M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, faut-il vraiment que je revienne sur les raisons pour lesquelles on devrait faire une loi de finances rectificative, que j’explique pourquoi l’effort affiché en matière de maîtrise de la dépense publique me semble relever, sinon de la mise en scène, du moins d’un discours assez convenu et derrière lequel on peine à trouver des éléments permettant de se forger de vraies convictions ? Faut-il vraiment que je me livre, chiffres à l’appui, monsieur le ministre, à ce type de démonstration ?
Je consulte du regard mes collègues rapporteurs généraux et j’ai l’impression qu’il n’est peut-être pas indispensable, à cette heure, que je revienne sur ces sujets (Sourires.), au demeurant excellemment présentés par notre collègue Philippe Dallier.
En conclusion de nos échanges, et en attendant le propos de Mme David, je voudrais concentrer mon intervention sur une perspective un peu plus large. Il me semble que la gestion des finances publiques, telle qu’elle est conçue aujourd’hui, se caractérise par des signaux contradictoires et révèle une réelle absence de stratégie économique. Ce dernier point est, à mes yeux, le plus grave.
Nous avons certes encore un avantage : le coût du crédit, qui repose sur le bas niveau des taux d’intérêt, dont bénéficient tant nos entreprises que l’État. Nous savons, toutefois, que les marchés sont volatils et que, en dépit de la politique efficace et le sens de l’innovation de la Banque centrale européenne, nous ne sommes à l’abri de rien. Que survienne un retournement de la politique monétaire européenne, ou que se produisent de nouvelles tensions liées à des difficultés aggravées de plusieurs États membres de la zone euro, et des centaines de points de base seront peut-être en jeu.
La France, nous l’espérons, est également susceptible de s’engager dans la voie de réformes structurelles. Elle le fait cependant, pardonnez-moi, monsieur le ministre, timidement et de manière somme toute contradictoire. Et le Gouvernement donne l’impression de subir les réformes.
Certes, nous avons engagé, avec l’accord national interprofessionnel et la loi sur la sécurisation de l’emploi, une action pour flexibiliser un peu le marché du travail. Toutefois, la contrepartie n’a-t-elle pas été, en matière de mutuelles de santé, la création de cotisations supplémentaires constituant autant de handicaps pour notre compétitivité ?
Pour diminuer le coût du travail, nous avons adopté le crédit d’impôt compétitivité emploi, mais, monsieur le ministre, là où il existait des solutions simples, visant à transférer un volume important de cotisations vers l’impôt de consommation, on a eu recours à des mécanismes compliqués, à tel point qu’une proportion importante de petites et moyennes entreprises semble hésiter à entrer dans ce dispositif, notamment lorsque les coûts administratifs viennent contrebalancer les profits attendus.
Le Gouvernement, se rendant compte qu’il a privilégié, par le crédit d’impôt pour la compétitivité et pour l’emploi, des entreprises non délocalisables – sociétés de l’audiovisuel public, groupe La Poste, entre autres -, revient d’ailleurs sur les avantages que ces entreprises seraient susceptibles d’en retirer. Il fait de même pour les cliniques privées, en révisant leurs tarifs. Je ne dis pas qu’il ne fallait pas y revenir. Simplement, ce dispositif, que l’on nous a présenté comme la panacée, peine à se mettre en place. Il est extrêmement compliqué et il n’a très certainement pas les effets d’entraînement qu’on lui a prêtés. Au demeurant, on s’en rendra compte dans quelques mois.
Lorsque la Commission européenne lui demande de s’engager plus franchement sur la voie des réformes structurelles, le Gouvernement, qui, pourtant, monsieur l’ancien ministre chargé des affaires européennes, est favorable à un gouvernement économique européen, proteste. Il conteste l’ingérence de Bruxelles dans nos affaires intérieures. Encore ce jeu de rôles, ces contradictions, ces propos qui diffèrent d’un interlocuteur à l’autre !
Pendant que la France tergiverse et continue de perdre des parts de marché à l’exportation, il est clair que sa situation relative en Europe se dégrade. Les marges des entreprises souffrent et les augmentations de leur fiscalité décidées par la majorité ne sont pas de nature à leur permettre d’investir et d’innover pour redresser leur compétitivité hors coût.
Pendant ce temps, l’Espagne, au prix d’efforts très douloureux, retrouve une part de sa compétitivité. La France, quant à elle, semble parfois, du moins dans le verbe gouvernemental, se raccrocher à des mesures sans impact macroéconomique véritable. On parle désormais de project bonds, après avoir beaucoup parlé l’an dernier du pacte européen pour la croissance et l’emploi, qui n’a pourtant guère de contenu. Sans modèle économique affirmé, la France n’est-elle pas menacée d’être coincée entre l’Allemagne et les pays du Sud ?
Face à de telles contradictions, le Gouvernement se trouve dans une situation qui se révélera de plus en plus difficile.
En matière budgétaire, par exemple, il invoque les effets bénéfiques de la modernisation de l’action publique, que rien de précis ne caractérise à ce jour. Il affirme qu’elle n’a strictement rien à voir avec la RGPP. D’ailleurs, elle ne comporte pas d’objectifs chiffrés. Or, comment pourrait-on, sans cela, exercer un effet significatif sur les budgets à venir ? Surtout, comment éviter de dérouter les agents publics, qui entendent tellement de choses contradictoires qu’ils ne savent sans doute plus très bien à quoi s’en tenir ?
J’achèverai mon propos en évoquant la fiscalité. Comment et combien de temps pourra-t-on assumer autant de contradictions ? Pour ne pas lasser l’attention de nos quelques collègues en cette heure tardive, je ne prendrai que trois exemples.
Tout d’abord, avec l’augmentation des impôts sur le patrimoine, on fait payer les riches. Du moins, c’est ce que l’on prétend. Ce faisant, bien entendu, on alimente les délocalisations de patrimoine, on encourage les comportements de certains contribuables, désireux de s’enrichir ailleurs. Or qu’on le veuille ou non, que le constat soit politiquement correct ou pas, les agents économiques qui peuvent investir dans les entreprises sont, pour une large part, ceux qui sont fiscalisés à des niveaux élevés.
Il y a probablement de nombreux investisseurs dans les entreprises françaises au sein des 8 000 foyers qui, en 2012, ont payé un impôt de solidarité sur la fortune supérieur à leur revenu fiscal de référence de 2011. Un large tronc commun existe sans doute entre la population des investisseurs et celle de ces foyers victimes de mesures fiscales tout à fait hors normes.
J’en viens à la deuxième contradiction. Il a été décidé de renforcer la taxation des actions, par la taxe sur les dividendes ou par la si convenable taxe sur les transactions financières, alors que, dans le même temps, on souhaite inciter à la détention longue d’actions et que l’évolution des règles comptables internationales va inciter les entreprises à se financer davantage par fonds propres que par le crédit bancaire, dont l’expansion ne pourra plus être importante.
Monsieur le ministre, où seront les investisseurs dont on aura besoin ? Pourquoi écarter volontairement les personnes physiques de la capacité d’investir en actions et à long terme ? On peut d’autant plus légitimement se poser la question que nombre de ces investisseurs se retrouvent ou se retrouveront à l’étranger.
Enfin, je voudrais évoquer l’absurdité économique de la mise au barème des revenus du patrimoine, qu’illustre le feuilleton invraisemblable des « pigeons ». Une première annonce sur ce point a été corrigée en loi de finances, avec un rendement attendu divisé par quatre. Une autre annonce a été faite le 29 avril dernier aux Assises de l’entrepreneuriat : la loi de finances pour 2014 prévoirait un régime encore différent, et applicable rétroactivement au 1er janvier 2013 !
Je n’irai pas plus loin ; bien d’autres exemples pourraient être cités pour illustrer l’absence de stratégie, l’illisibilité de la politique conduite, son incohérence et ses contradictions multiples, qui ont pour conséquence l’insécurité fiscale.
M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires sociales.
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dernière intervenante à cette heure un peu tardive, j’aimerais, à mon tour, m’associer aux propos de M. Foucaud. Si le débat parlementaire doit avoir lieu, il ne doit pas se faire au détriment des conditions de travail du personnel, dont le travail est essentiel à la bonne tenue de nos débats.
Comme d’autres intervenants l’ont déjà souligné, le débat d’orientation des finances publiques se déroule dans un contexte particulièrement difficile, les résultats de l’exercice en cours et les perspectives pour 2014 n’étant pas à la hauteur des hypothèses votées par le Parlement en fin d’année dernière.
La France est entrée en récession au cours du premier trimestre, le chômage atteint un niveau inégalé et le pouvoir d’achat a régressé lors de l’année passée.
Bien entendu, cette situation pèse sur les comptes sociaux, auxquels je limiterai mon intervention. Je rappelle qu’ils représentent environ la moitié de l’ensemble des finances publiques, ce qui n’est pas négligeable, et qu’ils sont alimentés, en grande partie, par l’argent des assurés sociaux.
Au nom de notre commission des affaires sociales, le rapporteur général Yves Daudigny a retracé de manière précise l’évolution et les perspectives des finances sociales. Il en ressort que, pour la première fois depuis 2008, le déficit du régime général et du Fonds de solidarité vieillesse est repassé sous la barre des 20 milliards d’euros. Il devrait en être de même en 2013, puisqu’une stabilisation est prévue.
Je veux le souligner, ce résultat tient essentiellement à l’apport de recettes nouvelles, adoptées en loi de finances rectificative. Ces dernières ont permis de réduire le sous-financement chronique qui fragilisait dangereusement la sécurité sociale.
Ce résultat tient aussi à une progression contenue des dépenses, du fait des limites imposées à l’ONDAM et de la faible revalorisation des prestations familiales en 2012. Ceci s’est fait au prix d’une détérioration des prestations fournies aux assurés sociaux, notamment en matière de remboursement de soins.
J’observe néanmoins que le redressement a été contrarié par la très faible évolution de la masse salariale, conséquence directe de la situation de l’emploi et de la multiplication des plans sociaux, comme de l’extrême modestie des revalorisations salariales. Pourtant, une augmentation des salaires nets de 1 %, c’est 2,5 milliards d’euros de plus dans les caisses de la sécurité sociale.
Mes préoccupations sont donc grandes face aux perspectives annoncées par le Gouvernement à l’occasion de ce débat d’orientation des finances publiques.
Certes, les autorités européennes ont reporté à 2015 les exigences de retour sous la barre des 3 % du PIB de déficit. Alors même que les hypothèses de croissance ont été sensiblement revues à la baisse pour 2014 – si l’on se réfère à celles des organismes de prévision, cette révision pourrait même se révéler insuffisante –, l’effort structurel de réduction du déficit devrait être, l’an prochain, deux fois supérieur à celui qui avait été prévu dans la loi de programmation des finances publiques. En effet, il devrait atteindre un point de PIB, autrement dit 20 milliards d’euros, ce qui représente le montant du CICE.
Dès lors que le Gouvernement souhaite faire porter cet effort à 70 % sur les dépenses publiques, je m’interroge sur l’impact qui en résultera sur l’activité et la consommation. Je m’interroge également sur les effets de cette décision sur la protection sociale de nos concitoyens.
Plus que jamais, nous mesurons le lien étroit entre la situation de l’emploi et les comptes sociaux. Veillons à ne pas confondre les causes et les conséquences. Réduire les dépenses publiques est essentiel, M. Moscovici l’a dit tout à l’heure, mais trouver des recettes nouvelles l’est tout autant !
L’effort qui devra être fait en 2014 serait, pour les dépenses sociales, de l’ordre de 5 milliards d’euros. En revanche, aucun chiffre n’a été donné pour les recettes affectées aux administrations de sécurité sociale. Nous souhaiterions, monsieur le ministre, avoir des précisions sur ces différents points, afin de mesurer la part des mesures déjà annoncées et de celles qui restent à prendre dans les textes financiers de l’automne. Bien que ce débat ait nécessairement une dimension européenne, qui, des parlementaires nationaux, de la Cour des comptes ou de la Commission européenne décidera finalement du vote de notre budget ?
J’en viens aux mesures relatives à la politique familiale, annoncées le 3 juin dernier par le Premier ministre. Elles participeront à l’effort de réduction des dépenses, pour un montant de l’ordre d’un milliard d’euros.
Je tiens à le rappeler, il est abusif de parler de déficit « structurel » de la branche famille. En effet, le déficit constaté ces cinq dernières années résulte exclusivement des décisions du précédent gouvernement, qui avait retiré à la CNAF une partie de ses recettes les plus solides, tout en lui imposant de financer la part des retraites liée à la situation familiale.
Dans ces conditions, et bien que le Gouvernement maintienne l’universalité des allocations familiales, je regrette le choix consistant à réduire plusieurs avantages destinés à compenser les charges supportées par les familles.
De surcroît, la nature fiscale de la plupart de ces mesures requerra la mise en place de nouveaux circuits financiers du budget de l’État vers la CNAF, une nouvelle « tuyauterie », donc, dont la Cour des comptes dénonce pourtant l’opacité.
De fait, le dispositif réduira un peu plus la part des cotisations sociales dans le financement de la branche famille, ce qui constitue pourtant un des piliers de notre système de protection sociale. Au passage, je vous rappelle, mes chers collègues, que les cotisations sociales dans leur ensemble sont le fruit du travail et représentent, en réalité, une forme de salaire socialisé.
La contribution à la réduction des déficits passera également par une réforme des retraites. Je ne veux pas anticiper le débat annoncé pour cet automne. Je regrette simplement que la phase de concertation soit particulièrement courte, si j’en crois, du moins, le calendrier imposé aux partenaires sociaux, ainsi que celui qui est envisagé pour la discussion parlementaire.
Je tiens également à déplorer la sous-indexation des retraites complémentaires jusqu’en 2015, avalisée par l’accord intervenu entre le patronat et certaines organisations syndicales. Je ne crois pas que la réduction du pouvoir d’achat des retraités soit le meilleur gage du retour à la croissance et du rétablissement des comptes publics.
Si elle était étendue aux retraites de base, cette mesure accentuerait, à mon sens, les difficultés de notre économie. Bien évidemment, elle aggraverait aussi les difficultés d’un nombre grandissant de retraités, dont certains vivent déjà avec le minimum contributif, soit 678 euros par mois, ou avec l’allocation de solidarité aux personnes âgées, soit 777 euros par mois.
Enfin, le Gouvernement évoque une nouvelle réduction du taux d’évolution de l’ONDAM. La contrainte pèsera directement sur les assurés et sur les organismes complémentaires. En effet, si les prises en charge par la sécurité sociale peuvent être contenues, les besoins et les dépenses de santé continuent, pour leur part, à progresser. Cette décision provoquera une augmentation indéniable du nombre de nos concitoyens contraints de repousser leur recours aux soins, voire de s’en passer. Je pense, notamment, aux étudiants.
De même, peut-on maintenir encore longtemps une telle pression financière sur les hôpitaux publics, dont une part des dotations est régulièrement annulée en cours d’année, après avoir été mise en réserve ? Au début de cette après-midi, j’ai rencontré une délégation de salariés de l’Hôtel-Dieu. Ils s’insurgent contre les décisions financières qui risquent d’aboutir à la fermeture de l’établissement et qui contribuent à accentuer le risque de privatisation d’une grande part de notre système de santé publique.
En ce qui concerne le chapitre recettes, je souhaiterais que le Gouvernement précise également ses intentions, notamment à l’égard d’une éventuelle majoration de la CSG pour les retraités, évoquée tant par la commission Moreau que par la Cour des comptes depuis plusieurs années.
Pour ma part, je préférerais une action plus résolue en matière de réduction des niches sociales, notamment de celles qui ne font l’objet d’aucune compensation pour la sécurité sociale, ainsi que la remise en cause des exemptions d’assiette qui font échapper à cotisation certains compléments ou substituts au salaire.
Aussi, j’éprouve une certaine déception à l’égard du récent rapport du Haut Conseil du financement de la protection sociale, qui n’a pas véritablement tranché cette question, alors que ces niches sont coûteuses pour les finances publiques et peu probantes en termes de bénéfice économique et social.
Cette instance est aussi restée bien timide quant à la contribution des revenus du patrimoine au financement de la protection sociale. Je rappelle que ceux-ci ne représentent que 4 % des ressources de la sécurité sociale. De surcroît, malgré son relèvement récent, le taux de prélèvement n’est que de 15,5 %, alors que les prélèvements sociaux sur les salaires approchent les 50 % et sont bien supérieurs si l’on ajoute les cotisations aux régimes de retraite complémentaires et à l’assurance chômage.
Selon moi, il serait nécessaire qu’à l’objectif d’équilibre des comptes soit associé un financement garantissant des ressources suffisantes à notre système de protection sociale, compte tenu des besoins de la population, notamment ceux qui sont liés à la santé et au vieillissement.
Pour conclure, je donne acte au Gouvernement de sa volonté de résorber les déficits sociaux. Je partage d’ailleurs cet objectif, dans la mesure où nous ne devons pas mettre en péril, en fragilisant son financement, la pérennité de notre système de protection sociale, basé, je vous le rappelle, mes chers collègues, sur la solidarité entre les générations, entre les bien portants et les malades, entre ceux qui sont chargés de famille et ceux qui ne le sont pas.
Notre système de protection sociale permet de réduire les inégalités, de rendre de la dignité humaine et de faire avancer d’un même pas notre société, d’un point de vue tant économique que social. De plus, et vous le savez bien, les dépenses de protection sociale génèrent un tiers des richesses du pays.
Monsieur le ministre, bien que vous nous assuriez ne pas vouloir « ajouter l’austérité à la récession », je tenais néanmoins à vous faire part de mes interrogations sur les orientations choisies par le Gouvernement quant à l’évolution des finances publiques pour les années à venir. (M. le rapporteur général de la commission des finances applaudit.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé du budget. Je tiens en cet instant à remercier les différents orateurs de leur contribution à ce débat et à revenir sur quelques-uns des sujets évoqués par les orateurs de la majorité et de l’opposition avec, souvent, des approches différentes, témoignant de la pluralité des opinions qui sont régulièrement exprimées dans cet hémicycle.
J’aborderai tout d’abord la compétitivité. Selon certains, le Gouvernement ne serait pas soucieux de la compétitivité de notre pays, raison pour laquelle celui-ci aurait quelques difficultés à retrouver le chemin de la croissance. Certains orateurs, comme M. Dallier ou M. Marini, ont aussi indiqué que notre choix de revenir sur la TVA sociale et de lui substituer le CICE expliquerait une grande partie des retards de compétitivité pris.
Je le rappelle, les décisions adoptées pour renforcer la compétitivité des entreprises l’ont été après la remise du rapport de Louis Gallois, un document dont on nous avait expliqué pendant des semaines qu’il ne ferait l’objet d’aucune application par le Gouvernement. Après s’être rendus compte que nous allions reprendre une grande partie, pour ne pas dire la totalité de ses préconisations, d’aucuns ont critiqué la principale mesure du paquet gouvernemental, c’est-à-dire le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, avant même que ce dispositif ne produise le moindre effet.
Monsieur Dallier, vous avez fait référence aux chiffres du commerce extérieur des années 2000. À cet égard, je rappellerai que, pendant dix ans, la compétitivité de nos entreprises s’est profondément dégradée. Lorsque nous avons cédé la responsabilité du pouvoir en 2002, le commerce extérieur était équilibré en France, alors que l’Allemagne connaissait à cet égard une situation plus difficile. Dix ans après, il enregistre un excédent de 150 milliards d’euros en Allemagne, tandis qu’il accuse un déficit de 75 milliards d’euros dans notre pays. Je veux bien que cette dégradation soit le résultat de la politique que nous menons depuis un an, mais vous conviendrez que j’ai quelque mal à accéder à ce raisonnement. (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
Par ailleurs, mesdames, messieurs les sénateurs de l’opposition, qu’avez-vous fait pendant dix ans en faveur de la compétitivité ? Pendant la campagne présidentielle, vous avez décrété qu’il était urgent d’agir et avez demandé au Parlement de délibérer, dans l’urgence, sur une TVA dite « sociale », expliquant qu’il fallait, toutes affaires cessantes, faire en quelques jours ce qui n’avait pas été fait en dix ans. Cette mesure était tellement urgente que vous avez proposé d’en différer la mise en œuvre au mois d’octobre de l’année 2012.
M. Michel Berson. Voilà !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Convenez que, là encore, j’éprouve quelque mal à accéder à la pertinence de ce raisonnement !
Pour notre part, nous sommes soucieux de mettre en place un allégement de charges net pour les entreprises. Nous constatons alors que la TVA sociale a pour principale caractéristique de baisser les cotisations et d’en transférer la charge sur la consommation. À nos yeux, elle présente deux inconvénients majeurs.
Premièrement, du fait de la diminution des cotisations accordée aux entreprises, le niveau des bénéfices de ces dernières augmente ; dès lors, l’assiette de l’impôt sur les sociétés est élargie ; par conséquent, nous récupérons par le biais de cet impôt une partie des baisses de cotisations que nous avons consenties à travers la TVA sociale.
À ce sujet, un calcul extrêmement précis destiné à connaître le niveau de TVA sociale qu’il aurait fallu mobiliser pour atteindre 20 milliards d’euros d’allégements de charges nets montre qu’il aurait fallu consentir 33 milliards d’euros d’allégement social, compte tenu de la démonstration que je viens de vous faire. C’est la raison pour laquelle nous n’avons pas fait ce choix.
Deuxièmement, la mise en œuvre de la TVA sociale avait pour effet de faire payer aux consommateurs une partie de l’allégement de charges consenti aux entreprises à travers la diminution des cotisations. On allégeait, certes, les contraintes qui pesaient sur l’offre, mais on alourdissait celles qui pesaient sur le consommateur. Or les entreprises, même avec des charges réduites, ont besoin des consommateurs pour acheter leurs produits. C'est la raison pour laquelle nous avons créé le CICE, qui est une mesure d’allégement de charges net, à hauteur de 20 milliards d'euros.
J’adresse cette remarque à M. Dallier, comme à M. Marini, qui n’a pas pu assister à la fin de ce débat, ce que je regrette, car nous aurions pu alors poursuivre nos échanges. Si nous avons substitué le CICE à la TVA sociale, ce n’est pas pour des raisons idéologiques ou pour le plaisir de défaire une mesure que nos prédécesseurs avaient mise en œuvre. En réalité, nous voulions instaurer un allégement de charges net, qui ne pèse pas sur la consommation et ne prive pas les entreprises de débouchés par le biais de la demande. Voilà la cohérence de cette mesure.
Cela ne suffit pas, me dites-vous. Évidemment ! Nous avons mis en place l’accord national interprofessionnel parce que nous considérons qu’il faut des accords gagnants-gagnants, qu’il faut de bons compromis, de manière à sécuriser les parcours professionnels et à donner au marché du travail la souplesse dont les entreprises ont besoin en période de crise pour pouvoir s’adapter.
Avons-nous eu tort de le faire ? Vous seriez bien les seuls à le considérer. La Commission européenne reconnaît qu’il s’agit là d’un progrès significatif ; la Cour des comptes et le Haut Conseil des finances publiques voient dans le CICE et l’ANI des réformes structurelles non négligeables, qui témoignent de la volonté de notre pays de se moderniser et participent aussi fortement à la confiance qui lui est accordée.
Selon certains propos tenus dans cet hémicycle, il n’y aurait pas de cohérence dans la politique fiscale du Gouvernement.
Ma réponse s’adresse à vous, monsieur Foucaud – je ne partage pas l’intégralité de votre intervention, malgré son caractère cohérent et permanent –, à Mme la présidente de la commission des affaires sociales, ainsi qu’à M. Marini, qui a adopté un tout autre point de vue en affirmant l’absence de cohérence dans la politique fiscale que nous mettons en place.
Madame David, le Gouvernement veut inscrire la réforme fiscale dans la durée, et cette réforme, je l’indique à M. Marini, a sa cohérence.
Oui, nous voulons inscrire la réforme fiscale dans la durée. Et le grand soir fiscal, la grande réforme fiscale, a commencé l’an dernier. Je vous ai déjà apporté cette réponse lors des questions au Gouvernement. J’ai cependant le sentiment de ne pas vous avoir convaincu. Cela étant, lorsque nous engageons l’alignement de la fiscalité du capital sur celle du travail en soumettant au barème les conditions dans lesquelles on procède au prélèvement sur les revenus du capital, c’est un début de réforme fiscale.
Lorsque nous décidons de mettre en place des dispositions en matière de fiscalité des entreprises permettant progressivement d’aligner l’impôt sur les sociétés payé par les PME, PMI, ETI qui innovent, investissent, prennent des risques et que nous faisons en sorte que les grandes entreprises qui, jusque-là, ne payaient pas l’impôt sur les sociétés l’acquittent enfin, c’est un début de réforme fiscale.
Lorsque nous mettons en place la taxe à 75 %...
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Elle n’est pas encore mise en œuvre !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Créée l’an dernier, cette taxe n’a pas été considérée comme conforme à la Constitution. Nous avons décidé de proposer une autre mesure dans le cadre du projet de loi de finances pour 2014. Il est donc normal que nous en débattions ce soir.
Lorsque nous décidons de réformer l’impôt de solidarité sur la fortune, afin qu’il retrouve sa progressivité, lorsque nous décidons de modifier les droits de succession, même si ces mesures ne sont ni l’alpha et l’oméga de la réforme fiscale ni l’objectif ultime que nous devons atteindre, elles engagent une dynamique. Celle-ci doit être approfondie, poursuivie. Elle doit trouver sa cohérence.
C’est cela la réforme fiscale. Nous ne décidons pas un matin de tout raser et de tout reconstruire le soir même. Nous ne décrétons pas subitement une espèce de grand soir fiscal.
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Ce n’est pas ce que je vous ai proposé, monsieur le ministre.
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Certes, ce n’est pas ce que vous avez demandé, mais ce que nous faisons donne quelque écho à ce que vous avez réclamé. Je veux donc vous rassurer : nous avons engagé des mesures. Nous désirons les poursuivre avec un souci de cohérence.
M. Marini se demande où est la cohérence. En son absence, je me tourne vers vous, monsieur Dallier. C’est à travers vous que j’adresse ma réponse à l’opposition. Où était la cohérence d’une politique fiscale consistant à mettre en place un bouclier fiscal, à le défendre bec et ongles pendant des années, pour le défaire à la fin de la législature ?
M. Philippe Dallier. Bonne question !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. J’attends la réponse !
Cette question mérite effectivement d’être posée dès lors que l’on s’interroge sur la cohérence de la politique fiscale mise en place.
Où est la cohérence de cette politique qui revenait à jouer au yo-yo avec l’impôt de solidarité sur la fortune, à tel point que, comme vient de le constater le président de la commission des finances, certains contribuables, qui, comme les poissons volants, ne sont pas les plus nombreux du genre, se plaignent de payer plus de 100 % de leur revenu en impôt ?
S’ils sont redevables d’une telle somme, c’est pour une raison très simple. Vous le savez, il existe deux catégories de Français : ceux qui ne décident pas du niveau de revenu qu’ils perçoivent, les salariés, les Français modestes qui, chaque mois, reçoivent une fiche de paie ; ceux qui arrêtent le montant du revenu qu’ils percevront parce qu’ils procèdent à de l’optimisation fiscale. Pour éviter d’avoir à payer l’impôt de solidarité sur la fortune alors qu’ils sont déjà richement dotés, ceux-là renoncent à percevoir les dividendes et revenus d’un certain nombre de placements financiers.
Cet élément n’avait d’ailleurs pas échappé à la sagacité de votre majorité à une certaine époque, puisque, en 1995, me semble-t-il, M. Juppé avait mis en place le « plafonnement du plafonnement » pour éviter que cette situation ne dure trop longtemps, tellement il la trouvait injuste.
Finalement, ce que les plus sages de vos amis avaient estimé inique, vous finissez par le trouver normal. C’est dire à quel point vous êtes plus à droite que ne l’étaient vos prédécesseurs… (M. Philippe Dallier s’exclame.)
Madame David, vous avez posé une question très importante, lancinante d'ailleurs, qui est finalement le point sous-jacent de tous nos débats et qui, parfois, conduit à des poussées de fièvre. Y a-t-il une cohérence entre ce que nous faisons en termes de sérieux budgétaire et notre volonté de relancer la croissance ?
Je pose la question autrement. Peut-on concilier sérieux budgétaire et justice sociale ? Peut-on être budgétairement sérieux sans être totalement « austéritaire » ? Je vais essayer de vous apporter une réponse, qui est d’ailleurs justifiée, en espérant vous convaincre tout en étant persuadé que je n’y parviendrai pas ce soir.
C’est grâce au sérieux budgétaire que nous obtiendrons la garantie de faire monter en gamme nos services publics et d’assurer la réinvention de notre système de protection sociale. Vous avez cité des exemples très concrets, que vous avez chiffrés. Pour ma part, j’en prendrai seulement deux, parce qu’il est tard et que je ne veux pas vous épuiser en vous donnant une réponse trop longue.
Vous avez tout à fait raison, le déficit actuel de la politique familiale, qui s’établit à 2,5 milliards d’euros, n’est pas totalement dû au hasard. Il a été organisé, creusé par les décisions que vous avez évoquées. Et voilà que l’on nous propose, notamment sur les travées de l’opposition, de faire des économies sur tout sous prétexte que nous n’en ferions pas suffisamment !
Nous nous proposons de corriger le déficit d’une branche qui est déficitaire parce que l’on a organisé son déficit. Nous réformons le quotient familial, en garantissant l’universalité de la prestation et en faisant en sorte que les plus riches bénéficient de moins d’allocations familiales que les plus pauvres.
Par ailleurs, si nous décidons de réaliser 760 millions d'euros d’économies dans la branche famille, ce n’est pas seulement – je veux vous en convaincre, madame David – parce qu’il faut contribuer au redressement de cette branche, mais aussi parce que les familles françaises d’aujourd'hui ne sont pas les mêmes que celles d’hier.
Il y a des mères élevant seules leurs enfants qui partent au travail très tôt et qui rentrent très tard le soir. Certaines d’entre elles ont été victimes de violences familiales. D’autres femmes ont un conjoint, mais qui part tôt et rentre tard lui aussi. Toutes ces femmes ont besoin de nouveaux dispositifs de garde. Il est important que, y compris dans les quartiers les plus difficiles, là où le besoin social est le plus grand, les enfants puissent avoir accès aux services de la petite enfance. Il faut donc financer ces services.
Nous voulons créer 270 000 places d’accueil dans les crèches, alors que la précédente majorité avait supprimé 55 000 places d’accueil dans les écoles de la République parce qu’elle avait décidé de ne plus scolariser les enfants dès l’âge de deux ans. Tout cela doit être financé. Ce sont des services nouveaux qui émergent. Nous les finançons en abandonnant, en modulant ou en mettant en perspective certaines prestations, en fonction de l’évolution des besoins.
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. J’ai bien entendu tout cela !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. C'est pourquoi nous proposons une modification du complément de libre choix d’activité, le CLCA, et des conditions d’attribution de la prestation d’accueil du jeune enfant, la PAJE. Ce n’est pas moins, c’est plus et autrement.
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Ce n’est pas plus, c’est différent !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Nous agissons dans le cadre du sérieux budgétaire, mais, vous le voyez, ce sérieux budgétaire est mis au service d’une politique et d’une ambition sociales.
J’en viens aux retraites. Nous avons une impasse budgétaire de près de 20 milliards d'euros à l’horizon de 2020. Nous n’avons pas la garantie de pouvoir combler ce déficit sans prendre de mesures et nous voyons bien qu’il n’existe pas 36 000 chemins pour le faire, dès lors que nous avons décidé de ne pas remettre en cause l’âge légal de départ à la retraite. Il faut donc trouver une solution, dans la discussion et la concertation, en accord avec l’idéal de justice qui nous guide.
J’aimerais tant que nous parvenions à apporter la démonstration qu’il n’y a pas forcément d’antinomie entre l’idéal de justice et la nécessité de rétablir les comptes.
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Je suis d'accord avec vous sur ce point !