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Débat sur la réforme de la politique agricole commune
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur la réforme de la politique agricole commune.
La parole est à M. le ministre.
M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je m’apprête à vous présenter l'accord conclu la semaine dernière entre le Parlement européen, le Conseil des ministres de l'agriculture et la Commission européenne sur la réforme de la politique agricole commune.
À mon retour de Luxembourg, après plusieurs jours et nuits de négociations, j’ai constaté que nombre de nos médias s’intéressaient peu à cette question, aux enjeux de cette réforme, alors même que l'agriculture française représente 500 000 exploitants et occupe, directement ou indirectement, près d’un million d'hommes et de femmes. Aussi, je suis très satisfait que le Sénat ait organisé ce débat.
Cette réforme de la politique agricole commune est le fruit d'une réflexion qui a été engagée en 2003 à Luxembourg. L’objectif était alors de mettre en place les aides découplées à l’hectare.
Le choix a été fait de considérer que l'aide accordée aux agriculteurs devait être directement liée aux surfaces et être indépendante de leurs productions. Selon la stratégie retenue, il a été considéré qu’il ne revenait pas à l'action publique et au budget européen d'orienter les choix des exploitants agricoles. C’est ce qui a justifié le découplage.
Le risque était cependant qu’un prix élevé des céréales, en particulier, ne conduise certains agriculteurs, lorsque cela leur était possible, à renoncer à l’exploitation et à l'élevage pour se consacrer à la céréaliculture. C’est ce à quoi l’on a assisté ces dernières années.
Face à cette logique consistant à faire le choix d’une spécialisation des terres agricoles à l'échelle européenne, il a fallu engager les négociations, afin de modifier le cours de la construction de la politique agricole commune et de trouver un nouvel équilibre entre l'élevage et l'ensemble des productions à l'échelle européenne.
La France, pour sa part, est un concentré, une photographie, de l'agriculture européenne. Elle allie agriculture méditerranéenne, agriculture de moyenne montagne, agriculture de montagne, agriculture intensive, production céréalière et production laitière, polycultures et élevage. Notre pays concentre sur son territoire la diversité des agricultures européennes. Tel était l'objet du débat.
À partir de là, comment travailler ? À mon arrivée, aucune discussion n’était réellement engagée sur la réforme de la politique agricole commune, ce qui m’a fait dire que j’avais trouvé le débat en jachère. La Commission européenne avait néanmoins avancé une proposition reposant sur deux principes fondamentaux.
Le premier principe était la convergence des aides. On s’orienterait vers une aide à l’hectare de base identique à l’échelle européenne, indépendamment de la nature des exploitations.
Pour un pays comme la France, cela revient à sortir de ce que l’on appelle les droits à paiement unique, les DPU, qui sont des aides différenciées selon les régions et les orientations techniques des exploitations. Ainsi, on ferait en sorte qu’une partie des aides versées aux activités ayant les DPU par hectare les plus élevés – polyculture, élevage, exploitations laitières – serve à rééquilibrer le versement des aides, notamment au bénéfice des éleveurs du grand Massif central ou des zones méditerranéennes.
Ce débat sur la convergence, qui visait à ramener des aides, aujourd’hui différenciées, à un même niveau, était extrêmement important.
Le deuxième principe était celui du verdissement de la politique agricole commune. Il s’agissait de prendre en compte dans le premier pilier, et pas seulement dans le deuxième pilier, un certain nombre de choix stratégiques permettant à l’agriculture européenne de s’engager sur la voie de la durabilité. Pour ce faire, trois critères avaient été fixés : le maintien des prairies permanentes, la diversification des cultures, la préservation de surfaces d’intérêt écologique.
La position de la France a été claire. Nous avons soutenu cet objectif de verdissement de la politique agricole commune et, si nous n’avions pas pesé dans les débats pour défendre les propositions de la Commission européenne dans ce domaine, ce verdissement n’aurait pas été aussi important qu’il ne l’est aujourd'hui.
Le choix que nous avons fait, c’est aussi celui de ne pas laisser la question de l’environnement relever du simple arbitrage des différents États, car cela aurait pu conduire à pénaliser les pays les plus actifs en termes d’environnement, au bénéfice des moins actifs. Sans un accord sur cette question du verdissement, tel était effectivement le risque que nous courrions.
À ces deux principes, convergence et verdissement, s’ajoutent des avancées en termes de régulation. J’ai eu l’occasion de m’exprimer sur ces différents sujets.
Nous avons donc fait évoluer la situation de manière significative. Nous sommes revenus, par exemple, sur la suppression des fameux droits de plantation en viticulture, et l’accord que nous avons trouvé sur cette question est définitivement intégré à l’accord signé la semaine dernière. (M. Gérard César approuve.) Nous sommes revenus sur le choix de supprimer les quotas sucriers dès 2015. Nous avons plaidé pour la reconnaissance des interprofessions, qui détermine notre capacité à organiser les filières. Tous ces points sont intégrés à la réforme.
Les choix que nous avons faits sur ces questions de convergence, de verdissement et de régulation remettent en question des positions qui avaient pu être prises dans les années précédentes et réorientent la construction de la politique agricole commune.
J’ajoute un point majeur au sujet de la convergence : le choix, que j’ai défendu, de maintenir le couplage des aides.
Comme je l’indiquais précédemment, il a été décidé, en 2003, de découpler les aides. Celles-ci étaient donc versées aux États sans que l’on tienne compte des productions des agriculteurs.
Cette décision faisait courir un risque majeur à l’élevage, dont la particularité est d’avoir une rentabilité du capital investi et une productivité du travail plus faibles que d’autres types d’activités, en particulier la culture céréalière. Sans compensation spécifique de ces deux éléments, on se retrouve avec des agriculteurs qui abandonnent l’élevage pour cultiver des céréales, comme cela a parfois été le cas dans le passé. D’où la nécessité de maintenir le couplage des aides et notre volonté de faire progresser le taux initial de 10 % proposé par la Commission européenne.
En mars dernier, nous étions à 12 % et, à l’issue de la négociation, nous étions à 13 %, une possibilité supplémentaire de 2 % ayant été obtenue pour la production de protéines végétales. Ainsi, nous allons pouvoir assurer une autonomie fourragère à l’Europe et, en particulier, à la France.
Dans cette négociation sur la réforme de la politique agricole commune, je me suis donc fixé pour objectif d’assurer la diversité des agricultures à l’échelle française et à l’échelle européenne, de revenir sur les choix de découplage total pour favoriser les aides couplées, en particulier en ce qui concerne l’élevage, et d’assurer le verdissement de cette politique. Je tiens effectivement à ce que les États européens soient tous sur un pied d’égalité s’agissant de l’engagement majeur que représente la durabilité de l’agriculture européenne.
Enfin, nous avons veillé à maintenir des outils de régulation, cette dernière étant indispensable dans la gestion des marchés agricoles. Je pense en particulier à l’engagement qui a été pris, sous la pression de la France, d’organiser une réunion à haut niveau sur la question de l’« après-quotas laitiers ».
J’apporterai quelques précisions complémentaires.
Pour la première fois, les GAEC – groupements agricoles d’exploitation en commun – et leur transparence seront reconnus à l’échelle européenne. Jusqu’ici, ils ne l’étaient que de manière dérogatoire. À mes yeux, il s’agit d’un enjeu majeur, car il permet de démontrer que nous avons à la fois besoin d’une agriculture économiquement compétitive et d’une agriculture où ce sont bien des paysans qui sont à la tête des exploitations.
Je l’avais dit en plaisantant : même Jacques Chirac n’a pas obtenu cette reconnaissance des GAEC et de leur transparence ! C’est fait, et c’est une avancée très importante.
Par ailleurs, nous avons aussi obtenu des avancées s’agissant des mesures agro-environnementales, les MAE, ce qui nous ouvre des possibilités en matière de politiques susceptibles d’être menées dans le cadre du deuxième pilier. Là encore, je pense à une mesure qui a été prise au bénéfice de l’élevage, à savoir le passage du plafond des indemnités compensatoires de handicaps naturels de 300 euros à 450 euros par hectare. C’est un signe adressé à l’élevage, en particulier dans les zones à handicaps naturels.
Nos axes stratégiques ont donc consisté à rééquilibrer la politique agricole commune pour donner les moyens à l’activité d’élevage, essentielle au regard de l’occupation et de l’aménagement du territoire, de se maintenir à un moment où elle connaît des difficultés, mais aussi à fixer un objectif environnemental à l’ensemble de l’Europe – faire de l’agriculture européenne une agriculture durable –, à modifier les mesures prises en matière de couplage des aides, de manière à changer la logique de la PAC, et, enfin, à traiter la question de la régulation des marchés, régulation indispensable pour permettre à l’Europe de mieux lutter contre la volatilité extrêmement importante des prix.
Enfin, c’est dans le cadre de cette réforme que, là encore pour la première fois, une mesure obligatoire d’aide aux jeunes agriculteurs est instaurée. Elle fait d’ailleurs écho aux choix qui ont été faits par le Président de la République en matière de politique à destination de la jeunesse. C’est un geste significatif puisque nous pourrons, au titre à la fois du premier pilier et du deuxième pilier, consacrer des fonds à l’installation de jeunes agriculteurs.
Favoriser l’installation des jeunes, c’est avoir confiance dans l’avenir de l’agriculture, et je crois que, sur toutes les travées du Sénat, cette belle ambition est partagée. La France demeure un grand pays agricole ; elle le sera encore demain ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Joël Labbé.
M. Joël Labbé. Nous avons compris, monsieur le ministre, que les négociations ont été longues et rudes, mais que vous êtes parvenus à un certain compromis… En vérité, celui-ci ne nous satisfait qu’à moitié.
Certes, nous partons de loin ! À ce titre, quelques chiffres méritent d’être rappelés : 20 % des exploitations s’accaparent actuellement 80 % des aides directes et, en France, les 160 plus grandes exploitations touchent 123 millions d’euros par an, soit autant que les 100 000 plus petites.
Nous tenons d’abord à saluer le rôle que vous avez joué. Vous avez placé la France à la tête des pays souhaitant une régulation, en cette période où la logique libérale rejoint la logique de repli national, dans le domaine agricole comme dans de trop nombreux autres, et où une véritable construction de l’Europe s’impose. Nous notons votre ténacité à défendre le principe d’une PAC un tant soit peu régulatrice alors que bon nombre d’États, ne l’oublions pas, ne partagent pas cette position.
Nous saluons aussi le travail réalisé au regard du couplage des aides. Comme vous l’avez rappelé, le taux est porté à 13 %, alors que proposition initiale était de 10 %. S’y ajouteront 2 % supplémentaires obtenus pour la production de protéines végétales. Ce sont là des avancées.
Par ailleurs, la majoration des aides directes sur les premiers hectares de toutes les exploitations est de nature à favoriser les exploitations qui emploient. Or le volet emploi, qui est essentiel à nos yeux, a été et continue d’être mis à mal par le modèle productiviste.
Enfin, avancée également intéressante, la majoration obligatoire des aides pour les jeunes agriculteurs au sein du premier pilier complétera les soutiens existants. Il est néanmoins dommage que l’octroi de ces aides ne soit pas conditionné au fait que les projets d’installation répondent à des objectifs de création d’emplois, de protection de l’environnement et de bonne gestion des ressources naturelles. C’est regrettable car les jeunes qui s’installent peuvent éviter de s’enferrer dans un système qui a broyé une partie de la génération précédente ; d’ailleurs, nombre d’entre eux souhaitent s’engager dans une autre forme d’agriculture.
S’il existe un certain nombre de sujets de satisfaction, on reste toutefois bien loin des propositions initiales qui allaient dans le sens d’une PAC plus verte, plus juste et plus favorable aux jeunes.
Tout d’abord, le tournant vers une PAC plus verte n’est pas véritablement pris. Les quelques mesures de verdissement qui figuraient dans le projet initial et qui ont pu subsister sont laissées à l’appréciation des États membres, lesquels, pour la plupart, les rendront le moins contraignantes possible.
Quant à la rotation obligatoire des cultures, proposée par le groupe des Verts au Parlement européen, elle a été écartée d’emblée : la mesure n’a même pas été étudiée ! Pourtant, tout en favorisant le rétablissement de notre balance commerciale, elle allait dans le sens d’une réduction de notre dépendance vis-à-vis des importations de soja en provenance d’Amérique du sud, d’une amélioration de la qualité des sols et d’une réduction de l’utilisation d’intrants. Ç’aurait été une belle victoire pour le développement d’un modèle agricole plus durable ! À l’heure où l’agro-écologie fait beaucoup parler d’elle, et nous en sommes heureux, cette seule mesure concrète aurait permis d’en favoriser l’essor. Au contraire, c’est encore le lobby de l’agro-industrie qui a pesé et la monoculture va pouvoir continuer à se développer sur 75 % de la surface des exploitations.
Ensuite, cette nouvelle PAC n’est pas aussi juste qu’on aurait pu l’espérer.
La convergence des aides ne permettra pas un réel transfert au profit de l’élevage, notamment. Les gros céréaliers restent les grands gagnants. Les sommes qu’ils touchent sont d’ailleurs préservées : elles ne pourront être réduites au-delà de 30 % d’ici à 2020. Sans doute est-ce une avancée, mais on ne peut s’en satisfaire !
Quant au plafonnement des aides, le Parlement européen l’avait fixé à un niveau, déjà fort élevé, de 300 000 euros. Plus rien ne subsiste, dans l’accord, de cette mesure : elle a disparu ! Pourtant, elle ne fissurait que très à la marge le modèle agro-industriel intensif puisqu’elle ne concernait que 35 000 exploitations agricoles sur les 13 millions de fermes européennes. Les États membres ne sont tout simplement plus tenus de l’appliquer !
Cette nouvelle n’est pas vraiment rassurante. Sans plafonnement des aides, c’est la concurrence interne qui restera la règle : les plus gros pourront racheter leur voisin en faillite, et cela avec le soutien de l’argent des contribuables.
Cet accord montre surtout que nous nous éloignons de plus en plus de l’idéal de solidarité entre paysans européens qui était le fondement même de la PAC.
Cependant, la partie n’est pas totalement jouée. Compte tenu des marges de manœuvre que les États ont récupérées, la future loi sur l’avenir et la modernisation de l’agriculture sera une étape cruciale. Devant nous s’ouvre une période intéressante. Il faut que, en France, nous montrions l’exemple en favorisant la recherche et son application à travers des modes de production plus respectueux de l’environnement, créateurs d’emplois durables, générateurs de développement des zones rurales.
Va-t-on permettre que la majorité des paysans deviennent de simples sous-traitants, dépourvus de droits, de l’industrie agroalimentaire et de l’agrochimie ? Ou bien va-t-on enfin créer les conditions pour que les agriculteurs soient les moteurs d’une économie relocalisée ? L’enjeu est là !
Monsieur le ministre, nous comptons sur vous. Dès lors que vous engagerez l’agriculture dans cette voie, nous serons avec vous. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur de nombreuses travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Emorine.
M. Jean-Paul Emorine. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’organisation de ce débat sur la politique agricole commune présente beaucoup d’intérêt, même si, les négociations européennes ayant abouti la semaine dernière, nous avons eu un délai très court pour le préparer et s’il reste à franchir quelques étapes institutionnelles, tant sur le cadre financier pluriannuel européen 2014-2020 que sur la PAC.
Mon collègue Gérard César rappellera dans quelques instants les orientations du groupe de travail sur la politique agricole commune auquel j’appartenais et qui a récemment adopté à l’unanimité une proposition de résolution européenne relative à ladite politique.
Pour ma part, j’interviens au nom du groupe UMP et vous prie de bien vouloir excuser notre collègue Jean Bizet, très impliqué également sur ce sujet, mais qui, participant à la session annuelle de l’OSCE – Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe – n’a pu rejoindre notre hémicycle à temps.
Je souhaite d’abord rappeler combien la PAC représente un succès des politiques européennes. Il convient de la préserver.
C’est un succès non pas tant parce qu’elle est l’un des principaux postes de dépenses du budget européen que parce que, alors qu’elle a connu, depuis sa mise en place en 1962, plusieurs réformes et qu’elle a toujours su s’adapter aux nécessités économiques.
À l’heure où souffle parfois un vent de scepticisme sur l’avenir de l’Union européenne, il me semble indispensable de mettre en valeur ce qui répond aux attentes de nos concitoyens.
Cette PAC en constante adaptation, nous en avons encore une illustration avec la présente réforme, laquelle s’inscrit malheureusement dans un cadre budgétaire contraint.
C’est pourquoi nous comprenons parfaitement l’attitude de nos collègues eurodéputés du Parti populaire européen, qui se sont approprié les prérogatives que leur donne le traité de Lisbonne en matière de codécision et ont souhaité un budget européen plus autonome, plus flexible et révisable en cours de période.
Les négociations sur la réforme de la politique agricole commune ont donc cheminé parallèlement à celles qui ont porté sur le cadre financier pluriannuel.
Cela étant, il est fort peu probable que la nouvelle PAC entre en vigueur au 1er janvier 2014 ; ce sera plutôt aux alentours du 1er janvier 2015.
Dans ces conditions, il est très important que nos agriculteurs puissent anticiper les montants en jeu et leurs modalités d’affectation, de façon à pouvoir programmer leurs investissements et la gestion de leurs exploitations.
Si nous pouvons comprendre qu’en période de crise chacun doit faire un effort, on n’en constate pas moins que, contrairement à ce que dit le Gouvernement, l’agriculture sera fortement mise à contribution dans le nouveau cadre financier pluriannuel : moins de 50 milliards d’euros globalement, soit moins de 1 milliard d’euros par an pour la France.
À cet égard, monsieur le ministre, vous avez très habilement présenté le résultat des négociations en annonçant 1 milliard d’euros de plus sur le deuxième pilier, mais en vous gardant de préciser que c’était sur sept ans, et non annuellement.
Il convient d’ajouter que ces crédits seront affectés par la ComAgri – commission de l’agriculture et du développement rural du Parlement européen – lors d’un vote en juillet ou en septembre, puis en séance plénière.
Nous pouvons dire que cette nouvelle PAC est, dans ses principes, plus respectueuse de l’environnement, grâce à la convergence des aides et au verdissement.
Des interrogations n’en demeurent pas moins quant à la mise en œuvre nationale de ces dispositifs, qui, dans cette PAC renouvelée, sera importante.
Par exemple, en France, les références historiques vont disparaître. Nous aimerions savoir, monsieur le ministre, comment va fonctionner le nouveau système d’attribution des droits à paiement de base et comment vous allez garantir qu’il n’aura pas un effet trop brutal la première année. Il est nécessaire d’encadrer la convergence interne pour éviter de trop grandes disparités, tout en ayant pour objectif la convergence définitive en 2020.
Toujours en vue de la convergence, les États auront la possibilité d’affecter une part de leur enveloppe nationale afin d’accorder un paiement supplémentaire aux 50 premiers hectares, mais il faut qu’elle remplisse son objectif de compensation de la diversité des exploitations. C’est pourquoi il est indispensable que les GAEC soient pris en considération, ce que vous avez confirmé, monsieur le ministre.
La PAC doit en effet être à même de prendre en compte les difficultés des zones de montagne et des zones défavorisées qui préservent notre élevage et sont en voie de désertification. À ce titre, ce sont bien les États membres qui peuvent octroyer un paiement supplémentaire pour les zones soumises à des contraintes naturelles.
En matière de verdissement, nous devons aussi tenir compte de la réalité des situations locales en termes de délimitation des surfaces d’intérêt biologique, notamment, dans la mesure où les États pourront adopter un système de pondération en fonction de l’intérêt écologique.
S’agissant des prairies, pour des raisons agronomiques, certains espaces ou plaines sont retournés afin de garantir une meilleure flore ; ce qui doit alors être respecté, monsieur le ministre, c’est la surface toujours en herbe de l’exploitation.
En outre, j’appelle le Gouvernement à exercer toute sa vigilance lors de l’élaboration, par la Commission, de la matrice d’équivalence des surfaces d’intérêt écologique.
De façon générale, il faut être prudent sur les niveaux de jachère, qui doivent prendre en compte, à l’avenir, la nécessité de nourrir 9 milliards d’êtres humains à l’horizon 2050.
M. Daniel Raoul. Eh oui !
M. Jean-Paul Emorine. Par ailleurs, il me semble que nous devons être aussi vigilants au regard de la situation particulière des biocarburants et de la révision des normes communautaires qui leur sont applicables, car le principe de la recherche en la matière est la progressive montée en puissance, sans rupture claire entre une première et une deuxième génération. Il faudrait donc veiller à préserver la filière existante.
Enfin, tant sur le premier pilier, lorsque cela est autorisé, que sur le deuxième pilier, nous attendons que les cofinancements nationaux soient à la hauteur, dans un contexte difficile pour nos finances publiques.
S’agissant en particulier des assurances « aléas climatiques », le Gouvernement doit s’engager à avoir un cofinancement qui permette de prendre en charge 65 % du montant des primes d’assurance, et non à peine 50%, comme vous l’avez indiqué, monsieur le ministre. Ces assurances deviennent en effet incontournables pour garantir la pérennité de nos exploitations.
M. Gérard César. Très juste !
M. Jean-Paul Emorine. Dans cette même perspective, j’aimerais savoir, monsieur le ministre, si vos services et ceux de Bercy – cela vaut d’ailleurs pour tous les gouvernements – mènent une réflexion sur la possibilité d’une garantie de réassurance au lieu de continuer d’intervenir en ayant recours au Fonds national de garantie des calamités agricoles.
Enfin, monsieur, le ministre, je voudrais insister sur deux points clés pour l’avenir de notre agriculture et qui sont entièrement du ressort national.
D’une part, nous devons continuer de soutenir ce qui fonctionne, en particulier la politique d’installation des jeunes. Permettez-moi de le rappeler, 20 % des chefs d’exploitation ont moins de quarante ans dans notre pays, alors que la moyenne européenne se situe à 6 %. C’est un début de garantie pour l’avenir de notre agriculture ; préservons-le !
À cet égard, nous sommes très sensibles à ce que l’accord sur la PAC rende obligatoire l’aide directe majorée aux jeunes agriculteurs, et ce jusqu’à 2 % de l’enveloppe nationale des paiements directs.
D’autre part, nous devons veiller à ne pas alourdir la gestion des exploitations agricoles par des décisions administratives qui iraient au-delà de celles qui sont exigées par la réglementation européenne. Cela retarde le démarrage des exploitations, augmente leurs coûts de production et pèse sur leur compétitivité. J’en veux pour preuve la lourdeur des autorisations pour construire des bâtiments d’élevage ou des dispositions en préparation sur l’épandage. (Mme Sylvie Goy-Chavent manifeste son désaccord.)
Quand le commissaire européen Dacian Ciolos se félicite d’une PAC qui réduit le rôle des autorités publiques et de l’intervention bureaucratique, il n’est pas opportun que nous faisions l’inverse à l’échelon national !
Monsieur le ministre, nous avons toujours défendu une agriculture, des exploitations et une filière agro-alimentaire compétitives. Nous continuerons de les défendre, et à plus forte raison en période de crise économique et de chômage. Du reste, si l’agriculture occupe une si large part de notre territoire, puisqu’elle couvre 60 % de notre espace, c’est bien parce qu’elle reste une activité de production permettant d’assurer à nos concitoyens une alimentation de qualité. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – MM. Daniel Raoul, Claude Dilain et Michel Le Scouarnec applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Bernadette Bourzai.
Mme Bernadette Bourzai. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me réjouis que nous ayons ce débat aujourd’hui dans cet hémicycle quelques jours seulement après le dernier trilogue qui s’est conclu par un accord pour une nouvelle politique agricole commune à partir de 2014.
Je m’en réjouis d’autant plus que, au lendemain de cet accord, un accord sur le cadre financier pluriannuel 2014-2020 a lui aussi été trouvé, ce qui permet de penser que les éléments qui restaient en suspens dans les négociations de la PAC, et que M. Jean-Paul Emorine a évoqués, vont pouvoir maintenant être clarifiés.
La PAC façonne notre agriculture depuis cinquante ans ; cette politique européenne, la plus visible de l’Union, est naturellement au cœur de nos préoccupations pour nos territoires ruraux, et notre assemblée y a consacré un travail important et dense pour accompagner et nourrir la réflexion sur cette réforme qui va organiser la PAC pour les sept prochaines années.
Je formulerai quelques remarques liminaires, car cette réforme, qui se faisait pour la première fois en codécision avec le Parlement européen, démarrait sous des auspices assez pessimistes. En effet, la tendance du gouvernement précédent allait plutôt dans le sens de la baisse, d’abord sur le budget, ensuite sur les possibilités d’aides couplées, à quoi s’ajoutait l’abandon programmé des outils de régulation. Quant à la redistribution et à la dégressivité des aides, elles étaient des sujets tabous...
Monsieur le ministre, depuis votre prise de fonctions, vous avez mis tout en œuvre pour inverser cette tendance et pour aboutir dans des délais, certes courts – mais cela était nécessaire –, à une réforme pour une PAC plus équitable, plus verte et plus régulatrice.
Autant le dire, cette réforme n’était pas acquise d’avance et s’engageait mal. Mais vous avez réussi à aboutir, et cela grâce à votre excellente connaissance des dossiers de la PAC, des institutions européennes et de leur fonctionnement, et aussi grâce à la ténacité du Président de la République, François Hollande, pour sauvegarder une dotation substantielle dans le cadre budgétaire 2014-2020, puisque la France bénéficiera de 56 milliards d’euros constants sur la période de sept ans, soit 63,7 milliards d’euros courants.
Si cette réforme de la PAC avait vocation non pas à révolutionner le système agricole européen – j’ai bien entendu que Joël Labbé le regrette, d’une certaine façon –, mais plutôt à organiser une transition vers l’agriculture de demain, elle introduit tout de même des évolutions majeures, qui vont avoir une incidence significative et durable sur l’agriculture européenne.
Les moyens dévolus à l’agriculture française restent importants, malgré la baisse globale de 12 % : elle se limitera à 2 % seulement pour notre pays.
J’en viens au contenu de cet accord.
Vous avez choisi, monsieur ministre, d’œuvrer pour une PAC plus juste, dont la priorité est une redistribution en faveur de l’élevage et de l’emploi, ce dont je ne peux que me féliciter.