Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Il s’agit donc d’un rythme soutenu. Ces parloirs familiaux et ces unités de vie familiale sont en effet une condition du maintien de la vie familiale dans nos établissements. Il faut donc maintenir ces liens familiaux et éviter que nos établissements ne soient aussi excentrés. Cette exigence participe aussi de la réflexion que nous menons sur les projets de budget triennal, mais également sur ceux du prochain plan triennal.
Monsieur le rapporteur, vous avez évoqué la prison de Loos. Sachez que j’œuvre pour que ce projet soit inclus dans le prochain budget triennal.
Concernant la construction d’un nouvel établissement pénitentiaire et d’une unité supplémentaire, le terrain ne pose pas de difficultés, puisqu’il appartient à la justice, mais il en va autrement de l’implantation. Je précise que nous disposons d’une armurerie à proximité du terrain et que le site, magnifique, comprend un monument historique.
Je vous transmettrai assez rapidement les éléments sur lesquels nous travaillons, puisque les discussions budgétaires sur le prochain budget triennal ont déjà été engagées. Il me paraît en effet opportun que vous gardiez un œil sur ce que nous envisageons de faire.
Concernant le statut juridique des détenus, la logique et les orientations sur lesquelles nous travaillons depuis onze mois imposent, je le répète, de les considérer comme des sujets de droit à part entière et de maintenir leurs liens familiaux.
J’en viens à une question importante, celle de la formation professionnelle.
L’administration pénitentiaire est en mesure de proposer 700 options de formation professionnelle. Près de 25 000 détenus sur les 67 000 que compte actuellement notre pays en ont profité, c’est-à-dire un peu moins de la moitié. Cette proportion n’est pas suffisante et nous devons progresser, mais nous enregistrons tout de même une augmentation de 9,6 % par rapport à l’année 2011. C’est appréciable !
À cet égard, nous recherchons de nouvelles pistes, de façon à améliorer l’offre de formation dans les prisons. Nous avons mis en place un dispositif d’accueil, d’information, d’évaluation et d’orientation dès l’arrivée du détenu dans l’établissement, afin de l’informer sur les possibilités de formation qui s’ouvrent à lui et de le sensibiliser au fait que son travail d’insertion ou de réinsertion commence par l’acceptation d’une formation.
Bien entendu, comme vous l’avez indiqué, monsieur le rapporteur, l’expérimentation qui a eu lieu en Aquitaine et dans les Pays de la Loire sera évaluée. Michel Sapin et moi-même nous apprêtons à diligenter une double enquête de l’Inspection générale des affaires sociales, l’IGAS, et de l’Inspection générale des services judiciaires, l’IGSJ, de façon à tirer toutes les conséquences de cette expérimentation et à inscrire dans la loi cette décentralisation de la formation qui paraît tout à fait satisfaisante. C’est ainsi que nous pensons progresser.
L’activité des détenus pose en tant que telle une véritable difficulté. Nous avons également amélioré nos résultats sur ce point, de façon sensible mais pas spectaculaire, puisque 37,7 % des personnes exercent une activité professionnelle dans les établissements pénitentiaires. Les résultats sont assez disparates, la moyenne étant de 28 % dans les maisons d’arrêt et de 58 % dans les établissements pour peine, ce qui touche au total un peu moins de 30 000 individus. La durée de l’activité fluctue elle aussi de façon importante.
Nous devons accomplir d’importants progrès en la matière, mais le sujet n’est pas simple, tout d’abord du point de vue du droit, si l’on se réfère, comme l’a rappelé tout à l’heure Mme Cukierman, à ce jugement selon lequel l’activité doit être considérée, non comme un engagement pris à l’égard de l’administration pénitentiaire, mais comme un contrat de travail. Cette décision de justice modifie le contenu de la loi pénitentiaire.
En outre, il faut citer cette question prioritaire de constitutionnalité transmise par la Cour de cassation au Conseil constitutionnel, qui va examiner les dispositions de la loi pénitentiaire concernées.
La question n’est pas simple non plus du point de vue pratique, compte tenu du taux de chômage qui est malheureusement important en France. Il est certain qu’offrir de l’activité à nos détenus devient plus difficile dans une période de déprime économique.
M. Jean-Louis Carrère. Bien sûr !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Nous devons faire des efforts, mais, ne nous cachons pas la réalité, le contexte est plus difficile, d’autant que les dispositions actuelles de la loi pénitentiaire permettent aux entreprises et, d’une façon générale, à tous les prestataires, quel que soit leur statut de droit privé, de venir offrir des activités aux détenus et de les rendre attractives.
Nous sommes tous attachés au respect du droit du travail et à la nécessité, comme nous venons de le dire, de garantir les droits civiques du détenu, y compris ceux qui découlent de notre législation du travail. Néanmoins, nous savons bien que c’est un facteur supplémentaire de difficultés pour concrétiser l’offre d’activités dans les établissements pénitentiaires.
La question est relativement complexe, mais nous allons continuer à travailler sur la nécessité de l’activité des détenus, qui est une condition de la réinsertion, de la reprise de confiance en soi et de la réduction des risques de la récidive.
Les soins dispensés aux détenus qui se rendent dans des établissements publics hospitaliers ou dans des unités hospitalières sécurisées interrégionales, les UHSI, soulèvent des difficultés. Il en est de même de l’épineux sujet des soins psychiatriques.
MM. Jean-Jacques Hyest et Jacques Mézard l’ont dit, l’accessibilité aux soins psychiatriques étant déjà délicate pour la population générale, elle est encore plus problématique en milieu carcéral. Je citerai le cas de l’établissement pénitentiaire de Château-Thierry, où la proportion de détenus présentant des troubles psychiatriques est plus forte qu’ailleurs, avec une concentration des personnels médicaux et des personnels pénitentiaires.
Cette situation ne me semble pas satisfaisante ; c’est une sorte de pis-aller, mais il y a incontestablement, dans nos établissements pénitentiaires, des personnes qui n’ont rien à y faire et qui sont pourtant dirigées vers eux, parfois sur la base d’expertises psychiatriques et, bien évidemment, sur décision des magistrats. Il est indiscutable que nous sommes confrontés ici à un enjeu majeur : faire en sorte que les personnes qui ont besoin de soins soient soignées et non pas enfermées.
S’agissant des autres soins, la loi pénitentiaire a prévu le dispositif de la suspension de peine. Néanmoins, celui-ci requiert aujourd’hui, convenons-en, une procédure complexe et longue, à telle enseigne que certains détenus malades sont en phase terminale ou décèdent en prison au cours de la procédure, alors que l’esprit de la loi pénitentiaire est de permettre au détenu dont le pronostic vital est engagé de finir ses jours parmi les siens. Il faudrait vraiment assouplir les règles en la matière. J’espère que vous y consentirez.
Pour l’heure, Marisol Touraine et moi-même avons mis en place deux groupes de travail, l’un sur la suspension de peine, l’autre sur l’addictologie, et instauré des permanences pour lutter contre ces addictions. Nous avons également installé des référents justice au sein des structures médicales et médico-sociales.
Le ministère de la santé et le ministère de la justice œuvrent donc ensemble pour proposer au Parlement une procédure plus souple garante de la sécurité des Français, car il ne s’agit pas, au travers d’une suspension de peine pour raison médicale, de libérer des individus tout en augmentant les risques de récidive. Dans le même temps, la décision devra être prise dans des délais raisonnables.
Par ailleurs, l’accessibilité aux soins est liée à celle du revenu des détenus, notamment des détenus handicapés. Afin d’éviter la discontinuité des soins, et compte tenu de l’indigence constatée dans les établissements pénitentiaires, la ministre de la santé a pris, le 30 juillet 2012, une circulaire destinée à assurer le versement du revenu de solidarité active à certaines catégories de détenus et de l’allocation aux adultes handicapés aux personnes concernées.
Dans nos prisons, l’indigence est un problème important et un facteur de grande vulnérabilité. Par exemple, l’emprise de certains prédicateurs islamistes radicaux dans nos établissements pénitentiaires se révèle plus forte sur des détenus totalement démunis, sans aucun revenu ni aucune ressource – je rejoins ce qu’a dit tout à l’heure Mme Klès sur le pécule. Ces personnes très fragilisées peuvent être endoctrinées et sont parfois prises en charge à la sortie de l’établissement.
Nous devons étudier ce sujet, afin d’envisager toutes les conditions de prise en charge à l’intérieur des établissements pénitentiaires, y compris en matière d’éducation et de formation. Je précise à cet égard que 25 % des détenus en France ne sont pas alphabétisés ou ont un niveau de formation extrêmement sommaire. Ils sont donc très désarmés.
J’évoquerai à présent la sécurité, qui impose que soient prises certaines mesures, puis je dirai un mot de la prison de Sequedin.
Sur la sécurité, les dispositions à prendre doivent évidemment porter sur la conception et l’équipement de nos établissements. Monsieur le rapporteur, je vous remercie d’avoir rappelé que le taux d’évasion en France est l’un des plus faibles d’Europe, et probablement du monde, en dépit de certaines évasions spectaculaires. D'ailleurs, paradoxalement, plus nous sécurisons nos établissements pénitentiaires, plus les évasions réussies seront spectaculaires. Ce paradoxe est très pénible, mais c’est la réalité.
À Sequedin, par exemple, qui est un établissement sécurisé, nous avons décidé le maintien des miradors, des portes blindées, des fouilles, ce qui a suscité des discussions avec le personnel pénitentiaire. J’ai ordonné d’organiser dans les plus brefs délais une fouille générale, qui a eu lieu dans cet établissement sécurisé pour la première fois.
Tout cela n’atténue pas la gravité de la situation, et c’est la raison pour laquelle j’ai diligenté une inspection dès que l’évasion a été connue. À la suite du rapport qui m’a été remis, j’ai demandé une seconde phase d’inspection et, vous le savez, le parquet et le pôle instructeur ont immédiatement été mobilisés. Un mandat d’arrêt européen a été lancé le jour même. Enfin, nous avons envoyé une brigade cynophile pour tenter de repérer l’endroit où les explosifs avaient pu être cachés. Nous avons donc pris toutes les mesures de sécurité nécessaires.
Je ne dirai rien de l’enquête, ne disposant pas d’éléments à ce sujet, mais je peux vous assurer qu’elle se poursuit. Nous devons arriver à savoir comment des armes et des explosifs sont introduits dans les établissements pénitentiaires. Nous émettons des hypothèses, car nous obtenons des renseignements par les personnels. Ceux qui revendiquent le retour aux fouilles systématiques nous ont ainsi expliqué comment certains détenus parvenaient à faire entrer toutes sortes de choses en prison.
Pour ce qui est de la sécurité, les dispositions de la loi sont ce qu’elles sont, mais il nous faut trouver les bonnes combinaisons entre ce que l’on appelle la « sécurité passive », c’est-à-dire tous les dispositifs existants, dont les miradors, les portiques et les portes blindées, et les compensations que l’on pourrait ajouter à l’encadrement strict des fouilles par la loi pénitentiaire.
Nous sommes encore confrontés à des querelles de chiffres sur le coût des équipes cynophiles et des fermetures de miradors. Nous y verrons bientôt clair, me semble-t-il, car, quand on pose les bonnes questions, les chiffres s’affinent.
D’ailleurs, sur les chiffres annoncés et les décrets d’application, vous nous reprochez de ne pas avoir avancé. Ce constat était un peu sévère ! En effet, sur vingt et une mesures réglementaires nécessaires, dix-huit ont été prises.
Il reste à prendre trois décrets d’application, dont l’un porte précisément sur l’observatoire indépendant. Toutefois, l’esprit de la loi pénitentiaire est de se servir de chiffres précis – vous l’avez rappelé, monsieur le rapporteur, lorsque vous avez demandé l’état des chiffres sur la récidive, établissement par établissement –, de données fiables, qui aient un sens afin d’inspirer la politique publique. Quoi qu'il en soit, je suis prête à entendre les remarques que le Sénat pourra émettre au sujet du nouvel observatoire indépendant, au sujet duquel nous avons travaillé.
Vous le savez, nous avons décidé de confier les données pénales à cet organisme,…
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Tout à fait.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. … et, sur ce sujet, nous poursuivons nos travaux en lien avec le ministère de l’intérieur. Nous avons d'ailleurs déjà adopté le décret mettant en place cet organisme et définissant ses missions.
Comme quelques autres ministères, la Chancellerie dispose de son propre service statistique, ce qui n’est pas le cas du ministère de l’intérieur. C’est donc l’ONDRP, l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales, qui, au cours des dernières années, a mené les études statistiques commandées par ce ministère.
Vous connaissez toutes les polémiques qu’ont suscitées cet observatoire et ses chiffres. Cette question fait l’objet de querelles et de contestations depuis plusieurs années.
À cet égard, l’alternative est la suivante : ou bien garantir la stabilisation de cette instance, via la redéfinition de ses missions et de son périmètre, en le limitant au ministère de l’intérieur : auquel cas, il n’y a pas de raison que le ministère de la justice ne reprenne pas les statistiques pénales ; ou bien assurer la création d’une structure hors de portée des critiques, et échappant partant à toutes les suspicions – fondées ou non – concernant la mainmise exercée sur ses chiffres par le ministère de l’intérieur.
Dans le second cas, cet observatoire travaillerait également sur les données pénales. Du reste, les ministères de l’intérieur et de la justice organisent déjà l’échange d’informations et de statistiques. Ainsi, les juridictions ont été équipées du logiciel Cassiopée, qui permet de disposer des données pénales produites par les forces de l’ordre. Ce dispositif fonctionne déjà à 100 % avec la gendarmerie. Pour l’heure, l’échange de statistiques reste plus compliqué avec la police nationale, qui a été équipée de ce dispositif plus récemment, mais il tend à se développer.
Puisque nous disposons déjà de cette coopération, mieux vaut la préserver. J’ajoute que nous avons veillé à mettre l’Observatoire à l’abri de toutes les suspicions possibles – pour la plupart infondées – en le confiant à un statisticien issu de l’INSEE a priori incontestable et, à tout le moins, absolument professionnel.
Dans ce cadre, nous envisageons de retravailler le décret relatif à cet organisme, en vue d’atteindre au mieux notre but principal, à savoir la construction de données statistiques !
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Nous sommes d’accord.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. À cet égard, je suis prête à entendre toutes les critiques émanant du Sénat.
Je le répète, le ministère de la justice dispose de son propre service statistique, organisé en quatre unités : je suis d’ailleurs en train de coordonner ces dernières afin que les différents indicateurs puissent être comparés et que les chiffres produits soient fiables et cohérents. Parallèlement, il faut assurer la performance de l’Observatoire national. Voilà donc un décret de moins à rédiger !
S'agissant du décret établissant un règlement intérieur type, je tiens à vous indiquer, monsieur le rapporteur, que je viens de signer ce texte.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Je savais bien que nous apprendrions au moins une bonne nouvelle aujourd'hui ! (Sourires.)
M. Jacques Mézard. C’est l’intérêt de ce genre de débats !
M. David Assouline, président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois. Merci, madame la garde des sceaux !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Sur ce sujet, nous nous sommes heurtés à la difficulté suivante : le texte rédigé par nos services prévoyait un règlement intérieur par type d’établissement. Or le Conseil d’État a souhaité, entre autres observations, qu’un seul et même modèle de règlement intérieur soit établi pour l’ensemble des centres pénitentiaires. Quelques semaines supplémentaires ont donc été nécessaires pour retravailler ce décret, qui est désormais signé. Voilà un autre aboutissement de la loi.
Enfin, un dernier décret reste en souffrance. Il est relatif à la consultation des détenus et leur expression collective.
Mesdames, messieurs les sénateurs, sans doute avez-vous connaissance du rapport Brunet-Ludet, qui porte sur à l’expérimentation de l’expression collective au sein de dix établissements. Ce rapport fait état d’une expérience tout à fait satisfaisante. Certains suggèrent d’aller au-delà des dispositions actuellement en vigueur. Pour ma part, j’estime que ce n’est pas nécessaire. Au reste, d’aucuns contestent cette disposition législative en tant que telle. Nous en resterons donc à la loi.
Les retards qu’a subis la rédaction de ce texte étaient précisément dus à des études destinées à déterminer s’il était possible d’aller plus loin, eu égard à l’intérêt que présente l’expérimentation menée par Mme Brunet-Ludet. J’ai donné les consignes nécessaires pour que ce décret soit prochainement publié.
Dans ce cadre, nous travaillons avec divers partenaires, non seulement à l’échelle interministérielle, mais aussi avec les collectivités territoriales. Il est important de le souligner dans cette maison, qui est précisément celle des collectivités.
M. Jacques Mézard. Très bien !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Ces collectivités sont étroitement associées à nos travaux en la matière.
Tout d’abord, vous le savez, elles prennent part aux comités de pilotage et aux conseils d’évaluation de nos établissements pénitentiaires.
Ensuite, elles sont un partenaire précieux pour l’exécution d’un certain nombre de mesures permettant d’éviter l’incarcération, notamment les travaux d’intérêt général, dont nous fêtons cette année les trente ans. À ce titre, j’ai lancé, il y a déjà trois mois, la campagne d’anniversaire de ce dispositif : je le répète, les collectivités jouent un rôle très précieux dans ce domaine.
De plus, elles sont nos partenaires au titre des emplois d’avenir.
Enfin, elles jouent un rôle d’innovation, notamment en matière de formation décentralisée. J’ai évoqué ce sujet il y a quelques instants : nous envisageons de systématiser ce dispositif en l’inscrivant dans la législation.
Nous travaillons également avec d’autres partenaires. Je songe aux associations, constituées de citoyens bénévoles qui se dévouent à l’action publique et qui rendent de véritables services d’intérêt général ; je pense également aux services sociaux, qui entrent dans nos établissements pénitentiaires, où ils sont les bienvenus. Dans la logique conduisant à ouvrir tous les dispositifs de droit commun aux personnes placées sous main de justice, il importe que ces services puissent mener ces actions. Nous avons d’ailleurs créé des postes d’assistantes sociales, afin de répondre aux besoins des détenus et même de les prévenir, avant qu’un accompagnement de sortie ne se révèle nécessaire.
À cet égard, je souligne que nous luttons contre les sorties sèches. Monsieur Hyest, vous le soulignez avec raison : aujourd’hui, plus de 80 % des sorties sont sèches. Comme aggravation des facteurs de récidive, on ne peut pas trouver mieux !
Concernant les aménagements de peine, vous avez relevé que le PSE, le placement sous surveillance électronique, c'est-à-dire le bracelet électronique, était généralement retenu comme mesure d’aménagement de la peine. C’est exact, et les chiffres l’attestent. Toutefois, une difficulté se fait jour concernant les autres aménagements de cette nature : les places de semi-liberté sont assez mal réparties sur le territoire. Voilà pourquoi nous allons en créer de nouvelles et étendre la possibilité de recourir au PSE.
Comme vous le soulignez, monsieur Hyest, ce dispositif fonctionne assez bien. Néanmoins, certaines personnes manifestent leur inquiétude à cet égard et demandent en conséquence à revenir à l’incarcération, préférant échapper aux contraintes du bracelet électronique.
M. Alain Gournac. Eh oui !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Il est important de le souligner. Souvent, les citoyens se figurent que les aménagements de peine constituent une faveur ou une dispense. Or tel n’est pas le cas ! Les individus écroués purgent de véritables peines, avec leurs contraintes et leurs obligations, même s’il s’agit, en l’espèce, d’un écrou en milieu ouvert. Or certaines personnes ne supportent pas les contraintes du bracelet électronique.
En conséquence, nous allons créer 800 nouvelles places de semi-liberté au cours du plan triennal. Cette mesure permettra aux juges d’application des peines de prononcer un peu plus de mises en semi-liberté et limitera ainsi la prédominance du bracelet électronique.
À ces dispositifs s’ajoute le placement extérieur, qui, comme M. le rapporteur l’a souligné avec raison, donne de bons résultats. Voilà pourquoi j’ai tenu à augmenter de 12 % le budget concerné.
M. Alain Gournac. Certes, mais il y a très peu de personnes concernées !
M. Jean-Jacques Hyest. Tout à fait !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. J’en conviens, monsieur Gournac, et l’augmentation de ces crédits permettra précisément de développer ce dispositif.
Mesdames, messieurs les sénateurs, voilà l’essentiel des mesures que nous avons mises en œuvre en application de la loi pénitentiaire. Je sais qu’il reste beaucoup à faire et que de grands défis nous attendent, notamment concernant l’activité ou la formation professionnelle. Nous allons tout faire pour les relever. J’aurai besoin de votre soutien, car, sur ce sujet également, nous devons conquérir l’opinion publique.
Mmes Espagnac et Klès l’ont souligné à juste titre : conquérir l’opinion publique permet de garantir une meilleure acceptabilité des choix budgétaires au sein de notre société. De fait, ces mesures exigent des moyens. Néanmoins, dans un État de droit, dans une République, il faut accorder les moyens nécessaires aux établissements pénitentiaires !
J’ajouterai un mot concernant les centres pénitentiaires de l’outre-mer, qui ont été très fortement négligés et pénalisés au cours des dernières années. Certains d’entre eux sont même dans un état absolument calamiteux.
M. Antiste l’a rappelé, j’ai diligenté une mission pour ce qui concerne l’établissement de Ducos. Celui de Baie-Mahault, en Guadeloupe, subit également de sérieuses difficultés. Celui de Basse-Terre est quant à lui dans un état totalement déplorable, comme le sait bien M. Desplan. Dans tous les outre-mer, nous sommes confrontés à des problèmes de surpopulation carcérale.
À Sequedin, la surpopulation carcérale s’élève à 175 %. Comme le soulignait M. Hyest, ce taux atteint 328 % dans les territoires ultramarins.
M. Jean-Jacques Hyest. C’est M. Antiste qui l’a dit !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Pardonnez-moi, monsieur Hyest, il me semblait que vous aviez évoqué l’outre-mer en citant ce chiffre. De fait, sur le territoire national, nous atteignons au maximum 240 %, un pourcentage qui est déjà énorme, j’en conviens tout à fait. (M. Jean-Jacques Hyest acquiesce.)
Le taux d’aménagement des peines est extrêmement faible. J’ai donc pris des dispositions en faveur du recrutement des juges d’application des peines, afin d’augmenter leur effectif de près de 10 %. En effet, ces magistrats ont des dizaines de milliers de mesures à examiner.
De plus, j’ai décidé d’augmenter le nombre de conseillers d’insertion et de probation. Je tiens à l’indiquer, même si je sais que cette mesure n’a rien à voir avec le nombre d’agents supplémentaires nécessaires à un bon encadrement, qu’il s’élève à 1 000 ou à 250.
Parallèlement, dans la droite ligne de la conférence du consensus, il convient de travailler sur la peine de probation, et même de la construire : je ne tiens pas à transposer cette peine telle qu’elle a été élaborée dans d’autres sociétés. En effet, je suis convaincue que le succès de telles mesures, et de tout dispositif en général, est lié à la prise en compte de paramètres historiques, culturels et sociologiques. On n’applique pas un dispositif technique et juridique de la même manière dans deux contextes différents ! C’est un véritable enjeu, car il nous faut parvenir à construire, en France, la peine de probation la plus crédible qui soit.
Tout d’abord, il faut que cette mesure soit crédible pour la personne mise en cause : celle-ci doit bien comprendre qu’il s’agit d’une peine à part entière, avec ses contraintes et ses obligations, dont la violation entraîne des sanctions.
Ensuite, il faut qu’elle soit crédible pour les victimes, qui doivent non seulement être indemnisées, mais aussi avoir la conviction que la victime accomplit réellement une peine. C’est un enjeu essentiel pour nos centres pénitentiaires.
Enfin, il faut que ce dispositif soit crédible pour la société, qui doit accepter la peine de probation comme une peine en soi.
Dans cette perspective, nous sommes en train de travailler au contenu de cette mesure. Bien entendu, nous devons nous appuyer, à cette fin, sur les juges d’application des peines et sur les conseillers d’insertion et de probation. À l’heure actuelle, ces personnels, dont je salue la grande mobilisation, sont habitués à étudier pendant des mois chaque cas d’aménagement de peine. La loi pénitentiaire fixe en effet à deux ans le quantum de la peine d’emprisonnement aménageable, mais la décision n’est pas automatique, et heureusement : nous sommes en effet favorables à l’individualisation des peines et à un examen au cas par cas des situations.
Je le répète, magistrats et conseillers d’insertion et de probation se consacrent souvent à un cas pendant des mois, voire toute une année durant, afin de proposer le meilleur aménagement possible.
Si nous abandonnons ce dispositif à plusieurs étages, des personnels dédiés pourront évidemment se charger de l’exécution immédiate de certaines peines, notamment des peines de probation. C’est là le moyen de rendre plus efficace les compétences exceptionnelles que les personnels de la justice mettent à notre disposition.
Je crois avoir répondu à toutes les questions qui m’étaient posées…
M. David Assouline, président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois. Et les bureaux de vote ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Monsieur Assouline, sur ce sujet, je ne vous cache pas que les dispositions pratiques posent un certain nombre de problèmes. Si vous le souhaitez, je peux vous faire parvenir très rapidement une note résumant ces difficultés.
Nous avons déjà travaillé sur cette question à l'échelon interministériel, et une réunion est prochainement prévue dans ce cadre. D’ici à quelques mois, c'est-à-dire avant les prochaines échéances électorales, nous devrions donc être en mesure d’exprimer notre différence dans le respect du droit civique des détenus.
J’espère ne pas avoir omis d’autres sujets…
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Pas du tout, madame la garde des sceaux, votre réponse était très complète !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Pour conclure, je souhaite m’adresser à nos surveillants pénitentiaires, que nous associons systématiquement à nos travaux comme à nos réflexions, et que je rencontre régulièrement – hier soir encore, j’ai reçu une délégation de ces personnels, dont dépend la bonne efficacité de nos politiques en la matière.
À cet égard, je le souligne, les contrôles dont les surveillants font l’objet contribuent aussi à les protéger. Ces inspections peuvent être menées par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, que je salue à mon tour à cette tribune pour l’excellente qualité du travail que ses équipes et lui-même réalisent ; par l’Observatoire international des prisons, avec ses exigences et ses procédures judiciaires ; par les tribunaux eux-mêmes, car, malheureusement, l’administration est assez régulièrement condamnée ; par les parlementaires, qui, comme la loi les y autorise, peuvent se rendre dans les établissements pénitentiaires librement, de manière tout à fait impromptue, puis signaler les anomalies ou les dysfonctionnements qu’ils ont pu observer ; ou encore, par les associations.
Quels que soient ces contrôles, je le dis et je le répète à l’attention des personnels pénitentiaires : il s’agit pour eux d’une protection. Nos prisons doivent être républicaines. Nous sommes dans un État de droit, ce qui suppose d’accepter le regard des parlementaires, celui des représentants de l’Union européenne ou des associations, ou encore celui de spécialistes. Parallèlement, nous ne devons pas sous-estimer le dévouement et la compétence de nos surveillants. À l’inverse, nous devons saluer le courage avec lequel ils gèrent les établissements pénitentiaires au quotidien. Aussi, je leur rends un hommage auquel je me permets d’associer le Sénat tout entier. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste et du groupe socialiste.)
M. le président. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat sur la loi pénitentiaire.
L’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures trente, est reprise à quinze heures, sous la présidence de Mme Bariza Khiari.)