M. Bruno Sido. Normalement, oui !
Mme Corinne Bouchoux. En ce qui nous concerne, nous pensons que l’autonomie sans les moyens, la liberté sans un engagement de l’État permettant d’honorer les promesses faites, ce n’est qu’un marché de dupes !
Telles sont, mes chers collègues, les différentes limites de la loi LRU que nous tenions à souligner. Dans la mesure où son abrogation n’a pas été prévue, nous aurons à cœur, lors de l’examen du projet de loi relatif à l’enseignement supérieur et à la recherche, d’enrichir le texte du Gouvernement, afin que l’université favorise la réussite des étudiants et ne sacrifie pas certains territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jean-Léonce Dupont. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il y a six ans, à quelques semaines près, j’étais le rapporteur devant le Sénat du projet de loi relatif aux libertés et responsabilités des universités. Ensuite, de 2008 à 2012, j’ai représenté notre assemblée au comité de suivi dont nous avions voté la création. C’est donc avec un grand intérêt que j’ai pris connaissance du rapport de nos collègues Dominique Gillot et Ambroise Dupont, chargés de dresser le bilan de l’application de la loi LRU.
Ce débat se tient au moment même où nous allons entamer la discussion d’un nouveau projet de loi touchant à l’enseignement supérieur – une heureuse concordance des temps. Un temps que, précisément, on aurait envie d’implorer pour nos universités : « Ô temps ! suspends ton vol » !
De fait, l’autonomie, lorsqu’elle n’est plus seulement un mot mais devient une réalité, ne s’improvise pas ; elle s’apprend. Or tout apprentissage réclame du temps. Gardons à l’esprit que l’autonomie votée en 2007 a été mise en place progressivement, à partir de janvier 2009 pour les premiers établissements concernés. De sorte que, aujourd’hui, les universités pratiquent l’autonomie depuis quatre ans et demi au plus, voire depuis moins de trois ans. C’est infiniment peu pour une révolution culturelle – nos rapporteurs ont raison d’employer ce terme, parfois galvaudé, car c’est bien de cela qu’il s’agit.
En définitive, nos universités ont relevé le défi avec courage, apportant ainsi la démonstration de leur vitalité.
Elles ont mis en œuvre la réforme sans trop de temps de préparation, ni sans avoir réellement les moyens de recruter un personnel formé aux nouveaux métiers et aux nouvelles fonctions supports que représentent pour elles le management stratégique, le contrôle de gestion et le pilotage opérationnel – autant de termes qui, jusqu’alors, ne se prononçaient à l’université que dans les amphithéâtres des instituts d’administration des entreprises.
De surcroît, elles l’ont mise en œuvre avec pour tout viatique un audit externe de quelques centaines de pages, dans une temporalité différente de celle des contrats d’établissement et dans un climat social que l’on dira sobrement peu réceptif au changement décidé par le gouvernement de l’époque.
Sans compter que, au-delà du temps nécessaire pour que les équipes de direction maîtrisent leur responsabilité nouvelle, il faut faire la part du temps, non négligeable, dont toute institution a besoin pour s’adapter au changement.
Accéder aux responsabilités et compétences élargies, pour employer la formule consacrée, c’est disposer d’un budget global et gérer directement la masse salariale de son établissement. Ce n’est pas rien : il faut prendre des décisions et arbitrer localement là où, auparavant, l’administration centrale tranchait. La situation antérieure était bien confortable : il suffisait de demander les dotations, puis de les recevoir et de les déplorer, de critiquer, de voter des motions et parfois de défiler. Exercer soi-même la responsabilité, c’est très différent !
M. Bruno Sido. Eh oui !
M. Jean-Léonce Dupont. En outre, les universités font cet apprentissage au pire moment : lorsque l’État n’a plus vraiment – c’est un doux euphémisme – les moyens matériels de leur venir en aide.
C’est ainsi que presque toutes les universités se trouvent actuellement dans de sérieuses difficultés financières, sans réserves minimales de trésorerie ; certaines sont au bord du dépôt de bilan, si vous me permettez cette image.
Sans doute le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche a-t-il sa part de responsabilité dans une évaluation insuffisante des charges salariales et de leur évolution.
M. David Assouline, président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois. En effet !
M. Jean-Léonce Dupont. Nous autres, élus locaux, connaissons bien le problème du transfert des compétences et des charges afférentes ; le rapport de nos collègues a su montrer que, à cet égard, l’accès des universités à l’autonomie n’était pas très différent de la décentralisation.
Mme Dominique Gillot, rapporteur. Absolument !
M. Jean-Léonce Dupont. Les établissements gravissent donc l’autonomie par sa face nord, l’apprenant dans sa dimension la plus difficile, la plus négative, la plus douloureuse : économiser, réduire, limiter, fermer, renoncer, sacrifier et, en définitive, compter chaque euro pour pouvoir assurer la rémunération des personnels à la fin de chaque mois.
Au risque de provoquer, mais ceux qui me connaissent savent mon refus permanent de la facilité, j’ose soutenir qu’il y a là une chance pour l’université française ; et que cette chance offerte par la loi LRU, il ne faut pas la laisser passer ! De mon point de vue, ce n’est pas le moindre des aspects à prendre en compte à l’heure où nous dressons ce bilan.
Pourquoi est-ce une chance ? Les décisions négatives que j’énumérais à l’instant sont des choix vitaux que les acteurs directs de l’établissement se trouvent dans l’obligation de faire pour eux-mêmes. Là est la chance : dans la faculté de prendre en main son propre destin.
Permettez-moi de donner un exemple. Tous les rapports convergent sur ce point, et votre projet de loi, madame la ministre, s’en préoccupe légitimement : l’offre de formation est pléthorique et peu lisible, y compris dans les dénominations des multiples parcours de licence ou de master. Cela ne facilite pas l’orientation des étudiants et, partant, leur réussite, sur laquelle je reviendrai.
Les mesures d’économie auxquelles les équipes s’attellent dans chaque université, pour chacune de leurs composantes – UFR, instituts, écoles – passent, notamment, par une remise en cause de l’offre de formation, obligeant à mesurer l’adéquation entre les moyens consacrés, les effectifs et les résultats, y compris en termes d’insertion professionnelle. Confrontées à des réalités qu’elles ont trop souvent négligées, les universités sauront décider avec intelligence, une qualité dont elles ne sont pas dépourvues.
Sollicitées pour soutenir les établissements, les collectivités locales s’interrogent légitimement sur l’impact de la présence de l’université sur leur territoire. L’ancrage territorial se conquiert aussi dans la durée et l’ouverture.
Or les contraintes financières pesant sur elles obligeront les universités à présenter à l’État et aux collectivités un projet d’établissement qui témoigne de cet ancrage. Trop longtemps, ce projet n’a été que le texte trop cosmétique d’intentions principielles servant d’écrin aux fiches actions auxquelles le ministère apportait un financement, au titre du contrat que certaines collectivités venaient compléter « à la carte ».
L’autonomie, et ce n’est pas la moindre de ses vertus, appelle la soutenabilité du projet de l’université. Les remises en question qui résultent de cet exercice nouveau qu’est l’autonomie se font d’abord à l'échelle locale, au plus près de ceux, personnels et étudiants, qu’elles concernent. Mais elles doivent aussi se faire en regardant plus loin, sur un territoire plus large, ce qui contraint notamment à coordonner son offre de formation avec celle des universités voisines. La « rationalisation par nécessité absolue de survie », comme la subsidiarité obligée, aura, je le crois, des vertus que les prochains projets d’établissement refléteront sans nul doute. Là encore, le temps impose un rythme.
Je veux dire ici que le remplacement des PRES, les pôles de recherche et d’enseignement supérieur, prévu par le projet de loi qui nous sera bientôt présenté, soulève certaines questions.
Ces pôles ne relèvent pas du débat de ce soir, car ils n’ont pas été créés par la LRU. Toutefois, il s’agit d’espaces encore fragiles, très jeunes, de collaboration entre établissements. Faut-il, alors que cette coordination, notamment entre universités, devient impérieuse, remettre en question un cadre juridique, qui, comme l’autonomie, n’a pas atteint sa vitesse de croisière ? Le temps de mettre en place les nouvelles structures sera de nouveau un temps mort préjudiciable. Il faut y réfléchir.
On le voit, on le sait, l’autonomie est une démarche difficile, qui implique des remises en cause douloureuses. Choisir et non pas subir : c’est aussi l’avantage de l’autonomie.
Cela suppose que les conseils d’administration des universités soient des instances stratégiques intervenant en soutien des équipes présidentielles. Nos collègues dans leur rapport soulignent que tel n’est pas encore suffisamment le cas. Là aussi, c’est un apprentissage et un changement culturel. On ne devient pas stratège en un jour quand on a une longue pratique de « chambre d’enregistrement » ou, osons aussi le dire, d’espace sanctuarisé d’expression syndicale ou corporatiste. La composition resserrée des conseils, comme l’obligation de représentation de tous les secteurs de formation de l’établissement, allait dans le bon sens. N’y renonçons pas !
L’autonomie n’est pas l’indépendance : les universités le savent et assument leurs responsabilités. Il revient à l’État, qu’il s’agisse de l’administration centrale ou des services académiques, de construire une nouvelle relation avec elles. Au prétexte d’un suivi et d’un accompagnement face aux difficultés financières rencontrées par les établissements, une tutelle insidieuse ne doit pas venir s’installer là où le contrôle de légalité doit prévaloir. Sur ce point également, le parallèle avec la décentralisation s’impose.
Laissons aussi aux universités le temps d’apprécier l’intérêt de la diversification des sources de financement et de mettre en place les instruments utiles : la loi leur a ouvert la possibilité de recevoir des dons de particuliers ou d’entreprises via des fondations. Certes, la crise que traverse notre pays ne facilite pas leur développement, mais ne retirons pas aux universités cette possibilité de participation et de soutien des acteurs économiques, notamment locaux. Il y va aussi bien de l’ouverture des formations sur leur environnement que de celle des laboratoires et équipes de recherche pour la diffusion de leurs travaux.
Dans la loi LRU, si la gestion de la masse salariale dans un budget global était une obligation pour les établissements dans un calendrier modulé, la dévolution du patrimoine immobilier restait une faculté. Celle-ci a été suspendue à la fin de l’année 2012, et c’est dommage. En effet, ces infrastructures sont au cœur de la gestion des établissements et font aussi partie des arbitrages à rendre. Seules trois universités ont à ce jour pris en main leur destin immobilier. Dans le cadre du comité de suivi de la loi LRU, j’ai rencontré leurs présidents. S’ils ne cachent pas les difficultés, ils mesurent là aussi l’importance et l’intérêt de « pouvoir décider en local ».
L’immobilier éducatif se gère dans la proximité, nos collectivités le savent s’agissant des collèges et lycées. Les établissements avaient commencé à prendre en main la fonction de gestion immobilière, en élaborant des schémas pluriannuels de stratégie immobilière. À l’heure des remises en cause que je viens d’évoquer, ne renonçons pas à leur donner cet outil, dont l’usage s’inscrit dans le prolongement naturel de l’autonomie.
Néanmoins, l’autonomie des établissements n’était pas la seule dimension de la loi LRU, qui devait être au service des missions de l’université, notamment de la formation, sur laquelle je souhaite m’arrêter quelques instants.
La LRU avait pour objet d’améliorer l’orientation des étudiants et la réussite en licence. Le plan éponyme n’a pas globalement atteint cet objectif, et la Cour des comptes en a dressé un bilan corrosif. Toutefois, quel plan le pourrait-il ? Tous les moyens du monde, s’ils étaient mobilisés, le permettraient-ils ? L’orientation active n’a pas donné les résultats attendus. Imaginer que la construction de passerelles longues entre le lycée et l’université en donnera davantage me semble utopique.
Le cycle de licence de l’université accueille nombre de jeunes qui s’y inscrivent par défaut, faute de projet personnel ou parce que les filières sélectives n’ont pas voulu d’eux, au vu de leur dossier scolaire trop fragile. Ce n’est pas dans ces établissements qu’ils trouveront la voie de leur future vie professionnelle.
Notre pays refuse de lever le tabou de la sélection, ce que d’ailleurs, sans oser le dire trop haut, des enseignants-chercheurs de plus en plus nombreux appellent de leurs vœux. Combien de temps faudra-t-il attendre ?
Au confluent de la gestion de l’établissement et de la formation des étudiants se trouve le dossier majeur et tout aussi tabou des droits d’inscription.
M. David Assouline, président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois. Absolument !
M. Jean-Léonce Dupont. Toutefois, leur relèvement – naturellement assorti d’aides sociales réformées – n’a pas de légitimité réelle à l’entrée de l’université si cette dernière offre l’échec comme seul horizon à trop d’étudiants. C’est un nœud gordien qu’il faudra bien trancher.
Donner du temps et aller vite, ce n’est ni contradictoire ni incompatible. Donner du temps aux établissements pour qu’ils apprivoisent définitivement l’autonomie que la loi LRU leur a donnée et qu’ils n’ont pas du tout envie de perdre. Aller vite pour faire réussir notre jeunesse, parce que de la qualité de la formation dispensée dépend l’avenir de notre pays. Aller vite, aussi, pour éviter le décrochage de nos universités sur la scène internationale, notamment en matière de recherche.
La loi LRU a su ouvrir la voie, mais l’exploration n’est pas encore complètement achevée. La responsabilité qui incombe à la future loi est lourde : décider si la voie restera ou non praticable. L’autonomie dans son principe n’est pas remise en question. C’est positif, pourvu qu’elle ne soit pas diluée dans le compromis et qu’elle demeure l’outil d’affirmation de l’excellence de nos universités. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Michel Le Scouarnec.
M. Michel Le Scouarnec. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la loi relative aux libertés et responsabilités des universités, dite « loi LRU », de 2007 et le pacte pour la recherche de 2006 ont profondément bouleversé le paysage de l’université et de la recherche. En faire le bilan est une nécessité, alors que nous nous apprêtons à examiner le projet de loi d’orientation pour l’enseignement supérieur et la recherche, ou ESR.
Le rapport-bilan de la LRU, présenté conjointement par nos collègues Dominique Gillot et Ambroise Dupont, nous éclaire sur les principes et la visée qui président à la réforme de l’ESR qui nous est aujourd’hui proposée. On se souvient que, lors de son examen et de son adoption, le projet de loi LRU avait fait l’objet de fortes divergences entre la gauche et la droite.
Pour être complet, le bilan de la loi LRU doit cependant s’accompagner de celui du pacte pour la recherche de 2006, qui participe d’une même logique. De même, il faut prendre en compte des dispositifs non législatifs, tels que les initiatives d’excellence, qui s’inscrivent dans la même visée.
La loi LRU et le pacte pour la recherche sont marqués par une vision utilitariste de l’université, ancrée dans le rayonnement et la compétitivité internationale, selon des critères définis par le Conseil européen de Lisbonne de 2000 et aux termes desquels l’université doit devenir un acteur incontournable de la compétitivité européenne dans l’économie de la connaissance.
Dans une telle perspective, l’université et la recherche visent d’abord l’employabilité et la croissance économique. Cela aboutit à privilégier la recherche appliquée au détriment de la recherche fondamentale, et les sciences dites « dures » au détriment des sciences humaines et sociales.
Pour le groupe CRC, la connaissance est la première visée de l’université et de la recherche. L’obsession économique aboutit à une hiérarchisation des savoirs que nous récusons.
Quant à la recherche publique, elle est asservie aux intérêts du privé. Pis, la recherche privée est financée par des fonds publics ! La montée en puissance du crédit d’impôt recherche, avec ses 5 milliards d’euros d’exonération fiscale en 2012, attribués principalement à de grandes entreprises, en est l’exemple le plus emblématique.
Pour autant, cela n’empêche pas la fermeture de pôles de recherche et de développement, comme en témoigne l’exemple de Sanofi, nous amenant à nous interroger sur l’efficacité de ce dispositif.
Les universités s’organisent désormais en pôles de recherche et d’enseignement supérieur, ou PRES, censés s’adapter et répondre aux besoins socio-économiques spécifiques du territoire. La conséquence en est la restructuration de l’enseignement supérieur autour d’une dizaine de pôles de visibilité mondiale, que les initiatives d’excellence ont confortés. La rupture avec le principe d’égalité territoriale s’en trouve renforcée, ce qui est grave pour l’avenir de l’enseignement, de notre jeunesse, de nos territoires et, donc, de notre pays.
Un écart important s’est créé entre quelques grandes universités d’excellence, auxquelles est affecté l’essentiel des moyens, et les autres universités, délaissées, qui accueillent pourtant la majorité des étudiants, Mme Gillot l’a d’ailleurs souligné dans son rapport.
Ces réformes ont donc abouti au développement d’un système universitaire à deux vitesses, tout en favorisant le déploiement de partenariats public-privé. La loi LRU n’a pas permis de faire émerger des espaces de coopération et d’échanges nécessaires et harmonieux sur un même territoire, créant seulement des « super structures ». Selon moi, nous n’avons pas assisté à une révolution culturelle !
Comme on le sait, cette loi a aussi permis le passage aux responsabilités et compétences élargies, les RCE, confiant aux universités autonomie budgétaire et gestion des ressources humaines, censées être compensées par une dotation budgétaire de l’État. Le contrecoup a été le développement de la précarité, du fait même de l’autonomie budgétaire et de l’absence de compensation suffisante du GVT par l’État.
Les RCE ont confié aux universités la gestion de la pénurie provoquée par un budget de l’enseignement supérieur en berne. Ainsi dix-neuf universités étaient-elles en déficit à la fin de l’année 2012 ; la moitié d’entre elles pourrait l’être l’an prochain. Elles se voient contraintes de fermer des formations, en priorité en sciences humaines et sociales, et de supprimer des postes pour atteindre l’équilibre budgétaire.
La logique de financement sur projets de court terme portée par l’Agence nationale de la recherche, l’ANR, a contribué à accroître la précarité. Celle-ci atteint des proportions extrêmement inquiétantes, avec 30 % à 35 % de personnels précaires dans l’enseignement supérieur et la recherche, contre 17 % en moyenne dans le reste de la fonction publique. Cette situation, qui concerne environ 50 000 personnes, est particulièrement préoccupante.
La loi LRU a également miné la collégialité des décisions et la démocratie universitaire, renforçant les pouvoirs du président d’université, diminuant ceux du conseil scientifique et du conseil des études et de la vie universitaire, réduisant le nombre de membres du conseil d’administration, au détriment des étudiants et personnels non-enseignants.
Enfin, la logique de l’évaluation de l’AERES, l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur, mise en place par le pacte pour la recherche, est très mal vécue. L’évaluation, jusqu’alors effectuée par les pairs, est désormais confiée à des personnalités non élues. Les chercheurs sont soumis à des contrôles permanents, qui ont pour conséquence l’accroissement des tâches administratives pour des évaluations parfois répétitives, au détriment du temps consacré à la recherche. Comment ne pas conclure à un besoin urgent de rupture claire et forte ?
Hélas, les conclusions du rapport ne remettent en cause ni la loi LRU ni le pacte pour la recherche. L’abrogation de cette loi ne serait, nous dit-on, ni souhaitable ni comprise, car elle aurait permis une « dynamique de progrès ». Si le succès n’est pas au rendez-vous, ce serait avant tout une question de temps – mais aussi de moyens, concèdent tout de même nos collègues dans leur rapport.
Face au déficit d’un nombre croissant d’universités, les auteurs du rapport identifient des difficultés de « mise en œuvre ». C’est non pas le principe même du passage à l’autonomie financière par les responsabilités et compétences élargies qui est alors évoqué, mais l’absence d’évaluation réelle du transfert des charges et de moyens aux universités au moment du passage aux RCE, tout comme les insuffisances du modèle censé opérer un rééquilibrage financier, le logiciel SYMPA – jolie appellation, madame la ministre, mais ce qui serait réellement « sympa », c’est que les moyens soient plus importants. (Sourires.)
Quant aux pôles de recherche et d’enseignement supérieur, les PRES, s’ils ont un défaut, ce serait d’être insuffisamment structurants, et non pas d’avoir alimenté un système universitaire à deux vitesses en concentrant l’essentiel des moyens, y compris extrabudgétaires avec les initiatives d’excellence, sur quelques grands pôles, au détriment des autres.
La précarité des personnels est évoquée, mais le lien avec l’autonomie budgétaire ou la logique de financement sur projet de l’Agence nationale de la recherche, l’ANR, n’est pas mis en évidence par le rapport.
Enfin, l’AERES, l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur, unanimement dénoncée par la communauté scientifique, semble épargnée.
Loin d’être remise en cause, la loi LRU devrait donc trouver les moyens de sa bonne application.
Voilà un bilan aux antipodes de celui que nous dressons. L’enseignement supérieur et la recherche ont pourtant besoin de ruptures claires et profondes avec les logiques mises en œuvre par le précédent gouvernement.
Commençons par le reflux rapide et significatif de la précarité, afin de permettre enfin l’élévation du niveau de connaissances pour le plus grand nombre, dans une société où les savoirs sont de plus en plus complexes, mais indispensables. La démocratisation de l’université est essentielle. Elle doit jouer le rôle d’ascenseur social, demain encore plus qu’hier.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, c’est donc sous cet angle que nous examinerons la semaine prochaine le projet de loi relatif à l’enseignement supérieur et à la recherche. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Bordier.
M. Pierre Bordier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la loi LRU sur l’autonomie des universités est sans aucun doute l’une des réformes les plus importantes du précédent quinquennat. Elle marque une étape déterminante pour l’enseignement supérieur français.
Le rapport de nos collègues Dominique Gillot et Ambroise Dupont reconnait l’importance de cette réforme et conclut même à la nécessité d’accentuer encore le processus de développement de l’autonomie des établissements.
Je rappellerai, ainsi que l’ont fait nos rapporteurs, les avancées réalisées.
Outre une nouvelle gouvernance recentrée autour du président et du conseil d’administration, les universités disposent désormais de la maîtrise de leur budget, dont la masse salariale, et de la gestion des ressources humaines. Elles sont identifiées comme des interlocuteurs à part entière par les entreprises et les collectivités territoriales.
Désormais, les universités autonomes disposent de tous les leviers pour organiser leurs formations en fonction des besoins de leurs étudiants et de la situation de l’emploi, faire émerger de nouvelles niches d’excellence scientifique, recruter des chercheurs de haut niveau, valoriser l’engagement des personnels, créer des fondations, développer les coopérations avec les entreprises, etc.
Grâce à l’autonomie, c’est la performance de l’ensemble du système universitaire qui a été améliorée, ainsi que sa visibilité à l’échelle internationale.
Le rapport rappelle que, par une résolution de 2007, le Conseil de l’Union européenne invitait les États membres à doter les établissements d’enseignement supérieur de l’autonomie nécessaire pour développer tout leur potentiel.
L’autonomie de nos universités était en France un sujet débattu depuis de nombreuses années, mais les gouvernements successifs hésitaient à braver les corporatismes et à s’attaquer à ce chantier d’ampleur.
Cinq ans après le vote de la loi LRU, le pari est réussi, puisque la quasi-totalité des universités françaises – 80 sur les 83 que compte notre pays – sont passées aux responsabilités et compétences élargies. Néanmoins, encore faut-il qu’elles disposent des moyens, d’ordre administratif et financier, pour que ce passage se réalise dans les meilleures conditions. Les auteurs du rapport analysent donc point par point les difficultés rencontrées par les universités dans la mise en œuvre de la loi.
Je relèverai plusieurs problèmes récurrents signalés dans le rapport, en axant mon propos sur ceux qu’entend résoudre le projet de loi que nous étudierons la semaine prochaine.
Il est manifeste que certaines universités ont eu du mal à s’approprier les nouvelles compétences liées à l’autonomie et à faire face à de nouvelles et lourdes responsabilités.
Les auteurs du rapport recommandent donc le renforcement de l’accompagnement des universités, ce qui est effectivement souhaitable, mais celui-ci ne doit pas aboutir à rétablir la tutelle de l’État, comme peut le faire craindre la lecture du projet de loi.
De plus, si nous voulons réellement renforcer l’autonomie des établissements, il faut leur assurer un pouvoir collégial fort, celui du conseil d’administration et de son président, capable de décider et d’agir.
La réforme introduite par le projet de loi, créant un conseil académique bicéphale, est en contradiction totale avec cet objectif.
Je citerai encore parmi les préoccupations des rapporteurs les difficultés d’ordre pédagogique, notamment le manque de lisibilité des formations, celles-ci se multipliant à l’excès.
Le rapport relève avec raison la nécessité de procéder à une évaluation des besoins réels de l’environnement économique. Nous partageons ce point de vue, mais sommes sceptiques quant à l’objectif affiché par le ministère, visant à faire disparaître 5 800 masters sur les 7 500 qui existent.
Sur un autre sujet, lié au précédent, les auteurs du rapport recommandent l’amélioration de l’orientation et l’information pour l’insertion professionnelle des jeunes. Plusieurs propositions me semblent intéressantes, telles que la publication des statistiques de réussite aux examens ou la continuité d’un parcours de la première année de lycée jusqu’à la dernière année de licence.
Le projet de loi, tout comme le texte portant refondation de l’école, ne prend pas suffisamment en compte cette nécessité d’aller plus loin dans l’orientation active des étudiants, seul levier efficace pour lutter vigoureusement contre l’échec en licence.
Un autre problème est l’insuffisance persistante des relations avec le monde de l’entreprise. Les progrès sont réels depuis la mise en place de la loi LRU, mais les auteurs du rapport montrent qu’ils sont encore insuffisants. Le Gouvernement parle « d’ouverture sur le monde économique », mais traduit-il ses déclarations en actes ? Non, car, alors qu’il aurait pu donner davantage de poids aux personnalités extérieures du conseil d’administration des universités, il ne l’a pas fait.
Enfin, je voudrais évoquer la question de l’évaluation, également traitée par le rapport. Celui-ci ne recommande aucunement la suppression de l’AERES. Au lieu de supprimer cette autorité administrative, pour la remplacer par une autre ayant les mêmes objectifs, il me semble qu’il aurait mieux valu affiner ses missions, à la lumière de l’expérience acquise par cette agence au terme de six années d’existence. La supprimer purement et simplement revient à nier la notoriété européenne et internationale qu’elle avait acquise.
En outre, un tel changement de structure pourrait coûter la modique somme d’environ 3 millions d’euros.
En 2010, l’AERES a été évaluée au niveau européen et a ensuite été jugée apte à être inscrite sur le registre européen des agences d’assurance qualité dans le champ de l’enseignement supérieur et de la recherche. Cela conforte la confiance des étudiants étrangers dans le système français d’enseignement supérieur. Pourquoi renoncer à cet acquis et repartir de zéro ? L’AERES, grâce à sa bonne notoriété à l’international, est sollicitée pour évaluer des formations ou des institutions dans de nombreux pays, dont l’Arabie saoudite, qui l’a préférée à l’université de Stanford.
Nous discuterons de tous ces points la semaine prochaine.
Que conclut finalement le rapport de Dominique Gillot et d’Ambroise Dupont ? Que la maîtrise de l’autonomie s’apprend. Si toutes les universités n’ont pas encore atteint un rythme de croisière dans la mise en œuvre de leurs nouvelles « responsabilités et compétences élargies », il n’en demeure pas moins que la loi LRU a ouvert une dynamique de progrès sur laquelle aucune université ne souhaite revenir.
La pierre d’achoppement est ailleurs : sans le budget nécessaire, point d’autonomie possible. Dès lors, pourquoi prévoir simplement une loi d’orientation ? Le Gouvernement a-t-il peur de s’engager ? Dans un contexte budgétaire contraint, on peut comprendre une certaine prudence, mais l’enseignement supérieur et la recherche sont précisément les éléments clés pour ouvrir de nouvelles perspectives professionnelles à nos jeunes et faire participer notre pays à la compétition mondiale de l’intelligence.
Je rappelle que, sous le précédent quinquennat, le budget des universités a augmenté de 25 % en moyenne, et jusqu’à plus de 50 % pour certaines d’entre elles. L’État a augmenté deux fois plus les moyens en cinq ans qu’au cours des dix années précédentes.
La frilosité de la nouvelle majorité est un mauvais signe envoyé aux acteurs de l’enseignement supérieur. Le projet de loi que nous examinerons la semaine prochaine n’a rien pour les rassurer. Au lieu de développer l’autonomie, il la bride ; au lieu de sécuriser les modes de fonctionnement, il les complexifie.
Vous aurez beau, madame la ministre, invoquer ce rapport pour justifier vos choix, ces justifications cacheront mal le vrai propos de la réforme : défaire ce qui a été fait par la majorité précédente et « recentraliser » le système. Nous tenterons la semaine prochaine de vous faire entendre nos arguments et de relayer ainsi les inquiétudes des professionnels de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Le sujet est d’une telle importance qu’il faut se garder de toute attitude partisane. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je tiens à féliciter les rapporteurs, dont le travail a été empreint d’une grande rigueur et d’un réel sens de l’écoute. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
(M. Jean-Léonce Dupont remplace M. Thierry Foucaud au fauteuil de la présidence.)