M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue !
Mme Michelle Demessine. J’en termine, monsieur le président.
En troisième et dernier lieu, je souligne que nous avons de fortes interrogations sur la nécessité de « sanctuariser » les moyens accordés à la dissuasion nucléaire. En effet, nous doutons de sa pertinence et de son efficacité dans les conflits d’aujourd’hui ou pour faire face aux nouveaux types de menaces.
Dans le Livre blanc, de nombreuses questions ont été soumises à un examen critique, excepté celle de la dissuasion nucléaire. Elle est encore présentée, dans le rapport annexé, comme la clef de voûte de notre sécurité, alors que sa doctrine d’emploi ne définit toujours pas exactement ce que sont nos intérêts vitaux et que le nucléaire ne joue plus un rôle aussi déterminant pour notre sécurité qu’à l’époque de la guerre froide.
Dans un contexte budgétaire extrêmement contraint, le Livre blanc reconduit, sans les justifier, notre posture et notre arsenal nucléaires, ce qui aboutit à un déséquilibre de notre outil de défense au détriment des forces conventionnelles, pourtant plus adaptées aux conflits actuels.
Que les choses soient bien claires : si nous souhaitons une politique de paix et de désarmement, nous n’entendons aucunement diminuer la capacité de notre pays et de son peuple à défendre leurs intérêts légitimes et leurs valeurs républicaines. Mais, dans les conditions et le contexte d’aujourd’hui, nous estimons indispensable d’ouvrir un débat public contradictoire sur un sujet d’une telle importance, qui ne semble d’ailleurs plus faire consensus dans le pays comme auparavant.
Pour notre part, nous pensons qu’il faudrait ramener notre arsenal nucléaire à son niveau de « stricte suffisance », ce qui implique de ne pas le développer en le sophistiquant toujours plus et de respecter ainsi les engagements internationaux que nous avons pris en signant le traité sur la non-prolifération nucléaire.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, j’ai exposé les raisons pour lesquelles le groupe communiste républicain et citoyen contestait certains choix effectués au travers du projet de loi de programmation militaire. Mais, dans le même temps, nous sommes conscients que ce texte, dont l’équilibre est, je le redis, fragile, tend, dans une période compliquée, à sauvegarder notre outil de défense et, surtout, notre autonomie.
Il y va de l’indépendance et de la souveraineté de notre pays, donc de l’essentiel. C'est pourquoi, malgré nos critiques de fond sur l’orientation stratégique retenue, notre groupe s’abstiendra sur le projet de loi de programmation militaire. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et sur quelques travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Chevènement.
M. Jean-Pierre Chevènement. Monsieur le ministre, je veux d’abord saluer, en mon nom propre et au nom du groupe RDSE, l’effort tenace, courageux et, en définitive, couronné de succès qui a été le vôtre pour obtenir du Président de la République un arbitrage financier couvrant les six années de la loi de programmation militaire, à hauteur de 190 milliards d’euros de ressources totales en valeur 2013 – et non pas en valeur courante, rassurez-nous ! –, dont 183,86 milliards d’euros de crédits budgétaires.
Ce chiffre, qui correspond à 1,5 % du PIB, est sans doute la limite basse extrême de l’effort de défense nécessaire au maintien d’un outil de défense performant, au-dessus, et même très au-dessus, des esquisses dessinées par le ministère de 1’économie et des finances avant l’arbitrage présidentiel.
Sans doute le ministère de la défense doit-il contribuer à l’effort de rigueur auquel s’astreint l’État en vertu des engagements européens qu’il a souscrits, mais la question se pose de savoir si ceux-ci sont, à terme, compatibles avec le maintien du rang stratégique et militaire de la France.
Nos armées viennent d’apporter encore une fois, au Mali, la démonstration éclatante de leurs capacités. Elles font l’admiration de tous, et particulièrement de ceux qui ont pu rencontrer sur place nos soldats.
La loi de programmation militaire, par un véritable tour de force, de rigueur et d’imagination, permet d’apporter à cette question du maintien du rang stratégique de la France une réponse positive, pour autant que de nouvelles secousses économiques ou géostratégiques ne viennent pas bouleverser notre environnement.
Elle nous achemine vers un modèle d’armées qui, à l’horizon 2025, devrait permettre à celles-ci de remplir leurs missions, avec des équipements performants, un niveau de préparation opérationnel suffisant et une condition militaire maintenue à un niveau satisfaisant. Cela sera possible malgré l’effort exceptionnel de réduction de format – 88 000 postes supprimés au total –, engagé depuis 2009 déjà par la précédente loi de programmation militaire.
En 2019, les crédits de la mission Défense permettront de rémunérer 235 940 équivalents temps plein, dont 220 000 militaires. Le format est réduit au minimum, mais il est vrai que cette évolution est compensée par des équipements de haute technologie.
Comme l’a déclaré, devant la commission des affaires étrangères et de la défense, l’amiral Guillaud, chef d’état-major des armées, « la loi de programmation militaire permet ainsi de conjuguer engagement opérationnel et préparation de l’avenir ».
J’évoquerai d’abord, monsieur le ministre, l’environnement géostratégique.
Le pivotement opéré par les États-Unis vers la zone Asie-Pacifique et la réduction certaine de leur budget militaire, exceptionnellement élevé il est vrai, obligent les Européens à faire un effort de défense plus important. Pour les y encourager, pourquoi la France ne proposerait-elle pas à Bruxelles de déduire des déficits budgétaires autorisés les crédits alloués à la défense ? (Mme Josette Durrieu et M. Robert del Picchia applaudissent.)
M. Jean-Louis Carrère, rapporteur. Voilà une bonne idée !
M. Jean-Pierre Chevènement. Cette proposition ne mettrait pas en jeu la crédibilité de la France à l’égard des marchés financiers !
La montée des arsenaux, en Asie du Sud et de l’Est comme au Moyen-Orient, aura d’inévitables répercussions diplomatiques et, peut-être, militaires. Avec l’allongement de la portée des missiles stratégiques, l’Europe ne peut spéculer sur l’éloignement des théâtres d’opérations éventuels pour se mettre à l’abri de chantages de toute nature ou de fortes secousses en matière de flux commerciaux et énergétiques, par exemple.
Au Moyen-Orient, l’élection du président Rohani, en Iran, et surtout la proposition de ce pays de signer le protocole additionnel de l’Agence internationale de l’énergie atomique, l’AIEA, c’est-à-dire d’accepter des inspections intrusives sur son territoire, constituent des signes incontestablement positifs, que la France ne doit pas ignorer ou minorer.
L’objectif de non-prolifération nucléaire doit être réaffirmé sans ambiguïté s’agissant de l’Iran, qui a signé le TNP, le traité sur la non-prolifération des armes nucléaires. Les moyens doivent être pris de s’assurer qu’en effet l’Iran ne cherche pas à se doter d’armes nucléaires au-delà d’un droit à l’enrichissement d’uranium à des fins pacifiques qui lui revient comme à tous les États signataires du TNP. Néanmoins, l’objectif doit être de parvenir à un règlement négocié.
La France, République laïque, n’a pas à prendre parti dans un conflit religieux propre à l’islam, entre sunnites et chiites notamment. Ses accords de défense visent à garantir la stabilité politique de la région. Nous affirmons notre souhait de développer des relations avec l’Arabie saoudite, mais cela ne doit pas nous conduire à méconnaître l’importance de l’Iran dans la région et les potentialités que ce pays offrira le jour où pourront être levées les sanctions qui le frappent. Sur ce dossier, comme dans l’affaire syrienne, la politique de la France doit être au service de la paix. C’est cela qui fortifiera le mieux le lien entre l’armée et la nation, auquel je vous sais, monsieur le ministre, profondément attaché.
J’approuve, ainsi que le groupe RDSE au nom duquel je m’exprime, le recentrage stratégique opéré sur l’Afrique par le rapport annexé à la loi de programmation militaire. C’est là que sont nos responsabilités, plus encore que nos intérêts, c’est là que vivent un grand nombre de nos ressortissants et c’est là que se joue l’avenir de la francophonie. Avec le président Carrère et mes collègues Gérard Larcher, Jean-Marie Bockel et Jeanny Lorgeoux, je soutiendrai tout à l’heure un amendement, approuvé par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, tendant au maintien des forces pré-positionnées, en accord avec les États concernés, dans la bande sahélienne et sur les façades est et ouest de l’Afrique, afin de consolider les architectures sous-régionales de sécurité de l’Union africaine.
M. René Garrec. Très bien !
M. Jean-Pierre Chevènement. La France n’est pas le gendarme de l’Afrique. Elle est à son service, au service de son développement, inséparable de sa sécurité, mais elle ne peut non plus se laisser entraîner dans des conflits sans fin. Ainsi, s’agissant du Mali, il ne faut pas se voiler la face : sans une refondation du pacte national malien recueillant l’assentiment des populations, au Nord comme au Sud, les groupes djihadistes armés pourraient reprendre le dessus. L’expérience accumulée sur tous les continents montre que l’on ne peut éradiquer le terrorisme qu’avec l’appui des populations. La France n’est donc pas au Mali pour l’éternité. Les États africains doivent le savoir : ils sont les responsables au premier chef de leur sécurité.
Les conflits sahéliens font apparaître les interconnections entre plusieurs régions : Afrique de l’Ouest, Maghreb, Machrek, Golfe, Pakistan, Afghanistan, voire Caucase et Asie centrale. Le cours heurté des révolutions arabes suscite de légitimes inquiétudes. Puis-je vous rappeler, monsieur le ministre, la recommandation adoptée à l’unanimité par la commission des affaires étrangères et formulée dans le rapport d’une délégation sénatoriale coprésidée par M. Gérard Larcher et moi-même, intitulé « Sahel : pour une approche globale » ? Elle appelle à prendre garde à la montée de l’islamisme radical et au continuum que peuvent présenter l’islamisme politique, le salafisme et le djihadisme, avec toutes les dérives auxquelles nous devons être capables de faire face.
Le rapport annexé au projet de loi de programmation militaire prône un engagement dynamique de la France dans l’OTAN, certes pour y exprimer sa vision, sans que l’on en sache beaucoup plus à ce sujet, sinon la réaffirmation du rôle de l’Europe et d’une hypothétique « défense européenne crédible et autonome ». La mention faite d’une « combinaison appropriée de capacités nucléaires conventionnelles et de défense antimissiles » est, je l’espère, une concession de langage, car nous n’avons pas les moyens d’une défense antimissiles de territoire, aléatoire et dont le principe est contradictoire avec celui de la dissuasion. Le rapport d’ailleurs n’en fait pas mention.
Ce qui est important, monsieur le ministre, c’est le maintien de notre autonomie stratégique, au bénéfice de la liberté d’action de la France.
Je réaffirme ici, à cette occasion, l’importance de la dissuasion pour ceux qui croient à la pérennité de la France et à son rôle d’équilibre dans la construction d’une Europe réellement européenne. Nous sommes certes les alliés des États-Unis, mais nous ne devons pas nous trouver dans une position de vassalité qui serait humiliante et, en fin de compte, démobilisatrice pour l’esprit de défense, inséparable de l’esprit national.
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Jean-Pierre Chevènement. Le Président de la République a confirmé le maintien des deux composantes de la dissuasion nucléaire, dont il faut sans cesse rappeler la complémentarité. La véritable question est celle de la volonté de maintenir dans la durée un effort constant, mais modeste au total, de 11 % à 12 % du budget de la défense, afin notamment que la simulation permette de garantir la fiabilité de nos armes dans le temps et que soient financés les travaux d’élaboration du sous-marin nucléaire lanceur d’engins de troisième génération, le SNLE 3G. J’aimerais, monsieur le ministre, que vous puissiez nous apporter des assurances quant à la date de ces travaux et à leur financement sur ressources budgétaires. Il est important que le politique combatte les arguments de ceux qui voudraient mettre la dissuasion à la casse, tout simplement parce qu’ils n’ont pas compris ou se sont toujours refusés à comprendre qu’elle est le seul moyen, pour la France, de ne pas se laisser entraîner dans des conflits où ses intérêts fondamentaux ne seraient pas engagés, bref qu’elle est le seul moyen de garantir dans la longue durée la paix à notre pays et à l’Europe.
J’en viens maintenant, monsieur le ministre, à notre capacité d’intervention sur des théâtres extérieurs.
Notre capacité de projection est maintenue, mais les grands programmes d’équipements sont étalés ; le renouvellement des matériels se fera attendre. Un principe de différenciation a été introduit, à juste titre s’il ne crée pas, en définitive, une armée à plusieurs vitesses : il faut que les missions puissent être remplies. Là est l’essentiel.
J’ai été surpris, en relisant le rapport annexé, de constater que n’étaient pas mentionnés le rôle des Nations unies et celui du Conseil de sécurité de l’ONU. C'est pourtant là un atout majeur de la France. Nous devrions être d’autant plus attachés à le crédibiliser qu’il semble avoir permis de régler heureusement la question de l’arsenal chimique syrien. Négocier est une tâche difficile ; encore faut-il ne pas prendre d’emblée des positions qui rendent la négociation impossible.
Dans le même ordre d’idées, était-il vraiment opportun de cautionner le refus de l’Arabie saoudite de siéger au Conseil de sécurité comme membre non permanent ? Est-ce le rôle de la France de contribuer à décrédibiliser, si peu que ce soit, l’importance et le rôle du Conseil de sécurité ?
Si j’exprime à haute voix cette inquiétude, monsieur le ministre, c’est parce que le Parlement, en France, n’est appelé qu’à donner un avis a posteriori sur la décision d’engager nos armées sur des théâtres d’opérations extérieurs. Je ne le conteste pas, mais le Gouvernement doit savoir qu’une intervention effectuée en dehors du cadre de la légalité internationale pourrait rompre le si précieux consensus sur la défense.
Pour me faire mieux comprendre, j’évoquerai l’exemple de notre intervention en Libye, dont la résolution 1973 ne prévoyait nullement qu’elle avait pour objectif un changement de régime. On en mesure aujourd'hui les conséquences sur le terrain.
Je dis tout cela, monsieur le ministre, parce que je connais votre humanisme et que je sais que vous êtes un homme raisonnable, soucieux de n’utiliser la force que pour des objectifs accessibles et reconnus comme légitimes par la communauté internationale.
Je voudrais dire un mot de la question des hommes, qui le méritent bien ! Je sais qu’elle vous tient profondément à cœur. L’effort de réduction des effectifs est important : 23 800 postes seront supprimés, s’ajoutant à la déflation résiduelle de la loi de programmation précédente.
La réduction prévue, qui s’opérera selon un cadencement d’environ 7 500 postes par an, est ambitieuse. Il ne faudra pas lésiner sur les mesures d’incitation des personnels au départ, de reconversion et de reclassement dans les fonctions publiques. À défaut, les enveloppes prévues pour la masse salariale se révéleront insuffisantes, l’hypothèse d’un glissement vieillesse-technicité quasiment nul étant particulièrement volontariste. Il y va du moral des armées, qui doivent s’adapter à des réformes de structure constantes et maîtriser des dépenses courantes de fonctionnement strictement contenues par la LPM.
L’armée doit ressentir l’attention affectueuse que lui porte le peuple français à travers la représentation nationale, dont la vigilance sur cette question cruciale ne peut se relâcher.
Ces considérations m’amènent naturellement à souligner les tensions qui risquent de marquer l’application de la loi de programmation. Nous avons évoqué les risques de la faiblesse, s’agissant de nombreux États africains – c’est le tour aujourd’hui de la République centrafricaine. D’autres opérations extérieures pourraient déséquilibrer plus encore la structure financière qui sous-tend le projet de loi de programmation militaire. D’autres incertitudes grèvent son dispositif, touchant à la conjoncture économique, aux rentrées fiscales, à la concrétisation de l’achat des Rafale, au retard éventuel de la réalisation des ressources exceptionnelles prévues. C’est pour parer à toutes ces éventualités que certains amendements ont été déposés par le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, M. Carrère, et par M. Krattinger, au nom de la commission des finances, visant à sécuriser les ressources de la future LPM. Je soutiendrai bien sûr ces amendements.
Monsieur le ministre, permettez-moi de revenir sur les conséquences de l’étalement de nos programmes d’équipements pour les industries de défense. Il faudra les soutenir à l’exportation, favoriser les coopérations industrielles et les co-entreprises, notamment avec les pays émergents, qui pèsent dès aujourd’hui plus dans le PNB mondial que les pays anciennement industrialisés. Il faudra être audacieux et faire en sorte que l’État reste présent dans le capital de nos principales entreprises de défense. Vendre les bijoux de famille ne vaut qu’une fois. Toute ouverture de capital doit aller de pair avec un plan de développement stratégique, conforme en dernier ressort aux intérêts de sécurité de la France. Je demande qu’aucune décision ne soit prise, concernant l’avenir des participations publiques au capital des entreprises du secteur de la défense, sans un débat préalable au Parlement.
Monsieur le ministre, si la trajectoire de redressement des finances publiques ne permettait pas le respect des enveloppes prévues, il ne faudrait pas accepter le déclassement stratégique de la France. Une France forte est nécessaire à l’Europe. Sacrifier notre outil de défense sur l’autel d’une fiction idéologique serait commettre un péché contre l’esprit. Le Président de la République, en rendant ses arbitrages, ne s’y est pas trompé. La France est et doit rester une grande puissance politique, et donc militaire. C’est le sens même de la construction européenne qui est en jeu.
Je conclurai par une observation sur l’aspect normatif du projet de LPM. Le rapport annexé a confirmé le concept de « sécurité nationale », sur lequel j’avais émis en 2009 quelques réserves, estimant que la défense et le maintien de la sécurité intérieure constituent des objets distincts, relèvent de politiques qui ne doivent pas être confondues. C’est pourquoi je souhaite, au moment où l’on évoque l’espionnage à grande échelle de la France par la National Security Agency, que l’extension des compétences de la délégation parlementaire au renseignement, prévue à l’article 5 du projet de loi, permette effectivement de garantir que l’accès des services de renseignement aux fichiers de police, aux banques de données des compagnies aériennes et au recueil contrôlé des données de géolocalisation, ainsi que les dispositions qui seront prises au titre de la cyberdéfense, ne viendront pas porter atteinte à la nécessaire confidentialité des données personnelles et n’entraîneront pas une régression des libertés individuelles.
Des préoccupations légitimes peuvent quelquefois entrer en contradiction. Il appartiendra à la délégation parlementaire au renseignement, sous l’autorité des assemblées et de leurs commissions compétentes, de faire en sorte que les précautions nécessaires soient prises pour que, en dernier ressort, la liberté des citoyens prévale.
Sous réserve de ces quelques observations, dont certaines me sont d’ailleurs personnelles, j’apporte mon soutien, et plus généralement celui du groupe RDSE, au projet de loi de programmation militaire que vous nous présentez, monsieur le ministre. Les voix des sénateurs du RDSE ne manqueront pas pour soutenir l’ambition, certes rigoureuse, mais noble, qui structure l’effort de 190 milliards d’euros dont nos armées ont besoin pour poursuivre leur modernisation. Nos armées ont besoin d’un cap, le projet de loi de programmation le leur fournit. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Reiner.
M. Daniel Reiner. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous achevons, avec l’examen de ce texte, un cycle commencé avec les premières réunions de la commission chargée de l'élaboration du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, voilà un peu plus d’un an. La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, qui s’était préparée à ce travail, a pris sa part dans ce débat.
Ce fut, au regard des différents contextes, un exercice de lucidité.
D’abord, le contexte stratégique est toujours plus complexe : les menaces multiformes foisonnent et risquent de mettre à mal les diagnostics les mieux établis, au moment où les États-Unis annoncent et entament un mouvement de « pivot », ou plus exactement de « réajustement », vers l’Asie et la Chine, où ce que l’on a nommé les révolutions arabes paraissent s’inscrire dans un temps long et où notre voisinage proche, au Sud, devient de plus en plus sensible.
Ensuite, le contexte économique est difficile, en raison de la crise financière qui ébranle les fondamentaux de notre modèle de société.
Enfin, le contexte stratégique voit nos armées très sollicitées simultanément sur de multiples terrains – en Côte d’Ivoire, en Libye, en Afghanistan, au Mali, dans l’océan Indien, en République centrafricaine –, alors même qu’elles vivent sous contrainte budgétaire des réformes successives : la professionnalisation, la réduction des effectifs prévue par le précédent Livre blanc, la révision générale des politiques publiques, la mise en place des bases de défense.
Ayant été votée au début de la crise, la dernière loi de programmation militaire, ambitieuse pour nos armes, ne pouvait plus être respectée. Comme pour toutes les lois de programmation militaire précédentes, la dérive entamée a impliqué une actualisation, qui était d’ailleurs prévue.
Le nouveau Livre blanc a défini des contrats opérationnels réalistes, le format de nos armées pour y satisfaire et les niveaux de matériels nécessaires pour les équiper.
Je veux témoigner, monsieur le ministre, que la réflexion collective conduite sous l’autorité du Président de la République, chef des armées, l’a été en ayant sans cesse à l’esprit les acteurs de la communauté de la défense nationale : personnels militaires et civils du ministère, personnels des industries de l’armement, qu’ils soient dans les grands groupes ou dans les PME. C’est à cette aune qu’ont été opérés les choix et prises les décisions.
Que faut-il penser de ce projet de loi ? Je vous livrerai quelques réflexions, parfois sous forme d’interrogations.
Premièrement, s’agit-il d’une bonne loi de programmation militaire ? Je répondrai par l’affirmative, non seulement par solidarité avec le Gouvernement, mais aussi parce qu’il y a de bonnes raisons de le croire.
D’abord, sa trajectoire financière traduit le maximum de l’effort qui était possible dans le contexte budgétaire actuel. La remise en ordre des comptes publics est une priorité absolue et une condition essentielle de l’exercice de la souveraineté nationale. Le ministère de la défense y prend donc sa part, et l’arbitrage du Président de la République, conformément d’ailleurs à ses engagements, maintient les moyens essentiels à notre défense. Cet effort permet de préserver l’indépendance de la France et son autonomie de décision, ainsi que de conserver les deux composantes de la dissuasion nucléaire et d’engager leur modernisation, gage de leur crédibilité. Il permet en outre d’assurer la protection du territoire en métropole et outre-mer et de donner les moyens à nos forces armées d’intervenir sur des théâtres extérieurs, comme ce fut le cas ces dernières années. Ce n’est pas rien !
Ensuite, cet effort financier préserve la cohérence capacitaire du nouveau modèle d’armée. Dans la continuité de la précédente LPM, ce projet de loi prévoit la poursuite de l’ensemble des programmes majeurs d’équipements, sans en interrompre aucun, même si certains seront étalés dans le temps, ce qui n’est, convenons-en, jamais satisfaisant.
Enfin, il faut le dire, ce projet de loi donne la priorité aux équipements, choix d’autant plus remarquable que, dans une enveloppe stagnante, les crédits qui leur sont consacrés passeront de 16 milliards à 18 milliards d’euros en 2019, pour s’établir à plus de 17 milliards d’euros en moyenne. De plus, quelques carences capacitaires seront très progressivement comblées. Je pense, naturellement, au transport, aux drones et au ravitaillement en vol. Si l’on ajoute que les crédits de recherche et technologie seront sensiblement augmentés – la commission vous demande, monsieur le ministre, de les attribuer judicieusement –, on peut dire que les industries d’armement ne sont pas si mal traitées. Ce n’était pas gagné d’avance, et vous n’avez pas ménagé votre peine, monsieur le ministre, pour obtenir ce résultat. Mes chers collègues, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit, à savoir que c’est là le texte dont on rêvait !
Deuxièmement, tout l’art de la programmation militaire réside dans son exécution. Cette loi-là, si elle est adoptée, sera-t-elle fidèlement exécutée ?
Aucune des lois de programme ou de programmation précédentes n’a jamais été totalement exécutée. Celle de 2008 n’a d’ailleurs pas été la plus mauvaise, il faut le dire, de ce point de vue !
M. Daniel Reiner. Le Gouvernement veut faire preuve de responsabilité ; il a voulu une loi sincère, parce que réaliste. Il propose une loi de vérité. Il a fixé des recettes exceptionnelles à un niveau élevé, en a détaillé les sources. Nous aussi voulons cette vérité, nous voulons que cette loi soit exécutée à l’euro près et nous nous en donnons les moyens, au Sénat, par le biais de toute une série d’amendements adoptés par notre commission, visant d’abord à garantir les recettes exceptionnelles – le président Carrère a déjà largement évoqué ce point –, ensuite à permettre le contrôle, sur pièces et sur place s’il le faut, de la bonne exécution de cette loi de programmation. En tant que corapporteur, avec mes collègues Jacques Gautier et Xavier Pintat, du programme 146, je puis vous assurer que quelques dispositions nouvelles seront fort utiles pour exercer correctement notre pouvoir de contrôle parlementaire, tout particulièrement sur l’exécution de cette loi de programmation militaire.
Je veux enfin, avant de conclure, vous faire part de mon insatisfaction de n’avoir pu faire inscrire dans le Livre blanc la stratégie d’acquisition de matériels de l’État. En effet, les membres de la commission estiment que nous ne devons pas nous résigner à acheter toujours plus cher : il y a là le risque d’une facilité intellectuelle n’incitant pas à la recherche d’économies. Nous avons des propositions à vous soumettre à ce sujet, monsieur le ministre, sur lequel nous avons déjà beaucoup travaillé. Je ne citerai qu’un seul exemple à cet égard, celui du drone tactique de l’armée de terre : il y a moyen de faire mieux.
J’espère, mes chers collègues, vous avoir convaincus : dans les circonstances du moment, ce projet de loi de programmation militaire est le meilleur que l’on pouvait proposer. Quand on voit les budgets de défense des grands États voisins, cela est encore plus manifeste. Le climat constructif qui préside à nos travaux en commission atteste que nous avons tous conscience des enjeux liés à notre défense nationale.