Mme la présidente. La parole est à M. Alain Richard, sur l’article.
M. Alain Richard. Je souhaite ajouter quelques brèves observations aux diverses prises de position que nous venons d’entendre.
Je relèverai en particulier certains termes employés par Mme Assassi, qui a exprimé sa préférence et son choix pour ce qui concerne la philosophie de ce texte. Je respecte tout à fait sa pensée. J’ajouterai simplement que l’on peut avoir une position différente sur ce texte pour des motifs d’intérêt général et avec la volonté de réprimer efficacement la fraude fiscale.
Par ailleurs, et cela me résonnait aux oreilles en écoutant mon collègue et ami Jean-Yves Leconte, l’indépendance absolue du parquet est selon moi un non-concept ! En effet, dans notre pays, la justice s’exerce au nom du peuple français, et nous avons toujours eu la volonté, sous toutes les Républiques, de faire en sorte que le « ministère public » – ces mots signifient quelque chose, mon cher collègue ! – agisse au nom de la société.
M. Michel Mercier. Exactement !
M. Alain Richard. Sauf à revenir à la conception des parlements d’Ancien Régime, qui a donné les résultats que l’on sait, c’est au pouvoir démocratiquement élu d’énoncer les principes et les choix de politique pénale au nom desquels s’exerce l’action publique.
Il est donc parfaitement cohérent et légitime que le processus de nomination et de poursuite de carrière des membres du ministère public soit distinct, même s’il est assorti de garanties – nous en avons débattu lors du débat sur la réforme constitutionnelle ! –, de celui des juges du siège qui, quant à eux, jugent directement au nom du peuple français et n’ont pas à se soumettre à des directives.
Ajoutons à cela que nous avons parfois, y compris à l’intérieur du même groupe, des approches différentes du résultat à obtenir d’une action politique.
Je trouve ennuyeux que l’on répète à l’envi l’expression « verrou de Bercy », qui vient certainement de quelque part, même si je ne sais pas d’où. Une rumeur contradictoire a en effet été introduite par des manipulateurs d’opinion – cela existe bel et bien ! –,...
M. Michel Mercier. Absolument !
M. Alain Richard. ... selon laquelle l’action de répression de la fraude fiscale menée par l’administration des finances serait suspecte, insuffisamment efficace, et ne serait pas mue par une volonté assez forte d’aboutir, et selon laquelle le passage par la justice pénale donnerait de meilleurs résultats.
Cette conception participe d’une demande d’affichage, de publicité et de communication qui répond à certains intérêts et à certaines pulsions de la société, mais qui va très fréquemment à l’encontre de l’efficacité de l’action publique. Or nous avons aujourd’hui l’un des systèmes les plus efficaces de répression de la fraude fiscale.
Je partage entièrement le point de vue de Jean-Pierre Michel : l’instauration d’un procureur isolé, non lié à une juridiction spécialisée, n’est pas la meilleure réponse pour améliorer notre système.
MM. Michel Mercier et Jean-Jacques Hyest. Eh oui !
M. Alain Richard. J’observe d’ailleurs avec un peu de malignité que le Gouvernement nous a demandé, pas plus tard que la semaine dernière, de ne pas donner de pouvoirs propres au représentant national au sein d’Eurojust, au motif que l’on ne saurait pas comment le faire fonctionner au sein de la hiérarchie judiciaire, parmi les représentants du parquet.
Cette fois-ci, en revanche, le Gouvernement nous propose une solution diamétralement opposée.
Il me semble qu’une démarche efficace consisterait plutôt à concentrer le savoir-faire, la compétence technique et la compétence procédurale au sein de certaines juridictions dotées d’un parquet ayant sa propre spécialité. Je constate avec regret que nous sommes ici dans une forme d’affichage. (Très bien ! et applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements identiques.
L’amendement n° 3 rectifié est présenté par MM. Hyest, Pillet et les membres du groupe Union pour un Mouvement Populaire.
L’amendement n° 94 rectifié bis est présenté par MM. Mercier, Zocchetto et les membres du groupe Union des Démocrates et Indépendants-UC.
L’amendement n° 115 rectifié est présenté par MM. Mézard, Alfonsi, Collombat, Collin, Fortassin, Baylet et Hue, Mme Laborde et MM. Mazars, Plancade, Requier, Tropeano, Vall et Vendasi.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Jean-Jacques Hyest, pour présenter l’amendement n° 3 rectifié.
M. Jean-Jacques Hyest. Nos collègues ont presque expliqué l’objet de notre amendement.
Je pense que le procureur de la République financier est un objet judiciaire non identifié. Comment va-t-on l’articuler avec la juridiction interrégionale spécialisée, la JIRS, de Paris, qui va continuer à subsister et qui s’occupe, d’ores et déjà, des affaires complexes ? Celle-ci traite tout de même, nous a-t-on dit, 80 % des affaires !
Ces compétences existent donc bel et bien, même s’il conviendrait de les renforcer. Il arrive d’ailleurs que les autres ministères prêtent leur concours en déléguant leurs techniciens et spécialistes auprès des JIRS.
Il y aura donc des disparités et des conflits de compétences permanents. J’ajoute que le parquet de Paris prend en charge les affaires boursières, qui ont souvent des liens avec des affaires commerciales pouvant avoir des conséquences pénales. Je pourrais ainsi citer des exemples actuels d’affaires pénales liées à un litige commercial entre de grandes sociétés.
M. Jean Arthuis. Cela relève du droit de la concurrence !
M. Jean-Jacques Hyest. Certes, mais c’est important !
On a chargé le parquet de Paris de cette tâche. Le procureur de la République financier va-t-il revendiquer, lui aussi, une compétence devant les juridictions commerciales, ou en matière boursière ?
On l’a dit, ce procureur est tout seul, ou alors, il aurait fallu faire le choix d’une juridiction spécialisée. Les juges du tribunal de Paris devront-ils intervenir ?
En fait, cette idée est importée d’Espagne. On le comprend d’ailleurs très bien, puisque, disons-le, la qualité des juges et des procureurs n'y est pas la même qu'en France. On sait parfaitement quels types de pays décident de créer des juridictions spécialisées ! La parfaite honnêteté des magistrats français n’est pas à démontrer. Personne ne nie qu’ils peuvent se tromper, mais jamais on n’a dit que les juges ou les parquetiers français étaient corrompus.
Par conséquent, cette mesure ne sert strictement à rien : elle va créer des conflits de compétences et bouleverser complètement l’équilibre actuel. En outre, les JIRS, qu’elles soient de Paris ou d’ailleurs, pourront se dessaisir de certaines affaires qui ne les intéressent pas. Tout le monde sait que les affaires très complexes ou internationales sont aujourd'hui traitées à Paris.
La JIRS de Paris n’a-t-elle pas bien fait son travail ? Si certaines affaires de fraude fiscale ont pu avancer, c’est précisément grâce au parquet de Paris.
Je vais dire une énormité, mais ce n’est pas grave ! (Sourires.)
M. René Garrec. Pas grave pour qui ?
M. Jean-Jacques Hyest. Naguère, un Président de la République a annoncé dans un discours qu’il fallait créer les juridictions de proximité. Nous savions tous que ce n’était pas une bonne solution, car cela créait un échelon supplémentaire ; il valait mieux créer des juges de proximité auprès des juges d’instance, ce qui aurait permis à ces derniers de disposer d’une équipe autour d’eux, une idée qu’ils trouvaient d'ailleurs plutôt intéressante.
Toutefois, le Président de la République avait parlé…
M. Jacques Mézard. Eh oui !
M. Jean-Jacques Hyest. Au lieu de lui expliquer que ce n’était pas la bonne solution, tout le monde a donc soutenu cette idée. Évidemment, les juridictions de proximité n’ont pas fonctionné, ce que l’on savait d’avance – c’étaient même les conclusions d’un rapport que la commission des lois avait remis trois mois auparavant !
J’ai l’impression de revivre cet épisode aujourd'hui : on se fait plaisir en créant le procureur financier de la République, mais cela n’améliorera rien.
Au contraire, il faut renforcer les moyens des JIRS, en particulier ceux du parquet de Paris, où les compétences sont grandes. Cela facilitera aussi le travail de la commission des infractions fiscales, car toutes les affaires importantes se situent à Paris, Bobigny et Nanterre, notamment dans le domaine du commerce. Tout dépend de la cour d’appel de Paris, et c’est donc le JIRS de Paris qui sera saisi.
Pour toutes ces raisons, nous demandons la suppression de l'article 15.
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Mercier, pour présenter l'amendement n° 94 rectifié bis.
M. Michel Mercier. Je souhaite apporter mon écot et contribuer également à faciliter l’emploi du temps de Mme la garde des sceaux. (Sourires.) Aussi, je ne prendrai la parole qu’une seule fois et cette intervention vaudra pour les autres amendements.
Je partage très largement les propos de Jean-Pierre Michel, Alain Richard et Jean-Jacques Hyest. Créer le procureur financier de la République, c’est peut-être un bel affichage, mais c’est surtout une fausse bonne idée !
Examinons les faits concrètement.
Premièrement, le procureur financier de la République n’est pas rattaché à une juridiction, ce qui est inédit en France. Après les procureurs près un tribunal, près une cour, près la Cour de cassation, voilà le procureur hors sol !
Deuxièmement, tous nos tribunaux sont organisés selon le principe de la dyarchie : le président et le procureur de la République font, ensemble, fonctionner le tribunal, ce qui est assez compliqué. Avec ce texte, on va créer une sorte de triarchie facultative. Le fait que le procureur financier de la République puisse intervenir dans les affaires de tous les tribunaux posera des problèmes d’organisation judiciaire. Toutefois, ce n’est pas le plus grave…
Troisièmement, Jean-Jacques Hyest l’a très bien expliqué, la création du procureur financier de la République posera un certain nombre de problèmes qui tiennent à sa compétence. Comment sera-t-il déclaré compétent ? Comment aura-t-il connaissance des affaires ? Après le vote du Sénat hier soir, nous savons que, en matière de fraude fiscale, sa compétence ne sera ouverte que si le ministère chargé du budget décide de la lui accorder en le saisissant.
Pour les autres infractions économiques, qui sont soumises aux divers tribunaux et sont très souvent complexes et relèvent à la fois du fiscal, du commercial et du droit des affaires, entre autres,…
M. Jean Arthuis. Tout à fait !
M. Michel Mercier. ... les procureurs sont normalement saisis ; ils accomplissent leur travail et rien ne peut les empêcher d’ouvrir une instruction. Avec ce texte, il faudra donc dessaisir le juge d’instruction localement saisi au profit de celui de Paris, ce qui posera un double problème.
D’un côté, la compétence ne sera pas ouverte, parce que le ministère chargé du budget n’aura pas porté à la connaissance une infraction fiscale. De l’autre, surgiront des conflits de compétences extrêmement importants qu’il faudra trancher. En d’autres termes, il faudra remonter dans la hiérarchie.
Or le procureur général de Paris, qui est chargé de coordonner, n’a aucun pouvoir sur les autres procureurs généraux de France : il occupe le même rang hiérarchique et, de ce fait, ne peut se prévaloir d’aucune prérogative spécifique. On appellera alors la Direction des affaires criminelles et des grâces, la DACG, et le ministère. La compétence du procureur financier de la République dépendra donc du ministre chargé du budget et du garde des sceaux. Ce ne sera donc pas le procureur le plus indépendant au monde, contrairement à ce que l’on nous a affirmé !
De grâce, essayons de faire simple et efficace. Les JIRS font bien leur travail : il faut les renforcer et les laisser faire leur travail. Si vous le souhaitez, madame la garde des sceaux, nous sommes tout à fait d’accord pour que, dans chaque JIRS, soit affecté un procureur adjoint chargé de toutes ces questions financières avec le pôle financier local et, bien sûr, le pôle financier de Paris, qui traite 80 % du contentieux national.
Ce procureur financier sera nommé comme tous les autres procureurs. De ce point de vue, madame la garde des sceaux, nous n’avons pas la moindre critique à émettre sur votre action. Vous vous êtes toujours conformée à l’avis du CSM et vous continuerez à le faire, ce qui est très bien. Je ne doute pas d’ailleurs qu’un jour le Président de la République convoquera le Parlement en Congrès à Versailles pour mettre le droit en accord avec les faits et tiendra compte du vote du Sénat qui permet de le faire quand il le veut. Ce sera l’occasion de réaliser une bonne réforme, pratique pour notre justice.
En résumé, non au procureur financier de la République, parce que c’est un objet juridique non identifié, et oui à des procureurs adjoints auprès de chaque JIRS qui pourraient être chargés plus spécialement de ce contentieux financier.
Pour toutes ces raisons, cet amendement de suppression me paraît parfaitement justifié.
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Mézard, pour présenter l'amendement n° 115 rectifié.
M. Jacques Mézard. Je souscris tout à fait aux explications qui viennent d’être données et je rebondirai sur les propos d’Alain Richard, qui a bien cerné le problème : il s’agit d’un affichage médiatique plus que d’une solution juridique.
Du reste, il suffit de lire le rapport de la commission des lois pour avoir la preuve que cet article est, comme l’a souligné Michel Mercier, une « fausse bonne idée », et pour refuser absolument la création du procureur financier de la République.
Nous sommes dans la plus grande confusion, et il ne se dégage aucune vision claire et précise de l’objectif à atteindre, avec les moyens qui vont avec. En effet, nous avons voté hier très clairement le maintien de la commission des infractions fiscales, de ses pouvoirs, ce qui est un choix strictement incompatible avec la création du procureur financier de la République.
Depuis le début de ce débat, madame la garde des sceaux, on a pratiquement passé sous silence ce qui correspondrait à une véritable volonté politique de lutte contre la fraude fiscale et une grande partie de la délinquance financière.
Au cours des dernières années, disons-le, on a assisté à une politique de dépénalisation de ce type d’infraction. S’il risquait d’encourir une peine inférieure à cinq ans de prison ferme, le prévenu pouvait utiliser la composition pénale et la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité.
Or la composition pénale, ce ne sont pas des poursuites alternatives, c’est une alternative aux poursuites ! Par conséquent, sur des dossiers importants, avec des risques de cinq ans d’emprisonnement, il peut y avoir simplement une composition pénale, ce qui est en fait une transaction pénale. De cela, on ne parle pas.
Si vous vouliez véritablement lutter contre un certain nombre de ces infractions-là, il fallait changer les dispositions accumulées peu à peu ces dernières années et sortir du champ pénal nombre de ces infractions. Vous ne l’avez pas fait, parce que ce texte a été élaboré très rapidement, pour répondre à une affaire médiatique et en fonction d’un ordre venu d’en haut.
M. Ladislas Poniatowski. Bien sûr !
M. Jacques Mézard. Le rapport de la commission des lois précise qu’il faut « créer une juridiction à compétence nationale », que « ce nouveau parquet serait autonome ». Le rapporteur y trouve deux avantages principaux : « La garantie d’une autonomie des moyens consacrés à la lutte contre la fraude fiscale et la délinquance économique et financière ; une meilleure visibilité de la politique de lutte contre la fraude fiscale et la corruption. En particulier, le parquet national financier sera mieux identifié par les autorités judiciaires étrangères. » Si tel est le fondement de ce texte, permettez-moi de dire que c’est un peu léger !
Il est toujours très intéressant de se référer aux rapports établis par la commission saisie au fond. À la page 145, on lit : « Il convient de noter que les compétences ainsi attribuées le sont, comme le précise l’article 15, à la fois au procureur de la République financier, au juge d’instruction et au tribunal correctionnel de Paris. [...] La compétence du nouveau procureur de la République financier s’étend sur des infractions pour lesquelles les JIRS sont, en grande partie, également compétentes. Pour ces infractions, la compétence du procureur de la République financier sera concurrente de celles des JIRS. »
Le procureur de la République financier sera également compétent pour les infractions d’une grande complexité, mais il y aura alors conflit de compétences, pour les infractions ayant une dimension internationale, pour le blanchiment de l’ensemble de ces délits. « Au total, selon l’étude d’impact, environ 100 dossiers seront ainsi probablement transférés au parquet national. »
Je ne parle pas ou peu des infractions boursières, puisqu’il est souligné à la page 147 : « Le projet de loi maintient ainsi la compétence exclusive du TGI de Paris pour l’instruction et le jugement de ces délits, sauf le transfert, du parquet de Paris au procureur de la République financier, de la compétence pour exercer les poursuites. »
Madame la garde des sceaux, il existe déjà beaucoup d’usines à gaz, sur le plan administratif et juridique, qui ne fabriquent pas de gaz ! (Sourires.) Là, on va malheureusement fabriquer un système qui ne pourra pas fonctionner et qui permettra à ceux qui seront poursuivis de contester constamment. Vous annoncez, cela figure dans le rapport, madame la garde des sceaux, que les conflits de compétences ne dureront qu’un mois et demi, mais vous faites preuve sur ce point d’un optimisme béat !
Ce système est beaucoup trop complexe, n’apporte aucun plus et résulte, je le répète, d’un message délivré dans l’urgence à l’opinion publique.
(M. Thierry Foucaud remplace Mme Bariza Khiari au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Thierry Foucaud
vice-président
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Anziani, rapporteur. Nous sommes parvenus à un stade important de ce débat.
Sur cet amendement comme sur les suivants, la commission s'est retrouvée partagée en un nombre égal de voix. Dès lors, elle ne peut qu’émettre un avis de sagesse.
Je voudrais néanmoins, si vous le permettez, mes chers collègues, exprimer deux ou trois idées.
Je précise tout d'abord que la compétence du procureur financier ne se limite pas aux délits de fraude fiscale ; elle s'étend aussi à la grande délinquance financière et économique, à la corruption, aux atteintes à la probité et même aux délits boursiers.
M. Jean-Jacques Hyest. C’est encore pire !
M. Alain Anziani, rapporteur. Toutefois, la question que je pose – je m’adresse à vous de façon solennelle, chers collègues qui hésitez sur cette disposition – est politique : comment pourrons-nous renouer le lien avec un pays qui éprouve une défiance toujours plus grande à l'encontre de ses responsables politiques, qu'ils soient situés à droite, à gauche, au centre ou aux extrémités de l’échiquier, même si la défiance est parfois moins forte à l’égard des extrêmes, malheureusement ?
M. Jacques Mézard. Ce n'est pas du droit !
M. Alain Anziani, rapporteur. Certes, monsieur Mézard, mais, en tant que parlementaires, nous nous devons d'avoir une vision globale de l'action publique. C'est notamment en adressant des signes de ce type que nous pourrons renouer avec cette nécessaire confiance.
J'ai écouté avec attention les propos d’Alain Richard, mais faire de la politique, c'est aussi envoyer des signes. Cela a toujours été le cas. Sans signe, point d'horizon, point de volonté, point de chemin !
Il me semble que la création du procureur financier constituerait un signe fort de notre volonté de lutter contre la grande délinquance économique et financière. Il faut aussi poser la question en ces termes, mes chers collègues, car c’est le fondement même de notre débat.
En proposant de créer le procureur financier, nous avions incontestablement une ambition politique ; il convient ensuite de la décliner très concrètement.
Je reprends les termes du rapport, monsieur Mézard, et Mme la garde des sceaux nous le confirmera tout à l'heure : l'un des avantages du procureur financier sera de garantir qu’un minimum de moyens seront consacrés à la lutte contre la grande délinquance économique et financière. En effet, par définition, les moyens sont toujours fluides, pour ne pas dire instables. Nous devons donc véritablement envisager sa création comme un progrès.
Je soulignerai enfin que le procureur financier sera aussi un interlocuteur, ce qui n'est pas rien. Lorsque l'on demandait à Henry Kissinger : « Et l'Europe ? », il répondait : « Quel numéro de téléphone ? » Nous avons besoin d’une incarnation et, en l’occurrence, tous les acteurs de la justice auront un correspondant, le procureur financier.
Demain, si le parquet européen que nous appelons tous de nos vœux fait son apparition dans le paysage judiciaire, il pourra avoir un interlocuteur français, qui sera forcément le procureur financier. Ni les JIRS, ni les pôles économiques, ni le garde des sceaux ne pourront jouer ce rôle. Je voudrais que nous prenions aussi en compte cette dimension lors des votes que nous allons émettre tout à l'heure.
M. le président. La parole est à Mme Virginie Klès, rapporteur.
Mme Virginie Klès, rapporteur. Deux voix ne seront pas de trop pour défendre ce pauvre procureur financier, qui me donne l’impression d’être mort-né !
Comme l’a dit tout à l'heure M. Hyest, il me semble en effet que le procureur financier, à compétence nationale, voire internationale, est une idée à porter.
M. Jean-Jacques Hyest. Je n’ai pas dit cela !
Mme Virginie Klès, rapporteur. J'ai bien entendu que le contexte avait changé, mais je ne voudrais pas qu'il ressorte de nos discussions une volonté de mettre en concurrence l’efficacité respective de l'administration fiscale et de la justice. Le but de cette mesure était au contraire d'additionner des forces et des compétences différentes, de mieux les coordonner et de les mutualiser pour être plus efficaces.
En ce sens, le procureur financier et le dispositif qui l’accompagnait – après avoir entendu les uns et les autres, j'ai du mal à conjuguer cette mesure au présent – avaient une réelle cohérence d'ensemble.
Mes chers collègues, vous avez encore le choix de dire que vous croyez à cette idée. Pour moi, ce serait non pas un affichage médiatique, mais un signal fort, positif et compréhensible par tous de notre réelle volonté de lutter contre la corruption et la délinquance fiscale et financière.
Même si l’édifice repose sur un sol assez mouvant, nous pourrions aujourd’hui en poser la première pierre, et tâcher ensuite de construire autour de cette fondation. Je serais vraiment désolée si ce projet était abandonné.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Vous me pardonnerez, mesdames, messieurs les sénateurs, mais je vais devoir prendre un peu de temps pour développer ma pensée. J'espère que vous apprécierez mon souci de répondre aussi précisément que possible aux diverses questions qui m’ont été posées.
Je note d’emblée que la vigueur de certaines mises en cause m’ont donné le sentiment que leurs auteurs voulaient compenser par une débauche d’énergie l’absence de force et de clarté de leurs arguments.
Je rappelle que je me suis exprimée une trentaine de minutes à la tribune hier et, parmi les diverses interventions, je n’ai pas entendu une seule question à laquelle je n'ai pas répondu hier, soit lors de mon intervention à la tribune, soit à la reprise de séance, lorsque je me suis exprimée durant presque vingt-cinq minutes. Toutefois, par respect pour chacun d'entre vous, c'est très volontiers que je répondrai une nouvelle fois à vos interrogations.
Madame Assassi, j'ai entendu vos observations et vos regrets. J'ai noté également le lien logique que vous établissiez entre la possibilité pour le ministère public, quel qu'il soit, de traiter de toutes les procédures fiscales et la création de ce parquet financier.
Je dois le dire, la rédaction de la commission a donné lieu, hier, à une discussion nourrie, intense et parfois tendue entre M. le ministre du budget et M. le rapporteur. Le texte de la commission était clair : il exprimait très précisément le souhait que les procédures fiscales particulièrement complexes soient réservées au parquet de Paris et que ce dernier puisse en traiter sans passer par la procédure de plainte préalable de l'administration fiscale, qui existe actuellement dans notre droit.
Je souhaite néanmoins que l'on tienne compte d’un certain nombre d’éléments, à commencer par les conditions dans lesquelles la commission des infractions fiscales, la CIF, travaille, et par la façon dont ce texte et les engagements que M. le ministre du budget et moi-même avons pris vont les transformer.
Tout d'abord, sa composition sera modifiée : des juges de l'ordre judiciaire y feront leur entrée, aux côtés des juges de l'ordre administratif et de l'ordre financier.
Ensuite, ses méthodes de travail seront également modifiées. J'ai souhaité ainsi que, dans le rapport qu'elle présentera annuellement, ses critères de saisine soient clairement exposés à la représentation nationale.
Enfin, les conditions dans lesquelles cette commission transmet les procédures au parquet seront aussi très probablement modifiées.
Au-delà, vous avez sans doute noté notre engagement de publier une circulaire commune d'application de ce texte de loi. Ce texte prendra en compte les observations qui ont été très clairement exposées à l'Assemblée nationale et au Sénat, mais aussi les engagements que nous avons pris sur l'échange d'informations systématiques entre l'administration fiscale et le parquet ; ce dispositif est en train de voir le jour.
D’ici à un an, il me semble que nous y verrons clair. En effet, l'une des grandes difficultés reste que le dispositif n'a, pour l’heure, pas été évalué. Quand on dit que la CIF ne traite que 1 000 affaires par an, c'est une réalité. Néanmoins, personne ne nous explique pourquoi. Certains émettent l'hypothèse qu'elle n'est pas capable de traiter davantage de dossiers et qu'elle se limite volontairement à 1 000 affaires. Toutefois, dans ce cas, quels sont ses critères de sélection ou d'élimination des dossiers ? Et que se passe-t-il avant l’intervention de la commission des infractions fiscales ? Sur tous ces points, le ministre du budget et moi-même nous sommes engagés à faire toute la lumière.
Quoi qu’il en soit, depuis une année, et a fortiori depuis que M. Cazeneuve est chargé du budget, j'ai du mal à imaginer que l'administration fiscale ne transmette pas au parquet les affaires de fraude fiscale se soldant par une transaction, dès lors que celles-ci apparaîtraient liées à la criminalité organisée, au grand banditisme ou à toute autre infraction pénale.
De surcroît, le dispositif d'échange d'informations fiscales et pénales nous permettra de savoir si l'administration fiscale a estimé opportun de transmettre ou a oublié de le faire.
Pour ne rien vous cacher, comme je l'ai dit hier soir, ma responsabilité, en tant que ministre de la justice, est de m'assurer que tout contrevenant à la loi, tout délinquant comprenne que la justice passera. Sur la base de ce principe, y compris les personnes qui ont dissimulé de bonne foi devraient être traduites devant la justice, qui est là non seulement pour condamner, mais aussi pour prouver l'innocence ou établir la bonne foi d’une personne.
Dans l’absolu, par principe, toute situation de fraude devrait être transmise à la justice – c'est d’une certaine façon le sens de l'article 1741 du code général des impôts.
Pourtant, reconnaissons-le, il ne serait vraiment pas raisonnable de procéder ainsi. Il suffit que l'administration fiscale transmette à la justice les affaires fiscales les plus complexes, notamment celles dans lesquelles on présume une fraude fiscale en bande organisée ou qui se caractérisent par une dissimulation. L’instauration d’un dispositif transparent d'échange réciproque d'informations nous permettra de faire en sorte que la justice soit saisie de façon pertinente. De son côté, celle-ci procède à ses propres enquêtes et peut faire des découvertes.
Je prends acte des observations, des réticences et des objections de chacun et j’essaye d’y apporter des réponses. Si vraiment vous ne souhaitez pas permettre la création de ce parquet financier, nous en prendrons acte. Je refuse toutefois la connotation négative associée à la notion d’ « affichage médiatique » – M. Mézard ayant accolé l’adjectif « médiatique » au substantif « affichage » employé par M. Richard.
En revanche, il n’est pas interdit, comme le soulignait M. le rapporteur, d’avoir le souci de la lisibilité des politiques publiques. Partant du constat qu’il y a un vrai problème dans la société, et que nous ne sommes pas armés pour y répondre de la manière la plus efficace qui soit, avec toute la diligence qu'attendent nos concitoyens, nous faisons en sorte d'apporter les réponses les plus lisibles et les plus efficaces possible.
Monsieur Michel, hier, à deux reprises, j’ai déjà répondu à toutes vos questions.
Le procureur de la République financier sera nommé dans les mêmes conditions que tout procureur. À cette fin, le Gouvernement vous présente un projet de loi organique modifiant l’ordonnance de 1958, afin que soit prise en compte dans cette ordonnance la création du procureur de la République financier à compétence nationale.
Comment sont nommés les autres procureurs ? Sur avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature, que nous souhaitons constitutionnaliser. C’est pourquoi le Gouvernement vous a soumis un projet de réforme constitutionnelle.
Nul ne pouvant se prévaloir de ses propres turpitudes, vous avez raison de me demander comment j’entends garantir l’indépendance du procureur en cause, puisque la réforme du Conseil supérieur de la magistrature n’a pas été adoptée. Néanmoins, posez-vous la question pour tous les procureurs ! Quoi qu’il en soit, je vous apporte les mêmes garanties. Je vous assure, sans réforme constitutionnelle, le principe du respect de l’avis conforme du CSM déjà appliqué par mon prédécesseur, et, avec réforme constitutionnelle, la constitutionnalisation de ce principe.
Je vous le répète, le procureur de la République financier bénéficiera des mêmes garanties que tous les autres procureurs. Si vous avez des inquiétudes pour la nomination du procureur que le Gouvernement souhaite créer, vous devriez avoir les mêmes craintes à l’égard de l’ensemble des procureurs nommés sur tout le territoire, y compris outre-mer ; cela fait presque un empire !
Quant aux procédures, vous vous demandez ce qui se passera si d’autres procureurs se saisissent. Bien évidemment, nous nous sommes posé cette pertinente question. Monsieur Hyest, vous connaissez trop ces affaires pour ne pas savoir comment nous y avons répondu. Nous avons doté le procureur de la République financier d’une compétence concurrente pour toutes les atteintes à la probité.