M. le président. La parole est à Mme la rapporteur.
Mme Isabelle Pasquet, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui, en réponse à une décision du Conseil constitutionnel du 27 juillet 2012, sécurise les modalités d’exercice des recours juridictionnels contre les arrêtés d’admission en qualité de pupille de l’État.
Chaque année, un peu plus de 1 000 enfants deviennent pupilles de l’État en raison de la situation d’abandon dans laquelle les place l’incapacité de leur famille à assumer leur prise en charge. Il s’agit pour beaucoup d’enfants nés sous X ou qui ont fait l’objet d’une déclaration judiciaire d’abandon. Au total, 2 345 enfants, âgés en moyenne d’un peu plus de sept ans et demi, avaient le statut de pupille de l’État en 2011.
Trois acteurs interviennent auprès des pupilles, avec notamment pour mission d’élaborer pour chacun un projet d’adoption dans les meilleurs délais : le préfet, désigné comme tuteur ; le conseil de famille, composé de représentants du conseil général, d’associations et de personnalités qualifiées, qui assiste le préfet dans l’exercice de sa tâche ; le service de l’ASE, qui assure la prise en charge de l’enfant.
Une conséquence essentielle de l’acquisition du statut de pupille de l’État est d’ouvrir la voie au placement en vue de l’adoption. Celui-ci n’intervient pas systématiquement, mais en constitue le prolongement logique et, dans de nombreux cas, souhaitable.
Dès lors, la possibilité pour les parents ou les proches de l’enfant de contester l’arrêté d’admission en qualité de pupille de l’État revêt une importance particulière. Elle est en quelque sorte une dernière chance offerte à ces personnes de renouer avec l’enfant des liens que le placement en vue de l’adoption rompra définitivement.
Depuis la loi du 6 juin 1984, qui a largement modifié le régime juridique applicable aux pupilles de l’État, l’arrêté d’admission est pris par le président du conseil général et peut être contesté devant le tribunal de grande instance.
Soucieux d’éviter une multiplication des recours susceptibles d’empêcher la situation de ces enfants de se stabiliser dans des délais raisonnables, le législateur a fixé une limite de trente jours pour contester l’arrêté et imposé que le requérant demande à assurer la prise en charge de l’enfant. Il a également défini trois catégories de personnes ayant qualité pour agir : les parents, en l’absence de décision judiciaire consacrant l’abandon ou le retrait total de l’autorité parentale ; les alliés de l’enfant ; toute personne justifiant d’un lien avec lui, notamment pour avoir assuré sa garde, de droit ou de fait. Les conditions de publication de l’arrêté d’admission ont été laissées volontairement floues, la loi ne prévoyant ni mesure de publicité générale ni notification individuelle aux personnes ayant qualité pour agir.
Or c’est ce flou qui a été censuré par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 27 juillet 2012, considérant que le législateur « ne pouvait, sans priver de garanties légales le droit d’exercer un recours juridictionnel effectif, s’abstenir de définir les cas et conditions dans lesquels celles des personnes qui présentent un lien plus étroit avec l’enfant sont effectivement mises à même d’exercer ce recours ».
Le texte qu’examine aujourd’hui la Haute assemblée a pour objet de répondre à cette inconstitutionnalité.
L'article 1er de ce projet de loi, qui refond entièrement l’article L. 224-8 du code de l’action sociale et des familles, présente, à mon sens, par rapport au droit existant, quatre améliorations substantielles qui garantissent l’exercice du droit à un recours juridictionnel effectif tout en tenant compte de l’intérêt de l’enfant à voir sa situation stabilisée rapidement.
Premièrement, l’article 1er précise que les arrêtés d’admission, lorsqu’ils n’interviennent pas à la suite d’une décision judiciaire, ne sont pris qu’à l’issue des délais de deux ou six mois prévus par la loi. Cette clarification permettra d’harmoniser les pratiques des conseils généraux qui, souvent dans l’objectif de sécuriser au plus vite la situation de l’enfant, font parfois le choix de prendre l’arrêté dès le recueil par le service de l’ASE, ou deux arrêtés, le premier provisoire et le second définitif à l’issue du délai légal.
Deuxièmement, l’article 1er précise le champ des personnes ayant qualité pour agir. Celui-ci recouvre désormais quatre catégories : les parents de l’enfant, en l’absence de décision judiciaire ; les membres de la famille de l’enfant ; le père de naissance ou les membres de la famille de naissance pour les enfants dont la filiation est inconnue ; toute personne ayant assuré la garde de droit ou de fait de l’enfant.
J’y insiste, l’ouverture du recours à la famille de naissance ne remet pas en cause le droit pour une femme d’accoucher sous X. Elle vient en réalité consacrer une évolution déjà actée par la jurisprudence. En outre, la loi reconnaît déjà au père de naissance le droit d’engager une procédure en reconnaissance de paternité.
Troisièmement, l’article 1er définit, parmi les personnes ayant qualité pour agir, celles qui, en raison du lien plus étroit qu’elles entretiennent avec l’enfant, se verront notifier individuellement l’arrêté d’admission. Il s’agira tout d’abord des parents de l’enfant. Les trois autres catégories de requérants devront avoir manifesté leur intérêt pour l’enfant auprès du service de l’ASE avant la date de l’arrêté d’admission, pour qu’il leur soit notifié.
Quatrièmement, le point de départ du délai de recours, dont la durée demeure fixée à trente jours, est désormais clairement défini à la date de réception de la notification. Celle-ci devra être effectuée par tout moyen permettant d’établir une date certaine de réception et indiquer la règle déjà applicable selon laquelle l’action contre le recours n’est recevable que si le requérant demande à assumer la charge de l’enfant.
La compétence du juge judiciaire est par ailleurs confirmée. Comme cela est déjà prévu, il prendra sa décision au regard de l’intérêt de l’enfant et pourra, s’il rejette le recours, accorder malgré tout un droit de visite au requérant.
En l’état, cette rédaction répond parfaitement à la décision du Conseil constitutionnel. Les solutions visant à donner une publicité générale aux arrêtés d’admission ou consistant à notifier individuellement l’arrêté à chaque requérant ont toutes les deux été écartées en raison des inconvénients qu’elles présentaient.
La voie médiane qu’emprunte le projet de loi conduit par conséquent à définir deux catégories de requérants : ceux qui, outre les parents, auront fait la preuve de leur « lien plus étroit » avec l’enfant en se signalant auprès de l’ASE, à qui s’appliquera le délai de trente jours ; ceux qui, parce qu’ils n’auront pas eu connaissance à temps de la situation de l’enfant, pourront malgré tout effectuer un recours jusqu’au placement de celui-ci en vue de l’adoption.
En vertu de l’article 352 du code civil, le placement en vue de l’adoption continue de constituer une limite absolue à toute possibilité de récupération de l’enfant par sa famille d’origine. Cela signifie que, dans des cas très exceptionnels, il se peut que des personnes ayant qualité pour agir forment leur recours trop tardivement. Faut-il envisager pour autant de faire évoluer l’article 352 ? La question a été soulevée en audition. Y répondre me semble cependant nécessiter une réflexion bien plus approfondie, qui dépasse l’objet du présent projet de loi.
En complément des dispositions contenues dans l’article 1er, l’Assemblée nationale a adopté un article additionnel, devenu l’article 1er bis, qui renforce les informations contenues dans le procès-verbal déclarant l’enfant pupille à titre provisoire.
Enfin, l’article 3 fixe au 1er janvier 2014 l’entrée en vigueur du projet de loi, c’est-à-dire à la date où la censure du Conseil constitutionnel deviendra effective. Ce délai est justifié pour permettre aux conseils généraux de faire évoluer leurs pratiques. L’étude d’impact annexée au texte annonce que des mesures d’accompagnement seront mises en place, en concertation avec l’Assemblée des départements de France, l’ADF, pour informer les conseils généraux des règles qu’ils auront à appliquer, en particulier en matière de notification des arrêtés d’admission. De telles mesures me paraissent utiles et je suis certaine que le Sénat sera particulièrement attentif à leur mise en œuvre.
Ce projet de loi a un objet limité. Il ne prétend pas revoir dans son ensemble le statut des pupilles de l’État, encore moins les règles de l’adoption. Il ne fait qu’apporter une solution claire et sécurisante pour remédier à l’inconstitutionnalité des modalités de recours contre l’arrêté d’admission en qualité de pupille de l’État. C’est déjà beaucoup !
Je profite cependant de l’occasion qui nous est offerte pour souligner la complexité des règles qui entourent leur statut. Dispersées entre le code civil et le code de l’action sociale et des familles, elles sont d’une application malaisée, que ce soit pour les services de l’ASE ou pour les conseils de famille, en particulier dans les départements qui accueillent peu de pupilles.
Dans son rapport du mois d’octobre 2009 sur la protection de l’enfance, la Cour des comptes a d’ailleurs souligné la faible connaissance qu’ont parfois les départements de leurs prérogatives, ainsi que le manque de pilotage au niveau national. Les débats, riches, qui ont eu lieu au cours des auditions ou lors de l’examen du texte en commission ont eux aussi montré combien une remise à plat du statut des pupilles de l’État était aujourd’hui nécessaire.
Madame la ministre, un projet de loi sur la famille devrait voir le jour à la fin de cette année. Je souhaite vivement que ce texte puisse être l’occasion de réfléchir au statut des pupilles de l’État. Une telle réforme serait ambitieuse, certes, mais elle apparaît également urgente, car les premières victimes de l’insécurité qui entoure le statut juridique des pupilles sont les enfants eux-mêmes.
La commission des affaires sociales a adopté le projet de loi à l’unanimité, dans sa rédaction issue des travaux de l’Assemblée nationale. J’espère, mes chers collègues, qu’un large consensus pourra également être trouvé aujourd’hui en séance plénière. Je suis convaincue que l’examen de ce texte sera l’occasion de débats riches et prometteurs pour les réformes à venir. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. André Gattolin.
M. André Gattolin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers – et trop rares ! (Sourires.) – collègues, parmi le flot de textes plus ou moins fondamentaux que nous aurons eu à étudier ces dernières semaines, le projet de loi qui nous préoccupe ce soir se concentre sur un objet très limité, mais dont la valeur, tant au niveau symbolique qu’en termes d’ajustement de notre droit aux réalités d’une société en profonde mutation est loin d’être mince.
Il s’agit en effet d’un texte bref, de nature plutôt technique, et heureusement assez peu clivant au sein de notre assemblée. Il constitue d’abord une réponse à une exigence précise du Conseil constitutionnel dans sa décision du 27 juillet 2012.
C’est aussi un texte qui ne concerne directement qu’une part extrêmement réduite de nos concitoyens. En effet, à la fin du mois de décembre 2011, seuls 2 345 jeunes Français disposaient du statut de pupille de l’État et, depuis une dizaine d’années, nous n’observons pas d’évolution significative du volume de cette population, sinon une légère baisse.
En même temps, il s’agit d’un texte qui fait sens, précisément parce que le nombre très réduit de personnes auquel il s’attache concerne essentiellement des enfants, de très jeunes enfants, qui comptent parmi les plus vulnérables de nos compatriotes. Il est de notre devoir, du devoir de l’État de protéger aussi efficacement que possible.
La qualité de pupille de l’État réaffirme en effet le caractère solidaire et protecteur de la République, non seulement pour les enfants nés sous X, mais, plus largement, pour tous les enfants à qui il n’a pas été donné de bénéficier d’une cellule familiale sereine et épanouissante, pour peu qu’il y ait eu une cellule...
En l’état actuel du droit, les présidents des conseils généraux assument la responsabilité d’octroyer le statut de pupille par arrêté, dans les conditions prévues à l’article L. 224-8 du code de l’action sociale et des familles.
Dans un délai de trente jours après la date d’émission, cet arrêté peut être contesté par un proche via un recours qui peut l’amener à assumer la charge de l’enfant et soustraire ce dernier à un placement en vue d’adoption.
Encore faut-il pour cela que les tiers et les proches motivés puissent être dûment informés. Or, on le sait, ce n’est malheureusement pas toujours le cas aujourd’hui. Et c’est pourquoi le Conseil constitutionnel a enjoint au législateur d’apporter une modification au droit, au plus tard au 1er janvier 2014.
Le Conseil d’État a, quant à lui, proposé de remplacer l’article L. 224-8 par des dispositions nouvelles et clarifiées, soumises ce jour à notre assemblée.
L’objet de ce projet de loi est donc de mettre fin à une incertitude juridique, dommageable d’abord aux enfants eux-mêmes, mais aussi aux proches et aux tiers motivés par la prise en charge de l’enfant et son accompagnement.
Les nouvelles dispositions éteindront définitivement le droit d’agir après trente jours pour les personnes ayant reçu la notification de possibilité de recours. Il faudra toutefois veiller à ce que le plus grand nombre de personnes ayant qualité pour agir et qui n’auraient pas été en mesure de manifester un intérêt pour l’enfant avant la date de l’arrêté faute d’en avoir eu connaissance puissent être informées le plus rapidement possible.
Cette nouvelle législation, si elle est adoptée, ce dont nous ne doutons pas, va désormais permettre à ces personnes de voir leur action de recours recevable tant que l’enfant n’aura pas été placé en vue d’une adoption.
Dans une société caractérisée par une mobilité géographique toujours plus élevée de ses membres, où ceux-ci sont de plus en plus souvent appelés pour des raisons économiques, sociales ou plus personnelles à vivre dans une autre région, voire dans un autre pays que celui où ils ont leurs attaches familiales, les délais permettant d’être informés et d’engager des démarches pour revendiquer la prise en charge d’un enfant devenu pupille de l’État n’étaient en effet plus en adéquation avec les réalités de notre temps.
Il s’agit donc d’une évolution salutaire de notre droit, qui tend à l’extraire quelque peu d’un mécanicisme souvent trop déshumanisé, notamment en ce qui concerne les questions d’enfance et de petite enfance.
D’autres points du texte proposé nous paraissent, eux aussi, particulièrement opportuns dans une logique de plus grande humanisation du droit et des démarches juridiques et administratives que les écologistes réclament avec permanence et insistance depuis longtemps.
Ainsi, le tribunal pourra désormais autoriser le demandeur dont le recours n’aurait pas abouti à exercer un droit de visite dans l’intérêt de l’enfant.
Car, même si le souhait d’adoption d’un enfant par un tiers est légitime – en la matière, la demande ne cesse de progresser dans notre pays et peine à être satisfaite –, il faut aussi être conscient que l’adoption n’est pas une situation anodine et qu’elle est loin de toujours satisfaire le besoin de filiation que développe un enfant jusqu’à très tard dans sa vie d’adulte.
Préserver autant que possible pour un enfant des liens avec des personnes proches et qui ont bien connu ses parents nous paraît en général être plutôt un atout pour son développement personnel à venir.
Autre disposition importante, le texte proposé conditionne la volonté d’assumer la charge de l’enfant à une exigence de recevabilité de la demande, ce qui devrait permettre d’éviter, autant que faire se peut, des recours qui seraient de nature abusive.
Toutes ces dispositions sécuriseront l’intérêt et la situation de l’enfant, et garantiront les droits tant de la famille d’adoption que de la famille biologique.
Cet équilibre est fondamental si nous voulons aussi faciliter le retour à une certaine stabilité dans la vie de ces jeunes et de leurs familles, alors qu’ils traversent des moments souvent très difficiles.
En conclusion, vous l’aurez évidemment compris à travers mon propos, le groupe écologiste votera résolument en faveur de ce texte, qui comble un vide juridique important et permet de sécuriser le statut de pupille de l’État dans l’intérêt de toutes les parties prenantes. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Ronan Kerdraon.
M. Ronan Kerdraon. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame la rapporteur, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons à cette heure quelque peu tardive vient modifier les modalités d’admission en qualité de pupille de l’État.
Oui, il est essentiel de sécuriser le statut de pupille et de prévenir tout risque de recours ultérieur à l’admission d’un enfant dans cette situation.
La qualité de pupille de l’État réaffirme le caractère solidaire et protecteur que doit jouer la République, tout particulièrement auprès des enfants nés sous X ou, plus largement, auprès de tous ceux qui n’ont pas la chance de bénéficier d’une cellule familiale sereine et épanouissante.
Les pupilles de l’État sont des enfants recueillis par le service de l’aide sociale à l’enfance lorsque leur filiation n’est pas établie ou est inconnue.
Ce sont des enfants remis par leurs parents, qui consentent valablement à l’adoption, remis par l’un de leurs parents, et dont l’autre ne s’est pas manifesté durant six mois, ou bien encore des enfants dont les parents ont fait l’objet d’un retrait de l’autorité parentale ou qui ont été déclarés abandonnés par le tribunal de grande instance.
Les enfants pupilles de l’État bénéficient en effet d’une tutelle spécifique.
L’article L. 224-1 du code de l’action sociale et des familles prévoit que la tutelle des pupilles de l’État est assurée par le représentant de l’État dans le département. Ce dernier est désigné comme tuteur, ainsi que par le conseil de famille des pupilles de l’État.
Les services de l’aide sociale à l’enfance assurent la prise en charge de ces enfants.
Les présidents des conseils généraux assument la responsabilité d’octroyer le statut de pupille par arrêté, dans les conditions prévues par l’article L. 224-8 du code de l’action sociale et des familles.
Dans un délai de trente jours après la date de l’arrêté, celui-ci peut être contesté par un proche via un recours qui l’amène à assumer la charge de l’enfant et soustrait ce dernier à un placement en vue d’une adoption.
Mais encore faut-il, mes chers collègues, que les tiers et les proches motivés soient dument informés, ce qui n’est malheureusement pas toujours le cas.
À ce jour, le Conseil constitutionnel a censuré l’article L. 224-8 du code de l’action sociale et des familles, qui n’assurait pas aux personnes habilitées les moyens de contester la reconnaissance d’un enfant comme pupille de l’État.
Ainsi, ce projet de loi tire les conclusions de la décision du 27 juillet 2012 du Conseil constitutionnel, qui avait jugé les dispositions contraires à la Constitution.
Mme la ministre ayant cité tout à l’heure l’extrait de cette décision que je voulais porter à votre connaissance, mes chers collègues, je m’abstiendrais de le faire, ce qui nous fera gagner un peu de temps. (Sourires.)
Le Conseil constitutionnel a reporté au 1er janvier 2014 l’abrogation du premier alinéa de l’article L. 224-8 du code de l’action sociale et des familles.
Aussi, afin d’éviter tout vide juridique au 1er janvier 2014, il nous faut préciser les dispositions actuellement en vigueur.
Pour éviter les écueils de l’inconstitutionnalité, il nous faut rétablir la possibilité d’un recours effectif contre un arrêté d’admission en qualité de pupille de l’État.
Dans le même temps, nous devons apporter des éclaircissements quant aux modalités de la procédure d’admission concernant les personnes jugées capables de s’opposer à l’admission d’un enfant en tant que pupille de l’État.
Ce projet de loi permettra une clarification des procédures qui s’imposent aux conseils généraux, ainsi qu’une harmonisation des pratiques.
La reconnaissance d’un tel statut étant définitive, il est essentiel qu’il soit entouré de toutes les garanties nécessaires, en particulier la possibilité de recours des personnes de l’entourage de l’enfant, qui doit pouvoir aller jusqu’à la possibilité d’en obtenir la garde.
Si nous ne légiférions pas pour trouver de nouvelles dispositions avant le 1er janvier 2014, les conséquences seraient graves. Car l’alinéa premier est la base légale de l’arrêté d’admission, et donc aussi du recours contre lui. En son absence, toute admission de pupille de l’État pourrait être empêchée ! Ces enfants seraient alors privés d’un statut destiné à assurer leur protection, et tout projet d’adoption serait impossible à mettre en œuvre.
L’adoption est un sujet sensible. Elle permet à l’enfant de retrouver un cadre stable et une famille lui assurant l’amour et la protection dont il aura besoin tout au long de sa vie.
Il est donc de notre devoir de définir clairement l’accès au statut de pupille et de faire en sorte que toutes les parties concernées soient tenues informées des tenants et aboutissants dans les délais impartis.
Selon l’enquête annuelle de l’Observatoire de l’enfance en danger, au 31 décembre 2011, 2 345 enfants ont le statut de pupilles de l’État, c’est-à-dire qu’ils sont potentiellement adoptables, soit parce qu’ils sont sans filiation, soit parce qu’ils ont fait l’objet d’une déclaration judiciaire d’abandon.
La répartition des pupilles de l’État est très inégale sur le territoire : la moitié des départements en comptent moins de quinze, tandis que le Nord, le Pas-de-Calais et la Seine-Saint-Denis en dénombrent plus de cent chacun.
En 2011, 1 007 nouveaux enfants ont obtenu le statut de pupille, dont 628 nés sous X, quand 1 065 enfants sont sortis du statut, 70 % ayant été adoptés, 17 % ayant atteint la majorité et 10 % ayant été repris par leur famille.
Parallèlement, 5 887 agréments d’adoption ont été délivrés en 2011, plus de 7 000 demandes ayant été traitées par les conseils généraux.
Au total, 22 747 agréments sont en cours de validité, soit un chiffre dix fois supérieur à celui des enfants susceptibles d’être adoptés.
L’âge moyen de l’ensemble des pupilles s’élève à moins de huit ans. Il diffère selon les conditions d’admission : les enfants « sans filiation » sont généralement admis dès leur naissance et perdent la qualité de pupilles au terme de quelques mois, par la voie de l’adoption, tandis que les orphelins ainsi que les enfants admis sur décision judiciaire sont les plus âgés et demeurent souvent pupilles jusqu’à leur majorité.
Pour ces derniers, l’admission est presque toujours précédée par une prise en charge, parfois longue, par l’aide sociale à l’enfance.
Ce n’est le cas que pour deux enfants sur cinq parmi ceux qui on été remis par un ou deux parents.
Le statut de pupille est très important, car il permet de prendre en charge ces enfants, qui n’ont pas ou plus de famille susceptible d’en assumer la charge et de garantir notamment leur droit à une vraie vie familiale !
Il reste que près d’un tiers des pupilles de l’État ne sont pas adoptés. Entre 2005 et 2011, un jugement d’adoption a constitué le motif de sortie du statut de pupille pour 67 % d’entre eux. Ce taux atteint 80 % pour les enfants sans filiation, qui sont au demeurant adoptés le plus rapidement. Mais il ne s’établit qu’à 18 % pour les orphelins. De surcroît, les enfants les plus âgés sont rarement adoptés. Les enfants présentant des besoins spécifiques liés à leur état de santé ou faisant partie d’une fratrie bénéficient également moins souvent d’un placement en vue de l’adoption.
Une réforme de la législation dans ce domaine était plus que nécessaire pour combler le vide juridique.
Le présent projet de loi précise l’intérêt à agir et les modalités de recours devant le tribunal de grande instance contre un arrêté d’admission en qualité de pupille de l’État. Est ainsi indiqué le champ des personnes qui ont le droit de contester l’arrêté faisant de l’enfant un pupille de l’État, selon le ministère chargé de la famille : sont visés le père de naissance, ainsi que les membres de la famille de la mère et du père de naissance lorsque l’enfant est né sous X.
Comme le montrent les statistiques transmises par la Chancellerie en 2012, depuis 2000, le nombre de déclarations judiciaires d’abandon oscille entre 150 et 200 par an, ce qui semble bien peu élevé au regard du nombre d’enfants placés.
Le dernier rapport de l’Observatoire national de l’enfance en danger, l’ONED, sur la situation des pupilles met en exergue de fortes disparités départementales. Il recommande d’ailleurs d’approfondir la question, en particulier en examinant les incidences d’une culture ou d’une pratique des services départementaux en matière de protection de l’enfance.
En France, nous devons améliorer la situation de ces enfants. D’ailleurs, l’’UNICEF, en rappelant que, dans notre pays, un enfant sur cinq est pauvre, nous y engage. Il s’agit d’aider les parents, de mettre fin à la multiplication des contentieux, qui fragilise l’harmonie familiale, notamment celle des familles monoparentales, de plus en plus nombreuses et particulièrement touchées par le risque de pauvreté. Parmi ces dernières, quatre familles sur cinq sont dirigées par des femmes seules, dont un tiers vivent sous le seuil de pauvreté.
D’autres points du présent projet de loi nous paraissent importants. Je citerai notamment le fait que texte conditionne la volonté d’assumer la charge de l’enfant à la recevabilité, ce qui permet d’éviter les recours abusifs.
En outre, les nouvelles dispositions qui nous sont soumises établissent les conditions permettant d’éteindre définitivement le droit d’agir. Elles garantissent le placement de l’enfant dans une famille en vue de son adoption et font obstacle à toute restitution ultérieure de l’enfant par la nouvelle famille adoptive.
Telles sont les raisons pour lesquelles les membres du groupe socialiste sont favorables à l’adoption de ce texte, qui apporte des précisions majeures relatives au statut de pupille de l’État. La protection de l’enfant sera alors renforcée et son adoption pourra avoir lieu plus rapidement. Le code de l’action sociale et de la famille prévoit en effet que les pupilles « doivent faire l’objet d’un projet d’adoption dans les meilleurs délais. » (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi qu’au banc des commissions.)