PRÉSIDENCE DE M. Charles Guené

vice-président

M. le président. La parole est à M. Philippe Kaltenbach. (Applaudissements sur quelques travées du groupe socialiste.)

M. Philippe Kaltenbach. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteur, mes chers collègues, le Sénat se penche cette après-midi sur une proposition de loi de Mme Claudine Lepage, soutenue par le groupe socialiste. Ce texte vise à mieux indemniser les personnes ayant subi une prise d’otages.

À ce stade du débat, je tiens à rappeler le rôle joué par Robert Badinter dans la prise de conscience des souffrances des victimes. J’ai relu le discours que celui-ci avait prononcé en 1985, lors de la discussion du projet de loi tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la circulation et à l'accélération des procédures d'indemnisation. Il portait, à l’époque, un jugement sévère quant à la manière dont les victimes étaient traitées. Il déclarait : « La victime est trop souvent mal accueillie, mal informée, mal garantie. » À ses yeux, cette attitude traduisait l’indifférence d’une société trop marquée par l’individualisme et l’égoïsme.

M. Philippe Kaltenbach. Depuis les années quatre-vingt, un long chemin a été parcouru, mais des avancées restent à accomplir. C’est ce qui est aujourd’hui proposé pour les victimes des prises d’otages. À ce titre, on peut remercier Claudine Lepage d’avoir été à l’origine de ce débat au sein de la Haute Assemblée. Je suis convaincu qu’il nous faudra poursuivre ce travail, pour toujours mieux prendre en charge les victimes et leurs souffrances.

Le constat en a déjà été dressé, ces actes criminels que sont les prises d’otages sont malheureusement en constante augmentation. Un nombre croissant de nos compatriotes en ont été victimes à travers le monde au cours des dernières années. Depuis 2009, une cinquantaine de ressortissants français ont été pris en otage, qu’il s’agisse d’actes terroristes, pour trente-cinq cas, ou d’actes de grand banditisme, pour quinze autres.

Ces ressortissants et leurs proches ont subi et subissent encore des souffrances et un préjudice très importants. La Nation se doit d’être pleinement solidaire de celles et ceux qui ont bien souvent été pris en otage du simple fait de leur nationalité.

Mme la rapporteur l’a clairement indiqué, le droit en vigueur permet déjà d’indemniser ce type de préjudice. Toutefois, nous devons être soucieux d’assurer une plus grande sécurité à celles et ceux qui subissent ces prises d’otages.

L’indemnisation des victimes d’une prise d’otages dépend aujourd’hui du fait que cette dernière soit qualifiée ou non d’acte de terrorisme.

Si c’est le cas, la situation est simple : c’est la loi du 9 septembre 1986 qui s’applique. Ses dispositions sont extrêmement protectrices. Du reste, depuis la création du fonds de garantie des victimes des actes terroristes et d’autres infractions, le FGTI, près de 4 000 victimes du terrorisme ont pu être indemnisées, pour un montant avoisinant les 100 millions d’euros.

En revanche, si la prise d’otages n’est pas qualifiée d’acte terroriste, l’indemnisation dépend de l’étendue du préjudice subi. Dès lors, la situation peut varier.

Aussi, le présent texte tend à garantir une plus grande sécurité juridique pour les victimes. Ces dernières seront mieux protégées et plus aucune différence ne subsistera entre les prises d’otages, que celles-ci soient perpétrées avec des visées terroristes ou avec un seul but crapuleux.

Il s’agit donc bien d’homogénéiser les modalités d’indemnisation. Ce sera là un progrès pour toutes les victimes de prise d’otages, dans la manière dont elles seront reçues, accueillies, suivies et indemnisées.

Certes, on pourra nous expliquer que, dans presque toutes les situations, ces personnes obtiennent des interruptions temporaires de travail supérieures à trente jours. Toutefois, à l’avenir, grâce au présent texte, elles n’auront plus à accomplir de démarches spécifiques en la matière : elles seront automatiquement prises en charge par le FGTI. J’en suis certain, nous souhaitons tous que les victimes soient toutes traitées de la même manière, avec la même rapidité et la même efficacité.

Globalement, ce texte nous rappelle que les victimes doivent être prises en charge par notre société et qu’il faut homogénéiser les modalités de leur indemnisation. Il est essentiel de poursuivre ce travail, dans le cadre d’une réforme générale de l’indemnisation des victimes d’infractions pénales, une question sur laquelle M. Béchu et moi-même nous penchons actuellement. (M. le président de la commission des lois acquiesce.)

La commission des lois et son président, Jean-Pierre Sueur, que je salue, ont été particulièrement attentifs à ce sujet, en nous confiant une mission destinée à dresser un bilan des multiples dispositifs existants et à formuler des propositions en vue d’améliorer les dispositifs en vigueur depuis une trentaine d’années.

Depuis bientôt huit mois, nous avons multiplié les auditions et les déplacements dans diverses juridictions. Sans dévoiler le rapport qui sera présenté le 30 octobre devant la commission des lois, je souligne que nous avons tenu à appréhender l’indemnisation sous tous ses aspects. De fait, il faut prendre en compte l’ensemble des mécanismes destinés à réparer le préjudice subi, c’est-à-dire l’indemnisation, la réparation matérielle et éventuellement la réparation morale.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Mon cher collègue, nous saluons le travail important que vous menez avec M. Béchu.

M. Philippe Kaltenbach. Merci, monsieur le président de la commission des lois !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Ce travail, nous en sommes certains, va éclairer notre assemblée…

Mme Catherine Troendle. Tout à fait !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. … et permettre de nouvelles avancées.

M. Philippe Kaltenbach. C’est le but visé !

M. Jean-Michel Baylet. Monsieur le président de la commission des lois, c’est M. Kaltenbach qui a la parole ! Seul M. le président du Sénat a le droit de l’interrompre.

Mme Éliane Assassi. Tout à fait !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Certes, monsieur Baylet, mais vous n’exercez pas, sauf erreur de ma part, la présidence de notre assemblée.

M. Jean-Michel Baylet. Heureusement… (Sourires.)

M. le président. Mes chers collègues, la parole est à M. Kaltenbach, et à lui seul.

M. Philippe Kaltenbach. Je remercie l’ensemble des présidents, ceux qui me tressent des lauriers comme ceux qui défendent ma possibilité de m’exprimer devant la Haute Assemblée ! (Nouveaux sourires.)

Les difficultés rencontrées par les victimes d’infractions pénales pour obtenir l’indemnisation effective de leur préjudice doivent bien être prises en compte dans leur ensemble. Le travail aujourd’hui mené par Mme Claudine Lepage et par Mme la rapporteur permettra une avancée pour les victimes de prise d’otages.

Pour ma part, je suis convaincu qu’il faut aller beaucoup plus loin pour faire en sorte que toutes les victimes soient mieux considérées et mieux prises en compte.

Certes, depuis trente ans, des progrès considérables ont été accomplis : nous ne sommes plus à l’époque où Robert Badinter dénonçait le mépris que subissaient les victimes. Néanmoins, de nombreuses étapes restent à franchir.

Il est vrai qu’il faut se pencher sur le cas des auteurs d’infractions. Mme la garde des sceaux s’y emploie à travers un texte très important, portant réforme pénale. En luttant contre la récidive, elle prend réellement le dossier à bras-le-corps et permettra que les auteurs d’infractions soient à la fois punis et réinsérés. Pour autant, il ne faut pas négliger les victimes. Dans le cadre du débat que nous allons consacrer à cette grande réforme pénale, peut-être sera-t-il opportun de garantir également des avancées à ce titre.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Ces avancées figurent dans le projet de loi !

M. Philippe Kaltenbach. J’en étais certain, madame la garde des sceaux ! Sachez que, avec M. Béchu et l’ensemble des membres de la commission des lois, je serai attentif à ce que les victimes ne soient pas oubliées. Pour la prise en charge de leurs préjudices, notamment pour le calcul de leurs indemnisations, il faut permettre ce progrès. Même si la France figure, dans ce domaine, parmi les bons élèves de l’Europe, il faut saisir cette occasion d’étendre encore les droits des victimes et d’améliorer le régime d’indemnisation.

Les victimes ont besoin d’être reconnues et considérées, mais elles méritent également une indemnisation matérielle, permettant la prise en compte de leur souffrance et du préjudice qu’elles ont subi.

De surcroît, sur les travées du groupe socialiste, nous souhaitons que cette préoccupation soit élargie, des victimes de prises d’otages à l’ensemble des victimes.

Nous voterons bien sûr des deux mains la présente proposition de loi, présentée par Mme Claudine Lepage. Ce texte réalise un progrès considérable pour les victimes de prises d’otages, et j’en félicite une nouvelle fois son auteur et Mme la rapporteur ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste. – Mme Catherine Troendle applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Baylet.

M. Jean-Michel Baylet. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame la rapporteur, mes chers collègues, recourir à l’enlèvement d’un ou plusieurs individus, afin de les utiliser comme monnaie d’échange, moyen de pression ou gage de garantie, est une pratique ancienne ; aussi vieille, serait-on tenté de dire, que le jeu politico-diplomatique.

La prise d’otage existait, en effet, dès l’Antiquité et a pris parfois une physionomie inattendue. Nous pourrions rappeler les termes du traité de Madrid de 1526, selon lesquels François Ier, défait à la bataille de Pavie, remit à Charles Quint son fils aîné, le dauphin, en gage de l’exécution du traité entre les deux puissances.

À l’époque contemporaine, à l’heure des conflits asymétriques, le recours à la prise d’otage s’inscrit dans une opposition du faible au fort – certains sont malheureusement devenus de véritables orfèvres en la matière. Dès les années soixante-dix, cette exaction fut privilégiée par certains groupes terroristes. En réponse, car il ne fallait bien évidemment pas rester les bras croisés, le législateur a prévu un régime d’indemnisation protecteur, mais limité aux victimes des actes de ces groupes.

Mes chers collègues, le texte proposé à notre examen vise donc à compléter et harmoniser les régimes d’indemnisation des personnes victimes de prise d’otages. En effet, comme il est indiqué dans l’exposé des motifs et dans le rapport de notre chère collègue Esther Benbassa, il n’existe pas de procédure unique et simplifiée pour toutes ces victimes.

Je ne reviendrai pas sur les différents dispositifs d’indemnisation, selon que la prise d’otage relève d’un acte terroriste, ou en fonction de la gravité du préjudice subi. L’harmonisation de ces procédures équivaut à une reconnaissance que les victimes de prises d’otages – et avec elles, leur entourage plongé, lui aussi, dans de grandes souffrances – ont subi un préjudice particulier, qui nécessite une procédure simplifiée. En conséquence, la proposition de loi prévoit que les victimes d’une prise d’otages, même si cette dernière ne constitue pas un acte de terrorisme, pourront obtenir réparation intégrale du préjudice auprès de la commission d’indemnisation des victimes d’infraction, la CIVI.

Disons-le, ce texte a une portée limitée, car il ne concerne que très peu de personnes, mais il repose, et c’est essentiel, sur l’idée que les victimes de prises d’otages doivent se voir reconnaître la particularité de l’épreuve qu’elles ont traversée.

Aujourd’hui, en droit, la prise d’otages est non pas une infraction autonome, mais une circonstance aggravante de l’infraction d’enlèvement ou celle de séquestration. Dans la situation actuelle, si la prise d’otage n’est pas considérée comme un acte terroriste, les victimes doivent remplir plusieurs critères pour ouvrir la voie à une indemnisation qui s’en trouve, de fait, complexifiée.

Or les témoignages de victimes de prises d’otages se ressemblent souvent. Qu’elles aient été kidnappées en Syrie, au Liban, au Mali ou au Mexique, qu’elles soient restées captives quelques mois ou plusieurs années, elles disent tous la même chose.

Chaque cas de cette forme de séquestration est unique, mais, quels que soient les geôliers, quelles qu’aient été la durée et les conditions de détention, tous les anciens otages nous parlent de cette perte de liberté, de ce sentiment d’être à la merci des ravisseurs, de ces moments d’espoir d’une libération prochaine qui côtoient des moments de terreur face à des actes pouvant aller jusqu’à des simulations d’exécution, ou encore des moments d’abattement et d’angoisse. Et surtout, ils parlent de cette peur permanente qui les étreignait.

Tous aussi témoignent des difficultés du retour à la vie quotidienne et de la dépression qui, souvent, accompagne la libération. Enfin, au-delà des blessures physiques, tous nous parlent de traumatismes durables pour eux-mêmes et, j’y reviens, pour leur entourage.

La question de l’harmonisation des dispositifs d’indemnisation des victimes se pose, et ce d’autant plus que la frontière entre un rapt à caractère terroriste et un enlèvement crapuleux est parfois ténue. L’actualité le montre bien, et nous pensons, ici au Sénat, à tous les otages français aujourd’hui détenus.

La frontière est parfois ténue entre enlèvement politique, enlèvement crapuleux et enlèvement terroriste, car, dans certaines parties du monde, notamment dans les régions les plus instables, celles où l’État peine à imposer l’ordre sur son territoire ou est déliquescent, on voit se développer un véritable business de la prise d’otages. C’est le cas de la zone saharo-sahélienne, par exemple, comme l’ont montré les rapports de nos collègues Jean-Pierre Chevènement et Gérard Larcher. Des mafias se livrent aussi à la prise d’otages dans le delta du Niger, en Colombie ou en Irak.

Aujourd’hui, il est donc du devoir de la France, madame la garde des sceaux, de soutenir ceux qui, parmi nos ressortissants ou sur notre territoire, sont victimes d’une prise d’otages. Lors de leur période de captivité, le sort des otages interpelle parfois avec acuité la communauté nationale. Ce soutien doit se poursuivre après leur libération, lorsque, pour eux et leurs familles, vient le temps de la reconstruction, qui n’est pas le plus simple.

Il ne s’agit pas, madame la garde des sceaux, de créer un statut d’otage. Nous n’avons pas le pouvoir d’effacer ces mois, parfois ces années de captivité, et les traumatismes qu’ils ont suscités, mais nous pouvons faire en sorte que les victimes puissent mieux vivre avec eux.

C’est la raison pour laquelle, afin de concilier sécurité juridique et reconnaissance symbolique, les sénateurs radicaux de gauche et mes collègues du RDSE apporteront leur soutien à cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Troendle.

Mme Catherine Troendle. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, l’objectif du présent texte est de permettre à toute victime de prise d’otages d’obtenir une réparation intégrale des dommages subis par cette atteinte, quelle que soit leur gravité et sans avoir à se préoccuper des conditions maximales de ressources. Concrètement, il s'agit d’aligner les modalités de leur indemnisation sur celles des victimes d’atteintes graves à la personne, afin d’éviter que la réparation de l’acte ne varie selon les circonstances.

En effet, aujourd’hui, comme vous l’avez rappelé, la réparation des personnes victimes de prise d’otages est de trois ordres.

Soit la prise d’otages constitue un acte de terrorisme, et dans ce cas la victime pourra être indemnisée selon la procédure instaurée par la loi du 9 septembre 1986, qui prévoit une réparation intégrale des dommages résultant d’une atteinte à la personne.

Dans ce cas, le dispositif prévoit une procédure relativement souple en termes de délais, de formalisme et de preuve. Lorsque nos concitoyens sont victimes d’une prise d’otages à visée politique, c’est évidemment la communauté nationale tout entière qui est touchée et qui doit faire face. Dès lors, il ne fait pas de doute que la reconnaissance de ce préjudice, puisqu’il nous touche, n’est pas à démontrer. Très logiquement, la solidarité nationale partage alors la réparation des préjudices subis par la victime.

Soit la prise d’otages ne constitue pas un acte de terrorisme, et la victime peut obtenir une réparation intégrale de son préjudice auprès de la commission d’indemnisation des victimes d’infractions.

Ce dispositif ne vise qu’un certain nombre d’infractions : celles qui ont entraîné la mort, une incapacité permanente ou une incapacité totale de travail supérieure ou égale à un mois, les atteintes résultant de faits constitutifs de viol ou d’agression sexuelle, de traite des êtres humains, d’atteintes sexuelles sur mineurs, d’esclavage ou de travail forcé. Cette procédure juridictionnelle classique se déroule alors sur le fondement de l’article 706-3 du code de procédure pénale.

Soit, enfin, aucune des deux précédentes qualifications n’est possible et la victime ne peut prétendre à une indemnisation auprès de la CIVI que si, après une atteinte faite à sa personne, elle ne peut obtenir une réparation ou une indemnisation effective et suffisante de son préjudice.

Dans ce cas, les conditions d’indemnisation sont posées par l’article 706-14 du code de procédure pénale, aux termes duquel il appartient à la victime de démontrer qu’elle « ne peut obtenir à un titre quelconque une réparation ou une indemnisation effective et suffisante de son préjudice » et qu’elle « se trouve de ce fait dans une situation matérielle ou psychologique grave ».

Certains de mes collègues en commission, et je m’interroge également sur ce point, se demandaient quel est l’intérêt de légiférer sur cette question. Je partage bien évidemment les préoccupations liées à ce problème. Toutefois, il ne semble pas présenter d’intérêt réel dès lors que toutes les situations évoquées précédemment paraissent pouvoir être couvertes.

À ce propos, les représentants de la Fédération nationale des victimes d’attentats et d’accidents collectifs sont très clairs : aucune victime de prise d’otages n’a, à ce jour, été confrontée à des difficultés en matière d’indemnisation.

Comprenons-nous bien : nous ne remettons pas en cause la nécessaire préoccupation quant à l’accompagnement des victimes de prises d’otage et de leurs familles dans les situations douloureuses qu’elles vivent. Nous ne remettons pas non plus en cause notre attachement au droit pour toute victime d’infraction pénale d’obtenir la réparation de son préjudice. Pour autant, il nous paraîtrait peu opportun d’instaurer une loi dont l’utilité n’est que de principe. Cela pourrait d’ailleurs nous être reproché.

Je comprends le souhait d’unification du régime d’indemnisation des victimes de prises d’otages, mais alors que celui-ci ne fait l’objet d’aucune contestation réelle, et à côté de la demande d’accompagnement à laquelle aucune réponse n’est apportée par ce texte, ce résultat paraîtra bien maigre et inutile pour les victimes.

Nous pourrions, au contraire, nourrir une réflexion plus large sur les dispositifs concrets qui, au-delà de l’indemnisation, permettraient d’organiser un accompagnement plus large. Au fond, il n’est pas inintéressant de se poser la question à cette occasion.

Ce dispositif cherche, en réalité, à donner plus de considération à la détresse psychologique des victimes qui ont vécu, on le comprend, des situations traumatisantes. Pour autant, peut-on imaginer qu’une indemnisation pécuniaire puisse régler réellement et complètement ce problème ?

Mme Claudine Lepage. Certainement pas.

Mme Éliane Assassi. Personne ne le pense !

Mme Catherine Troendle. Dans tous les cas, et si vraiment il apparaissait nécessaire de prévoir un nouveau dispositif d’indemnisation, peut-être pourrions-nous attendre les résultats des travaux que vous avez vous-même, madame la garde des sceaux, commandés à nos collègues Christophe Béchu et Philippe Kaltenbach. Ceux-ci nous livreront très prochainement leurs réflexions et leurs propositions sur les multiples dispositifs d’indemnisation que prévoit notre droit. Ce rapport nous permettrait d’avoir une approche plus globale de ce problème, mais aussi de traiter d’autres difficultés qu’il mettra peut-être en évidence.

Mes chers collègues, telles étaient les réflexions que je souhaitais partager avec vous sur ce texte, dont j’approuve de nouveau l’idée profonde, mais qui semble devoir mûrir, soit au cours de la navette législative, soit, peut-être, après une remise à plat complète du problème, pour que nous puissions repartir sur des bases plus approfondies et harmonisées.

Ainsi, prenant acte de la bonne volonté de l’auteur du texte et du travail de Mme la rapporteur, je réserve mon adhésion au résultat qui ressortira du travail parlementaire, en espérant que cette discussion pourra appuyer plus fortement l’intérêt concret et réel de cette mesure.

M. le président. La parole est à M. Hervé Marseille.

M. Hervé Marseille. Monsieur le président, madame la ministre, madame la rapporteur, le présent débat me touche particulièrement, parce que j’ai le triste privilège d’être le maire d’une commune des Hauts-de-Seine, Meudon, qui a compté jusqu’à deux otages parmi ses habitants.

Je veux parler du journaliste Hervé Ghesquière, enlevé il y a quelques années en Afghanistan et qui a depuis lors été libéré, et de Thierry Dol, habitant de Meudon-la-Forêt et dont la famille réside dans le département de mon collègue Maurice Antiste, en Martinique. Il est toujours otage, quelque part près du Niger, où lui et ses compagnons d’infortune ont été enlevés il y a plus de trois ans.

Cette situation appelle d’emblée deux observations. Premièrement, être otage peut arriver à n’importe qui, n’importe quand. (M. le président de la commission des lois acquiesce.) Cela peut concerner un ami, un parent, un voisin. Deuxièmement, Hervé Ghesquière, comme d’autres, a pu être libéré ; il faut donc garder espoir et rester optimiste sur les actions qui sont menées, même si, parfois, certaines situations connaissent des issues tragiques.

Aussi, vous comprendrez que je sois attentif à l’initiative de notre collègue Claudine Lepage, qui a déposé cette proposition de loi visant à l’indemnisation des personnes victimes de prise d’otages.

Notre rapporteur, dont je salue le travail, n’a pas manqué de souligner la complexité actuelle des dispositifs d’indemnisation des victimes. Les régimes juridiques sont au moins au nombre de deux. Dans le cas d’une prise d’otages qualifiée d’acte terroriste, il convient d’avoir recours à la procédure instituée par la loi du 9 septembre 1986 relative à la lutte contre le terrorisme. Dans les autres cas, l’accès à l’indemnisation dépend de l’étendue du dommage subi.

Aussi, pour les cas « hors terrorisme », la proposition de loi permettra à toutes les victimes de prises d’otages d’obtenir la réparation intégrale de leur préjudice auprès des commissions d’indemnisation des victimes.

Cette proposition de loi insère au dernier alinéa du 2° de l’article 706-3 du code de procédure pénale la référence « 224-4 ». Le code pénal vise à cet article la personne arrêtée, enlevée, détenue ou séquestrée, qui l’a été comme otage, soit pour préparer ou faciliter la commission d’un crime ou d’un délit, soit pour favoriser la fuite ou assurer l’impunité de l’auteur ou du complice d’un crime ou d’un délit, soit pour obtenir l’exécution d’un ordre ou d’une condition, notamment le versement d’une rançon.

Les experts auditionnés par notre rapporteur s’accordent à dire qu’une telle extension ne devrait concerner en réalité qu’un nombre limité de personnes. En effet, il est particulièrement rare que quelqu'un qui a été pris en otage ne se voie pas reconnaître une incapacité permanente ou une incapacité totale de travail, ou ITT, supérieure ou égale à un mois, ce qui lui permet, de fait, d’être éligible à l’article 706-3 du code de procédure pénale. S’il s’agit ici d’une modification de cohérence dans le dispositif de l’indemnisation des victimes, la précédente remarque sur l’ITT fait sens.

Être pris en otage est un traumatisme qui marque lourdement une vie, et a fortiori dans les cas de terrorisme.

Le ministère des affaires étrangères évalue à une cinquantaine le nombre de Français retenus en otages à l’étranger entre 2009 et 2013, dont trente-cinq dans le cadre d’un acte de terrorisme, comme l’a rappelé notre rapporteur. Ces dernières années, le simple fait d’être Français constitue, dans certaines parties du monde, un risque important, voire un facteur motivant pour les preneurs d’otages.

Une cinquantaine d’otages ces quatre dernières années : le bilan est bien trop lourd et il est particulièrement inquiétant de constater son aggravation. En 2004, le ministère des affaires étrangères dénombrait onze personnes prises en otage ; en 2011, elles étaient cinquante-neuf, multipliant ainsi par trois la liste des pays – désormais au nombre de quinze – dans lesquels certains de nos compatriotes sont retenus. L’augmentation est donc très forte !

Les touristes et a fortiori les salariés expatriés représentent des cibles privilégiées. Aussi, l’autorité judiciaire n’a pas cessé de faire évoluer sa jurisprudence. Par l’arrêt du 7 décembre 2011 opposant la société Sanofi Pasteur à Peyret, la Cour de cassation n’a fait que consacrer une tendance développée notamment par les juges du fond. Dès lors, l’obligation de sécurité imposée à l’employeur est devenue particulièrement large.

À ce stade, je tiens à dire qu’il faudrait également, puisqu’on parle des États, impliquer davantage les grandes entreprises qui sont concernées par l’envoi de salariés à l’étranger et qui sont étrangement muettes, notamment ces derniers temps.

M. Jean-Michel Baylet. C’est vrai !

M. Hervé Marseille. Il faut que ces entreprises assurent leurs obligations, sur place, mais également en s’occupant des familles, et je reviendrai sur ce point.

Un employé expatrié pourra maintenant invoquer un manquement de l’employeur à certaines de ses obligations, parmi lesquelles l’obligation de sécurité mentionnée à l’article L. 4121-1 du code du travail.

La cour d’appel avait retenu que la salariée avait été victime d’une agression alors qu’elle se trouvait, « du fait de son contrat de travail », dans un lieu particulièrement exposé au risque. Par cette formulation, les juges ont pris soin de ne pas faire mention d’un espace défini, si bien que l’analyse se fera au cas par cas, y compris pour des pays non référencés à risque par le ministère des affaires étrangères. Aussi, nous pouvons nous réjouir de l’évolution de cette jurisprudence.

À l’occasion de l’examen de ce texte, il convient de réaffirmer que nous n’oublions pas les otages qui ont péri et la douleur de leur famille, les drames traversés par les anciens otages.

Nous n’oublions pas les otages actuellement retenus dans le monde, que ce soient Daniel Larribe, Thierry Dol, Pierre Legrand, Marc Féret, détenus au Sahel par AQMI, Al-Qaïda au Maghreb islamique, depuis plus de trois ans, Serge Lazarevic enlevé le 24 novembre 2011 au Mali, le maestro franco-mexicain Rodolfo Cazares, Jules Berto Rodriguez Léal enlevé au Mali, Francis Collomp, enlevé au Nigéria le 19 décembre 2012, les deux journalistes Didier François et Édouard Elias, et, comme on l’a appris ce matin, Nicolas Hénin et Pierre Torres, qui seraient détenus en Syrie.

Pour chacune de ces situations, nous ne doutons pas de la mobilisation du Gouvernement, qui met en œuvre tous les efforts nécessaires pour obtenir la libération de nos ressortissants. Ces efforts sont souvent silencieux, dans l’intérêt même des otages, afin de ne pas compromettre leur libération. Toutefois, ce silence laisse malheureusement les familles, qui attendent, jour après jour, un appel téléphonique pouvant survenir à n’importe quel moment, dans une incertitude douloureuse, on peut le comprendre. Aussi, nos pensées sont également tournées vers elles, et il convient de les soutenir d’une attention sans failles.

Je voudrais, madame la garde des sceaux, profitant de votre présence, vous demander d’appuyer la demande que j’ai formulée pour l’épouse de Thierry Dol. Alors que son mari est détenu en otage depuis trois ans, elle est sans emploi.

J’ai saisi à ce sujet l’entreprise pour laquelle son mari travaillait : celle-ci doit connaître des difficultés financières puisqu’elle n’a pas trouvé un timbre pour me répondre… J’ai écrit à M. le ministre des affaires étrangères – j’attends sa réponse –, ainsi qu’à M. le Président de la République qui, lui, m’a répondu qu’il transmettrait la demande à Pôle Emploi. Je pense que l’on peut aller plus loin et que, dans de telles circonstances, pour des gens qui attendent depuis trois ans, on doit pouvoir faire quelque chose.

En tout état de cause, cette proposition de loi, qui simplifiera l’indemnisation de certaines personnes victimes de prises d’otage, va dans le bon sens. Aussi, avec l’ensemble des membres de mon groupe, je la soutiendrai, madame Lepage, et je vous en remercie. (Applaudissements.)