M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Claude Bérit-Débat, rapporteur de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le recours à la procédure des ordonnances pour accélérer la mise en œuvre de la politique en matière de construction a été demandé par le Président de la République le 21 mars dernier, lors de l’annonce du plan d’investissement pour le logement.
Si cette procédure ne peut à l’évidence être la méthode habituelle d’élaboration de la loi, elle se justifie en revanche dans des domaines précisément circonscrits, lorsque les sujets traités se caractérisent par une certaine urgence ou une grande complexité technique. C’est bien dans ce cas de figure que nous nous trouvons avec le projet de loi qui nous est soumis. Comme l’a rappelé avec justesse Mme la ministre, la demande d’habilitation concerne en effet des mesures qui sont à la fois pragmatiques et complexes ; dans le même temps, elle devrait permettre de lever dans de très brefs délais certains freins à la construction de logements.
Au demeurant, je le souligne, la Constitution donne au Parlement un pouvoir de contrôle total sur les objectifs et les principes qui définissent le champ de l’habilitation donnée au Gouvernement. En l’occurrence, les contours de cette dernière ont d’ores et déjà été précisés par de nombreux amendements adoptés par l’Assemblée nationale ; j’y reviendrai plus loin. Je n’en doute pas, nos débats permettront d’apporter de nouvelles précisions utiles. J’en proposerai moi-même certaines, au nom de la commission des affaires économiques.
Pour donner plus de poids au contrôle exercé par le Parlement, je souhaiterais toutefois, madame la ministre, que nous puissions être informés au fur et à mesure des progrès réalisés dans la rédaction des ordonnances, de manière à conduire un dialogue constructif avec l’administration. (Mme la ministre acquiesce.)
Enfin, mes chers collègues, je rappelle que nous aurons aussi un contrôle total sur le texte final des ordonnances au travers de la procédure de ratification.
Pour toutes ces raisons, j’approuve sans hésitation le recours à la procédure des ordonnances dans ce cas d’espèce. Au demeurant, ayant été le rapporteur de la loi relative à la mobilisation du foncier public en faveur du logement et au renforcement des obligations de production de logement social, je suis bien placé pour témoigner du rôle central joué par le Parlement, depuis un an, dans la définition et l’impulsion de la politique du logement.
Nous avons en effet discuté et voté plusieurs mesures à la fois concrètes et très ambitieuses : je pense notamment au renforcement des obligations en matière de construction de logements sociaux, à la mise à disposition des terrains de l’État pour construire des logements sociaux, à l’augmentation des aides à la pierre et à la création d’un nouveau dispositif d’investissement locatif. Cette liste, qui n’est pas exhaustive, témoigne d’une implication totale du Parlement sur la question du logement.
Par ailleurs, vous le savez, mes chers collègues, une deuxième séquence parlementaire s’ouvrira dans les semaines à venir. Au cours de l’été, sera déposé un nouveau projet de loi pour infléchir les politiques publiques en matière d’aménagement et d’urbanisme, et ainsi concilier plus harmonieusement l’objectif de construire davantage et mieux avec celui de préserver les espaces naturels et agricoles. Là encore, le Sénat et l’Assemblée nationale exerceront sans restriction ni délégation leurs compétences législatives.
C’est donc dans l’intervalle entre ces deux séquences parlementaires fortes, les lois Duflot 1 et 2, madame la ministre, que prend place le projet de loi d’habilitation. Certaines des mesures qu’il envisage permettront d’améliorer ponctuellement la situation. D’autres en revanche ont une portée plus structurelle.
C’est le cas de la procédure intégrée pour le logement. Elle permettra, vous l’avez dit, madame la ministre, de modifier en une fois l’ensemble des documents d’urbanisme et des plans et schémas issus de législations connexes lorsqu’ils font obstacle à un projet de construction de logements. Nous avons longuement évoqué ce point en commission, qui pourrait permettre de diviser par deux la durée des procédures de modifications qui aujourd’hui s’empilent et se répètent.
C’est le cas aussi du géoportail national de l’urbanisme, qui permettra à terme de prendre connaissance par une simple connexion à internet de l’ensemble des droits à construire relatifs à une parcelle donnée.
C’est le cas enfin de la réforme du contentieux de l’urbanisme. Il s’agit d’une demande ancienne, tant des porteurs de projets que des élus locaux. La question avait été abordée notamment lors des débats sur la loi Duflot 1. Nos collègues centristes, je pense particulièrement à Daniel Dubois, avaient été très actifs sur ce thème. La ministre, après avoir indiqué qu’elle travaillait sur cette question, s’était engagée à avancer rapidement des propositions dans ce domaine. Le Gouvernement a donc demandé à un groupe de travail présidé par un conseiller d’État de lui faire des propositions. Le rapport du président Labetoulle a été rendu public au début du mois et ses propositions apportent des solutions que j’estime innovantes et équilibrées.
Il aurait été ridicule de garder dans les tiroirs toutes ces mesures à la fois très utiles et complètement détachables du futur projet de loi, alors que leur adoption répond aux besoins de nos concitoyens et des entreprises du pays ! Leur élaboration par ordonnances permettra en effet de gagner plusieurs mois, voire même un an. Dans la conjoncture actuelle, c’est un temps précieux. Retarder leur adoption serait une erreur économique tout autant que sociale et politique, car stimuler la construction et la rénovation de logements est non seulement un impératif humain pour tous les ménages qui ont du mal à se loger, mais aussi un formidable moyen de soutenir le secteur de la construction et d’appuyer le tissu des TPE et des PME du bâtiment, qui irriguent tout le territoire.
D’ailleurs, je relève un certain accord sur le bien-fondé des mesures envisagées. Lors de l’examen en commission la semaine dernière, aucun des groupes politiques n’a voté contre l’adoption du texte, les réserves qui se sont exprimées sur certains points aboutissant seulement à une abstention dont la tonalité m’a semblé plutôt bienveillante.
Je me félicite de cette approche constructive et pragmatique. Elle constitue la reconnaissance que les dispositions envisagées marquent un net progrès vers plus de proximité, de simplicité et de réactivité de l’administration. Nous avons là un bel exemple du choc de simplification appelé de ses vœux par le Président de la République. C’est ce que nos concitoyens attendent ; c’est ce dont notre économie a besoin.
Je terminerai mon intervention en indiquant brièvement quelles sont, de mon point de vue, les améliorations qu’il me semble utile d’apporter au texte à ce stade de son examen et quels sont les principes fondamentaux sur la base desquels je fonderai les avis que je formulerai sur les différents amendements au cours de la discussion des articles.
Comme je l’ai indiqué précédemment, plusieurs points qui me semblaient devoir être précisés l’ont été par les députés au cours des débats à l’Assemblée nationale.
Concernant la création d’un régime du logement intermédiaire, les députés ont clairement recentré le dispositif sur les zones caractérisées par un déséquilibre important entre l’offre et la demande de logements, afin d’éviter tout effet d’aubaine. Ils ont également précisé que le nouveau régime concernerait tant le parc locatif que les logements destinés à l’accession maîtrisée à la propriété. Ils ont par ailleurs fermé la possibilité d’inscrire dans les documents de planification des objectifs relatifs à la construction de logements intermédiaires aux communes faisant l’objet d’un arrêté préfectoral de carence au titre de l’article L. 302-9-1 du code de la construction et de l’habitation. Ils ont, en dernier lieu, imposé aux filiales des organismes d’HLM qui interviendront dans le nouveau régime du logement de respecter le principe « d’étanchéité » des fonds relevant du logement social, et ils ont conféré en séance publique une définition précise à cette notion d’étanchéité.
Toutes ces précisions sont très utiles. Il me semble toutefois qu’il faut rectifier la rédaction de l’alinéa 22, car elle interdit aux représentants des collectivités territoriales ou de leurs groupements de siéger à la fois dans le conseil d’administration d’un organisme d’HLM et dans celui de sa filiale dédiée au logement intermédiaire. Compte tenu des délais très courts de transmission du texte après son adoption en première lecture par l’Assemblée nationale, la modification nécessaire n’a pu être apportée lors de l’examen en commission. Cependant, je vous proposerai tout à l’heure une autre rédaction.
Concernant le point 5 de l’article 1er, à savoir les conditions dans lesquelles on peut apporter des dérogations aux règles des PLU afin de densifier le bâti, la commission des affaires économiques a adopté jeudi dernier l’amendement que je lui ai proposé : il précise que les dérogations aux règles des PLU prévues pour densifier seront une faculté ouverte aux communes, et non une obligation. Vous aviez apporté oralement cette précision, madame la ministre, mais nous avons préféré l’inscrire dans le texte.
Toujours en ce qui concerne la question des dérogations prévues au point 5, je trouve que la rédaction des alinéas 15 et 18 issue des travaux de l'Assemblée nationale n’est pas d’une grande clarté, si vous me permettez cet euphémisme, peut-être parce que les députés l’ont adoptée nuitamment... Je présenterai donc un amendement pour rendre ces dispositions plus aisément intelligibles.
Enfin, les débats à l’Assemblée nationale et devant la commission des affaires économiques du Sénat ont montré sinon une inquiétude, du moins une certaine vigilance quant à la nécessité d’opérer un arbitrage fin sur la question des obligations en matière d’aires de stationnement. Il est évident que les PLU doivent encourager la création de logements et le recours aux transports collectifs plutôt que de gaspiller le foncier disponible pour y réaliser des aires de stationnement individuelles. Cela étant, il faut veiller à trouver un équilibre entre cet objectif et celui de fournir aux habitants des disponibilités suffisantes en matière d’aires de stationnement, car un déficit dans l’offre de parking serait vraiment de nature à compliquer la vie quotidienne de nos concitoyens, qui n’en demandent pas tant.
Je voudrais dire à mes collègues, y compris ceux de l’opposition, qui ont soulevé ce point lors des débats en commission, que je les ai entendus. Je proposerai un amendement au paragraphe a) du point 5 afin de préciser que les conditions de dérogation aux obligations en matière d’aires de stationnement devront tenir compte de la qualité de la desserte en transports collectifs ou de la densité urbaine. Cela va sans dire, mais cela va mieux en le précisant !
Pour le reste, il me semble indispensable de maintenir sa cohérence et son unité au texte présenté par le Gouvernement. L’objectif est de faire avancer un certain nombre de sujets clairement identifiés, circonscrits et urgents, et non d’anticiper sur la loi « Duflot 2 », en ouvrant le débat sur des questions d’urbanisme à la fois fondamentales, complexes et potentiellement déstabilisantes du point de vue de la sécurité juridique et des collectivités en particulier.
Vous le savez, un texte sur l’urbanisme est toujours propice au dépôt et à la discussion d’un grand nombre d’amendements, qui répondent à des préoccupations louables et qui, parfois, apportent même des réponses juridiques pertinentes à telle ou telle situation précise, mais qui peuvent aussi aboutir à modifier le code de l’urbanisme par petites touches et sans cohérence.
Madame la ministre, je ne doute pas que la loi « Duflot 2 » permettra, à l’automne, de reprendre les questions soulevées par les divers amendements portant articles additionnels et de les traiter de façon plus satisfaisante dans le cadre d’une réforme globale.
M. Claude Bérit-Débat, rapporteur. C’est pourquoi je solliciterai systématiquement le retrait de ces amendements.
Au final, mes chers collègues, je vous appelle à voter ce projet de loi d’habilitation. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jean-Jacques Mirassou. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. René Vandierendonck, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, les murs de cet hémicycle résonnent encore de deux interventions de notre collègue Daniel Dubois,…
M. Jean-Jacques Mirassou. Eh oui !
M. Claude Bérit-Débat, rapporteur. Ils vibrent !
M. René Vandierendonck, rapporteur pour avis. … que je salue et auquel je tiens à rendre hommage. Dans la première, il interrogeait déjà le ministre de l’époque, Benoist Apparu, sur le problème des recours abusifs et dilatoires. J’entends encore Benoist Apparu l’assurer de la publication imminente d’un décret en Conseil d’État.
Avec la ténacité et la pugnacité qu’on lui connaît, notre collègue vous a posé la même question, madame la ministre, à l’occasion de l’examen par le Sénat d’une proposition de loi visant à abroger la loi du 20 mars 2012 relative à la majoration des droits à construire. Vous aviez alors promis de rechercher des solutions efficaces à ce problème lancinant, aujourd'hui à l’origine d’un déficit de construction de quelque 25 000 logements chaque année en France – 5 000 dans la seule ville de Marseille !
Madame la ministre, en recourant à un groupe de travail présidé par M. Daniel Labetoulle, juriste hors pair et ancien président de la section du contentieux du Conseil d’État, et composé de tous les professionnels concernés par ces problèmes, vous avez choisi la meilleure des méthodes ; je vous en donne acte ! La commission des lois a apprécié et la méthode, et les propositions de ce groupe de travail.
Les mesures préconisées par ce dernier s’inscrivent en totale cohérence avec l’action que vous menez, depuis l’été 2012, pour lever les freins à la construction dans notre pays et encourager la production de logements. Du reste, j’ai compris que vous comptiez les reprendre – du moins vous ai-je entendue annoncer, à l’Assemblée nationale, votre intention de vous en inspirer lorsque vous recourrez aux ordonnances –, à l’exception des restrictions à l’action en démolition, qui semblent vous inspirer quelque réticence Elles ont toutes reçu un avis plus que favorable de la commission des lois. Permettez-moi de les rappeler.
La première recommandation vise à clarifier les règles de l’intérêt pour agir. À ce sujet, il est utile de rappeler qu’avant même que le groupe de travail présidé par M. Labetoulle ne se réunisse des restrictions figuraient déjà dans le code de l’urbanisme, notamment sur la qualité pour agir des associations qui se constitueraient spécifiquement pour intenter un recours postérieurement à l’affichage en mairie.
La proposition du groupe de travail vise à aller plus loin, en permettant au juge de veiller à ce qu’existe un bon équilibre entre le droit au recours et le droit à construire et, pour cela, de « resserrer » l’intérêt à agir aux cas d’atteinte directe aux conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance du bien possédé ou occupé. Une telle évolution me paraît aller dans le bon sens.
La deuxième recommandation vise à introduire ce que le groupe de travail appelle une procédure de « cristallisation des moyens ». Grâce à cette dernière, le juge, maître du calendrier de la procédure contentieuse, pourrait, à partir d’une certaine date qu’il fixerait, refuser que de nouveaux moyens soient soulevés pour la première fois devant lui, à l’exception, bien sûr, des moyens d’ordre public. Cette procédure présente l’avantage de compliquer et donc d’annihiler l’effet dilatoire d’une distillation bien comprise des moyens. Dans ces conditions, nous aurions tort de ne pas l’expérimenter.
La troisième piste consiste à instituer un mécanisme de régularisation en cours d’instance à l’initiative du juge. Pour les juristes de mon âge, à qui l’on a enseigné que le droit applicable se cristallisait le jour de la requête, une telle proposition est tout à fait novatrice. Elle consiste à permettre au juge qui constate un vice de forme ou de procédure d’octroyer un délai pour le dépôt d’un permis modificatif de nature à faire disparaître la cause d’illégalité et donc le risque d’annulation. Ce mécanisme de régularisation est extrêmement constructif et novateur.
Le quatrième dispositif envisagé par le groupe de travail pour lutter plus efficacement contre les recours abusifs permet au défendeur, c’est-à-dire à la victime du recours abusif, de présenter immédiatement des demandes en indemnité devant le juge administratif, juge de l’annulation et de l’excès de pouvoir. C’est l’entrée de la dissuasion nucléaire dans le contentieux de l’acte !
Du reste, cette voie nous semble plus pertinente que le relèvement de 3 000 à 10 000 euros du plafond de l’amende proposé par Annick Lepetit, rapporteur à l’Assemblée nationale. En effet, quel que soit le montant de l’amende, c’est toujours l’État qui en encaisse le produit ! En revanche, les membres de la commission des lois ont trouvé extrêmement intéressant que ce soit la victime – autrement dit, le promoteur n’ayant pas pu construire et s’étant exposé, par exemple, à des agios bancaires – qui bénéficie effectivement des dommages et intérêts prononcés. Cette mesure nous semble mériter d’être expérimentée.
Toutefois, la commission des lois a fait observer que son adoption par ordonnance ne devait pas interdire à la victime la possibilité d’une éventuelle action contentieuse a posteriori devant le juge civil : à défaut, un problème constitutionnel de partage des ordres juridictionnels – administratif et judiciaire – risquerait de se poser. Cela n’a d'ailleurs pas échappé à votre sagacité, madame la ministre !
La cinquième recommandation, extrêmement efficace, concerne ceux que j’appelle les « rançonneurs »,…
M. Martial Bourquin. Oui !
M. René Vandierendonck, rapporteur pour avis. … à savoir tous ceux qui font profession d’engager des recours, avant d’exercer un chantage sur le bénéficiaire de l'acte d'urbanisme attaqué, dans l’espoir de percevoir 100 000 ou 200 000 euros contre un désistement d'instance. Ces rançonneurs ne sont pas toujours des margoulins : les condamnations pour escroquerie d'ores et déjà prononcées montrent qu’il s’agit parfois de promoteurs ayant pignon sur rue. La proposition du groupe de travail permettrait de dissuader lourdement ceux-ci de persister dans de telles méthodes.
Je rappelle qu’une transaction en désistement n’est pas condamnable en soi ; ce qui est condamnable, c’est qu’une telle transaction aboutisse à une demande de rançon ! À cet égard, la formule proposée présente l’avantage de prévoir une obligation de publicité et, surtout, d’enregistrement devant l’administration fiscale – je suppose qu’il s'agit des impôts indirects. C’est, à mon avis, une avancée très importante.
Madame la ministre, nous avons compris que vous n’étiez pas spécialement intéressée par la sixième mesure, laquelle vise à recentrer l’action en démolition sur son objet premier – autrement dit, à limiter les cas où la démolition serait juridiquement possible –, afin de limiter l’effet dissuasif lié au caractère exécutoire de la sanction.
Enfin, la septième et dernière préconisation du groupe de travail, que les avocats et les magistrats présents dans l’hémicycle apprécieront pour son aspect novateur, vise à permettre que le recours en annulation soit directement porté, en premier et dernier ressort, devant la cour administrative d’appel.
M. Labetoulle subordonne cette procédure exorbitante du droit commun – lequel prévoit le double degré de juridiction – à deux conditions cumulatives. L’acte devrait, d’une part, être délivré sur le territoire des communes où existe une urgence sociale particulière, notamment celles où la taxe annuelle sur les logements vacants est applicable, et, d’autre part, porter sur des constructions d’une certaine importance – au moins 1 500 mètres carrés de surface hors œuvre nette.
Je ne vous parlerai pas des articles L. 15-1 et L. 15-2 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, censurés par le Conseil constitutionnel et réécrits dans la version initiale du projet de loi : la nécessité de recourir aux ordonnances pour revenir sur ces deux dispositions a entre-temps disparu. Sachez en tout cas que la nouvelle rédaction proposée dans le texte avait elle aussi reçu un avis favorable de la commission des lois.
Madame la ministre, je veux vous dire que la commission des lois a salué le caractère exemplaire et novateur de la méthode que vous avez choisie ainsi que le délai dans lequel vous avez inscrit votre action.
M. Charles Revet. Eh bien !
M. Jean-Jacques Mirassou. N’en faites pas trop, mon cher collègue ! (Sourires.)
M. René Vandierendonck, rapporteur pour avis. Pour conclure, je vous prie d’excuser le manque d’élégance démocratique dont j’ai fait preuve en étant absent de cet hémicycle lorsque vous avez prononcé votre discours. Ainsi que je l’ai signalé aux membres de votre cabinet, la commission des lois doit aujourd'hui examiner les quelque 850 amendements déposés sur le projet de loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC, du groupe écologiste et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à Mme Mireille Schurch.
Mme Mireille Schurch. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je veux d'abord remercier M. le rapporteur pour la qualité des présentations qu’il a effectuées lors des réunions de la commission et pour les amendements de précision, souvent utiles, qu’il a déposés.
À la suite des déclarations du Président de la République du 21 mars dernier, vous nous présentez aujourd'hui, madame la ministre, un projet de loi habilitant le Gouvernement à légiférer par voie d’ordonnances « pour accélérer les projets de construction ». Vous le savez, nous sommes, par principe, opposés à ce type de dispositif, qui, sous couvert d’urgence, prive le Parlement de ses prérogatives en matière législative.
M. Charles Revet. Une fois de plus !
Mme Mireille Schurch. Ensemble, nous avions décrié ces méthodes, récurrentes sous l’ère Sarkozy. En ce domaine aussi, nous aurions légitimement pu espérer le changement !
Par ailleurs, cette démarche s’inscrit malheureusement dans une atmosphère politique où les droits du Parlement sont régulièrement foulés au pied. Je citerai, à titre d’exemple, le recours au vote bloqué sur l’accord national interprofessionnel ou encore – cela vient d’être rappelé – les conditions d’examen de l’acte III de la décentralisation, sans parler de la proposition de loi de mon groupe sur l’amnistie sociale, objet d’une fin de non-recevoir de la part du Gouvernement. Le Parlement n’est pas une chambre d’enregistrement !
En outre, cette loi ouvre la voie à la réforme annoncée du logement, en lien avec l’acte III de la décentralisation. Elle ne peut donc être appréhendée en dehors de ce contexte spécifique.
Sur le fond, le constat de la crise du logement est partagé sur tous les bancs, tout comme celui de l’urgence d’y remédier. Nous connaissons, madame la ministre, votre implication en la matière, en dépit des fourches caudines de Bercy, liées aux impératifs d’austérité.
Nous avons lu attentivement l’étude d’impact de ce projet de loi. La volonté de transformer des bureaux en logements, par exemple, ou la fin de la garantie intrinsèque pour les ventes en état futur d’achèvement sont de bonnes mesures. Pourtant, pour certaines autres – et ce malgré les objectifs affichés de densification et de lutte contre l’étalement urbain, que nous partageons pleinement –, nous voyons la marque de la déréglementation en matière d’urbanisme.
Soyons clairs, nous ne pensons pas que la complexité et le nombre des normes en matière d’urbanisme – il faudrait en effet y regarder de plus près – soient la cause principale de la crise du logement. En effet, ce sont bien les politiques de marchandisation – adossées à une débudgétisation de la politique du logement – menées depuis dix ans par la droite qui ont conduit à cette crise, ouvrant la voie de la spéculation immobilière et foncière. Vous le savez, madame la ministre, nous avons fait pour cette raison des propositions précises, notamment en matière de foncier. Nous considérons qu’il s’agit là du principal levier à actionner pour relancer la construction.
Au-delà des objectifs affichés par le présent texte, nous pouvons, à ce titre, nous interroger sur la volonté de débloquer de nouveaux droits à construire dérogatoires pour surélever les immeubles. En fait, cela risque de provoquer un renchérissement des prix des terrains contraire aux objectifs affichés de lutte contre la spéculation immobilière.
Par ailleurs, nous estimons que la voie de la multiplication des dérogations au PLU, le plan local d’urbanisme, n’est pas un bon signal envoyé aux collectivités et à leurs habitants, même si ces dérogations sont facultatives, comme l’a bien souligné M. le rapporteur. En effet, le PLU constitue la pierre angulaire d’un projet politique local élaboré avec la population. Les temps de procédure pour son élaboration, comme pour sa modification, sont longs. Mais il s’agit d’un temps démocratique, qui est nécessaire.
Ainsi, si nous jugeons que les règles actuelles définies par le code de l’urbanisme en matière de PLU ne répondent pas aux enjeux de densification, de mixité et de lutte contre l’artificialisation des sols, il faut, selon nous, changer ces règles plutôt que de permettre le recours à des dérogations qui, par ailleurs, seront la source de nouveaux contentieux pour les collectivités. Nous devrons y revenir au travers de la prochaine loi sur le logement que vous nous annoncez.
À ce titre, nous sommes dubitatifs sur la mesure qui permet de porter atteinte à l’économie générale d’un projet d’aménagement et de développement durable, PADD, au travers de la nouvelle procédure dite « procédure intégrée pour le logement ». Au surplus, multiplier les dérogations à la règle d’urbanisme établie localement et démocratiquement risque de porter atteinte à la cohérence globale des politiques d’aménagement.
De la même manière, si nous voulons limiter – ce qui est juste – le nombre d’aires de stationnement, il faut qu’existent des alternatives crédibles et accessibles en termes de transport en commun. C'est bien l’objet d’un amendement que vous nous avez proposé ce matin, monsieur le rapporteur. Nous regrettons toutefois que notre proposition sur le pass navigo ait été retoquée alors qu’en augmentant la recette du versement transport, elle allait assurément dans le sens d’une amélioration du réseau, donc d’une amélioration de la qualité des transports en commun.
En outre – même si cela n’est pas votre intention, madame la ministre –, cette démarche laisse entendre, en filigrane, que la crise actuelle du logement serait imputable aux élus locaux, qui ne feraient pas le nécessaire, au travers de leurs documents d’urbanisme, pour favoriser la construction. C’est parfois vrai, mais il nous semble que l’essentiel soit à rechercher ailleurs : du côté de la cherté du foncier et de la faiblesse des aides publiques…
Je dirai quelques mots sur la question importante des recours abusifs, dont nous venons de parler à l’instant. Nous partageons la volonté de limiter ces recours par une réduction des délais ou par l’affirmation de sanctions dissuasives, comme le texte le prévoit. Encore faut-il que les tribunaux puissent répondre, en termes de moyens humains, à cette demande. Nous vous alertons aussi sur le fait que, avec cette habilitation, la limitation des recours passe aussi par un moindre accès à la justice, en limitant le champ de l’intérêt pour agir. Vous pourrez peut-être nous apporter des éclaircissements sur ce point, madame la ministre.
Pour en finir avec les mesures que contient ce projet de loi, nous sommes également circonspects sur la place tenue par le logement intermédiaire. Au regard de l’ampleur, non seulement de la crise du logement, mais également de la crise sociale, il nous semble en effet que l’urgence est le logement social puisque, vous l’avez rappelé, ce sont 60 % de la population qui peuvent y prétendre et que 1,7 million de demandes restent à satisfaire.
Prendre acte d’un écart de prix entre le logement social et le logement dit « de marché » ne devrait pas nous conduire à vouloir combler ce différentiel, confortant par là même des prix élevés, mais bien à réfléchir à des mécanismes susceptibles de ramener les prix du marché à des niveaux permettant réellement à nos concitoyens d’accéder au logement. Je songe au blocage des loyers, bien sûr, mais également à l’encadrement du foncier.
À ce titre, nous aimerions savoir, madame la ministre, où en est la rédaction du rapport, dont nous avons fait adopter le principe ici même, sur la mise en œuvre d’un mécanisme visant à encadrer les prix du foncier.
Par ailleurs, délier la propriété de l’usufruit est une idée que nous avons portée au travers de notre proposition de loi sur l’agence nationale foncière pour le logement. Nous jugeons cette dissociation intéressante et fort utile, non pour les investisseurs – qui bénéficient d’ores et déjà du dispositif fiscal « Duflot » –, mais au profit des organismes d’HLM, pour construire des logements sociaux. Adossée à une TVA au taux de 5 %, voilà une mesure qui pourrait relancer utilement l’effort de construction.
En outre, la possibilité laissée aux offices de créer des filiales ne risque-t-elle pas de les détourner de leur cœur de mission relevant de l’intérêt général ? Nous serons également très attentifs à ce que les logements dit « intermédiaires » ne soient pas décomptés dans les 150 000 logements sociaux à construire.
Au final, ce projet de loi sollicite une nouvelle fois la responsabilité et le budget des collectivités au travers de la garantie financière apportée aux opérations d’aménagement ou de la mise en place du site internet Géoportail. Mais vous nous avez rassurés, madame la ministre : c’est l’État qui va payer… Ma question est donc très simple : où se situe la garantie de l’État bâtisseur qui dispose, je vous le rappelle, d’une responsabilité première en matière de logement ?
Parce que nous prenons très au sérieux l’ensemble de ces questions, parce que nous souhaitons que les compétences des collectivités territoriales soient respectées, parce que nous voulons sortir le logement des considérations marchandes, nous nous abstiendrons sur ce texte, ce qui constituera un signal adressé au Gouvernement sur le niveau d’exigence que nous portons et sur le respect dû au travail parlementaire. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)