M. Roland Courteau. Exactement !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Le niveau excessif des prix de l’immobilier obère le fonctionnement de l’économie, car ce qui n’est pas consacré au pouvoir d’achat ou à la consommation de biens intermédiaires ne nourrit pas l’économie réelle et s’accumule inutilement dans une rente foncière.
Troisièmement, il faut assurer la mixité sociale, c’est-à-dire la République dans la ville ! Il ne faut pas créer des ghettos de riches ou de pauvres, mais assurer le vivre ensemble, dans le respect mutuel et l’évolution collective.
Quatrièmement, pour la ville durable et l’urbanisme, il convient d’adopter une nouvelle façon d’aménager le territoire, sujet sensible s’il en est, surtout au Sénat. Je souscris à l’analyse de notre collègue Jacques Mézard selon laquelle la France doit réinventer une politique d’aménagement du territoire. À cette fin, les outils d’aujourd’hui ne peuvent pas être tout à fait ceux d’hier. Mais, dans le même temps, à force d’être trop souples, ils finissent par ne pas être toujours opérationnels.
En tout cas, un choix fondamental est fait pour l’avenir de la France : on ne peut pas continuer à consommer tant de mètres carrés de terres cultivables ou d’espaces naturels pour urbaniser,…
M. Roland Courteau. Très bien !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. … car l’équilibre de notre beau territoire sera, à terme, menacé.
Mme Aline Archimbaud, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales, et M. René Vandierendonck, rapporteur pour avis de la commission des lois. Très bien !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Par conséquent, il est fondamental de trouver les outils pertinents. Non, mesdames, messieurs les sénateurs de l’UMP, nous ne pensons pas la France uniquement à l’intérieur du périphérique ! Nous la pensons pour les banlieues, nous la pensons pour les territoires ruraux, nous la pensons pour l’ensemble du territoire national. Tel est le grand défi qui est au cœur de ce débat au Sénat et qui explique son importance : faire vivre la décentralisation que nous avons voulue, que nous avons votée et que vous avez aussi soutenue. (M. Daniel Dubois s’exclame.)
M. François Grosdidier. C’est pour cela que vous retirez des pouvoirs aux maires ?
M. Marc Daunis. On va y revenir !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Dans un État républicain, l’égalité en droit doit être compatible avec la diversité et la décentralisation du territoire. L’autonomie de la commune, de la collectivité locale, doit pouvoir être affirmée en même temps que la garantie de l’intérêt général et de l’égalité républicaine.
C’est donc une articulation nouvelle, intelligente, qu’il faut trouver entre l’action de l’État et celle des collectivités locales. Nous ne vivons pas dans le monde des Bisounours où toutes les actions des collectivités locales seraient parfaites et où l’État serait par nature garant de l’intérêt général !
Je reviendrai sur l’ensemble des thèmes abordés, mais lors du débat de la commission sur le PLUI, notre collègue Claude Bérit-Débat a proposé un compromis en vue de mettre en exergue l’idée de l’intérêt général tout en préservant une certaine vision de l’autonomie des collectivités locales. Rien ne se fera, dans ces PLUI, sans l’accord des maires.
M. François Grosdidier. C’est faux !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Les minorités de blocage sont telles qu’elles permettent à des collectivités qui, au sein de leur agglomération ou de leur intercommunalité, risqueraient de voir leur secteur spolié, de l’empêcher.
M. François Grosdidier. Elles ne le peuvent pas !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Nous faisons un pari positif : nous pensons que, à partir du moment où cette dynamique s’enclenchera, l’intérêt général sera aussi garanti dans l’intercommunalité et les compromis se feront. Je rappelle à nos collègues qu’il est possible de mettre en œuvre des PLU sectoriels.
M. René Vandierendonck, rapporteur pour avis de la commission des lois. C’est vrai !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Cela ne veut pas dire, pour autant, que l’on assiste à une cacophonie des collectivités locales,…
MM. Jean-Claude Lenoir et François Grosdidier. C’est plutôt la cacophonie du Gouvernement !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. … pour reprendre l’expression que vous employez à longueur de journée, car tout le monde a besoin de se projeter dans l’avenir.
En tout cas, j’observe que l’Association des maires ruraux de France a approuvé le compromis que notre collègue Claude Bérit-Débat avait proposé.
M. Marc Daunis. Oui !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Elle salue le contenu de ce compromis, et notre groupe se tiendra à cette position.
Madame la ministre, pour être personnellement très engagée en faveur du PLUI, je vous le dis solennellement, nos collègues du groupe socialiste souhaitent que ce compromis soit respecté par nos collègues de l’Assemblée nationale. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.) Nous ferons le travail politique nécessaire auprès des députés de nos départements, mais nous comptons sur le Gouvernement pour nous accompagner dans cette mission.
S’agissant des grandes lignes de ce projet de loi, je voudrais répondre en quelques mots à l’argument qui nous est opposé, selon lequel notre politique ne fonctionnerait pas dans la mesure où l’on ne construit pas. Notre politique n’est, hélas, pas responsable de la situation,…
M. François Calvet. Ah !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. … même si nous avons conscience qu’il va falloir encore mettre les bouchées doubles, voter les textes et libérer les budgets pour pouvoir enfin passer à l’acte.
Quant à la baisse de la construction en France, elle se poursuit depuis plus de trois ans, pour une raison simple… (Vives protestations sur les travées de l’UMP.)
M. Claude Bérit-Débat, rapporteur. C’est vrai !
M. Marc Daunis. Les faits sont têtus !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Laissez-moi poursuivre !
M. le président. Madame Lienemann, vous avez seule la parole !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Je parle ici des permis de construire !
La raison en est simple : vous avez soutenu les bailleurs privés à coups de perfusions que le budget de l’État ne pouvait supporter ! (Protestations sur les travées de l’UMP.)
M. Jean-Claude Lenoir. Ce n’est pas vrai !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Le dispositif Scellier a été une ruine ! La loi TEPA a été une ruine ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC. – M. Joël Labbé applaudit également.)
M. Claude Bérit-Débat, rapporteur. Bravo !
M. Roland Courteau. Très bien !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Dès cette année, nous payons 2,5 milliards d’euros au titre de ce passif.
M. François Grosdidier. La France est en chute libre depuis que vous êtes au pouvoir !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. De surcroît, les investisseurs privés, qui étaient accoutumés à cette perfusion, ont cessé d’engager des fonds !
M. François Grosdidier. Vous ne financez plus les PLUS et les PLAI !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Cette politique s’appelle le stop and go.
M. Jean-Claude Lenoir. En français, s’il vous plaît !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Nous sommes en train de subir votre stop, mais nous sommes également en train d’engager le go ! Voilà la différence !
M. Claude Dilain, rapporteur. Eh oui !
M. Jean-Luc Fichet, rapporteur pour avis de la commission du développement durable. Bravo !
M. François Grosdidier. La différence ? Moins de logements, plus de chômeurs !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Nous approuvons le principe d’une régulation. La caricature de la fixation du prix du pain est tout de même un comble !
Non, nous n’allons pas imposer la fixation des loyers. Nous allons simplement garantir une régulation entre deux bornes.
M. Jean-Claude Lenoir. Quand les bornes sont franchies, il n’y a plus de limite ! (Sourires sur les travées de l’UMP.)
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Ce dispositif fonctionne en Allemagne !
Chers collègues de l’opposition, vous passez votre temps à invoquer l’exemple allemand. C’est exactement la politique qui est menée outre-Rhin ! D’ailleurs, durant sa campagne, M. Sarkozy (Exclamations sur les travées de l’UMP.), mesurant les difficultés en la matière, avait proposé d’instaurer un droit de recours auprès des tribunaux lorsque les loyers étaient trop éloignés du niveau médian ! Je le souligne à l’intention de M. Dubois, même s’il n’a pas nécessairement soutenu M. Sarkozy.
M. Daniel Dubois. Ce n’est pas la question !
M. Marc Daunis. Nous verrons quand l’UMP aura fini l’inventaire… Et ce n’est pas pour demain !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Souffrez que, pour une fois, nous souscrivions, nous aussi, à la comparaison avec l’Allemagne !
Cela étant, madame la ministre, nous devons être sensibles aux arguments d’un certain nombre de nos collègues, qui considèrent que cette régulation ne sera pas suffisamment efficace pour limiter, de manière progressive et durable, la part consacrée au logement dans le budget des ménages.
Telle est l’ambition ! Il ne s’agit pas de réglementer pour réglementer, mais de rétablir une juste proportion entre les capacités contributives de nos concitoyens et les loyers qui leur sont proposés. À ce titre, il faut agir progressivement, car nous ne voulons pas de chocs brutaux dont les effets économiques seraient négatifs. Ainsi, nous avons déposé plusieurs amendements ouvrant le débat sur les conditions dans lesquelles le préfet peut baisser la barre des 20 %.
Ce dispositif n’en est pas moins le véritable socle d’une nouvelle politique de régulation. De fait, en l’état actuel, le marché n’est pas efficace pour réguler les prix de l’immobilier. Le marché tend, par nature, à encourager la spéculation ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Roland Courteau. Très bien !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Cela ne signifie pas que nous attaquons les petits propriétaires ou les propriétaires en général. (Exclamations ironiques sur les travées de l’UMP.)
M. Jean-Claude Lenoir. Bien sûr que non !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Absolument pas, chers collègues de l’opposition ! Nous faisons la différence entre, d’une part, le petit propriétaire qui réalise un placement de bon père de famille dans la pierre et qui a besoin de disposer d’un revenu raisonnable garanti dans la durée et, de l’autre, celui qui fait de la spéculation immobilière un moyen d’enrichissement sans cause !
M. Ronan Kerdraon. Eh oui !
M. Roland Courteau. Halte aux spéculateurs !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Voilà la différence que nous opérons !
Certains nous expliquent que cette mesure va effrayer les investisseurs institutionnels. Je leur réponds tout net : à ces investisseurs, nous proposons un nouveau pacte, qui leur garantit des avantages fiscaux raisonnables et calibrés dans la durée, en assurant les revenus de leurs placements.
Toutefois, ces investisseurs institutionnels ne doivent pas fonder leur enrichissement sur la spéculation ou sur une vente finale à la découpe. Il faut donc mieux réguler la transition entre les investisseurs privés et les investisseurs institutionnels, en offrant des possibilités telles que le rachat par les locataires, les garanties demandées à ces derniers ou la possibilité d’une préemption par les collectivités territoriales.
Au passage, je rappelle que les investisseurs institutionnels se sont surtout détournés de la pierre lorsque la législation a cessé d’imposer qu’une partie de leurs garanties relève du domaine immobilier. Créée par le général de Gaulle, cette obligation a été supprimée lors de l’adoption des lois bancaires et assurantielles, découlant de la dérégulation européenne. La France aurait pu mieux résister à cette tentation libérale. Elle ne l’a pas fait. Nous ne sommes pas en train de contraindre les investisseurs institutionnels, nous essayons simplement de les convaincre. J’espère que nous y parviendrons. Quoi qu’il en soit, le présent texte participe de cet effort.
Quant à la garantie universelle des loyers, je suis persuadée qu’elle apparaîtra, d’ici quelques années, comme l’une des grandes conquêtes sociales de notre pays.
Chers collègues de l’opposition, vous employez contre ce dispositif les arguments jadis invoqués contre la sécurité sociale.
Mme Aline Archimbaud, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. Exactement !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. « Les usagers seront déresponsabilisés ! Ils iront chez le médecin tous les quarts d’heure ! Ils feront semblant d’être malades ! »… Tels sont les propos l’on a entendus lors de la création de la sécurité sociale !
M. François Grosdidier. Mais c’est de Gaulle qui l’a créée !
M. Michel Le Scouarnec. Et il n’était pas tout seul !
M. Jean-Claude Lenoir. Nous n’étions pas là en 1945 !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. En l’espèce, il s’agit de mutualiser un risque. D’ailleurs, M. Borloo était d’accord avec ce principe. Or, mutualiser un risque, cela ne signifie pas déresponsabiliser les citoyens.
Au reste, j’ai bien entendu ce qu’a dit notre collègue Jacques Mézard, et je me souviens des débats que nous avons consacrés à cette question en commission : il ne s’agit pas de fournir un blanc-seing pour les impayés !
Mme Aline Archimbaud, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. Bien sûr !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Il ne s’agit pas de donner des libertés à des locataires de mauvaise foi ! Non !
Voilà pourquoi nous soutiendrons l’amendement de Claude Dilain, rapporteur, tendant à ce que le Trésor public puisse intervenir en subrogation lorsque des défaillances majeures se font jour.
M. Michel Savin. Oh là là !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Chacun sait que, pour les petits propriétaires, il est compliqué d’aller au tribunal ! Ils ne courent pas le risque s’ils ne sont pas certains d’être entendus, s’ils ne connaissent pas la législation. Désormais, lorsque les locataires de mauvaise foi sauront que le Trésor public est alerté, croyez-moi, ils seront bien moins incités à adopter une attitude incivique !
Par ailleurs, si ces impayés sont traités à temps, il est possible d’éviter les dérapages, qui pénalisent tout le monde, le propriétaire comme le locataire.
M. René Vandierendonck, rapporteur pour avis de la commission des lois. Eh oui !
M. Jean-Luc Fichet, rapporteur pour avis de la commission du développement durable. Très bien !
M. Roland Courteau. Exactement !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Passé deux mois d’impayés, nous savons bien que les propriétaires modestes ne peuvent plus s’en sortir ! Il faut donc réagir très vite, payer le propriétaire immédiatement et déclencher les mécanismes sociaux. Certaines personnes ignorent leurs droits, notamment pour ce qui concerne le recours au fonds de solidarité pour le logement, le FSL.
Madame la ministre, vous avez ajouté une clause essentielle : les locataires ne perdront plus le bénéfice de leur APL parce qu’ils sont en situation d’impayé.
Mme Aline Archimbaud, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. Tout à fait !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Or bien des locataires en situation d’impayé voyaient leur situation aggravée par le fait que l’APL n’était plus versée !
Mes chers collègues, vous constatez que la garantie universelle des loyers constitue un immense progrès.
À ces deux grands choix s’ajoute toute une série de mesures que nos rapporteurs ont citées. Je songe en particulier à la consolidation du logement social, à la lutte contre le logement indécent, à l’assurance que les partenaires sociaux restent maîtres du 1 % logement.
Bref, ce projet de loi sonne la mobilisation générale, pour que l’idée de République retrouve son sens dans la vie quotidienne des Français. Il faut assurer le droit au logement pour permettre le vivre ensemble. Il faut conclure un nouveau pacte entre les propriétaires et les locataires, que l’opposition cherche systématiquement à opposer (Protestations sur les travées de l’UMP.),…
M. Jean-Claude Lenoir. C’est faux !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. … et que nous essayons, pour notre part, de protéger ensemble ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Joël Labbé. (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
M. Joël Labbé. Monsieur le président, madame la ministre, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, concernant le logement, je souscris totalement à ce que Marie-Noëlle Lienemann vient de dire avec conviction, avec clarté…
M. Roland Courteau. Et aussi avec talent !
M. Jean-Luc Fichet, rapporteur pour avis de la commission du développement durable. Exactement !
M. Joël Labbé. Mme Lienemann a placé la barre très haut ! Cela étant, sans accuser qui que ce soit, je constate que nous avons l’habitude d’employer de nombreux sigles et que, parmi ceux qui nous regardent, certains ont du mal à nous suivre. Nous l’entendons régulièrement !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. C’est vrai !
M. Joël Labbé. Si ALUR peut avoir quelque allure, la GUL n’en a pas vraiment. (Sourires.)
M. Pierre-Yves Collombat. Il va falloir y remédier !
M. Bruno Sido. Il faut accélérer l’allure !
M. Joël Labbé. Prenons-y garde ! Nous devons nous rapprocher de la population, et cette démarche passe également par le langage.
Le projet de loi dont nous débattons aujourd’hui prouve que la question du logement est considérée comme une priorité nationale par le Gouvernement. C’est l’un des engagements forts des élections de 2012 qui trouve ici sa traduction !
Tout d’abord, je salue la méthode selon laquelle le présent texte a été élaboré. Pendant plusieurs mois, les professionnels, les bailleurs sociaux, les représentants des associations, les élus locaux, mais aussi les parlementaires que nous sommes, ont été associés aux travaux préparatoires.
Madame la ministre, ce souci permanent de la co-élaboration,…
M. Joël Labbé. … permet aujourd’hui de proposer une réforme vaste et ambitieuse qui s’étend à presque tous les domaines de la politique du logement.
On a connu des textes vastes qui étaient un peu fourre-tout. À l’inverse, le présent projet de loi est cohérent. Sa densité est une nécessité si l’on veut transformer cette politique, en traitant à la fois la question des locataires du secteur privé, celles des loyers, des relations entre locataires et propriétaires, celle des droits et des devoirs des uns et des autres, sans oublier l’urbanisme ni l’aménagement du territoire. Pour garantir la cohérence de tous ces domaines, il faut bel et bien de l’ambition !
Parmi les nombreuses dispositions que contient ce texte – sur lesquelles je reviendrai –, j’insisterai en premier lieu sur deux mesures qui, à terme, auront des conséquences importantes pour des millions de Français et pour les générations futures : l’encadrement des loyers et la création de la garantie universelle des loyers.
Ces deux mesures constituent un véritable progrès social, contribuant, selon la belle expression de Mme la ministre, à « faire France ensemble ». Elles vont devenir des outils concrets et pérennes pour maîtriser les loyers et sécuriser les relations entre locataires et propriétaires, dans un souci d’équilibre. À cet égard, nous organisons la solidarité et nous renforçons le pacte républicain qui nous unit. Cette solidarité est d’autant plus vitale que la crise du logement, qui s’intensifie, contribue à la précarité et à l’exclusion.
La ségrégation urbaine aggrave les différenciations sociales. La France compte plus de 3,5 millions de mal-logés – selon le rapport de la fondation Abbé-Pierre –, des centaines de milliers de personnes sans logement et des dizaines de milliers de personnes sur les listes d’attentes des offices d’HLM. Telle est aussi la réalité de notre pays. Elle justifie, ô combien, cette loi ambitieuse et juste !
Si la loi DALO garantit le droit au logement opposable, elle ne permet guère de concrétiser l’accès à ce droit fondamental. Une partie des classes populaires et moyennes – jeunes, étudiants, personnes handicapées, saisonniers, personnes démunies, personnes âgées, migrants, etc. – est durablement et structurellement exclue de l’accès au logement considéré comme normal.
Par ailleurs, le paysage urbanistique reste dominé par la sacralisation bien particulière du droit de propriété via ces deux formes d’habitat héritées du siècle dernier : l’habitat privé, souvent confié aux promoteurs immobiliers, et l’habitat public, structuré autour du mouvement HLM voué au logement social, que je viens d’évoquer.
Des réponses intermédiaires ont été récemment proposées, notamment les formules de location et d’accession, qui sont heureuses et qui font des heureux.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Très bien !
M. Joël Labbé. Au demeurant, d’autres formes d’habitat existent : l’habitat hors normes, alternatif, mais aussi l’habitat participatif qui permet aux habitants qui le souhaitent de s’organiser pour développer l’autopromotion, l’auto-construction, l’éco-construction et l’initiative citoyenne en matière de logement.
Mme Corinne Bouchoux. Oui !
M. Joël Labbé. Le développement de l’habitat hors normes et léger n’est pas lié à celui de l’habitat insalubre. Il s’agit de personnes qui, délibérément, choisissent un certain type d’habitat adapté à leurs besoins avec un très faible impact environnemental, construit et habité selon le concept de la « sobriété heureuse » cher à Pierre Rabhi.
Habitat alternatif léger, habitat participatif, toutes ces évolutions, tous ces modes d’habiter et d’investir le sol autrement sont reconnus et sécurisés via le présent texte. Or cette reconnaissance n’allait pas de soi. Là encore, je tiens à saluer le travail collectif accompli autour de Mme la ministre et avec elle, sur cet enjeu de l’habitat participatif. Les échanges réguliers, intensifs et de très bonne tenue ont abouti à des dispositifs acceptés aussi bien par les professionnels du secteur et les organismes de financement que par les habitants eux-mêmes.
Si la France ne compte que quelques centaines d’habitats de ce type, l’Europe du nord en dénombre plusieurs centaines de milliers. Je parle de ce sujet en connaissance de cause : sur le territoire de ma commune, Saint-Nolff, douze logements de ce type sont actuellement en cours de construction. Ce projet intègre une part de logement social. Le présent texte va arriver à point nommé pour résoudre les difficultés qui subsistent et fournir un cadre juridique à ce chantier !
Un autre enjeu me semble crucial : le juste partage de la terre et la lutte contre l’artificialisation des sols. Le présent texte fixe des objectifs chiffrés en matière de lutte contre l’artificialisation des sols.
Il convient de stopper la désagrégation et le recul des surfaces agricoles, frappées par la spéculation foncière. On répète régulièrement ce chiffre : l’équivalent d’un département français disparaît désormais tous les sept ans. Il s’agit à présent d’agir véritablement pour avancer dans ce domaine.
Il est fondamental d’articuler le présent texte et le projet de loi pour l’avenir de l’agriculture, qui sera prochainement examiné. Il faut garantir à la fois la lutte contre l’étalement urbain, l’effort de construction de logements,…
M. René Vandierendonck, rapporteur pour avis de la commission des lois. Eh oui !
M. Joël Labbé. … et le développement d’une agriculture durable, vecteur de dynamisation des territoires.
Voilà pourquoi j’ai proposé d’enrichir le texte de loi par un amendement n° 481, dont je vous invite à prendre connaissance. (Sourires.) Il vise à introduire la possibilité d’élaborer, dans le cadre de la stratégie foncière du schéma de cohérence territoriale, un projet agricole et alimentaire territorial.
On me rétorquera que je ne suis pas là pour parler d’agriculture, mais d’urbanisme… Les deux sont évidemment étroitement liés !
M. Claude Bérit-Débat, rapporteur. Eh non !
M. Joël Labbé. D’ores et déjà, la préparation d’un schéma de cohérence territoriale invite à établir le diagnostic des caractéristiques et des potentialités du territoire en matière d’environnement, de développement économique, d’équilibre de l’habitat, etc., en fonction des prévisions démographiques et des besoins identifiés. L’un des besoins majeurs d’un territoire n’est pourtant jamais mentionné : son alimentation, et en corollaire, son agriculture.
L’agriculture est décidément considérée comme un monde à part, qui a sa propre loi – dans tous les sens du terme, d’ailleurs – et qui s’est, au fil du temps, déconnecté, malgré elle, des territoires. Elle s’est, hélas, isolée du reste de la population, de manière souvent dramatique, car elle s’est isolée au point d’en mourir. Une étude de l’Institut national de veille sanitaire publiée le 10 octobre classe ainsi « la catégorie sociale des agriculteurs exploitants comme celle présentant la mortalité par suicide la plus élevée de toutes les catégories sociales », avec un taux trois fois plus élevé que la moyenne chez les hommes et deux fois plus élevé chez les femmes.
M. Claude Dilain, rapporteur. Tout à fait !
M. Joël Labbé. Ce constat doit nous alerter ! Comment notre pays peut-il perpétuer un système économique et politique qui broie des vies paysannes ?
L’amendement que je vous présenterai n’est donc pas anodin. À mes yeux, il ne constitue pas un amendement d’appel, mais plutôt d’alarme ! Ce n’est pas avec des grands discours, mais bien par des actions concrètes que l’on renouera les liens entre la noble profession de paysan et la population.
La demande citoyenne d’une reconnexion entre alimentation et production locale est patente, le développement des circuits courts alimentaires, partout sur nos territoires, en témoigne. Quoi de plus naturel et de plus concret, dès lors, que de faciliter ces démarches en introduisant, au sein même du document de planification et d’aménagement que représente le schéma de cohérence territoriale, la notion de projet agricole et alimentaire de territoire ?
Une telle démarche garantirait et faciliterait la concertation entre acteurs du territoire, élément incontournable de la construction d’un projet partagé, qui vise autant la pérennité d’activités économiques génératrices d’emplois nobles, locaux et pérennes, que la nécessité de mieux-disant environnemental et la recherche d’une plus grande autonomie alimentaire des habitants.
Cela, je l’ai expérimenté. La commune dont je suis le maire est en train de réviser son plan local d’urbanisme et nous construisons, en parallèle et de manière volontariste, un projet agricole et alimentaire de territoire. Tout le monde a pris place autour de la table, et les agriculteurs sont placés au cœur des débats, auxquels ils sont donc associés. On prend ainsi conscience qu’il est possible d’avancer dans la bonne direction.
Cette prise en compte de l’agriculture et de l’alimentation dans les documents d’urbanisme donne tout son sens à la limitation de l’étalement urbain. L’essentiel de la terre doit être préservé, comme il l’a toujours été avant le dernier demi-siècle. La terre ne doit pas être potentiellement urbanisable, mais doit retrouver sa pleine vocation nourricière.