Mme la présidente. La parole est à M. François Zocchetto.
M. François Zocchetto. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme nous l’avons souligné à maintes reprises, nous regrettons la précipitation dans laquelle nous examinons ces deux textes depuis plusieurs semaines. Nous connaissons les raisons d’un tel état de fait. M. le ministre a d’ailleurs eu l’honnêteté de le reconnaître spontanément.
Sans l’affaire Cahuzac, les choses ne seraient pas passées ainsi. Nous aurions pu poursuivre le travail engagé depuis plusieurs années par le Parlement, notamment par le Sénat, en vue d’assurer une meilleure transparence des patrimoines et, plus généralement, des activités de tous ceux qui sont chargés d’une mission publique. Je regrette donc une nouvelle fois que le Gouvernement ait choisi de recourir à la procédure accélérée. Comme nous avons pu le constater, elle n’a pas permis un débat serein et a instauré une certaine confusion en commission et en séance publique. De plus, de manière plus générale, la procédure accélérée est préjudiciable au Sénat en tant qu’institution.
M. Gérard Longuet. C’est bien vrai !
M. François Zocchetto. Nous savons dès la lecture au Sénat – une seule, par définition ! – que notre sort est lié au texte voté par l’Assemblée nationale. J’ai en tête les déclarations de certains députés socialistes, et non des moindres, expliquant que le projet de loi organique sur le cumul des mandats était de toute manière adopté « définitivement » et que le texte voté à l’Assemblée nationale serait celui qui s’appliquerait in fine… Dans ces conditions, vous comprenez pourquoi les sénateurs n’approuvent pas du tout le choix du Gouvernement, monsieur le ministre.
Au demeurant, non seulement le Sénat n’a rien à se reprocher sur la transparence, mais il a même des propositions très concrètes à formuler. Comme vous le savez, nous avons été les premiers à mettre en ligne certains éléments de patrimoine susceptibles de présenter des risques de conflit d’intérêts et à rendre publiques nos activités. Cela s’est passé très calmement, sans difficulté, et nous en sommes pleinement satisfaits.
J’en viens au texte lui-même.
À l’instar de Mme Tasca lors de son intervention voilà quelques jours ou de notre rapporteur à l’instant, je préfère retenir les apports du Sénat et adopter une attitude positive. En effet, à en juger par les amendements qui ont été repris par l’Assemblée nationale, nous pouvons nous targuer d’avoir effectué un travail reconnu sur de nombreux points. Je pense en particulier à la question des conflits d’intérêts.
D’aucuns pourraient qualifier d’« essentiellement techniques » nos apports. Or ces dispositions découlent d’une démarche réfléchie, fondée sur une volonté de maintenir un équilibre des pouvoirs et de respecter l’autonomie du Parlement, en particulier celle du Sénat. C'est la raison pour laquelle notre groupe soutiendra plusieurs amendements de la commission qui vont, nous semble-t-il, dans le sens du renforcement ou du maintien d’un certain nombre de prérogatives du Parlement par rapport à l’exécutif.
Parmi les apports du Sénat, je citerai bien évidemment la publication de la réserve parlementaire. Même s’il s’agit désormais d’un non-événement, autant le formaliser. Maintenant que les parlementaires vont donner l’exemple, trouvons très rapidement une formule pour que soient aussi connues de nos concitoyens ce qu’on appelle abusivement – je sais bien que cela ne correspond pas à un terme juridique – la « réserve présidentielle » et les « réserves ministérielles »,…
M. Gérard Longuet. Les réserves ministérielles existent !
M. François Zocchetto. … d’autant que les ordres de grandeur ne sont pas comparables.
Mme Catherine Procaccia. C’est beaucoup plus !
M. Gérard Longuet. Mais la transparence c’est pour les autres, pas pour la présidence !
M. François Zocchetto. Je souhaite formuler deux remarques à titre personnel.
Tout d’abord, cet après-midi, nous allons examiner un amendement relatif au nom des collaborateurs. Monsieur le rapporteur, alors que nous devrons fournir toute une série d’informations, j’ai pour ma part du mal à comprendre que nous puissions dissimuler les noms de nos collaborateurs, comme si nous avions quelque chose à cacher. Nous ne pourrons pas en rester là !
Ensuite – cette remarque n’engage pas les autres membres de mon groupe –, il est très prétentieux et probablement vain de vouloir enfermer la notion de conflit d’intérêts dans une définition limitée. Je suis plus proche de la définition retenue par l’Assemblée nationale, plus large et susceptible de mieux prendre en compte toutes les situations de conflits d’intérêts, que de celle que nous pensons devoir adopter au Sénat.
M. Jean-Jacques Hyest. Merci pour le groupe de travail !
M. François Zocchetto. Monsieur Hyest, je vous le rappelle, je m’exprime à titre personnel.
M. Jean-Jacques Hyest. Vous en avez le droit !
M. François Zocchetto. La notion de conflit d’intérêts est sans limite et il est très difficile d’en donner une définition exacte.
M. Jean-Jacques Hyest. Il ne faut pas qu’elle soit trop large !
M. François Zocchetto. De plus, bien que nous parlions tous ici d’expérience, nous n’avons pas mentionné que le risque de voir apparaître un conflit d’intérêts concerne principalement les fonctions exécutives, sur le plan tant local que ministériel, et très peu, me semble-t-il, le mandat parlementaire, car, comme l’ont très bien relevé plusieurs de nos collègues, toutes tendances politiques confondues, lors des travaux en commission, nous avons très peu de pouvoir et nous ne prenons aucune décision qui puisse porter grief.
En conclusion, je dirai que nous devons rester lucides : même si les textes que nous examinons essaient de lutter contre les turpitudes, les mensonges ou l’avidité inhérents à certains individus, ils ne les élimineront certainement pas. Dans ces conditions, en raison de quelques divergences de vue, la quasi-totalité des membres de l’UDI-UC s’abstiendront sur l’article 1er. À titre personnel, je pense que lorsque les esprits seront prêts et sereins, la nécessité de la publication s’imposera, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.
Sur l’ensemble du texte, comme lors de la première lecture, majoritairement, les membres du groupe UDI-UC s’abstiendront. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, plus que jamais, et surtout au vu de la première lecture au Sénat, la déontologie de la vie publique constitue une valeur cardinale à laquelle les membres de mon groupe sont viscéralement attachés. Servir l’État, sous toutes ses formes, implique une responsabilité accrue.
Comme nous n’avons cessé de le répéter et comme nous le ferons encore, les manquements, les collusions entre intérêts publics et privés, les conflits d’intérêts doivent être traqués et sévèrement punis. Vous le savez, cela implique de donner à la Haute Autorité les moyens de mener sa mission de façon approfondie en la dotant de pouvoirs d’enquête puissants. La vraie transparence consiste à pouvoir contrôler l’origine d’un patrimoine, à s’assurer de son évolution et à faire en sorte que les parlementaires ne puissent exercer d’autres activités que celles pour lesquelles ils ont été élus.
Encore faut-il s’entendre sur ce que recouvre cette déontologie de la vie publique, que l’on nous a tant vantée, comme si la faute d’un ministre, qui appartenait d’ailleurs au parti dominant de la majorité, devait être éternellement expiée par les parlementaires et les responsables publics…
M. Gérard Longuet. Ça, c’est vrai !
M. Jean-Claude Requier. … ou encore comme si la transparence, qui confine à l’incantation, impliquait de se mettre totalement à nu et de s’accuser de tous les maux.
Monsieur le ministre, nous partageons votre point de vue selon lequel les élus de la République et les membres du Gouvernement sont redevables devant le peuple d’une exemplarité et d’une probité indiscutables. En revanche, nous ne vous suivons plus lorsque, par un discours construit sur l’amalgame plus ou moins subliminal, vous entretenez sciemment une regrettable confusion entre le comportement déviant de quelques détenteurs de l’autorité publique et les représentants de la nation, les responsables d’exécutifs ou les hauts fonctionnaires, jetés en pâture à une opinion qui n’en demande pas tant, présentés comme des profiteurs éhontés des deniers publics ou des délinquants présomptifs.
Vous nous avez dit qu’il était impératif de lutter contre le sentiment d’antiparlementarisme qui gagne le pays et que les deux projets de loi que vous nous soumettez sont précisément votre réponse à la contestation croissante de tout ce qui s’apparente aux institutions. Mais, tel un Pyrrhus pyromane, le Gouvernement a surtout donné l’impression de réagir dans la panique, sous la pression médiatique, et de vouloir faire voter dans l’urgence des textes bancals qui ne servent qu’à calmer l’opinion publique, du moins en apparence. De ce fait, vous allez alimenter le sentiment de défiance envers les élus, sentiment que vous étiez supposé combattre.
S’abriter derrière le rapport remis par la commission Jospin relève d’une posture contestable. En effet, aucun élu n’a siégé dans cette commission, dont les conclusions concernent pourtant les représentants de la nation.
Selon nous, ce débat sur la transparence aurait mérité au moins une concertation approfondie et la recherche d’un véritable consensus. J’ajoute, comme l’a mentionné Roger-Gérard Schwartzenberg à l’Assemblée nationale, que la commission Jospin écrivait dans son rapport : « la commission ne juge pas souhaitable d’amender le régime applicable aux déclarations de patrimoine, qui doivent rester confidentielles. » M. le rapporteur aurait-il opté pour une lecture très sélective du rapport de cette commission ?
Mes chers collègues, l’Assemblée nationale est revenue à l’essentiel des positions qu’elle avait adoptées, n’intégrant in fine que les dispositions les plus coercitives votées par le Sénat, notamment et malheureusement, à l’article 1er du projet de loi organique, la question de la publication du patrimoine des élus, contrairement à la préconisation du rapport Jospin, que je viens de rappeler.
Monsieur le ministre, il est tout à fait normal que les responsables publics de notre pays soient astreints à rendre des comptes s’agissant de leur patrimoine et à déclarer celui-ci à une autorité indépendante qui pourra en vérifier l’exactitude et l’évolution. Mais permettre la publication du patrimoine correspond ni plus ni moins à du voyeurisme et ne fera qu’exacerber aigreurs et acrimonie à l’encontre d’élus qui n’en ont aujourd’hui pas besoin.
Ne caricaturez surtout pas notre position en la qualifiant de rétrograde, de ringarde ou en l’estimant mâtinée d’un besoin de dissimulation. Il n’en est rien, bien au contraire, puisque nous sommes favorables à la plus grande sévérité contre les dissimulateurs, fraudeurs et autres tricheurs.
L’Assemblée nationale a choisi un système byzantin de consultation des déclarations en préfecture ouvert à des électeurs aussitôt astreints à un silence monacal, digne de la règle bénédictine ; comme l’a dit M. le rapporteur en commission, ce qui est universellement consultable peut difficilement ne pas être divulgué, surtout à l’heure d’internet et des pseudos si commodes. De son côté, la commission des lois du Sénat a opté pour une version maximaliste de publication intégrale au Journal officiel.
Pour notre part, nous défendrons avec conviction un amendement similaire à celui que nous avions déposé en première lecture visant à ne prévoir une publication au Journal officiel par la Haute Autorité qu’en cas d’insuffisances, d’inexactitudes ou d’anomalies relevées dans les évolutions des patrimoines ou dans les déclarations. Je ne doute pas, cette fois, qu’aucune irrecevabilité surprise de dernière minute ne nous sera opposée, sauf à vouloir franchir une fois de plus les limites de l’incorrection et empêcher le Sénat de se prononcer sereinement…
Monsieur le ministre, mes chers collègues, nous ne renierons évidemment pas les positions qui furent les nôtres dès la première lecture. Nous les avons clairement affichées, et en toute transparence ! Nous nous y tiendrons, conformément à nos convictions, à notre éthique de la responsabilité et à la haute idée que nous nous faisons de la loi de la République. Car, mes chers collègues, en notre qualité de législateur, il nous appartient, lorsque nous siégeons dans cet hémicycle et avant chaque vote, de toujours contredire et faire mentir Platon, qui estimait que ceux qui font les lois ce sont les faibles, et c’est la multitude. Oui à la déclaration et au contrôle ! Non au voyeurisme et au populisme ! (M. Gérard Longuet applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Hélène Lipietz.
Mme Hélène Lipietz. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous en conviendrez avec moi, les rebondissements multiples auxquels nous avons assisté au cours de l’examen des projets de loi relatifs à la transparence lors des trois dernières semaines avaient quelque chose de désolant.
De surcroît, les textes d’une grande complexité s’enchaînent à grande vitesse. Nous avons tous en mémoire les examens marathon du projet de loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, ou encore, auparavant, de la réforme des modes de scrutin, dans des délais qui confinent souvent à l’absurde.
Par exemple, comment voulez-vous effectuer un travail sérieux lorsque le délai entre le pastillage d’un texte et le dépôt des amendements est inférieur à trois heures ? Quand le pastillage d’un texte non encore déposé officiellement sur le bureau du Sénat puisqu’il n’est pas encore adopté à l’Assemblée nationale est effectué à la hâte ? Lorsque le pastillage change entre le matin lors des travaux de la commission – il s’agit alors, faute de temps, du pastillage de l’Assemblée nationale – et l’après-midi à la suite du dépôt des amendements extérieurs – il s’agit du pastillage de la séance, évidemment différent de celui de l’Assemblée nationale, même pour un texte identique, puisqu’il avait été rejeté en commission le matin même. Ouf !
Tout cela participe probablement de l’objectif de faciliter la tâche de tout le monde, ou alors de nous décourager... Quoi qu’il en soit, nous avons tout de même fait le travail !
Je remercie et félicite, d’abord et avant tout, les services de la commission des lois, nos petites mains gauches, de leur travail. Je remercie et félicite aussi nos propres assistants parlementaires, nos petites mains droites. Que serions-nous sans eux ?
Certes, M. le président de la commission des lois est un chef d’orchestre attentif et bonhomme, qui sait diriger avec diplomatie les multiples registres qui permettent à l’orchestre parlementaire de ne pas virer à la cacophonie, malgré une partition gouvernementale quelque peu défaillante. Que l’on soit cuivre ou corde, colorature ou baryton léger, nous avons tous pu faire entendre notre voix. Qu’il en soit remercié, lui aussi.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. C’est trop d’éloges ! J’en suis confus et j’en rougis !
Mme Hélène Lipietz. Toutefois, on peut légitimement se demander : « Pourquoi un tel tempo endiablé ? Où est l’urgence ? » Comme je l’avais évoqué en première lecture, les problèmes de société, comme la déontologie parlementaire, ont existé de tout temps. Vont-ils disparaître sous l’effet de lois, votées en urgence, dans la précipitation et l’énervement ? Si la loi avait le pouvoir de rendre meilleur les hommes, depuis Hammourabi ou Moïse, cela se saurait !
La partition gouvernementale est chaotique. Les yeux dans les yeux, monsieur le ministre chargé des relations avec le Parlement, vous vous disiez prêt à nous accompagner ce mois d’août dans le travail de réécriture de la future loi, tant l’urgence et la nécessité de recourir à la procédure accélérée étaient établies, selon vous. Mais, sans doute prêtant l’oreille aux couacs législatifs, que je ne rappellerai pas, vous avez tout à coup considéré que l’urgence pour les députés pouvait attendre le mois de septembre. Et j’en suis d’accord !
Je me réjouis d’ailleurs que nos collègues députés aient un mois et demi supplémentaire pour réfléchir à l’incongruité de la pénalisation, émanant d’eux, de la publication des patrimoines, alors même que ceux-ci pourront être publiés depuis l’étranger.
Telle qu’elle est définie aujourd’hui, la consultation des patrimoines est un faux-semblant qui entraînera au moins deux effets pervers.
Le premier est une rupture d’égalité entre les citoyens qui résident sur le territoire et ceux qui résident en dehors du territoire. Je vous proposerai d’ailleurs un amendement pour y remédier.
Le second effet négatif est l’interdiction de travailler pour les journalistes français, qui seront contraints de regarder leurs collègues étrangers publier nos patrimoines et en faire l’analyse, alors qu’eux-mêmes ne pourront pas écrire une seule ligne sur le sujet.
Je sens que nous allons encore chuter dans le classement mondial de la liberté de la presse réalisé chaque année par Reporters sans frontières. Nous sommes aujourd’hui au trente-septième rang, entre l’Espagne et le Salvador, après être tombés à la quarante-quatrième place, derrière le Surinam, en 2010. Avouez que, pour la patrie des droits de l’homme et de la liberté d’expression, c’est un peu triste !
Il reste un dernier amendement que je n’ai pu déposer, faute de temps. Il me tient pourtant à cœur, en cette fin de session exceptionnelle – pardon, extraordinaire, à plus d’un titre d'ailleurs. J’en ai eu l’idée un peu tard, et il ne fait donc pas partie de la liasse des amendements, mais je ne résiste pas à l’envie de vous le présenter. Je ne sais pas si le droit parlementaire vous permettra de le voter, mais je tente ma chance quand même.
Je pense qu’il serait de bon aloi que l’on instaure un contrôle antidopage obligatoire à chaque fin de session extraordinaire, afin de sanctionner d’une suspension d’un texte de loi, ou d’une session en cas de récidive, les sénateurs qui ont eu recours à des substances stimulantes ou illicites…
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Nous ne buvons que de l’eau, pétillante, certes, mais de l’eau !
Mme Hélène Lipietz. … pour supporter notre rythme inhumain, sous une chaleur caniculaire,…
M. Gérard Longuet. L’hémicycle est climatisé !
Mme Hélène Lipietz. … dans une atmosphère parfois orageuse. (M. le rapporteur applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Louis Masson.
M. Jean Louis Masson. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais tout d'abord vous faire part du profond mécontentement que m’inspire le déroulement de nos travaux, et je pense que je ne suis pas le seul dans ce cas. Je crois que je n’avais jamais vu ça en trente ans de vie parlementaire.
Alors que, de l’avis même du Gouvernement, il s’agit d’un dossier important, le planning a été bousculé au dernier moment. La date d’examen des deux projets de loi a été fixée à aujourd'hui, ce qui ne nous a pas laissé le temps de modifier notre emploi du temps. Et l’ordre du jour a été modifié une nouvelle fois il y a deux jours : le débat, qui était prévu pour cet après-midi, a été avancé à ce matin !
Si je n’avais pas téléphoné à la direction de la séance, pour des problèmes d’amendements, je serais arrivé à quatorze heures trente – on ne consulte pas systématiquement internet pour savoir si le Gouvernement ou la conférence des présidents a décidé de faire des changements dans l’ordre du jour – et j’aurais donc manqué la discussion générale. Ce n’est vraiment pas du travail sérieux.
En outre, hier, jusqu’à deux heures de l’après-midi, il était impossible d’obtenir le texte de la commission.
M. Jean-Jacques Hyest. Il n’y en avait pas !
M. Jean Louis Masson. La commission n’ayant pas adopté de texte, nous n’avons eu que deux heures pour préparer nos amendements. Ce ne sont pas de bonnes conditions de travail ! Je le dis, monsieur le ministre, ce n’est vraiment pas sérieux, d’autant que le Gouvernement présente ces deux projets de loi comme la panacée éternelle.
Au-delà de ces problèmes de forme, je déplore qu’on ait tendance à prendre les parlementaires comme boucs émissaires des dérives d’un ministre.
M. Gérard Longuet. C’est exactement ça !
M. Jean Louis Masson. Comme je l’ai déjà dit en première lecture, nous payons les pots cassés de M. Cahuzac.
Lorsqu’un parlementaire est honnête, lorsque la commission de contrôle a constaté que tout allait bien, je ne vois pas ce qu’apporte le fait de publier sa vie privée, d’en étaler des tartines. Une femme parlementaire qui s’est fait offrir un bijou de grande valeur – c’est son droit, chacun a sa vie privée – sera donc obligée de dire qui le lui a offert.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Ce n’est pas vrai, ce n’est pas prévu par les projets de loi !
M. Gérard Longuet. Si, implicitement !
M. Alain Richard. Quelle imagination !
M. Jean Louis Masson. Il faudrait savoir : ou vous déclarez tout, ou vous ne déclarez pas tout. Mais alors cela revient à agir comme M. Cahuzac. Si c’est ça la démocratie au sens du Gouvernement, c’est honteux ! On ne réglera rien en demandant aux parlementaires comment ils ont financé tel ou tel achat.
De toute manière, même si les dispositions des deux projets de loi avaient été en vigueur à l’époque, M. Cahuzac n’aurait pas déclaré les sommes en cause. Par conséquent, ces textes ne servent à rien. Ils servent uniquement à embêter les parlementaires honnêtes et certainement pas à embêter les parlementaires qui ont planqué de l’argent à l’étranger. Ce ne sont pas ces projets de loi qui vont les pousser à déclarer l’argent qu’ils n’ont pas déclaré jusqu’à présent. Tout ça est profondément désagréable et désobligeant à l’égard des parlementaires.
Sur ce dossier, un certain nombre de nos collègues ont une attitude quelque peu ambiguë. J’admets très bien qu’on se déclare favorable à la publication, qu’on veuille tout mettre sur la place publique, y compris la couleur des soutiens-gorge ou des chaussettes.
Mme Hélène Lipietz. Comme c’est intéressant…
M. Jean Louis Masson. Mais qu’on ne vienne pas ensuite nous dire qu’on voudrait un peu protéger l’intimité. Qu’on ne vienne pas non plus nous dire que, les informations pouvant se retrouver sur internet, il vaut mieux supprimer toutes les sanctions liées à la publication. Même si les sanctions ne sont pas totalement efficaces, c’est quand même mieux que rien. Venir hypocritement nous dire qu’on supprime toutes les sanctions, parce que, de toute manière, elles ne servent à rien, c’est comme si on voulait supprimer la sanction pénale pour le vol au motif qu’il y en a tellement qu’on n’arrive pas à arrêter les voleurs !
Je le dis très clairement, je voterai contre l’article 1er du projet de loi organique et contre les deux projets de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Jacques Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je dirai autrement ce qui a déjà été dit : comment légiférer pour éviter de répondre à la question posée par un scandale politico-financier ? C’est exactement ce qu’on nous propose.
On examine une avalanche de textes en procédure accélérée. Je n’ai jamais dit que cette procédure ne pouvait pas être utile pour des textes mineurs, mais elle ne convient certainement pas à des sujets aussi importants que la transparence de la vie publique ou la fraude fiscale. Le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale ressemble d'ailleurs un peu aux textes que nous examinons aujourd'hui, puisqu’il s’agit de créer un procureur spécial, ce qui introduirait une bizarrerie dans notre équilibre judiciaire, afin de donner un signal politique, même si cela ne résout rien du tout.
Monsieur le ministre, la seule chose qu’on aurait pu faire, c’est de donner des moyens à la commission pour la transparence financière de la vie politique. Les rapports successifs indiquent en effet qu’elle n’a pas les moyens d’effectuer ses vérifications. Si les projets de loi dont nous débattons prévoyaient de donner à cette commission le droit d’aller vérifier auprès des administrations fiscales si les déclarations de patrimoine sont bien conformes à la loi, je les voterais certainement.
Au lieu de cela, on crée une Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. On pense régler le problème des patrimoines, alors qu’on n’apporte rien. Qu’est-ce qui est important ? Ce n’est pas de connaître le patrimoine d’un élu, c’est de savoir s’il s’est enrichi indûment. Ce qui est important, c’est de vérifier qu’il n’y a pas eu d’enrichissement injustifié entre le début et la fin du mandat. C’est la seule chose qui compte ! Or la loi de 1988 le permet,…
M. Gérard Longuet. Elle le permet parfaitement !
M. Jean-Jacques Hyest. … et on aurait pu l’améliorer.
Je ne comprends pas ce débat sur la publication. Il y a d'ailleurs quelque chose d’amusant : l’Assemblée nationale a dit qu’il n’était pas question de publier les déclarations de situation patrimoniale et d’intérêts ; les députés, et notamment, semble-t-il, le président de l’Assemblée nationale, ont tenu fermement leur position, selon laquelle on pourra consulter les déclarations, mais non les publier. Un tel système existe déjà dans notre droit, en matière d’impôt sur le revenu ; cela ne me choque pas.
Certains, dans notre assemblée, réclament la publication tout en sachant qu’il n’y aura pas de publication, puisque c’est l’Assemblée nationale qui va gagner sur ce sujet. Or, malgré les efforts de notre rapporteur, je doute que l’Assemblée nationale change de position.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. L’Assemblée nationale pourrait reprendre notre amendement !
M. Jean-Jacques Hyest. Cela m’étonnerait beaucoup.
M. Alain Richard. Il restera la publication volontaire !
M. Jean-Jacques Hyest. Le projet de loi organique comporte un défaut important s'agissant des conflits d’intérêts. Je vous le rappelle, même si certains le contestent, le Sénat a fait un gros travail en la matière et la plupart des préconisations de la mission d’information de 2011 ont été mises en œuvre par notre assemblée depuis son dernier renouvellement.
Là non plus, je ne vois pas l’intérêt de la Haute Autorité. Les conflits d’intérêts sont l’affaire du Parlement. Le rôle de la Haute Autorité pose en outre un problème de séparation des pouvoirs.
Mme Jacqueline Gourault. Je suis assez d'accord !
M. Jean-Jacques Hyest. Il ne s’agit pas de constater des délits mais d’apprécier, sur le plan de la déontologie, si une activité peut générer un conflit d’intérêts. On oublie un peu de le dire, mais c’est quand même de ça qu’il s’agit.
On nous propose de rendre consultable la liste des activités exercées. Il y aurait beaucoup à dire sur les incompatibilités. Je note également qu’on ne pourra exercer pendant son mandat que les activités qu’on exerçait avant le début du mandat. Cela sera compliqué pour certains. Il peut y avoir des évolutions de carrière. Autant interdire totalement aux parlementaires d’exercer une activité professionnelle. C’est le cas aux États-Unis, mais le contexte est différent. Dans notre système, je crains que cela n’appauvrisse un peu le Parlement et que l’on finisse par ne plus avoir, en guise de parlementaires, que des émanations des partis politiques.