M. Yvon Collin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’année 2012 a été particulière à bien des égards, notamment parce que le budget a été préparé et voté par une majorité différente de celle qui en a poursuivi et terminé l’exécution, ce qui n’a pas été une tâche facile !
Par ailleurs, l’exécution budgétaire de 2012 est marquée par une transparence accrue. En effet, s’il s’agit de la septième année de certification des comptes de l’État par la Cour des comptes, qui en garantit la sincérité et la régularité en application de la LOLF, c’est la première fois que le Haut Conseil des finances publiques s’est prononcé sur le respect de la trajectoire de solde structurel.
Dans son avis du 23 mai dernier, cette nouvelle institution indépendante a souligné que l’écart de 0,3 point constaté par rapport à l’objectif fixé en loi de programmation pour le solde structurel ne peut pas être qualifié d’« important » au sens de la loi organique relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques. Ce constat implique que la procédure de correction des écarts prévue par la loi organique et le traité budgétaire européen n’a pas à être déclenchée. C’est un signal positif quant à la qualité des prévisions et au sérieux de l’exécution qui caractérisent désormais nos textes financiers.
J’en viens maintenant aux améliorations qui sont perceptibles dans l’exécution du budget de 2012.
Tout d’abord, la Cour des comptes a formulé sept réserves, identiques à celles de l’année précédente, mais dont seulement cinq sont désormais qualifiées de « substantielles ». Faut-il rappeler que treize réserves avaient été exprimées en 2006, à l’occasion de la première certification ? Les progrès réalisés sont donc loin d’être négligeables, même s’il reste, nous en convenons, beaucoup à faire. D’ailleurs, après s’être inquiétée du ralentissement des efforts d’amélioration de la qualité des comptes en 2011, la Cour des comptes a constaté « un véritable redémarrage des chantiers » en 2012.
Cependant, malgré ces quelques points positifs, les principaux résultats de l’exécution budgétaire pour 2012 nous donnent peu de raisons d’être optimistes.
Tout d’abord, même si le déficit budgétaire a été réduit de 3,57 milliards d’euros, il reste très élevé ; surtout, le rythme de sa diminution s’est nettement ralenti. Il est vrai que la dégradation de la conjoncture économique a été bien plus importante que l’on pouvait l’imaginer. Faut-il rappeler que l’hypothèse de croissance qui sous-tendait le budget de 2012 a dû être revue à la baisse à deux reprises, pour être finalement fixée à zéro ? Didier Migaud nous a fait part de son inquiétude à ce sujet lorsque nous l’avons auditionné, monsieur le président de la commission des finances. Il a souligné que « cette réduction du déficit est insuffisante pour enrayer la progression de la dette et sortir l’État de la zone dangereuse dans laquelle il se trouve ».
En outre, malgré les nouveaux prélèvements et les augmentations d’impôts décidés par les majorités précédente et actuelle – chers collègues de l’opposition, permettez-moi de vous rappeler, avant que vous ne montiez sur vos grands chevaux, que vous décidé 15 des 22 milliards d’euros de hausses d’impôts de 2012 –, le faible dynamisme de certaines recettes est très préoccupant.
Le rendement des principaux prélèvements, comme l’impôt sur les sociétés ou la TVA, est même en diminution. De plus, sur les 5,7 milliards d’euros de recettes de TVA qui manquent par rapport aux prévisions, la non-perception de 1,3 milliard d’euros reste inexpliquée.
Monsieur le ministre, vous avez considéré, devant notre commission des finances, que cette part inexpliquée de la diminution des recettes n’est pas significative au regard des masses concernées : elle ne représenterait que 1 % du produit total de la TVA. Le caractère erratique et incertain des recettes de TVA, qui persiste manifestement en 2013, me semble néanmoins très préoccupant.
Enfin, dans le domaine qui nous donne des raisons d’espérer, c’est-à-dire la maîtrise des dépenses de l’État, la Cour des comptes nous invite une fois de plus à faire preuve de la plus grande prudence. En effet, si nous pouvons nous réjouir que les dépenses d’intervention aient été réduites de 2,5 % ou que la masse salariale ait été quasiment stabilisée en valeur, la réduction des dépenses en 2012 résulte surtout de l’annulation de crédits « gelés ».
En outre, l’année 2012 a été caractérisée par des dépenses exceptionnelles très importantes, de l’ordre de 9 milliards d’euros, qui ont été réalisées en dehors des normes de dépenses « zéro volume » et « zéro valeur », ce qui pose manifestement question. Ces dépenses exceptionnelles ont contribué à la recapitalisation de Dexia, d’une part, et à la participation de la France aux mécanismes de soutien aux États de la zone euro en difficulté, d’autre part.
En matière de dépenses, comme l’a souligné la Cour des comptes, la France – quelle que soit la majorité en place – a tendance à trop mettre l’accent sur les moyens alloués aux politiques publiques et pas assez sur les résultats obtenus. Si la France se classe au deuxième rang des pays de l’OCDE en termes de niveau de la dépense publique par rapport au PIB, elle arrive rarement en tête de classement au regard du critère de l’efficacité de celle-ci.
Le Gouvernement a mis en place la MAP, la modernisation de l’action publique ; c’est une démarche importante, mais n’oublions pas qu’il y a urgence à réaliser des réformes structurelles ambitieuses et courageuses pour redresser durablement nos finances publiques et éviter ainsi un emballement de la dette qui pèserait sur les générations futures.
Si personne ne doit nous dicter le contenu de ces réformes, il ne faut pas pour autant en tirer prétexte pour s’arrêter en chemin au lieu d’aller de l’avant. La France a besoin de ces réformes ; les générations futures nous seront reconnaissantes du courage dont nous aurons fait preuve en les engageant dès aujourd’hui.
L’exécution du budget de 2012 a donc été marquée par de nombreuses incertitudes et difficultés, difficultés qui persistent d’ailleurs en 2013 et pourraient rendre nécessaire l’élaboration d’un collectif budgétaire, monsieur le ministre.
Les augmentations de prélèvements ayant déjà lourdement pesé sur le moral des ménages et des entreprises et affecté tant la consommation que l’activité économique, qui n’étaient déjà guère florissantes, il est désormais indispensable, pour réduire le déficit, de centrer nos efforts sur les dépenses –mais j’anticipe ici sur le débat sur l’orientation des finances publiques que nous aurons tout à l’heure.
Parce que nous soutenons fermement la politique économique mise en place par le Gouvernement pour gagner la bataille de la croissance et de l’emploi, la grande majorité des membres du RDSE approuvera le projet de loi de règlement du budget et d’approbation des comptes de l’année 2012. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. André Gattolin.
M. André Gattolin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat sur le projet de loi de règlement est pour nous tous l’occasion de porter un regard rétrospectif sur l’année budgétaire 2012. Cet exercice d’approbation des comptes publics est salué par le groupe écologiste, car, comme vous le savez, en matière de finances comme dans les autres domaines de la vie publique, la transparence est pour nous une question essentielle.
L’année 2012 n’a pas été banale : la France ayant élu une nouvelle majorité parlementaire, cela a été une année de transition. À cette occasion, un tournant a été pris. Je pense notamment à la rupture avec la révision générale des politiques publiques, que nous critiquions très fortement, tant les dégâts causés par cette réforme drastique ont été importants dans tous les secteurs.
Depuis, la RGPP a été remplacée par la politique de modernisation de l’administration publique, dont nous attendons que l’exécution soit plus flexible. Afin de mesurer l’efficacité de nos politiques publiques, de nouvelles normes comptables internationales vont d’ailleurs être mises en place. Membre de la commission des affaires européennes, je suis particulièrement sensible à cet enjeu qui, malgré des apparences très techniques, est hautement démocratique.
M. Migaud, Premier président de la Cour des comptes, a tenu à alerter les élus sur ces normes qui sont tout à la fois complexes, instables et assez inadaptées au secteur public et aux spécificités des comptes publics, puisqu’elles émanent d’organismes privés. De ce point de vue, il nous paraît peu légitime, voire pas du tout, de les appliquer aux budgets des États. Je referme la parenthèse, mais j’attends du Gouvernement qu’il s’engage à veiller à l’adoption de normes véritablement adaptées aux spécificités des politiques publiques, au cœur desquelles se trouve la notion d’intérêt général.
Monsieur le ministre, vous avez invoqué la faiblesse de la croissance pour justifier une partie des résultats de l’année 2012, notamment en termes de recettes. Il suffit de reprendre les discours des écologistes, notamment ceux de Jean-Vincent Placé, notre chef de file en matière de finances, pour comprendre que miser sur une hausse de la croissance était assez illusoire.
Depuis longtemps, nous nous gardons de céder aux sirènes du traditionnel dogme productiviste de la « croissance à tout prix ».
Les facteurs de la croissance sont d’ailleurs en train d’évoluer sous nos yeux, prenant des formes qui échappent aux critères habituels d’évaluation du PIB. Je pense notamment à la consommation collaborative et aux indices alternatifs de développement.
Si l’on ne peut ou ne veut compter sur la croissance dans le contexte actuel, il faut en effet maîtriser les dépenses. Encore faut-il faire les bons arbitrages.
Parlons tout d’abord du positif.
Je tiens à féliciter le Gouvernement pour son soutien affirmé aux PME, notamment via la création de la Banque publique d’investissement, la BPI. Cela étant, en matière de politique économique, vous connaissez la position très critique de mon groupe à l’égard de la mise en place du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE.
Je me réjouis également que l’une des priorités du Gouvernement soit de compenser les charges transférées dans le cadre de la décentralisation et d’accompagner l’investissement, notamment en milieu rural.
Je me félicite aussi que l’État ait versé une dotation de 25 millions d’euros au titre de sa participation au fonds de soutien aux collectivités locales ayant contracté des emprunts toxiques.
Je m’interroge toutefois sur les conséquences de la réforme territoriale en cours sur les finances des collectivités locales. Peut-être pourriez-vous, monsieur le ministre, sans anticiper sur le débat sur l’orientation des finances publiques, nous en dire quelques mots ?
Enfin, je salue l’attribution de crédits supplémentaires à la mission Sécurité, notamment pour la création des zones de sécurité prioritaires, dispositif qui accorde une plus grande place à la prévention.
J’en viens maintenant aux arbitrages un peu plus polémiques. Sans surprise, je vais vous parler d’écologie. L’actuel gouvernement ne semble pas vouloir véritablement la valoriser, malgré son intérêt au regard du développement de l’emploi et du dynamisme économique de la France. Le budget de l’écologie subit une baisse constante de ses crédits. Le rapport annuel de performances 2012 témoigne d’un manque d’ambition évident pour les secteurs liés à l’écologie ; je ne parle même pas du budget de 2014… Mon collègue Jean-Vincent Placé aura l’occasion de revenir sur cette question lors du débat sur l’orientation des finances publiques.
Malgré l’affichage d’une volonté de réduire les émissions de gaz à effet de serre et d’amorcer la transition énergétique, je constate que rien n’est fait pour promouvoir le ferroviaire, les voies navigables, la biodiversité et les politiques énergétiques de substitution.
En matière d’arbitrages, nous pourrions également évoquer le budget de la défense. Le rapport annuel de performances du ministère de la défense reste encore très flou. Rappelons d’ailleurs que l’une des réserves substantielles émises par la Cour des comptes concerne les actifs et les passifs de ce dernier.
Par ailleurs, monsieur le ministre, vous semblez valoriser les gels et les surgels qui ont été effectués. Je tiens à vous alerter sur les risques que fait courir cette méthode en termes de dégradation indifférenciée des politiques publiques, alors qu’il faudrait définir des priorités et cibler les secteurs dans lesquels les économies peuvent être réalisées.
J’ai beaucoup évoqué les dépenses, mais n’oublions pas une chose concernant les recettes : je crois que les électeurs qui ont voté pour l’actuelle majorité ne sont pas foncièrement réticents à l’idée de contribuer à l’effort public, autrement dit à « payer des impôts », si, et seulement si, ils bénéficient en contrepartie d’un système de solidarité et de services publics d’une qualité irréprochable. C’est sur cette exigence que nous devrions nous concentrer dans les mois et années à venir.
L’année 2012 a marqué une rupture, mais également, d’étrange façon, une continuité, avec une hausse de la TVA, un accroissement de la rigueur, des discours réitérés sur la compétitivité et la flexibilité…
Le gouvernement actuel a, selon M. Moscovici, fait le choix de « ne pas ajouter l’austérité à la récession », afin de ne pas accroître le risque d’effet récessif.
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Et il a bien fait !
M. André Gattolin. Certes, mais il nous faut être vigilants, car de la rigueur à l’austérité, il n’y a qu’un pas ! Dès lors que l’on met en œuvre une politique d’austérité, les effets multiplicateurs sont très importants.
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Mais nous avons un très bon ministre, qui sait parfaitement où il va !
M. André Gattolin. La stratégie économique et budgétaire sera plus amplement discutée lors du débat de tout à l’heure ; je ne m’étends donc pas davantage sur ce sujet.
En conclusion, monsieur le ministre, le groupe écologiste vous réitère sa confiance et salue la sincérité des comptes publics de l’année 2012. Nous nous réjouissons que la Cour des comptes n’y ait trouvé finalement que très peu à redire. Fort naturellement, nous voterons ce projet de loi de règlement du budget et d’approbation des comptes de l’année 2012. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Francis Delattre.
M. Francis Delattre. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la France a toujours été un pays de rhétorique, mais avec le verbalisme de la gouvernance actuelle, l’action ne suit jamais ou presque les paroles abondamment versées lors des émissions télévisées en prime time. Le discours présidentiel ne prépare pas les esprits aux décisions : il brûle toute son énergie dans sa seule énonciation pour ensuite s’éteindre en moult et moult renoncements et, depuis hier, en admonestations.
Cet ultime avatar nous conduit tout droit au chaos des réalités, et des actes plutôt symboliques, telle la hausse des impôts sur les hauts revenus, illustrée par la fameuse taxation à 75 %, peuvent entraîner des conséquences terriblement réelles.
Avec un taux de prélèvements obligatoires atteignant aujourd’hui 45,6 % du PIB et des dépenses publiques en accélération constante, représentant 56 % du même PIB, nous allons dépasser l’emblématique Danemark, pour nous installer en tête des pays de l’OCDE et, surtout, nous éloigner encore un peu plus des fondamentaux de l’économie allemande, notre principale partenaire et, on l’oublie souvent, concurrente.
Ici, au Sénat, nous assistons, au-delà de l’étonnement, au retour d’un jacobinisme d’un autre temps. Pendant une longue année, nous avons enduré vos ressentiments, souvent fort peu républicains, contre vos opposants et, plus grave encore, contre ceux qui assurent le bien-être de la nation : les entrepreneurs, cette infime minorité qui, au quotidien, affronte les risques de la confrontation mondiale.
Nourrir un électorat de la stigmatisation des riches repose sur un concept dépassé de l’exploitation, car la richesse des uns est en elle-même la source de la richesse des autres. « Mon ennemi, c’est la finance » : ce slogan a aussi trouvé ses exactes limites dans un projet de loi dit de séparation et de régulation des activités bancaires qui devait disjoindre la gestion des dépôts de celle des activités de marché mais qui, permettez-moi de vous le dire, chers collègues de gauche, porte plus la marque des Visiteurs du soir que le sceau du hallebardier du Bourget…
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Voilà qui est bien dit !
M. Francis Delattre. Le ministre est très satisfait, mais tous les voyants sont au rouge : chômage record, endettement record, baisse record du pouvoir d’achat, baisse record de la consommation des produits manufacturés, diminution record du taux de marge des entreprises, hausse record des impôts, niveau record de la dépense publique…
La Cour des comptes et le Haut Conseil des finances publiques vous disent, monsieur le ministre, que vos choix ne sont pas les bons, mais vous prétendez que tout va bien, qu’il faut laisser les stabilisateurs automatiques opérer et qu’il n’est pas besoin d’un collectif budgétaire, car les orientations retenues en 2012 étaient les bonnes…
Mes chers collègues, la gauche est forte où le peuple est faible. À travers ce projet de loi de règlement, le Gouvernement nous présente un premier bilan, qui démontre à l’envi que le parti socialiste n’est plus à même de vraiment traiter la question sociale.
Votre stratégie budgétaire a provoqué une perte historique de pouvoir d’achat de 0,9 % en 2012. Il s’agit du premier recul depuis 1984, équivalent à celui qui avait été constaté à la suite du tournant de la rigueur opéré par Pierre Mauroy.
En vérité, le parti socialiste se transforme en parti sociétal afin de capter de nouvelles clientèles électorales, démarche utile à sa seule pérennité, et se révèle incapable d’assumer les réformes de structures indispensables au pays.
La ligne politique, à l’issue de douze mois de couacs, est non pas la justice, encore moins la cohérence susceptible d’indiquer un cap, mais un attentisme qui nous conduit directement à la récession et au triomphe, même pas discret, des égoïsmes.
Comment comprendre cette gouvernance qui, depuis douze mois, diffère, louvoie, stigmatise et renvoie à des comités Théodule les décisions les plus urgentes, alors que la variable temps est d’une importance décisive dans l’équation de l’économie réelle ?
Que penser d’une gouvernance qui commande un rapport sur la compétitivité de nos entreprises pour le faire discréditer par une partie de sa majorité avant même sa publication ? En réalité, vous alimentez les controverses avec des idées fausses.
Faute d’étude d’impact, le CICE concernera non pas les emplois délocalisables, de nature industrielle, mais les emplois de la grande distribution, des travaux publics et des entreprises publiques, comme EDF ou La Poste. Ces erreurs, mes chers collègues, nourrissent la défiance envers le discours politique.
Que penser d’une gouvernance qui érige la création d’une banque publique d’investissement en priorité absolue et qui décide la non-déductibilité fiscale des intérêts des prêts conclus par les entreprises pour financer leurs investissements ? Il n’est pas inutile de rappeler que les capacités d’intervention de la BPI se situeront entre 20 milliards et 40 milliards d’euros et que les banques prêtent environ 1 000 milliards d’euros par an aux entreprises pour financer leurs investissements.
C’est une réalité, mes chers collègues, et la douzaine d’énarques – il paraît qu’ils sont treize, en fait ! – siégeant au conseil d’administration de la BPI n’y changera rien, pas plus que la location de 10 800 mètres carrés de locaux supplémentaires, boulevard Hausmann, pour 6,6 millions d’euros par an,…
M. Roland du Luart. C’est un vrai scandale !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Bel exemple !
M. Francis Delattre. … sans parler des 350 000 euros dépensés pour la création d’un logo et des 7 millions d’euros consacrés à une campagne de communication sur le lancement de cette nouvelle structure. Monsieur le rapporteur général, vous avez raison : l’austérité, ce n’est pas pour tout le monde, en tout cas pas pour la nomenklatura de ce pays !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Ni pour la BPI !
M. Francis Delattre. Que penser d’une gouvernance qui taxe jusqu’à concurrence de 60 % les cessions de fonds d’entreprises petites et moyennes, souvent familiales, pour déplorer ensuite les départs massifs de talents ou le faible renouvellement des équipes âgées ?
Que penser d’une gouvernance si soucieuse de transparence, qui amène pourtant la Cour des comptes à déclarer qu’elle n’a pu obtenir communication ni des prévisions internes de la direction générale du Trésor, ni de celles de la direction du budget sur l’exécution du budget de l’État, ni même de l’information des contrôleurs budgétaires et comptables ministériels ? Il s’agit là d’un inquiétant glissement à la grecque, monsieur le ministre. Si telle est votre conception de ce que doit être un État transparent, permettez-moi de vous dire que nous ne la partageons pas.
Que penser d’un gouvernement qui s’obstine à refuser de présenter, pour assurer la sincérité des comptes, un projet de loi de finances rectificative, alors même que les documents les plus récents publiés par la Cour des comptes montrent que nous sommes en présence d’un dérapage ? Une quinzaine de milliards d’euros de recettes relève désormais du virtuel, la prévision de croissance de 0,8 % pour 2013 est illusoire, tandis que les rentrées fiscales s’essoufflent et que les dépenses nouvelles s’amoncellent, avec la création de 10 000 postes supplémentaires dans l’éducation nationale, le financement de places de crèche, les emplois d’avenir, un complément de financement pour le budget européen.
Que penser d’un gouvernement qui oublie la baisse historique de 0,9 % en 2012 du pouvoir d’achat des Français –à titre de comparaison, celui-ci avait progressé de 0,7 % en 2011 et de 0,9 % en 2010 –, corrélée à une baisse de la consommation de 0,4 % faisant directement écho à la suppression de l’exonération fiscale des heures supplémentaires pour 9 millions de salariés, ces nouveaux riches créés par la loi TEPA en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat ?
Que penser d’une loi censée protéger les citoyens des dérèglements bancaires qui confie à cinq hauts fonctionnaires de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution la possibilité d’utiliser le fonds de garantie des dépôts pour procéder à des recapitalisations de banques ou d’institutions financières ? Vous admettrez que ce dispositif, qui figure à l’article 6 de la loi en question, n’est pas sans risque pour les millions de déposants.
Ainsi, une loi censée protéger les déposants pourrait, au contraire, dans certaines circonstances, les priver de la garantie de leurs dépôts jusqu’à 100 000 euros, sans qu’ils en soient même informés. Voilà comment le pouvoir agit pour faire plier les banques !
La mondialisation est une réalité irréversible. Elle impose un nouveau partage du travail et des richesses, qui s’opérera dans l’égalité de la consommation et du travail. En un mot, nous ne pouvons plus consommer au-delà de ce que nous produisons. Le déficit de notre balance commerciale s’établit désormais à quelque 80 milliards d’euros. Vous auriez dû, monsieur le ministre, redéployer des moyens substantiels pour soutenir la production des biens. Au lieu de cela, avec votre matraquage fiscal, vous avez privé les entreprises de moyens importants qui leur étaient nécessaires pour financer leurs investissements et les emplois de demain.
Je dois néanmoins féliciter M. le rapporteur général pour sa dextérité à manier, selon les circonstances, les concepts de solde structurel et de solde conjoncturel. Il parvient toujours à démontrer que le solde structurel s’améliore invariablement quand le déficit nominal s’aggrave.
M. Jean-Pierre Caffet. Ce n’est pas incompatible !
M. Francis Delattre. Il me semble pourtant que l’on emprunte pour combler le solde déficitaire effectif ! Or celui-ci va considérablement s’aggraver, alors que nos besoins en prêts sont déjà de l’ordre de 180 milliards d’euros. Rappelons qu’une augmentation d’un point des taux d’intérêt entraîne à terme un alourdissement de 2 milliards d’euros de la charge annuelle de la dette, soit de 4 milliards d’euros en deux ans et de 10 milliards d’euros en cinq ans !
Mme Marie-France Beaufils. De combien avez-vous augmenté la dette lorsque vous étiez au pouvoir ?
M. Francis Delattre. Notre rapporteur général a aussi beaucoup de mérite – c’est un travail très compliqué, par les temps qui courent – à baliser sur des graphiques la loi de finances, la loi de programmation annuelle, adressée aux autorités européennes, un programme de stabilité assorti d’engagements et d’objectifs, dont la caractéristique principale est une très grande instabilité… Félicitations, monsieur le rapporteur général !
Qui se souvient des assurances formelles données par M. Moscovici, il y a six mois, sur le respect intangible, par la France, de ses engagements envers l’Europe et les Français ? Je pense, bien sûr, aux fameux 3 % de déficit. Ce chiffre n’est pas un totem : il s’agit du seuil de déficit à compter duquel on n’aggrave pas la dette du pays.
Que penser des déclarations de M. Hollande, annonçant une trêve fiscale, alors que nombre d’excellences n’écartent pas un recours à des impôts supplémentaires, d’autres appelant de leurs vœux le « grand soir fiscal » que constituerait la fusion de la CSG et de l’impôt sur le revenu, assortie bien entendu d’une très forte progressivité ?
Que penser, monsieur le ministre, de cet héroïsme déployé dans les médias par un gouvernement aux prises avec une situation gravissime qu’il aurait héritée de ses prédécesseurs ? Selon la Cour des comptes, il a « très modestement » réussi à réduire le déficit de 3,57 milliards d’euros en 2012 – montant à rapprocher des 14 milliards d’euros d’économies réalisées en 2011 –, tout en prélevant 22 milliards d’euros d’impôts et de taxes supplémentaires. Héroïque encore, la diminution nette des dépenses de l’État, qui s’élèveront à 371,4 milliards d’euros, soit une économie de 100 millions d’euros par rapport à l’année précédente. C’est fantastique !
L’amorce du redressement des comptes repose essentiellement, en réalité, sur une fiscalité supplémentaire, sans qu’aucun effort notable soit réalisé sur la dépense publique. Ainsi, notre dette a continué d’augmenter. Elle est passée de 85,8 % à 90,2 % du PIB en un an, soit une hausse de 4 %, alors que, au sein de la zone euro, l’augmentation de la dette n’a été que de 2 % en moyenne.
Les dépenses publiques représentent 56,6 % du PIB, soit dix points de plus qu’en Allemagne. Il devrait donc être permis de comparer la qualité de nos services publics respectifs : éducation, formation professionnelle, service emploi, transports, recherche. Pensez-vous, monsieur le ministre, qu’ils soient meilleurs en France qu’en Allemagne ? La réponse à cette question devrait nous amener à une réflexion intelligente sur le sujet.
Nous notons aussi un moindre rendement de l’impôt sur les sociétés. Plus alarmant encore, les recettes de TVA ont diminué de 6 milliards d’euros environ, évolution caractéristique d’une économie en récession.
Naturellement, vous allez invoquer la responsabilité de vos prédécesseurs.
Mme Michèle André. C’est sûr !
M. Francis Delattre. L’esprit de revanche ayant marqué vos six premiers mois au pouvoir vous a conduits à prendre des décisions, notamment à l’égard des entreprises et des entrepreneurs, qui ont aggravé et accéléré le processus menant au marasme économique.
M. Roland du Luart. Et qui ont détruit la confiance !
M. Francis Delattre. Dès juillet 2012, vous avez supprimé d’un trait de plume le dispositif fiscal de « TVA sociale », qui aurait pourtant permis de transférer, dès le mois d’octobre dernier, 13 milliards d’euros de charges sociales vers la fiscalité et de doper ainsi la compétitivité des entreprises, puis vous découvrez, à l’automne, le rapport Gallois, qui vous alerte sur ce sujet devenu brûlant.
À grands sons de trompe, vous inventez le CICE, pour remplacer ce que vous avez supprimé, mais en ratant la cible, l’industrie. La mise en place de ce dispositif qui s’apparente à une usine à gaz a exigé la rédaction d’une instruction fiscale de quarante et une pages…
Nous étions d’accord sur le principe d’un choc de compétitivité, pour un montant de 20 milliards d’euros par an. Aujourd’hui, nous en sommes bien loin. De questionnement en questionnement sur la réalité du financement et sur son montant, la Cour des comptes évoque un coût de 7 milliards d’euros pour 2014. Qu’en pensez-vous, monsieur le ministre ?
Dans ce débat, au-delà des ratios macroéconomiques, il n’est pas inutile d’observer les résultats, les conséquences concrètes de la forte pression fiscale exercée d’abord sur les particuliers, puis sur les entreprises.
La forte pression fiscale subie par les ménages est dans une large mesure à l’origine d’un net fléchissement de la consommation. Les dépenses de consommation des ménages ont ainsi reculé de 0,2 % en 2012, après être restées stables en 2011. Pour les seuls produits manufacturés, les dépenses ont diminué de 0,8 % en 2012, après une augmentation de 0,9 % en 2011 ; c’est la plus forte baisse annuelle depuis 1993.
La pression fiscale a également provoqué une perte historique de pouvoir d’achat, ayant pour conséquence une diminution de 5,7 milliards d’euros des recettes de TVA en 2012.
La pression fiscale sur les entreprises a entraîné, quant à elle, un recul des investissements et des créations d’emplois. Nous avons assisté à une diminution de 13 % des implantations d’entreprises en France en 2012 par rapport à 2011, alors que le recul n’a été que de 3 % en moyenne en Europe. La baisse s’élève à 25 % pour les implantations industrielles.
La pression fiscale exercée sur les entreprises a également eu pour effet une baisse de 20 % du nombre d’emplois créés et de 9,6 % du montant des investissements des business angels en 2012. Sur l’ensemble de cette même année, le taux de marge des entreprises s’établit, en moyenne, à 27,9 %, ce qui marque un étiage depuis 1985, contre 28,5 % en 2011. En conséquence, les recettes de l’impôt sur les bénéfices des sociétés ont baissé de 3,6 milliards d’euros en 2012.
Ce repli de la consommation et des investissements a des effets récessifs sur l’économie française. Il démontre que l’outil fiscal ne peut suffire à redresser les comptes du pays. Ce redressement exige des réformes structurelles courageuses.
Là réside votre grave erreur en matière de stratégie budgétaire : vous avez, d’abord, presque tout misé sur l’impôt, au point d’arriver à un niveau de prélèvements tel que le rendement fiscal diminue désormais, ce qu’illustre parfaitement la célèbre courbe de Laffer, dont l’enseignement est que trop d’impôts tue l’impôt.
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Ce n’est pas vrai ! Ce n’est pas ça, la courbe de Laffer !
M. Francis Delattre. Le rendement diminuant, vous ne pouvez être au rendez-vous de vos objectifs !
Nul besoin de tergiverser, le constat est sans appel : nous observons en 2012 un net fléchissement de vos résultats en matière budgétaire, clairement imputable aux choix de ce gouvernement, ainsi qu’à des discours souvent malencontreux, qui sapent la confiance des acteurs de l’économie réelle et les découragent d’investir.
Certes, avant la crise de 2008, durant la période 2002-2006, mais aussi bien avant, nos dépenses publiques étaient trop élevées. Pendant de nombreuses années, nous avons tous été coresponsables d’un manque de vertu budgétaire, quel que fût le gouvernement en place. Après la crise, en revanche, un effort sans précédent a été accompli sur les dépenses, et vous bénéficiez encore de son prolongement en 2012.
S’il est vrai que nos dépenses, en moyenne annuelle, ont augmenté plus fortement entre 2007 et 2011 qu’en 2012, c’est parce que nous avons subi, en 2008, une crise qui a imposé la mise en place, dans l’urgence, d’un plan de relance pour sauver notre économie.
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Et la crise est toujours là…
M. Francis Delattre. Ce plan de relance avait d’ailleurs été jugé insuffisant par les socialistes,…
M. Philippe Dallier. Exactement !
M. Francis Delattre. … qui prônaient l’engagement de plus de dépenses, financées en grande partie par l’emprunt.
M. Philippe Dallier. Eh oui !