M. Francis Delattre. Nous n’avons rien demandé !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Selon moi, ce serait une profonde erreur. Nous sommes nombreux à penser qu’il est extrêmement précieux pour la République que les deux assemblées du Parlement traitent de tous les sujets.

M. Christian Cambon. Alors, laissez les choses en l’état !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Nous sommes parfaitement légitimes pour parler de défense, de justice, de santé ou de sécurité, tout autant que les députés, même s’ils ont le dernier mot, en vertu de notre Constitution. Si une chambre ne s’occupait que des collectivités locales et que l’autre chambre traitait de tous les sujets, cela aurait pour conséquence inéluctable de supprimer toute navette.

M. Henri de Raincourt. Il n’y a déjà plus de navette !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Nous sommes nombreux à regretter une telle situation, mon cher collègue. Nous avons encore vu l’avantage de la navette ce matin, avec le projet de loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles. Nous avons eu en commission des lois un excellent débat, qui va continuer.

Finalement, la loi est le fruit de discussions parfois vives dans les assemblées, à partir desquelles il s’agit de construire une norme. Or, pour passer du discursif au normatif, il faut du temps, dont l’effet est semblable à celui de la mer qui polit le galet. (Sourires.) Les textes doivent passer et repasser entre les deux assemblées, de manière qu’ils deviennent les meilleurs possibles. Ainsi, mes chers collègues, certaines lois ne sont-elles pas toujours bien écrites.

C’est pourquoi il est très important de ne pas aller vers un Sénat qui ne serait saisi que des textes intéressant les collectivités territoriales.

Plusieurs sénateurs sur les travées de l’UMP. Nous sommes bien d’accord !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. J’ajoute que la réalité des faits est là : lundi, nous examinions un texte important visant à réduire les inégalités entre les hommes et les femmes ; mais dois-je vraiment, en l’occurrence, dire « nous » ?... À ce propos, je remercie celles et ceux qui étaient présents.

Mme Éliane Assassi. Celles, surtout !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Vous avez raison, madame Assassi.

Regardons les choses en face : débattre de l’ensemble des textes qui nous sont soumis, même si l’on se limite à ceux dont est saisie la commission dont on est membre, exercer la mission de contrôle dévolue au Parlement, rester en contact, bien sûr, avec les électeurs et les habitants du département dont on est un élu, c’est un travail à temps plein !

C’est une profonde conviction que je me suis forgée au cours des trois dernières décennies. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

Mes chers collègues, la France compte tellement de talents, tellement d’individualités compétentes et dévouées que je ne vois pas pourquoi une seule et même personne devrait exercer des fonctions qui pourraient être exercées par deux personnes différentes.

Enfin, le Sénat de la République – et cela ne date pas seulement de l’alternance qui a eu lieu voilà deux ans, monsieur le président –, sur un certain nombre de sujets, a su être progressiste. Voyez la dernière loi de décentralisation, qui a été votée par 180 d’entre nous, donc à une large majorité ; voyez les modifications que lui a apportées notre assemblée. Dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres, le Sénat a été progressiste, il l’a même été peut-être plus que l’Assemblée nationale…

M. Bruno Sido. Ce qui est un comble ! (Sourires.)

M. Jean-Pierre Sueur, president de la commission des lois. … sur certaines questions que chacun, ici, a à l’esprit.

M. Jacques Mézard. Est-ce que cela va continuer ?

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Je crains que la crispation que suscite cette question du cumul des mandats, que le fait que nous nous cramponnions aux pratiques du passé (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. … ne redonne du Sénat cette image conservatrice que nous avons beaucoup combattue.

J’aime le Sénat lorsqu’il prend le risque et qu’il saisit la chance d’être le Sénat du progrès. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Michel Le Scouarnec applaudit également.)

 
 
 

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Souhaits de bienvenue à une délégation du Guatemala

M. le président. Mes chers collègues, je suis particulièrement heureux de saluer en votre nom la présence dans notre tribune d’honneur d’une délégation du Guatemala. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que MM. les ministres, se lèvent et applaudissent.)

Cette délégation est conduite par le ministre de l’économie, M. Sergio de la Torre, accompagné, notamment, par M. Emmanuel Seidner, député, vice-président de la commission des relations extérieures du Congrès du Guatemala.

Cette délégation a rencontré des membres du groupe d’amitié France-Mexique et pays d’Amérique centrale, notamment M. Gérard Cornu, président de ce groupe, et M. Gérard Miquel, président délégué pour l’Amérique centrale. (Nouveaux applaudissements.)

Nous formons le vœu que cette visite soit profitable à nos amis guatémaltèques et conforte l’excellence des relations entre nos deux pays.

Nous leur souhaitons la plus cordiale bienvenue au Sénat français ! (Nouveaux applaudissements.)

M. François Trucy. Est-ce qu’on cumule, au Guatemala ? (Sourires sur les travées de l’UMP.)

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Clôture des scrutins pour l’élection de représentants à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe

M. le président. Mes chers collègues, il est quinze heures trente-cinq et je déclare clos les scrutins pour l’élection d’un membre titulaire et d’un membre suppléant représentant la France à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.

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Interdiction du cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur et le mandat de représentant au Parlement européen

Suite de la discussion en procédure accélérée d’un projet de loi organique et d’un projet de loi

M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi organique interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur et du projet de loi interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de représentant au Parlement européen.

Dans la suite de la discussion générale commune, la parole est à Mme Éliane Assassi.

 
 
 

Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, comme l’a souligné la commission de rénovation et de déontologie de la vie publique, dirigée par Lionel Jospin, le cumul des mandats est un sujet essentiel pour l’avenir de nos institutions. Il aurait de ce fait mérité un projet de loi plus ambitieux que celui qui va nous occuper. Cela étant, mon groupe soutiendra ce texte, car, bien qu’il soit incomplet, il s’inscrit dans l’exigence démocratique de la vie politique que nous avons toujours soutenue et affirmée autant que possible.

En 2008, par exemple, lors du débat parlementaire sur la réforme constitutionnelle, nous avions proposé un amendement visant à inscrire dans la Constitution le principe de la limitation du cumul des mandats électoraux. La majorité d’alors avait rejeté cet amendement, qui reprenait pourtant une proposition émise par le comité Balladur.

Si nous soutenons la limitation du cumul des mandats, nous considérons que des objectifs plus ambitieux sont indispensables si l’on veut relever les défis démocratiques majeurs que les lacunes de nos institutions laissent aujourd’hui sans réponse. J’y reviendrai.

Je voudrais, dans un premier temps, m’arrêter sur quelques aspects.

Des élus qui n’approuvent pas ce texte avancent l’argument d’un nécessaire ancrage local des élus nationaux. Ils craignent que la prohibition du cumul ne transforme les députés et les sénateurs en « professionnels du Parlement », moins capables, en quelque sorte, de représenter leurs électeurs. Ils craignent, en résumé, que les parlementaires ne soient coupés des réalités de la vie locale. Ce serait effectivement dommageable, il faut bien le reconnaître.

Toutefois, s’ils ont raison de se soucier du maintien d’un rapport régulier entre les parlementaires et les électeurs, je pense qu’il faut aller plus loin, en inventant des formes nouvelles d’immersion dans la vie locale, en associant la population aux choix qui la concernent, car la limitation du cumul des mandats ne peut se concevoir sans développement de la démocratie participative.

Mme Marie-France Beaufils. Ce sera nécessaire !

M. François Rebsamen. On l’a déjà fait !

Mme Éliane Assassi. Pourquoi, par exemple, ne pas prévoir l’obligation pour les parlementaires de venir présenter les projets de loi dans leur circonscription et d’en débattre avec les citoyens ? Pourquoi ne pas instaurer des conseils de circonscription ? Pourquoi ne pas prévoir que nos citoyens peuvent intervenir auprès de leurs représentants pour obliger le Parlement à examiner une proposition de loi émanant d’un nombre significatif d’électeurs ? Et ce ne sont là que quelques idées parmi d’autres.

Ne l’oublions pas, le vote de la loi n’appartient qu’au peuple tout entier, soit par référendum, soit par ses représentants au Parlement. Les décisions doivent donc être prises autrement. La souveraineté populaire doit cesser d’être confisquée. Il est urgent de redonner ce pouvoir à nos concitoyens si nous ne voulons pas voir perdurer la grave crise de la représentation politique que nous connaissons actuellement.

Certes, cette crise du politique vient essentiellement de la prise de pouvoir de l’économie sur la politique, sur le politique. Mais limiter le cumul des mandats, c’est aussi donner le pouvoir aux parlementaires de pleinement remplir leur mission. Soyons francs : le manque de temps, la précipitation et la surcharge renforcent considérablement, aussi, le pouvoir des lobbies, expression concrète du pouvoir économique.

Certains opposants au non-cumul des mandats agitent aussi le chiffon de la montée du Front national.

Je ne cesse de le répéter : le Front national se combat d’abord et avant tout sur le terrain des idées.

M. Éric Doligé. Comme l’extrême gauche !

Mme Éliane Assassi. Pour claquer la porte au nez des idéologies aux relents nauséabonds, il faut du courage – tout le monde n’en a pas ! –, il faut également savoir rassurer, répondre, échanger avec la population, afin d’atténuer les craintes d’une dégradation économique de notre pays.

Mais en aucun cas le Front national ne doit servir de prétexte – ce qui serait d’ailleurs lui donner bien de l’importance – pour fermer la porte aux débats institutionnels et à la nécessaire évolution de nos institutions.

Aucun des arguments avancés en la matière n’est donc convaincant. Au contraire, comme nous le constatons aujourd’hui.

Je vous parlais il y a quelques instants de la nécessité de réfléchir aux enjeux démocratiques de première importance mis à mal par la crise de la représentation. Je vous disais que les solutions que nous devons lui apporter dépassent largement la question de la limitation du cumul des mandats. En effet, en arrière-plan, se posent surtout les questions de la professionnalisation de la politique, de la concentration des pouvoirs, tant politiques qu’économiques d’ailleurs, entre les mains d’un petit nombre, du dessaisissement de la souveraineté populaire. Là sont les réels enjeux démocratiques !

Si l’on veut que le lien soit rétabli entre le peuple et ses institutions nationales, il faudra alors bien plus qu’une simple interdiction du cumul des mandats. Tout ce qui entrave l’expression démocratique de la souveraineté populaire doit être aujourd’hui déconstruit. Les modes d’élection, les pouvoirs doivent être réévalués à la mesure de la crise de la représentation actuelle.

Ainsi, et c’est un point crucial pour nous, le scrutin proportionnel doit, selon nous, devenir la règle. Je sais que tout le monde ne partage pas ce point de vue…

M. Éric Doligé. Il fait le jeu du Front national ! Mélenchon, Le Pen, même combat !

Mme Éliane Assassi. Vous n’avez pas entendu ce que je viens de dire : le Front national se combat sur le terrain des idées, et en ce moment, vous ne contribuez vraiment pas à ce combat-là !

Mme Éliane Assassi. Le mode de scrutin uninominal à deux tours tel qu’il existe aujourd’hui pour l’élection des députés, des conseillers généraux et de la moitié des sénateurs, favorise consensus politique, personnalisation, durée et cumul des mandats, et donc la professionnalisation de la politique.

Nous ne cessons de le dire, et nous l’avons encore redit hier, lors de l’examen du projet de loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes – peu de nos collègues masculins étaient présents ; je suppose qu’ils étaient pris par ailleurs… –, le scrutin proportionnel est le seul qui permet l’égal accès aux femmes et aux hommes aux mandats électifs.

On constate que, parmi les élus, ce sont les hommes qui cumulent le plus et qui exercent le plus grand nombre de mandats successifs. Cette situation fait barrage aux femmes, mais également aux jeunes, à la diversité sociale et à la diversité des origines.

Comment nos concitoyens ne se sentiraient-ils pas mal représentés, pour le moins, quand, dans sa composition, le Parlement n’est réellement plus représentatif de la société telle qu’elle est ? Au Parlement, les ouvriers, par exemple, se comptent sur les doigts d’une main. Les parlementaires sont de plus en plus âgés. La moyenne d’âge, en tout cas à l’Assemblée nationale, n’a cessé de croître depuis la Libération. Et nous sommes en 2013 !

M. Gérard Larcher. On vit plus longtemps !

Mme Éliane Assassi. Limiter ou interdire le cumul des mandats sans instaurer la proportionnelle laissera toute réforme progressiste de nos institutions au milieu du gué.

La reproduction des élites est un autre des problèmes majeurs de notre démocratie. Pour ma part, je pense que sont trop nombreux – parfois, mais plus rarement, trop nombreuses – celles et ceux qui sortent des mêmes écoles, qui ont suivi les mêmes cursus.

Cette professionnalisation de la politique est flagrante à l’échelle nationale, mais aussi dans les territoires. La décentralisation a donné des pouvoirs importants aux exécutifs locaux dans une très grande proximité avec les décideurs économiques qui font l’emploi. Certains maires de ville-centre de grosse agglomération sont en même temps présidents d’une importante intercommunalité ; d’autres sont présidents du conseil général ou régional. Les mandats électifs sont en outre souvent assortis de responsabilités locales diverses : présidence de conseils d’administration, de sociétés d’économie mixte, etc. Et ils peuvent rester longtemps en place puisque le renouvellement des mandats n’est pas limité et que le mode de scrutin favorise le localisme.

Il est clair, dans ces conditions, que leur assise locale, souvent assortie du cumul avec un mandat national, crée de véritables « féodalités » par rapport au pouvoir central, censé assurer l’égalité des citoyens et des territoires.

Mais allons plus loin encore.

À côté d’une Assemblée nationale qui serait élue au scrutin proportionnel, le Sénat n’aurait-il pas un rôle fondamental à jouer dans la mise en place d’une meilleure représentation et d’une plus grande participation des citoyens dans la diversité de leur implication aux décisions ? La deuxième chambre pourrait ainsi assurer à la fois la représentation territoriale et la représentation sociale, dont on parle peu. Elle pourrait, par exemple, être composée, pour une moitié, de représentants des collectivités locales élus au suffrage universel direct sur des listes départementales de candidats ayant une expérience élective dans une collectivité et, pour l’autre moitié, de représentants de « groupes sociaux » élus selon les mêmes modalités.

Que les choses soient claires : nous sommes pour le bicamérisme, mais ce doit être un bicamérisme utile, qui permet d’améliorer la qualité de la loi et, comme je l’ai indiqué, d’aboutir à une plus grande participation des citoyens dans la diversité de leur implication aux décisions.

Encore un point crucial manquant à cette réforme : pour que la politique cesse d’être une profession et devienne une activité sociale courante pour un nombre plus important de citoyens, qui pourraient, pendant une période de leur vie, exercer des mandats électifs, il est primordial d’instaurer un statut protecteur leur permettant de retrouver leur emploi après leur mandat ou d’accéder à une formation débouchant sur un nouvel emploi.

Oui, notre démocratie a besoin d’un véritable statut de l’élu, qui ne se limite pas aux seuls aspects financiers.

Il est aussi urgent de revenir sur la réforme du quinquennat et l’inversion du calendrier électoral. Entre autres conséquences, ce dispositif permet au Président de la République, c’est-à-dire à une personne, de concentrer dans ses mains de très grands pouvoirs, ce qui peut favoriser des dérives susceptibles d’être très préjudiciables à notre démocratie.

Je conclurai en rappelant que le cumul des mandats concerne tous les partis politiques sans exception, ce qui signifie que le mien n’y échappe pas… Ces pratiques sont la résultante d’un système institutionnel qui dessert le pluralisme. Il est difficile d’y échapper, même quand on les combat.

On entend ici et là que nous, élus communistes, aurions beaucoup à perdre d’un changement de pratique en la matière.

M. Bruno Sido. Oui, pour vous, ce sera très dur !

Mme Éliane Assassi. Épargnez-moi donc vos petites remarques à deux sous ! (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

Je vois bien que cela vous dérange un peu que l’on vous parle de démocratie et de valeurs ! (M. Bruno Sido s’esclaffe.)

Pour notre part, nous sommes très attachés à un certain nombre de valeurs. (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.) Peu importe si l’adoption du scrutin proportionnel n’est pas à notre avantage ! Peu importe si la question du cumul des mandats ne nous « rapporte » pas, comme disent certains ! Le problème n’est pas là ! Je me bats pour des principes et des valeurs auxquels je tiens. D’autres ici se battent pour d’autres valeurs, et c’est tant mieux !

Vous le voyez, mes chers collègues, notre soutien à ce projet de loi n’est pas un simple soutien à une promesse de campagne trouvant sa concrétisation. Il se fonde, j’y insiste, sur une conviction profonde : l’urgence d’une démocratisation de la vie politique sous tous ses aspects ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. François Zocchetto.

M. François Zocchetto. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, quand il est question de réformer nos institutions, les maîtres mots inspirant nos travaux devraient être la concorde, la confiance et la prudence. Malheureusement, je ne peux pas débuter mon propos sans évoquer les conditions déplorables dans lesquelles cette réforme est examinée par le Sénat.

Depuis la première réunion de la conférence des présidents où ce sujet a été abordé, nous n’avons cessé, avec d’autres présidents de groupe – je pense en particulier à Jacques Mézard, mais il n’est pas le seul –, de dénoncer un travail parlementaire réalisé à la hache avec, pour seule finalité, le fait d’arracher au forceps un texte dont les enjeux ne sont pas maîtrisés. Nous avons tout tenté pour rectifier le tir… Mais il n’y avait rien à faire !

Il est particulièrement surprenant de mépriser à ce point le Parlement lorsqu’il est question de transformer les conditions mêmes de l’exercice du mandat parlementaire !

Ce contexte de travail difficile tient d’abord, bien sûr, au recours à la procédure accélérée, alors même que les dispositions examinées ont vocation à entrer en vigueur en... 2017 ! (M. Alain Gournac s’esclaffe.)

Serait-ce donc là que se situe l’urgence pour le Gouvernement, et pas dans la désindustrialisation qui lamine notre économie, la lutte contre le chômage ou encore l’insécurité et ses conséquences sur notre pacte social ?

M. Alain Dufaut. Très bien !

M. François Zocchetto. En réalité, cette procédure accélérée n’a qu’un seul objectif : brider le Parlement, brimer le Sénat, limiter au maximum le travail qui pourrait ressortir de notre assemblée. Le Gouvernement a effectivement compris que le Sénat était plutôt réticent, pour ne pas dire rétif, devant ses propositions et qu’il valait mieux ne pas laisser ses membres s’exprimer trop longtemps.

La méthode est donc claire depuis le début : allons vite, le plus vite possible, à l’étape du dernier mot donné à l’Assemblée nationale, afin que les députés adoptent définitivement le texte qu’ils ont voté le 9 juillet dernier ! D’ailleurs, certains d’entre eux s’étaient empressés d’annoncer, dès cette date, que la réforme du non-cumul des mandats étaient adoptée. Et les propos que vous avez tenus tout à l'heure à la tribune, monsieur le ministre, allaient tout à fait dans le même sens puisque vous nous avez dit en fait : « Circulez, y’a rien à voir ! Tout est déjà décidé ! » (Vifs applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP. – M. Raymond Vall applaudit également.)

Quant à mes éminents collègues président et rapporteur de la commission des lois, ils doivent convenir que l’élaboration du rapport a été tout aussi expéditive ! Ceux qui ne sont pas membres de cette commission seront peut-être intéressés de savoir que le rapporteur a été désigné dans les tout derniers jours de la précédente session et que le rapport a été examiné dans les tout premiers jours de la présente session, ce qui n’a laissé qu’un mardi après-midi pour procéder à quelques auditions. D’ailleurs, le rapport était prêt pour son examen en commission dès le lendemain de ces auditions ! Bravo, monsieur le rapporteur ! Nous savions que vous avez de grandes qualités, mais, là, tous les records sont battus ! (Applaudissements sur les mêmes travées.)

Selon l’article 46 de la Constitution, « les lois organiques relatives au Sénat doivent être votées dans les mêmes termes par les deux assemblées ». Je ne me lancerai pas dans une exégèse des dernières décisions du Conseil constitutionnel, mais il y a matière à réfléchir…

M. Simon Sutour, rapporteur. Et pour cause !

M. François Zocchetto. Ne devrions-nous pas procéder autrement ? Le Conseil constitutionnel ne pourrait-il pas considérer que devraient nous être soumis, en l’espèce, non pas un, mais deux projets de loi organique ? Il répondra à cette question s’il est saisi !

M. Bruno Sido. Il le sera !

M. François Zocchetto. Évidemment, tout cela n’est pas du tout sérieux et dégrade l’image du Parlement. Alors que ce sujet est essentiel pour son avenir, et plus généralement celui de nos institutions, et que rien n’imposait, au fond, une telle urgence, il est scandaleux – je pèse mes mots – que le débat soit aussi contraint.

Les sénateurs de notre groupe estiment qu’une réflexion complète sur la question du cumul ne peut se limiter à la situation des parlementaires. Il est impératif d’étudier aussi la question de l’exercice concomitant de plusieurs mandats locaux, et ce n’est pas la première fois que nous faisons cette remarque. Ce fameux cumul horizontal, cher notamment à Mme Martine Aubry, doit être revu. Or ce thème n’est absolument pas abordé dans les textes que vous nous présentez, monsieur le ministre.

En réalité, vos arguments sont assez limités.

Le principal d’entre eux est celui d’une prétendue « modernité » du système proposé,…

M. François Zocchetto. … par opposition au droit positif actuel, qui serait donc dépassé. Vous ne craignez pas de le qualifier de « ringard » et avez insisté, à maintes reprises, sur la nécessité de ne pas rater le « train de la modernité ». Convenez que cet argument est bien faible – je ne suis pas certain qu’il vous convainque vous-même –, car il sous-entend que le système actuel n’est pas démocratique.

Il semblerait aussi que certains d’entre vous, mes chers collègues, n’aient pas compris la spécificité de la Ve République. Dès lors que l’État est omniprésent et omnipotent, dès lors que tous les leviers de commandement sont concentrés dans les mains de l’exécutif, il n’est pas étonnant que la première tentative de rééquilibrage des institutions ait été, pour les parlementaires, de s’affranchir de la mainmise du Gouvernement avec le soutien du terrain et la connaissance de ses réalités.

D’ailleurs, vous vous en êtes bien rendu compte, monsieur le ministre puisque – c’est un simple rappel, et non une critique – vous étiez encore, voilà peu, député de la première circonscription de l’Essonne, maire d’Évry, président de la communauté d’agglomération Evry Centre Essonne, pour ne citer que ces fonctions… (Exclamations amusées sur les travées de l’UDI-UC et de l'UMP.)

M. Alain Gournac. Il a oublié !

M. François Zocchetto. Il est vrai que, depuis, vous êtes passé du côté de l’omnipotence du pouvoir exécutif !

Un sénateur du groupe socialiste. Quelle omnipotence ? Et le Parlement ?

M. François Zocchetto. On peut légitimement poser la question du cumul ou du non-cumul des mandats. Mais faire croire qu’il y aurait, par nature, un système supérieur à l’autre, surtout sans faire de connexion avec la réalité institutionnelle, c’est engager un faux débat. En revanche, les choix que vous proposez auront des conséquences institutionnelles importantes et personne ne sait dans quelle mesure le travail parlementaire sera soutenable avec des assemblées composées d’élus « hors-sol ». Vous n’aimez pas ce terme, je le sais, mais il correspond à la réalité de ce que seront ces assemblées.

Il suffit de regarder les statistiques pour constater qu’il n’y a aucune corrélation entre le fait de cumuler les mandats et le fait d’être un bon parlementaire. Tous les cas de figure existent.

M. Bruno Sido. Exactement !

M. François Zocchetto. C’est d’ailleurs cette diversité qui enrichit le processus démocratique.

Aucune réflexion n’a été menée quant à l’évolution des prérogatives et des méthodes de travail parlementaire après une telle réforme.

Les parlementaires disposeront-ils de moyens de contrôle plus importants, ce qui signifierait que, à budget constant, il faudrait diminuer leur nombre ? Nous attendons les explications du Gouvernement à ce sujet car, pour l’instant, nous n’avons rien entendu.

Deuxième grand argument invoqué : dans les autres démocraties occidentales, il n’y aurait pas de cumul. Permettez-moi de vous rappeler, comme M. le rapporteur l’a d’ailleurs fait tout à l’heure très honnêtement, que, dans une majorité de pays fonctionnant comme le nôtre, le cumul n’est absolument pas interdit : simplement, il n’est pas pratiqué ou n’est pratiqué que par une minorité de parlementaires. Pourquoi ? Parce que l’organisation des pouvoirs publics dans un pays comme la France n’a rien à voir avec ce qu’elle est dans des pays comme l’Allemagne ou l’Italie, pour ne parler que de deux de nos voisins. La tradition du centralisme français n’existe pas dans les pays où, curieusement, le cumul des mandats n’existe pas !

Par ailleurs, on ne peut pas parler du cumul des mandats sans évoquer le statut de l’élu, véritable serpent de mer de notre vie politique.

Le débat qui s’ouvre aujourd’hui est également, en filigrane, un débat sur la décentralisation, ou plus exactement sur la relation entre nos territoires, nos collectivités et le pouvoir central. N’ayons pas peur de le dire, notre pays n’est pas réellement décentralisé, et c’est bien parce que la majorité des décisions politiques sont prises à Paris que les élus locaux, toutes tendances politiques confondues, ont depuis longtemps compris l’importance de détenir un mandat parlementaire les rapprochant des vrais lieux de pouvoir et augmentant ainsi l’efficacité de leur action. Sans cela, comment seraient-ils si souvent élus et réélus ?

On ne peut donc faire l’économie d’une réflexion sur l’équilibre des pouvoirs au sein de notre démocratie. Dans notre régime hyper-présidentialisé, la présence de responsables d’exécutifs locaux au Parlement contribue à cet équilibre.

À cet égard, on peut se référer à cet extrait d’un article d’un auteur universitaire : « L’exception française du cumul des mandats est donc une réponse, imparfaite certes, mais un incontestable contrepoids à l’exception française du cumul des pouvoirs, de la concentration extrême des pouvoirs entre les mains du Président de la République. Il ne faut donc pas interdire le cumul des mandats sans réduire en parallèle les pouvoirs du président et rééquilibrer nos institutions. »