M. Jacques Mézard. Le Président de la République déclarait dimanche : il y a un moment où ce qui nous rassemble, en tant que gaullistes, libéraux, radicaux, bref, en tant que républicains, c’est une conception commune de la France et de la République.

Mes chers collègues, ne défigurons pas cette conception de la République au nom d’intérêts partisans !

Sénatrices et sénateurs de la République, au nom de tout ce qui nous rassemble, au nom de notre histoire, et encore davantage de l’avenir de cette République que nous voulons forte, rassembleuse et respectueuse, je vous demande de rejeter ce texte tel qu’il nous est proposé et d’adresser à l’exécutif le message de la liberté de la Haute Assemblée au service de la République.

Vive le Sénat de la République ! Vive la République ! (Les sénatrices et sénateurs du RDSE et de l’UMP, ainsi que certaines sénatrices et certains sénateurs de l’UDI-UC, se lèvent et applaudissent longuement.)

 
 
 

8

Élection de représentants à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe

M. le président. Voici le résultat du scrutin pour l’élection d’un membre titulaire représentant la France à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe :

Nombre de votants 136
Majorité absolue des votants 69
M. Bernard Fournier 126

En conséquence, M. Bernard Fournier ayant obtenu la majorité absolue des suffrages des votants, je le proclame membre titulaire du Sénat représentant la France à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.

Voici le résultat du scrutin pour l’élection d’un membre suppléant représentant la France à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe :

Nombre de votants 136
Majorité absolue des votants 69
M. André Reichardt 126

En conséquence, M. André Reichardt ayant obtenu la majorité absolue des suffrages des votants, je le proclame membre suppléant du Sénat représentant la France à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.

9

Interdiction du cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur et le mandat de représentant au Parlement européen

Suite de la discussion en procédure accélérée d’un projet de loi organique et d’un projet de loi

M. le président. Nous poursuivons la discussion du projet de loi organique, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur, et du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de représentant au Parlement européen.

Dans la suite de la discussion générale commune, la parole est à Mme Hélène Lipietz.

 
 
 

Mme Hélène Lipietz. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je suis consciente de la rude tâche qui consiste à succéder à M. Mézard à cette tribune ! (Exclamations amusées sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

M. Christian Cambon. Vous avez un boulet au pied !

Mme Hélène Lipietz. Mais j’espère que vous allez m’écouter avec autant d’enthousiasme !

Mme Hélène Lipietz. Voici le texte qui fâche, qui clive et qui transcende les familles politiques ; le texte visant à empêcher ou à limiter le cumul des mandats ou, plus exactement, à limiter le cumul du mandat de parlementaire avec d’autres mandats ou d’autres fonctions électives.

Monsieur le ministre, je ne reviendrai pas sur l’ineptie – pardonnez-moi ce terme fort – qui consiste à priver les parlementaires d’un second tour de parole et de vote. De quoi aviez-vous peur ? Vous le savez, l’Assemblée nationale est majoritairement derrière vous, et les contestataires du Sénat n’en peuvent mais. Quant à l’urgence qu’il y a à limiter le cumul des mandats, elle est née avec moi : en 1958 ! Elle commence donc à vieillir…

Cela montre bien qu’il n’y avait aucune raison de recourir à la procédure accélérée !

Faut-il d’ailleurs croire la légende selon laquelle le général de Gaulle n’a pas voulu interdire le cumul des mandats pour que les parlementaires aient un os à ronger, eux que la Ve République a dépouillés de leurs pouvoirs ? Il doit y avoir un fond de vérité... Rappelons-nous que Louis XIV a inventé la cour pour calmer l’ardeur belliqueuse des nobles !

En laissant se développer le cancer du cumul des mandats comme aucune autre démocratie européenne ne le connaît ou comme aucune constitution précédente de la France ne l’a connu, la Ve République est en rupture avec son propre principe de démocratie énoncé à l’article 2 de la Constitution : « gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple. » Car en confisquant jusqu’à vingt ou vingt-cinq mandats ou fonctions représentatives, les parlementaires qui cumulent confisquent le gouvernement de leur territoire...

Faut-il rappeler le conflit d’intérêts qui apparaît de façon évidente quand certains sénateurs ne viennent dans cet hémicycle que lors de la discussion de textes législatifs qui concernent directement leur territoire ou leurs mandats, ou encore lorsque des pans entiers d’une loi sont élaborés par deux ou à trois parlementaires d’un même département et que ceux-ci parviennent à imposer ce texte au Parlement sous couvert d’expertise locale ?

Ces parlementaires viennent défendre leur territoire, leur ville, ce qui peut être louable : comment les en blâmer ? Mais ont-ils besoin d’exercer un mandat exécutif pour cela ? Surtout, défendent-ils l’intérêt général de la Nation d’une nature par essence différente de l’intérêt local ?

De plus, où est l’égalité des candidatures quand un élu cumule ou souhaite cumuler ? N’a-t-il pas lui aussi un pouvoir ou des connaissances qui rompent l’égalité des candidatures ? N’a-t-il pas une aura que n’a pas un candidat non cumulard ?

Je le dis sans acrimonie : je peux avoir de l’estime pour ceux qui cumulent, qui accomplissent souvent, voire très souvent, un excellent travail... Mais certains d’entre eux ne font pas tout le travail ou ne le font qu’à travers le prisme de leur territoire.

Je n’ai certainement pas de mépris pour eux, les apparatchiks de la politique ; j’éprouve juste peut-être un peu de pitié : en ne faisant que de la politique, ils oublient qu’il y a une vie en dehors de celle-ci. Ils vivent, ils pensent politique. Or l’organisation de la vie de la cité, la politique, est d’abord une histoire de citoyennes et de citoyens, de rapports avec la société, de rapports dans la cité.

Ce que nous reprochent les Françaises et les Français, c’est que nous soyons déconnectés de leurs réalités... Même si nous nous penchons sur leurs problèmes en nous rendant sur les marchés ou en assurant nos permanences, nous faisons partie non plus de la société civile, mais de la société politique. Cette différence, nos concitoyens la ressentent avec une intensité jamais égalée auparavant, peut-être parce que, avant, le niveau d’instruction était moindre, ou aussi parce que désormais Internet permet au peuple de s’exprimer indépendamment des élections.

Même les élus non cumulards reprochent à ceux qui cumulent de ne pas être des élus tout à fait semblables : être sénateur et maire, conseiller régional et maire, même d’une petite commune, ouvre des portes qui sont fermées aux détenteurs d’un seul mandat.

Ainsi, un député-maire me faisait part de la difficulté qu’il éprouvait, en qualité de maire d’une sous-préfecture, à s’imposer face à la technocratie étatique. Or sa situation a un tout petit peu changé depuis qu’il est parlementaire... Par conséquent, le cumul est peut-être aussi une réponse à l’Énarchie. Dans ce cas, ne convient-il pas plutôt de changer l’ENA au lieu de vouloir instaurer la règle du non-cumul ?

Certes, parmi les élus, cumulant ou non, figurent des apparatchiks des partis, et ce quel que soit le parti, des apparatchiks de la politique, et ce quelle que soit la politique. Les parachutés qui arrivent dans une circonscription avec les beaux atours de leur parti sont aussi condamnables que les bibendums, ces élus qui empilent les écharpes autour de leur taille afin d’éviter que le naufrage de leur mandat ne les condamne à redevenir de simples citoyens, le cumul des mandats leur permettant de surnager en absence d’un véritable statut de l’élu.

Oui, je peux comprendre que certains cumulent à défaut d’un tel statut, craignant alors l’arrivée du terme de leur mandat, ou parce que le Parlement et, par voie de conséquence, les parlementaires sont rabaissés – les soixante-huitards l’avaient bien compris ! Ils cumulent en ayant la volonté de servir leurs idées, leurs concitoyens, mais aussi, il faut bien l’avouer, par besoin de reconnaissance et par soif du pouvoir.

Il est ainsi étonnant de constater l’inadéquation entre le ressenti des citoyens et celui des élus qui cumulent. Les journaux, les citoyens lambda traitent ces derniers de « cumulards ». Ce terme, quelque peu démagogique, ne me plaît absolument pas, non plus que le palmarès publié récemment.

Néanmoins, ceux qui cumulent témoignent parfois d’un profond mépris envers ceux qui ont fait le choix de ne pas cumuler – nous sommes nombreux dans ce cas – ou ceux qui n’ont pu être cumulards puisque, en France, les élus sont plus de 400 000 alors qu’il n’y a que près d’un millier de postes de parlementaires…

Comme si les non-cumulards, non seulement dans l’espace, mais aussi parfois dans le temps, avaient moins de valeur car ils sont élus moins souvent ! (M. Luc Carvounas s’exclame.) Comme si leur travail était moins efficace ou moins noble, alors même qu’ils se consacrent à un seul mandat, tant sur le terrain que dans l’hémicycle !

Certes, ceux qui cumulent, dans le temps ou dans l’espace, le font avec l’onction du suffrage universel.

M. Jean-Claude Lenoir. Surtout à la proportionnelle !

Mme Hélène Lipietz. Ainsi, ils sont légitimés à leurs propres yeux !

Il faut toutefois garder à l’esprit que les électeurs n’ont pas vraiment le choix des candidats : ce sont bien les partis qui les choisissent, faisant des cumulards eux-mêmes les apparatchiks des partis. Même dans le cas de primaires ouvertes, leur filtre est déterminé par les partis.

Entre un candidat ayant déjà une casquette, mais qui partage vos idées, et un candidat sans casquette qui véhicule des idées auxquelles vous êtes opposé, le choix semble évident... jusqu’au jour où le non-cumul devient pour vous, simple citoyen, le critère de choix parce que vous êtes persuadé, à tort ou à raison, qu’en cumulant l’élu ne peut pas défendre l’intérêt général, mais travaille pour lui et, surtout, ne connaît plus les réalités du terrain.

Certains conçoivent le cumul comme une exigence constitutionnelle. Le Sénat « assure la représentation des collectivités territoriales de la République » dispose l’article 24 de la Constitution. Cette indication légitimerait que tout sénateur – allons jusqu’au bout de l’idée ! – soit en situation de cumul.

Outre le fait que rien n’interdit de comprendre cet article constitutionnel comme une simple exigence de connaissance des collectivités territoriales au travers, notamment, de l’exercice d’un précédent mandat, l’interprétation selon laquelle il serait nécessaire d’être détenteur d’un mandat territorial pour devenir sénateur aurait comme corollaire nécessaire et évident que le Sénat ne pourrait délibérer que sur les textes relatifs aux collectivités territoriales...

Inversement, l’Assemblée nationale, qui représenterait le peuple, ne pourrait pas avoir en son sein des représentants des collectivités territoriales et surtout ne pourrait pas délibérer sur l’organisation de ces dernières.

L’absurdité de ce raisonnement extrême se heurte, de plus, à un autre article de la Constitution. L’article 3 ne dispose-t-il pas qu’aucune section du peuple, en l’occurrence le Sénat, car nous faisons tout de même partie du peuple, ne peut s’attribuer l’exercice de la souveraineté nationale, fût-elle réduite à l’organisation des collectivités territoriales ?

Aujourd’hui, un sénateur homme ou femme, sans mandat territorial en cours, a suffisamment connaissance des collectivités territoriales pour traiter de ces dernières, tout comme un sénateur a des idées sur le droit des femmes ou une sénatrice sur celui des hommes, du moins je l’espère ! (M. Yann Gaillard s’esclaffe.)

Reste l’efficacité du travail politique. C’est sur cette efficacité que nous sommes jugés : travailler à organiser sa ville, à la faire devenir une métropole nationale, voire européenne, est certainement plus facile que d’influencer la politique nationale par le travail parlementaire. Nous en savons quelque chose au Sénat !

À l’heure actuelle, le pouvoir politique se trouve non plus au Parlement, mais dans les collectivités territoriales, alors même que celles-ci connaissent les mêmes difficultés budgétaires que le reste de la Nation.

Le désintérêt de certains parlementaires à siéger régulièrement en commission ou dans l’hémicycle est peut-être dû à l’affaiblissement du Parlement et à la présidentialisation du pouvoir en France. Dans ce cas, pour revaloriser la fonction parlementaire, ne faut-il pas commencer par revaloriser le Parlement et donc par changer de Constitution ?

Non, monsieur le ministre, ce que vous nous proposez avec le présent texte n’est pas la querelle des anciens et des modernes ! La question, ici, n’est pas de prendre nos responsabilités : quels que soient nos votes, nous les émettons en conscience. Ce que vous nous proposez, c’est une transformation de notre paysage mental et un changement de notre paysage politique.

Pour nous, écologistes, le non-cumul est inscrit dans nos gênes et dans nos statuts, même si, parfois, comme dans d’autres partis, des exceptions confirment la règle.

Parce que les écologistes, doux rêveurs, pensent qu’il faut partager les mandats, répartir la représentation pour qu’elle soit plus diverse, ils voteront votre texte, monsieur le ministre, avec la conscience aiguë que nous sommes en train de transformer petit à petit, texte par texte, la Ve République. Peu à peu, nous la détricotons parce qu’elle est à bout de souffle et que nous n’avons pas le courage de dire haut et fort qu’il faut changer la Constitution de la France flamboyante de 1958, qui n’est plus adaptée à la France du XXIe siècle, dans une Europe plus présente et où les citoyens, et peut-être surtout les citoyennes, appellent de leurs vœux un autre rapport à la politique, peut-être moins viril, moins m’as-tu-vu, mais plus proche d’eux !

Nous voterons ce projet de loi organique en ayant conscience qu’il s’agit d’un nouveau coup de couteau dans une outre qui se vide peu à peu de son contenu pour abreuver les réflexions sur la nouvelle République que nous appelons de nos vœux ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe écologiste. – M. Michel Le Scouarnec applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson.

M. Jean Louis Masson. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le cumul de mandats et son corollaire direct, l’absentéisme parlementaire, sont deux particularités bien françaises, deux particularités affligeantes, qui nuisent au bon fonctionnement de la démocratie.

Un mandat de député ou de sénateur correspond à un travail à plein temps. Il en est de même pour une fonction de maire de grande ville, de président de communauté d’agglomération ou de président de conseil général. Or nul ne peut assumer correctement deux activités qui sont chacune à plein temps.

Cependant, les élus qui profitent du système sont aussi nombreux à gauche qu’à droite. C’est l’explication du combat d’arrière-garde engagé par ceux qui s’accrochent au statu quo.

Pour eux, tous les prétextes sont bons. Dans Le Figaro du 9 juillet 2012, un cumulard a même affirmé que les sénateurs qui ne cumulent pas une fonction exécutive ne sont « que des élus hors-sol, coupés de la gestion quotidienne des collectivités ». Merci pour moi !

Un autre a même prétendu que seuls les apparatchiks des partis seront dorénavant élus sénateurs.

Pour ma part, je ne cumule pas et j’ai néanmoins été élu sénateur,…

M. Jean-Claude Lenoir. À la proportionnelle !

M. Jean Louis Masson. … même si je ne suis pas un apparatchik !

M. Philippe Dallier. Vous êtes tout de même un ancien cumulard !

Plusieurs sénateurs sur les travées de l’UMP. Oui, vous êtes un ancien cumulard !

M. Jean Louis Masson. À la suite de mon élection en tant que sénateur en 2001,…

M. Philippe Dallier. Vous avez cumulé !

M. Jean Louis Masson. Je sais que cette assemblée est majoritairement composée de cumulards, mais laissez-moi m’exprimer ! Nous sommes en démocratie ! Ceux qui sont opposés au cumul des mandats ont tout de même le droit de donner leur point de vue !

M. Jean Louis Masson. Je disais donc que, à la suite de mon élection en tant que sénateur en 2001, j’ai démissionné afin de ne pas cumuler mandat parlementaire et fonction exécutive locale. Je suis donc devenu un élu « hors-sol ». Il n’empêche que, lors des élections sénatoriales de 2011,…

M. Jean Louis Masson. … sans l’investiture d’aucun parti politique, j’ai largement devancé les deux autres listes de droite,…

Mme Nathalie Goulet. Moi aussi !

M. Jean Louis Masson. … qui, elles, avaient une investiture et étaient conduites par des élus super-cumulards.

C’est parce que je ne cumule pas mon mandat sénatorial avec un mandat local que j’ai le temps de me consacrer pleinement à ma fonction de sénateur, de m’occuper des réalités du terrain en visitant les communes partout dans le département de la Moselle. (Vives protestations sur les travées de l'UMP.)

M. Christian Cambon. Vous n’êtes jamais présent !

M. Jean Louis Masson. De plus, en étant simple conseiller général de base, on est largement au contact du quotidien : il faut être d’une totale mauvaise foi pour prétendre le contraire !

En fait, le cumul de mandats permet à celui qui en abuse d’étouffer la démocratie en concentrant de façon excessive les pouvoirs tout en profitant d’avantages matériels et financiers considérables. En effet, un député ou un sénateur qui est maire d’une grande ville ou président de conseil général a des moyens démesurément supérieurs à ceux d’un parlementaire de base.

Certains font même prendre en charge par la collectivité locale de nombreuses dépenses telles que celles qui sont liées à leur secrétariat, leur voiture de fonction, leurs frais de téléphone, de restaurant ou autres, qu’ils seraient sinon obligés de financer personnellement sur leur indemnité ou sur leur indemnité représentative de frais de mandat.

Enfin, je rappelle aussi que la super-concentration des pouvoirs qui est liée aux cumuls abusifs est l’un des principaux facteurs de corruption parmi les élus. Ainsi, selon une statistique évoquée le 3 avril 2013 sur la radio Europe 1, 90 % des parlementaires poursuivis pour corruption ou autres malversations sont en situation de cumul. (Exclamations sur plusieurs travées de l'UMP.)

M. Jean-Claude Lenoir. C’est scandaleux !

M. Philippe Dallier. C’est honteux ! Zéro comme argumentation !

M. Jean Louis Masson. Dans la mesure où environ 55 % des parlementaires sont concernés par le cumul, un simple calcul montre qu’un parlementaire qui exerce parallèlement une fonction exécutive locale a 7,4 fois plus de risques qu’un autre d’être poursuivi pour malversation.

En interdisant les cumuls abusifs de mandats, le présent projet de loi organique contribue donc à moraliser la vie publique, à promouvoir une véritable respiration démocratique et à réduire l’absentéisme parlementaire.

Toutefois, je regrette que le Gouvernement ait reporté son application à 2017 pour les députés, à 2019 pour les parlementaires européens et à 2020 pour certains sénateurs. (Exclamations sur plusieurs travées de l'UMP.)

M. Jean-Claude Lenoir. Ce n’est pas dans le texte !

M. Jean Louis Masson. Cette excellente réforme aurait dû s’appliquer dès les municipales de 2014, ce qui l’aurait enracinée de manière irréversible.

En conclusion, il est évident que la limitation des cumuls de mandats répond à une aspiration forte d’une majorité écrasante de nos concitoyens. Je tiens donc à vous féliciter, monsieur le ministre, pour la détermination dont vous avez fait preuve en résistant aux pressions des cumulards de tous bords qui s’accrochent de manière pathétique aux prébendes qu’ils retirent de cette anomalie démocratique.

M. Alain Gournac. Démago !

M. Jean Louis Masson. Ainsi, vous avez eu raison de refuser que l’on introduise une dérogation concernant les fonctions de maire de communes dont le nombre d’habitants atteint 20 000 ou 30 000 habitants. Les instigateurs de cette idée parlaient hypocritement de « petites communes », mais en fait, en raison de ce nombre habitants et des responsabilités intercommunales, on est très éloigné d’une logique de petite commune.

Vous avez eu encore plus raison de refuser la création d’une exception au profit des sénateurs. L’image du Sénat n’est déjà pas très positive dans l’opinion publique (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

M. Alain Gournac. Et Jean Louis Masson, lui, n’est jamais là !

M. Jean Louis Masson. … et il faut vraiment beaucoup d’inconscience pour imaginer un régime dérogatoire permettant aux seuls sénateurs cumulards de continuer à profiter du système. Pour ma part et par dignité vis-à-vis de nos concitoyens, je n’aurais jamais osé proposer une telle disposition qui reviendrait, pour le Sénat, à se servir lui-même.

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !

M. Jean Louis Masson. Enfin, monsieur le ministre, j’ai deux regrets : d’abord, je déplore, comme je vous l’ai déjà indiqué, la date trop tardive d’entrée en vigueur du présent projet de loi organique qui s’échelonnera de 2017 à 2020.

M. Gérard Cornu. C’est un cumulard qui a la parole !

M. Jean Louis Masson. Ensuite, je regrette que strictement rien ne soit prévu pour encadrer les cumuls de mandats exécutifs locaux. Par exemple, on pourra continuer à être maire d’une très grande ville, président de communauté urbaine et vice-président de conseil régional.

M. le président. Je vous demande de conclure, mon cher collègue ! (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)

M. Alain Gournac. Bravo, on a compris !

M. Jean Louis Masson. Exercer trois fonctions exécutives de cette importance, cela dépasse vraiment le raisonnable et je souhaiterais, monsieur le ministre, que vous vous expliquiez sur cette carence.

M. le président. La parole est à M. Philippe Bas. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Philippe Bas. Monsieur le ministre, vous nous avez tout à l’heure plus ou moins aimablement invités à la réflexion. J’espère que, en écoutant nos excellents collègues les présidents François Zocchetto et Jacques Mézard, vous vous serez laissé convaincre – en dépit de toute votre détermination – que la réflexion émane plutôt du côté de ceux qui rappellent nos traditions républicaines que de ceux qui voudraient faire la loi avec des idées reçues et des lieux communs. (Mlle Sophie Joissains applaudit.)

M. Alain Gournac. Très bien !

M. Philippe Bas. Mon groupe aborde la question de la limitation du cumul des mandats dans un esprit constructif.

Tous, dans cette assemblée, nous sommes d’ailleurs conscients que des cumuls excessifs sont aussi néfastes au Parlement qu’aux collectivités territoriales elles-mêmes. Cela n’est pas ce qui nous sépare.

Il faut aussi tirer les conséquences de la montée en puissance des intercommunalités. La réforme territoriale de 2010, que vous avez tellement critiquée, accroît encore cette nécessité.

Comme de nombreux membres de mon groupe, je me suis souvent exprimé dans le sens d’une actualisation des règles de cumul, ce qui ne signifie pas que nous soyons prêts à accepter n’importe quoi ! L’interdiction absolue d’exercer une fonction exécutive locale nous paraîtrait aussi excessive et absurde que la liberté absolue qui prévalait avant 1985. Nous refusons d’envoyer le balancier d’un extrême à l’autre. Nous sommes pour la recherche d’un équilibre.

Le Sénat a toujours été très ouvert sur cette question. Il a contribué à la limitation du cumul des mandats même quand il était dans l’opposition des gouvernements qui en avaient pris l’initiative, ceux de MM. Fabius et Jospin. Il a ainsi voté les lois de 1985 et de 2000 qui ont établi et étendu le régime des incompatibilités entre mandats locaux et nationaux et plafonné le montant total des indemnités pouvant être perçues par un parlementaire.

Ces lois ont déjà drastiquement réduit le nombre de cumuls possibles. Elles ont fait l’objet d’un large consensus et été adoptées – j’appelle votre attention sur ce point, monsieur le ministre – en termes identiques par les deux assemblées. Ce que vos prédécesseurs sont parvenus à obtenir, vous pouvez, vous aussi, si vous y mettez de la bonne volonté, le réussir.

C’était, il est vrai, une période de la VRépublique où le Gouvernement recherchait, autant qu’il le pouvait, un accord du Parlement – Assemblée nationale et Sénat –, sans considérer la représentation nationale comme une simple courroie de transmission.

Aujourd’hui encore, un consensus serait possible si le Gouvernement et l’Assemblée nationale voulaient bien s’en donner la peine.

Nous pensons qu’une fonction exécutive locale et un mandat parlementaire peuvent se compléter utilement, et ce dans l’intérêt de nos concitoyens.

L’accès aux grands centres de décisions nationaux et la connaissance des grands enjeux de la politique nationale sont profitables aux territoires et à leurs habitants.

Inversement, la responsabilité opérationnelle de services publics locaux est utile à l’exercice de mandats parlementaires. Elle favorise des approches peut-être moins idéologiques et militantes que vous ne le souhaiteriez, mais plus indépendantes, plus pragmatiques et plus responsables.

M. Philippe Bas. L’idée selon laquelle les parlementaires libérés de leurs fonctions locales pourraient davantage participer à des activités bénévoles et associatives utiles à leur connaissance du terrain est sympathique, mais ces expériences ne sauraient remplacer l’exercice de responsabilités publiques. Et il faut choisir entre les arguments : on ne peut vouloir à la fois que le temps libéré soit consacré à la fonction parlementaire et qu’il serve en même temps à des activités associatives de terrain.

Cela étant, le lien entre élus nationaux et citoyens ne serait en aucun cas renforcé par l’interdiction d’exercer une fonction exécutive locale, bien au contraire.

M. Philippe Bas. Il serait grandement affaibli ! Et cela, nous ne le voulons pas.

La vérité, c’est que vous répondez à l’antiparlementarisme par le populisme (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Philippe Bas. … en accréditant l’idée que ni les parlementaires ni les responsables politiques locaux ne font correctement leur travail aujourd’hui quand ils assument en même temps ces deux activités pourtant complémentaires.

Or rien ne prouve la réalité de ce postulat. Au contraire, un grand nombre de collègues qui ne figurent pas parmi les moins assidus sont également très présents dans leur département au titre de leurs responsabilités locales.