiques et technologiques qui ont été réalisés, c’est possible !
Je déplore d’ailleurs que les troubles psycho-sociaux, qui découlent de certaines formes de management et d’organisation du travail, ne soient pas pris en compte dans les facteurs de risque. On le sait très bien, leurs conséquences s’observent dans la durée et ce n’est pas, par exemple, parce qu’une exposition à des harcèlements cesse que des maladies psychologiques ne peuvent pas se manifester ensuite.
Nous sommes d’autant plus inquiets que, par ailleurs, d’après les éléments dont nous disposons, le budget consacré à la prévention dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour la branche accidents du travail et maladies professionnelles serait nettement en baisse.
Tout cela, madame la ministre, nous conduit à vous demander ce qu’il en est réellement, et à appréhender cet article avec beaucoup de réserves.
M. le président. La parole est à M. Claude Domeizel, sur l’article.
M. Claude Domeizel. Cet article 5 ouvre un chapitre important de ce projet de loi. Avec la mise en place d’une réelle prévention de la pénibilité, bien au-delà de la seule réparation, c’en est même la mesure phare.
Jusqu’à présent, deux systèmes coexistaient : d’une part, la prévention entendue de manière générale, déclinée des directives européennes jusqu’aux règlements internes des établissements, en passant par le code du travail ; d’autre part, la réparation, avec la reconnaissance de l’invalidité.
À côté de ces dispositifs, le projet de loi crée une prévention qui, tout en étant fondée sur la reconnaissance unanime de critères de pénibilité, est également fondée sur une approche individuelle. La fiche individuelle sera renseignée, et un compte de prévention de la pénibilité est créé.
L’objectif n’est donc plus, ici, la réparation, mais la prévention. Il s’agit de faire en sorte que non seulement les conditions de travail soient améliorées pour les employés qui doivent réaliser des travaux pénibles, mais aussi que ces derniers puissent se reconvertir grâce à une formation qualifiante, partir en retraite de manière anticipée ou obtenir un travail à temps partiel.
Nous aurons d’ailleurs, madame la ministre, des précisions à vous demander sur la mise en œuvre du dispositif par décret.
La législation existante n’est pas abrogée. Mais nous abordons ce dossier avec une différence de philosophie. Cette différence prend enfin en compte l’injustice majeure, fondamentale, qui traverse notre société : celle de l’espérance de vie, et surtout de l’espérance de vie en bonne santé.
M. Jean Besson. Eh oui !
M. Claude Domeizel. Nous savons tous que la différence d’espérance de vie entre un salarié qui travaille dans un bureau et un ouvrier, surtout exposé à la pénibilité, s’élève tout de même à sept ans.
Mais nous savons aussi que l’espérance de vie en bonne santé diminue depuis 2008. Entre 2008 et 2010, elle est passée de 62,7 ans à 61,9 ans pour les hommes, et de 64,6 ans à 63,5 ans pour les femmes.
Ces chiffres montrent à quel point les dispositifs actuels sont inefficaces et à quel point les conditions de vie et de travail se durcissent, pas seulement en raison de la crise, mais aussi en raison de contraintes de productivité de plus en plus lourdes.
Il faut donc agir, et nous l’assumons pleinement. Ainsi, il est juste que les employeurs, qui bénéficient par ailleurs de plusieurs dispositifs fiscaux, participent au financement. Au demeurant, leur participation sera différenciée selon la dangerosité des travaux effectués, comme c’est déjà le cas pour la branche accidents du travail et maladies professionnelles.
J’observe aussi que la prévention, bien mise en œuvre, sera source d’économies dans le domaine de la réparation.
Je note enfin, s’agissant des salariés des trois fonctions publiques qui relèvent ou non des dispositions statutaires du service actif, qu’une concertation s’ouvrira dès l’année prochaine afin qu’ils puissent également bénéficier du dispositif que nous mettons en place.
Au total, le dispositif concernant la pénibilité représente une avancée importante, à laquelle l’ensemble du monde du travail doit participer. Il lui appartient maintenant de s’en saisir !
M. le président. La parole est à Mme Gisèle Printz, sur l’article.
Mme Gisèle Printz. Enfin, nous avons ici l’occasion de parler d’une loi prenant réellement en compte la pénibilité au travail. Certes, depuis 2003, une action était engagée, mais si le thème de la pénibilité était retenu, la négociation devant la définir et la prendre en compte n’a pas abouti.
Ensuite, en 2008, le rapport de Jean Frédéric Poisson a permis, après moult négociations, de définir les dix critères de pénibilité figurant dans la loi de 2010. Cette loi devait aussi comporter une obligation de négociation, à compter du 1er janvier 2012, pour les entreprises d’au moins cinquante salariés.
Malheureusement, force est de constater qu’au 31 août 2013, seulement quinze branches et 4 800 entreprises ont conclu un accord. On peut noter l’ampleur de la tâche restant à accomplir pour une prise en compte de la pénibilité concernant tous les salariés de notre pays.
Jusqu’à ce projet de loi, le modèle à travers lequel le législateur a approché la question de la pénibilité s’est avéré essentiellement axé sur la réparation des dégâts causés par des conditions de travail pénibles, bien plus que sur la prévention. La raison en est assez simple : le législateur s’est plus positionné du côté du patronat que du côté des salariés.
Grâce au gouvernement de François Hollande, nous changeons clairement de perspective avec cette réforme. Tout en s’appuyant sur certaines analyses du patronat, le Gouvernement se positionne aux côtés des salariés et de leurs représentations syndicales.
Désormais, la pénibilité ne sera plus traitée a posteriori et de manière incomplète, mais par la prévention. Tout en maintenant l’IPP – l’incapacité permanente partielle – instaurée par la loi de 2010, cette réforme envisage une réponse globale.
Jusqu’à 20 % des salariés du secteur privé seront concernés par la mise en place du compte personnel de prévention de la pénibilité qui permettra, à la fois, de bénéficier d’une formation en vue d’une réorientation professionnelle, de financer un maintien de rémunération lors d’un passage à temps partiel en fin de carrière, et de bénéficier de trimestres supplémentaires – dans la limite de huit trimestres pour une retraite à soixante ans.
Enfin, nous pouvons dire que cette réforme mettra à contribution tous les acteurs : le salarié qui pourra choisir entre différentes options pour conduire sa fin de carrière, les représentants des organisations syndicales au sein des CHSCT, les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, ainsi que les employeurs par un financement de 0,2 % du fonds destiné au financement des droits liés au compte de pénibilité.
Cet article sur la prise en compte de la pénibilité vise à protéger ceux qui risquent leur santé au travail. Notre gouvernement reconnaît enfin le problème des salariés soumis à la pénibilité en améliorant leur système de retraite.
M. le président. La parole est à M. Roland Courteau, sur l’article.
M. Roland Courteau. Je souhaitais initialement m’exprimer sur la pénibilité à l’article 6, mais, monsieur le président, j’y renonce pour le faire à l’article 5.
Madame la ministre, dans ce projet de loi, vous avez souhaité mettre en place une série de dispositions relatives à la pénibilité pour tenter de gommer certaines inégalités entre ceux qui sont soumis à des travaux pénibles et les autres.
Je souhaite soutenir cette initiative qui répond, à mon sens, à un impératif de justice. Comment, en effet, ne pas différencier tel salarié, qui travaille en extérieur et met en jeu son intégrité physique, d’un cadre exerçant son activité dans une société ? Comment imaginer qu’à cinquante-cinq ans, cinquante-six ans ou soixante ans, on puisse encore travailler à la réfection des routes ou sur une chaîne de montage ?
Force a été de le constater, les mesures qui existaient jusqu’à présent – je pense aux accords sur la pénibilité de la loi de 2010, avec l’obligation de négociation sur la pénibilité au travail – n’ont pas donné les résultats escomptés.
Le nombre des accords de branche conclus s’est situé bien en deçà de ce que nous aurions pu espérer, avec quinze accords au 31 août 2013, sans parler du fait qu’ils ne s’appliquaient qu’aux entreprises de plus de 50 salariés, laissant de nombreux salariés, qui méritaient pourtant d’en bénéficier, en dehors du système.
Oui, il était urgent de traiter cette question, qui constitue un réel problème de société. En 2013, l’espérance de vie d’un cadre, à trente-cinq ans, est plus élevée de sept ans en moyenne que celle d’un ouvrier – M. Domeizel vient de le rappeler utilement. Les personnes occupant les professions les plus qualifiées ont, à cinquante ans, une espérance de vie supérieure de neuf ans à celle des ouvriers.
En 2010, on nous avait dit et redit que les décisions prises allaient financer durablement le système des retraites – c’était promis, juré ! On sait aujourd’hui ce que valaient ces propos…
En 2010, on nous disait que la pénibilité était bien prise en compte. En fait, c’était l’incapacité permanente et avérée qui était prise en compte…
Et en 2013, si j’en crois certains propos tenus à droite, les progrès proposés par le Gouvernement inciteraient en fait les salariés à conserver des travaux pénibles ! C’est incroyable ! Pourquoi ne pas affirmer que les salariés n’iraient plus désormais rechercher que des travaux pénibles…
En fait, en 2010, n’ont été prises en compte que les expositions aux risques qui ont un impact immédiat sur la santé des salariés et non un impact différé sur l’espérance de vie.
Comme vous, madame la ministre, nous estimons qu’il est légitime de compenser les atteintes irréversibles portées à la santé des personnes par leur exposition à des facteurs de risque professionnels.
Eh oui, le travail effectué à des températures extrêmes, ça existe ! Les postures pénibles, le bruit, le travail répétitif, le travail de nuit, ça existe ! Les horaires alternants, les manutentions manuelles de charges, ça existe !
Voilà pourquoi, mes chers collègues, le compte de pénibilité par points concilie prévention et surtout réparation de la pénibilité.
Ce compte permettra, en cumulant des points, d’anticiper le départ à la retraite de deux années et demie. Il permettra aussi à ceux qui le souhaitent de suivre une formation en vue d’une réorientation professionnelle vers un emploi moins pénible. Je pense en particulier aux salariés qui ne sont pas encore proches de la retraite. Enfin, pour d’autres, il contribuera au maintien d’une rémunération tout au long de la vie en cas de passage à un temps partiel en fin de carrière.
Je crois qu’il s’agit de mesures justes et nécessaires, qui prennent en compte des situations que nous ne ferons peut-être pas disparaître entièrement, mais qu’il nous revient de compenser et de réparer. C’est pourquoi je tenais à soutenir ces dispositions, par simple souci de justice, car il n’est de pire inégalité que celle qui réserverait à certains salariés une retraite plus courte, parce que leur espérance de vie serait raccourcie du fait d’une vie profondément marquée par des travaux pénibles. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, sur l’article.
M. Jean-Yves Leconte. Nous avons appris, hier, la libération de quatre otages français enlevés au Niger : je tiens à saluer leur courage et à rendre hommage à ceux qui ont travaillé à leur libération. Cet événement vient aussi nous rappeler que les Français travaillant à l’étranger peuvent également être exposés à des risques et à des situations particulièrement pénibles. L’exemple est certes extrême, mais je souhaitais néanmoins témoigner de cette situation.
À l’étranger, la protection sociale est la plupart du temps du ressort du pays dans lequel nos compatriotes travaillent. Elle est plus ou moins bonne, en fonction des pays de résidence. La Caisse des Français de l’étranger, la CFE, comme nous le rappelait Jean-Pierre Cantegrit en discussion générale, permet d’assurer aux Français de l’étranger qui le désirent une continuité avec la protection sociale française, en particulier en ce qui concerne la retraite.
Même si beaucoup de Français de l’étranger n’exercent pas les métiers pénibles que nous pouvons observer en France, un certain nombre de risques et de situations sont identiques : l’exposition au bruit, le travail sur des plateformes, dans des mines, sur des sites pétrochimiques ou chimiques et des sites de production sont tout de même relativement courants.
Les personnes qui font aujourd’hui appel à la CFE pourraient également être intéressées et avoir droit, de manière complètement légitime, au compte personnel de prévention de la pénibilité, ce qui n’est pas prévu pour l’instant. Bien entendu, le code du travail s’applique en France mais pas à l’étranger, où nous ne disposons pas de la souveraineté pour contrôler ce type de situations pénibles. Toutefois, à partir du moment où l’adhésion au système de retraite est volontaire pour les Français de l’étranger, nous pourrions tout à fait imaginer que l’adhésion au compte personnel de prévention de la pénibilité le soit aussi pour les Français qui seraient exposés à ce type de risques.
L’amendement que j’avais déposé sur ce point, madame la ministre, a été déclaré irrecevable aux termes de l’article 40 de la Constitution. Cela m’a d’ailleurs semblé un peu excessif, dans la mesure où le président de la commission des finances est parti du principe que proposer aux Français de l’étranger qui exercent un travail pénible d’adhérer volontairement à ce compte personnel de pénibilité engendrerait nécessairement une charge, comme s’il ne pouvait pas y avoir de compensation.
Quoi qu’il en soit, madame la ministre, je souhaiterais savoir s’il serait possible, afin d’assurer une certaine continuité de la protection sociale à l’étranger via la Caisse des Français de l’étranger, d’appliquer par la voie réglementaire les avancées sociales qui sont prévues dans ce projet de loi aux Français de l’étranger qui le souhaiteraient, dès lors que ceux-ci cotisent de manière volontaire pour la retraite.
M. le président. La parole est à M. Philippe Bas, sur l’article.
M. Philippe Bas. Je ne voudrais certes pas m’opposer au progrès que représente la prise en compte de la pénibilité dans le calcul des droits à la retraite. Nous avons nous-mêmes recherché les voies d’une meilleure intégration de cette dimension dans notre système de retraite : nous l’avons fait en 2003, avec la création du régime de départ anticipé, une avancée fortement réclamée par les syndicats qui ont approuvé cette réforme et contribué à sa légitimité ; nous l’avons encore fait avec la réforme de 2010, qui a fait avancer le concept de pénibilité dans notre droit.
Cependant, à côté du régime des retraites qui mobilise toute notre attention, il y a aussi la dimension sociale très importante que constitue la prévention des risques et des maladies professionnelles. Or j’observe que les modalités d’application du dispositif tel qu’il a été conçu par le Gouvernement viennent percuter notre système de prévention des risques professionnels de manière extrêmement dangereuse. C’est si vrai que les membres du Conseil d’orientation sur les conditions de travail, tant du côté patronal que du côté syndical, se sont unanimement inquiétés, le 13 septembre dernier, de ces innovations.
Je m’en explique. Notre système de prévention des risques et des maladies professionnelles repose désormais sur la traduction en droit interne d’un certain nombre de directives européennes relatives aux conditions de travail : trois séries de directives sur les conditions de travail ont ainsi été transposées dans nos lois et nos règlements ; elles ont également donné lieu à de très nombreux accords collectifs de travail.
L’ambition de ce système de prévention des risques et maladies professionnelles est très simple : c’est la suppression des risques professionnels, le risque zéro dont chacun sait bien qu’il n’existe pas mais vers lequel il nous faut tendre. Ce système s’applique à tous les travailleurs. Et voici que fait irruption, au motif de mieux prendre en compte la pénibilité dans le calcul des droits à la retraite, un dispositif qui prétend s’appliquer aux 18 % des travailleurs qui seraient les plus exposés aux risques et qui va, en quelque sorte, absorber le système si patiemment construit avec l’accord des partenaires sociaux !
C’est là un grand danger, qui a été relevé. Bien que ce sujet ne soit pas au cœur de l’actualité, si nous laissons passer ce dispositif tel qu’il a été conçu, nous serons confrontés à de graves difficultés et, en réalité, à un affaiblissement redoutable de la protection des travailleurs face aux risques professionnels, puisque l’on ne s’intéresserait plus qu’à ceux d’entre eux qui seraient les plus exposés aux risques professionnels.
L’incorporation au régime actuel d’un système de seuils d’exposition qui seraient tolérés est tout simplement antagonique. C’est la raison pour laquelle je m’étonne que le ministre du travail n’ait pas pris une position plus ferme dans ce débat, pour défendre les intérêts des travailleurs exposés aux risques professionnels face à un dispositif qui est conçu non pas pour la prévention des risques mais pour le calcul des retraites. On comprend d’ailleurs que, si l’on ne s’intéresse qu’à la dimension de la retraite, on laisse de côté les questions de prévention des risques auxquelles il faut pourtant s’intéresser également.
Je formulerai un autre reproche, également très important même s’il l’est un peu moins que le précédent, que les partenaires sociaux ont également exprimé : les causes de maladies professionnelles que sont les risques psychosociaux et le stress ne sont nullement prises en compte dans le régime du compte personnel de prévention de la pénibilité tel qu’il a été élaboré par le Gouvernement.
Pour toutes ces raisons, il me semble qu’il faudrait remettre l’ouvrage sur le métier et essayer de trouver un dispositif qui permette à la fois de mieux compter la pénibilité dans les droits à la retraite, ce que les majorités successives ont toutes essayé de faire, sans pour autant fragiliser la protection des travailleurs du point de vue de leur sécurité et des conditions de travail.
M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet, sur l’article.
M. Gérard Longuet. Combattre la pénibilité, s’efforcer d’améliorer les conditions de travail est un devoir absolu auquel personne ici ne songe à se soustraire. C’est une tâche extrêmement difficile à laquelle nous nous étions attelés, vous avez bien voulu le rappeler, en 2003. Des négociations entre employeurs et salariés ont fonctionné, à un rythme que l’on peut qualifier de réfléchi et de mesuré.
Vous nous proposez, madame le ministre, une mesure globale avec un compte personnel de prévention de la pénibilité. C’est un hommage que vous rendez au régime de retraite par points, puisque vous individualisez non pas des avantages mais des efforts et, ce faisant, permettez aux salariés de les affecter, dans des conditions que l’examen des articles me permettra de préciser, à différentes solutions, y compris l’avancement de l’âge de la retraite.
Mon intervention portera sur un point qui est assez proche de celui qu’a évoqué Philippe Bas, mais qui s’en distingue, à savoir le transfert de responsabilité. Philippe Bas souligne que la création du compte de pénibilité ne doit pas être l’occasion de différer l’amélioration des conditions de travail pour tous. Je voudrais insister, quant à moi, sur le risque – je parle avec prudence – de transfert de charge de l’employeur vers les régimes de retraite. La pénibilité est une évidence ; elle est reconnue dans beaucoup de professions – pas dans toutes – et se traduit par des dispositions salariales plus avantageuses.
Je suis élu d’une région de tradition industrielle, la Lorraine, où le travail sous-terrain et le travail posté ont toujours bénéficié, et à juste titre, d’avantages salariaux significatifs. Les salaires de l’industrie sont évidemment insuffisants, le groupe communiste me le dirait, mais je constate qu’au XIXe siècle les salaires pratiqués dans les mines de fer ont absorbé sans aucun problème la totalité de la population rurale disponible de mon département, car elle préférait la sécurité d’un revenu mensuel et une organisation du travail, qui n’était certes pas exemplaire au regard des critères actuels mais constituait un vrai progrès social par rapport aux conditions du travailleur rural et agricole de l’époque.
La pénibilité a été prise en compte depuis longtemps par l’employeur, qu’il s’agisse de l’attractivité des salaires et, sans doute, du paternalisme qui paraît aujourd’hui désuet mais qui était animé de bonnes intentions, comme nous l’avons vu avec les lois sociales allemandes, lesquelles découlaient en réalité, après l’annexion due au traité de Francfort, des accords patronaux alsaciens.
Je ne voudrais pas que la mise en place d’un « compte pénibilité » puisse apparaître comme exonérant l’employeur de l’obligation de récompenser les salariés qui acceptent le travail posté, le travail dans des conditions difficiles, le travail exposé à la chaleur ou aux intempéries. Il faut veiller à ce que la politique salariale tienne compte des difficultés de façon continue, ce qui se traduit d’ailleurs par des avantages en termes de retraite. En effet, les vingt-cinq meilleures années étant prises en compte dans le calcul de la retraite du salarié du secteur privé, la reconnaissance de la pénibilité se traduit favorablement dans le calcul de celle-ci.
Madame le ministre, j’attire donc votre attention sur cet article. Nous éprouvons un grand intérêt pour votre démarche. Cependant, ne transférons pas la responsabilité de l’employeur sur un régime collectif de retraites : c’est à l’employeur de payer la pénibilité que le salarié accepte librement d’assumer, parce qu’il y trouve en contrepartie son compte sur le plan salarial. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC.)
M. le président. Je suis saisi de douze amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 265, présenté par MM. Longuet et Cardoux, Mmes Boog, Bruguière, Bouchart, Cayeux, Debré et Deroche, M. Dériot, Mme Giudicelli, MM. Gilles et Husson, Mme Hummel, MM. Fontaine, de Raincourt, Laménie et Milon, Mme Kammermann, M. Pinton, Mme Procaccia, M. Savary et les membres du groupe Union pour un mouvement populaire, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
À compter de la promulgation de la présente loi, les branches professionnelles négocient sur la définition de critères d’évaluation de la pénibilité ainsi que sur la mise en place de dispositifs de compensation de la pénibilité et sur leur financement, dans le respect des principes généraux de prévention, d’amélioration des conditions de travail et de droit à l’information.
La parole est à M. Gérard Larcher.