M. le président. La parole est à M. Robert Hue.
M. Robert Hue. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, je ne veux pas galvauder la formule, mais le moment que vit le Sénat est historique.
M. Charles Revet. Oh là là !
M. Robert Hue. Après avoir débattu pendant près d’une semaine, nous nous apprêtons à mettre fin à une inégalité. C’est bien au nom de l’égalité, ce principe inscrit au frontispice de notre République, qui fait la grandeur de notre pays, que, demain, des couples homosexuels pourront se marier, adopter, élever des enfants, mais aussi divorcer comme n’importe quel autre couple – il faut aussi le rappeler.
C’est toujours au nom de l’égalité que les personnes de même sexe pourront jouir de leur droit à vivre une vie familiale normale, à l’image des couples hétérosexuels, dans l’indifférence de l’État, sous réserve, bien sûr, du respect de l’ordre public.
C’est enfin au nom de l’égalité que les enfants adoptés par des familles homoparentales bénéficieront enfin du même statut juridiquement protecteur que tous les autres enfants nés d’une union hétérosexuelle.
L’histoire de la République, que nous avons en commun dans cet hémicycle, nous enseigne que la liberté demeure une fiction si l’égalité est sacrifiée à son seul profit. Aujourd’hui, nous ajoutons un degré de plus à ce délicat équilibre, car « il ne peut y avoir ni vraie liberté ni justice dans une société si l’égalité n’est pas réelle », comme l’écrivait Condorcet – certains l’auront reconnu.
Pour notre part, nous nous réjouissons de contribuer à la marche du progrès, mais nous restons conscients, malgré tout, qu’il reste beaucoup à faire pour que les discriminations dont sont victimes les homosexuels dans notre pays continuent à reculer pour enfin disparaître.
Plus que jamais, nous sommes convaincus que l’ouverture du mariage et de l’adoption aux personnes de même sexe ne provoquera pas le changement de civilisation ou le changement anthropologique que certains ici redoutent, ainsi qu’ils l’ont longuement exprimé. Bien au contraire !
S’il n’appartient pas au droit de dicter les faits, le droit ne peut ignorer le réel, tel un concept abstrait enfermé dans le monde des idées.
M. Patrice Gélard. Vous êtes gonflé !
M. Robert Hue. Le droit, qu’il nous appartient constamment de créer et d’améliorer, doit correspondre à la réalité sociale d’aujourd’hui, et c’est pourquoi nous faisons œuvre utile en ouvrant le mariage et l’adoption aux personnes de même sexe.
L’histoire montre que la notion même de modèle familial est contingente et évolutive, et nos débats se sont largement épanchés sur ce point. Le statut de l’épouse ou des enfants adultérins et naturels ont fait l’objet d’évolutions majeures durant les dernières décennies, et il n’existe donc aucune raison pour que nous nous arrêtions sur cette voie.
Oui, cette réalité ne peut plus être ignorée ! L'hypocrisie de la société à l’égard des enfants nés dans des familles homoparentales doit cesser : ces enfants sont élevés avec le même amour et la même attention que dans n’importe quelle autre famille. Leur intérêt supérieur commande que leur soient offertes et garanties les conditions nécessaires à leur développement.
Madame la garde des sceaux, madame la ministre, je vous remercie d’avoir porté ce texte avec éloquence et avec toute la passion nécessaire pour concevoir une œuvre législative difficile mais désormais pratiquement aboutie. Je souhaite également remercier nos rapporteurs, dont la minutie a éclairé nos travaux.
Enfin, je souhaite saluer, avec toute la courtoisie républicaine qui s’impose, nos collègues, toutes sensibilités confondues, pour leur engagement déterminé dans le débat. Certes, nos positions divergent et les débats ont pu être parfois assez virulents, mais c’est aussi l’honneur du Parlement d’être le réceptacle du pluralisme, dans le respect des valeurs qui transcendent nos clivages.
M. Jean-Claude Lenoir. Merci !
M. Robert Hue. Mesdames les ministres, mes chers collègues, c’est en nous réjouissant que l’égale dignité des citoyens soit demain renforcée que la grande majorité des membres du groupe du RDSE votera ce texte.
M. le président. La parole est à Mme Corinne Bouchoux.
Mme Corinne Bouchoux. Monsieur le président, mesdames les ministres, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, avec le vote de cette loi, les gays et les lesbiennes, ou, même s’ils ne se nomment pas comme tels, un homme qui aime un homme, une femme qui aime une femme, pourront choisir de vivre seuls, de vivre en union libre, de vivre pacsés, de se marier ou non, de fonder une famille ou de ne pas le faire, d’avoir des enfants et de les élever, avec des droits et des devoirs.
Il s’agit d’une loi de liberté et d’égalité qui n’enlève rien à personne. Puissions-nous, malgré la virulence du débat à certains moments et les faits regrettables qui se sont produits à l’extérieur de cette enceinte, en faire une loi de fraternité ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Raffarin.
M. Jean-Pierre Raffarin. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, nous venons de vivre un débat intéressant, même s’il fut pour nous profondément décevant.
Je voudrais, pour commencer, relever deux petites satisfactions. Tout d’abord, après notre mise au point à la suite du dérapage de M. Laurent, les accusations d’homophobie contre notre groupe ont cessé dans cette assemblée. Elles étaient pour nous inacceptables (Très bien ! sur les travées de l'UMP.) et nous n’aurions pu participer plus avant au débat si elles s’étaient poursuivies.
M. Gérard Larcher. Très bien !
M. Jean-Claude Lenoir. Nous n’avons d’ailleurs plus revu M. Laurent !
M. Charles Revet. Il n’est pas revenu !
M. Jean-Pierre Raffarin. Je remercie donc tous nos collègues pour le respect réciproque dont nous avons su faire preuve sur ces sujets.
Une autre satisfaction fut la controverse, très symbolique de notre débat, le choc des talents latinistes entre Jean-Jacques Hyest et Jean-Pierre Sueur : la bataille du nominatif contre l’accusatif !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. En effet, c’était très intéressant !
M. Jean-Pierre Raffarin. Car il s’agit, au fond, d’un point très significatif. Le camp du nominatif est le camp du nom, du sujet, le camp de l’accusatif celui de l’objet et de l’accusation ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP. ― Oh ! sur les travées du groupe socialiste.) Permettez-moi de répondre à votre joute par cette boutade !
Je poursuivrai en affirmant une nouvelle fois qu’il y a dans ce texte une double faute politique !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Attention au passif, maintenant !
M. Jean-Pierre Raffarin. Tout d’abord, le pays vit un choc social majeur, le chômage augmente depuis vingt-deux mois et va continuer à progresser puisque les lourdes actions nécessaires n’ont pas été engagées. Alors que cette souffrance sociale est la première des souffrances de la société, on ne donne pas le sentiment – et c’est la première faute – qu’elle est la priorité du législatif et de l’exécutif.
Nous nous trouvons dans une crise morale majeure, qui attaque toutes les institutions, qui nous atteint, les uns et les autres, dans notre éthique, ce que nous avons de plus cher. Et nous donnons le sentiment de répondre à côté des préoccupations des Français.
Je crois que cette faute-là est lourde, qu’elle nous sera reprochée, qu’elle vous sera profondément reprochée. À une crise sociale et à un choc moral, vous ajoutez une rupture sociétale.
Ensuite – et j’en viens à la seconde faute –, je regrette que nous soyons passés à côté de véritables avancées consensuelles pour notre pays. Notre histoire nous a montré – et j’avais pris l’exemple du voile à l’école, à cet égard – que, quand nous sommes capables de trouver des consensus, nous sommes respectés dans la société !
Ne croyez pas que le vote de la loi effacera la rupture que vous avez créée ! Cette dernière a jeté dans la rue des centaines de milliers de gens qui ne comprennent pas et qui le disent. Ils resteront sur leurs positions ! Ce qui était au départ un choc de conscience devient un choc de conviction et suscite des blocages dans la société que le vote de la loi n’effacera pas. (M. Gérard Larcher opine.)
Nous aurions pu avancer ensemble sur les droits des couples homosexuels, puisque nous souhaitions tous les améliorer. Non par compassion seulement, comme le disait Mme Esther Benbassa, mais avant tout par respect, ce qui est fondamental pour faire la loi. C’est ce respect qui aurait pu nous permettre d’avancer ensemble sur le statut du couple homosexuel, mais également vers une nouvelle pensée de l’adoption.
En créant l’Agence française de l’adoption, nous avions en effet pris la mesure de la situation d’échec que vivait notre pays dans ce domaine. Je dois avouer que notre volonté de repenser cette politique n’a pas suffi à surmonter les échecs. L’adoption reste en effet un échec dans notre pays.
Vous avez rendu la situation plus complexe sans régler aucun des problèmes de notre société. Il y a là vraiment une occasion ratée : alors que nous faisions preuve de bonne volonté, il n’y a pas eu débat ; vous n’avez en effet pas favorisé une méthode politique de rassemblement, une méthode qui aurait pu permettre que, sur ces sujets majeurs, sur ces sujets de conscience, nous adoptions une approche de rassemblement.
Enfin, j’évoquerai avec regret une dimension du sujet qui a été presque absente de notre débat : la dimension spirituelle. L’enfant est-il reçu ou est-il désiré ? Il y a eu quelques oppositions à cet égard. Je crois quant à moi qu’un enfant est à la fois reçu et voulu. Le lien entre l’enfant, la mère et le père est un lien historique. C’est un lien de création et de dépassement. René Char avait cette belle phrase : « Aimer, c’est vouloir que les choses soient ce qu’elles sont ».
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. C’est aussi vouloir qu’elles changent, c’est souhaiter la transformation !
M. Jean-Pierre Raffarin. Cela signifie qu’existe à côté de la volonté une part de réalité que certains appellent « immanence », d’autres lui donnant un nom différent. C’est la conscience d’une réalité qui nous est imposée parce que plus grande que nous. Le lien historique qui unit le père, la mère et l’enfant nous dépasse.
Sommes-nous légitimes à toucher, par ce travail législatif, à ce lien d’humanité, ce lien de vie qui concerne la naissance, la création et le dépassement ? C’est une grande question pour moi, mais je ne crois pas que la réponse soit nécessairement positive.
Je ne conteste pas votre ambition de paradis social ; je ne conteste pas votre volonté d’améliorer la vie sociale ; je ne conteste pas que la dimension sociale soit très importante. Mais je pense à Henri de Lubac qui disait : « Un paradis social peut être un enfer spirituel. » (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Hou là là !
M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny.
M. Yves Daudigny. Madame la garde des sceaux, j’étais présent dans l’hémicycle ce jeudi 4 avril quand vous êtes montée à la tribune pour présenter ce projet de loi relatif à l’ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe.
Depuis ce jour, j’ai peu quitté ma place et j’ai vécu des moments intenses de travail parlementaire, des tensions vives, parfois des rires. J’ai surtout ressenti beaucoup de fierté : fierté de participer à la construction d’un texte soutenu par mon groupe avec cohérence et cohésion, sans ambiguïté, un groupe animé d’une formidable conviction de promouvoir l’égalité des droits pour toutes et tous quelle que soit leur orientation sexuelle.
On nous a opposé que ces jours auraient pu être plus utilement consacrés à l’examen de la situation économique de notre pays. Mes chers collègues, le temps de la démocratie n’est jamais perdu quand il est consacré à construire de nouveaux espaces de liberté, quand il met fin à une discrimination vieille de deux siècles, quand il est guidé par les idéaux de justice et d’égalité !
Je veux, madame la garde des sceaux, madame la ministre chargée de la famille, vous remercier, chacune, de votre engagement, de votre talent, de votre capacité à argumenter et à répondre aux interrogations, ainsi que du respect que vous avez témoigné pendant toutes ces heures aux membres de la Haute Assemblée. Madame la garde des sceaux, vous nous avez très souvent subjugués.
Je tiens aussi à adresser mes remerciements à M. le rapporteur, à Mme la rapporteur pour avis, à M. le président de la commission des lois, ainsi qu’aux présidents de séance qui se sont succédé.
Je veux également remercier mes collègues de la majorité sénatoriale, qui, au-delà de leur détermination, ont manifesté tant de patience, d’écoute et de sérénité.
Je veux, enfin, remercier nos collègues de l’opposition de leur tolérance.
Nous oublions, en cet instant, les répétitions, les tentatives de désinformation, les amalgames et les confusions. Nous oublions tout cela parce que le vote de la loi traduisant l’engagement du Président de la République d’ouvrir le mariage et l’adoption à droit constant aux couples de personnes de même sexe est un vote emblématique, un vote qui marquera l’histoire.
C’est bien le mariage, avec toute sa charge symbolique et toutes ses règles d’ordre public, qui s’ouvre aux couples de personnes de même sexe, avec les mêmes conditions d’âge et de consentement de la part de chacun des conjoints, avec les mêmes interdits, les mêmes prohibitions, avec les mêmes obligations d’assistance, de fidélité et de respect, avec les mêmes obligations pour chaque conjoint, l’un à l’égard de l’autre, les mêmes devoirs des enfants vis-à-vis de leurs parents, et inversement.
C’est selon les mêmes processus et dans les mêmes conditions que les couples hétérosexuels et les couples homosexuels pourront adopter. L’agrément sera accordé en vertu des mêmes règles par les conseils généraux. L’adoption sera prononcée dans les mêmes conditions par le juge, conformément à l’article 353 du code civil, qui dispose que l’adoption est prononcée si elle est conforme aux droits de l’enfant.
Aujourd'hui, nous parachevons l’évolution vers l’égalité d’une institution, le mariage civil auquel la constitution de 1791 a donné naissance.
Cette évolution a d’abord concerné les femmes. Comment imaginer aujourd'hui que les femmes avaient encore besoin, il y a quarante ans, de l’autorisation de leur époux pour ouvrir un compte bancaire ?
Elle a aussi progressivement reconnu les droits des enfants. Ce n’est qu’en 1972 que le législateur a cessé d’établir une différence entre les enfants légitimes et les enfants naturels.
Enfin, cette évolution rend aujourd'hui justice aux personnes homosexuelles. L’homosexualité ne doit pas seulement être dépouillée de ses qualifications d’infraction, de fléau, de maladie ou de péché. Elle doit bénéficier de droits et de devoirs équivalents à ceux de l’hétérosexualité.
Autrefois, institution de propriété, de possession et d’exclusion, le mariage devient aujourd'hui une institution universelle. Des droits nouveaux sont accordés, et aucun droit n’est ôté à ceux qui les possèdent déjà. Chacun a le droit de s’unir avec la personne qu’il aime, de protéger son conjoint, de fonder une famille, avec des enfants reconnus et protégés.
Mes chers collègues, dans cette évolution, la France n’est pas seule. Elle rejoint les Pays-Bas, la Belgique, l’Espagne, le Canada, l’Afrique du Sud, la Norvège, la Suède, le Portugal, l’Islande, l’Argentine, mais aussi le Royaume-Uni et l’Uruguay.
Si des États des Nations unies considèrent encore aujourd'hui que l’homosexualité est un crime, aucun de ceux que je viens de mentionner n’a sombré dans le chaos ou la guerre civile.
Le groupe socialiste votera ce projet de loi : permettez-moi, en conclusion, de citer Montesquieu : « Une chose n’est pas juste parce qu’elle est loi, mais elle doit être loi parce qu’elle est juste. » (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Pasquet.
Mme Isabelle Pasquet. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, avec le vote de ce projet de loi, nous pouvons nous féliciter de voir s’ériger enfin, à côté du droit du mariage, un véritable droit au mariage, dont chacune et chacun pourra se prévaloir.
Les mesures que nous avons adoptées durant ces longs jours de débat ne feront que traduire les évolutions de notre société. Le législateur en a simplement pris acte et, dans l’intérêt général, il lui revient aujourd’hui de voter ce projet de loi, afin que l’ensemble des citoyens bénéficient des mêmes protections, des mêmes droits et des mêmes obligations.
L’intérêt de l’enfant a beaucoup été invoqué durant cette longue discussion. La question de l’égalité n’a pas occulté celle de l’homoparentalité, loin de là, et je dirai même que les principales oppositions se sont cristallisées sur le point essentiel qu’est le bien-être de nos enfants. Voilà qui est rassurant, même si les réponses diffèrent en fonction des travées sur lesquelles nous siégeons.
Ouvrir un droit qui combat les discriminations est, à mes yeux, protecteur. Nous avons entendu les inquiétudes de chacune et de chacun, mais nous sommes convaincus que cette loi n’est que bienfait pour les enfants. Les arguments consistant à dire que cette loi détruira la famille ne sont que fantasmés. La famille en sortira au contraire renforcée !
Les arguments invoquant d’hypothétiques risques physiologiques ou psychologiques encourus par un enfant élevé par un couple homosexuel ne sont pas plus pertinents.
En effet, n’oublions pas que notre motivation première est de répondre à la détresse d’enfants nés ou qui naîtront dans ces familles. Leur protection est aujourd'hui fragilisée par l’absence de lien juridique de l’un des deux parents avec l’enfant qu’il élève avec son conjoint. L’intérêt des enfants commande qu’ils puissent enfin bénéficier, comme les autres, de la protection de la loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Vincent Delahaye.
M. Vincent Delahaye. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, à l’issue de ce débat, je relèverai les points qui m’ont marqué.
Tout d’abord, nous avons assisté à un dialogue de sourds, qui restera dans les annales de la Haute Assemblée et servira sans doute, dans le futur, aux instituts d’études politiques pour l’étude d’un cas de figure qu’il ne faut bien sûr pas suivre !
Ensuite, j’ai été frappé par la façon dont le Gouvernement et la majorité ont minimisé, caricaturé et, plus grave encore, ignoré l’émotion et les convictions exprimées par des centaines de milliers de Français pendant que nous débattions.
En outre, à la crise politique majeure que nous vivons actuellement, à la crise économique et sociale que nous connaissons, nous ajoutons une crise sociétale, ce qui n’est pas une bonne chose.
Enfin, le Gouvernement devrait rassembler. D’ailleurs, tous les élus doivent rassembler : quand on est un élu local, on cherche à rassembler au niveau local ; cet esprit de rassemblement devrait également prévaloir au niveau national. Or nous nous sommes au contraire heurtés à un mur, un mur de convictions sans doute, mais un mur inébranlable.
Sur le fond, il y a ici une quasi-unanimité, je pense, pour reconnaître aux homosexuels le droit de vivre en couple, pour admettre qu’ils ont subi depuis des années des discriminations et pour nous opposer à ces dernières. Nous sommes donc tout à fait favorables à une partie du texte, de même qu’à la reconnaissance de leurs droits sociaux et fiscaux, et nous aurions pu, me semble-t-il, aboutir à un vote unanime sur le sujet.
Toutefois, pourquoi céder à la frange la plus extrême des homosexuels, le collectif Inter-LGBT ? Pourquoi créer un droit à l’enfant, qui n’existait absolument pas jusqu’à présent ? Pourquoi donner la primauté de ce droit à l’enfant par rapport aux droits de l’enfant ? Pourquoi créer un nouveau type d’enfant ?
Certes, des enfants vivent aujourd'hui avec deux hommes ou deux femmes, mais la nouveauté, avec cette loi, c’est que, demain, des enfants auront deux papas ou deux mamans. Pourquoi, s’agissant de l’être humain, des enfants à naître, ne pas mettre en avant le principe de précaution, si souvent utilisé à tort et à travers sur certaines travées ?
Mes chers collègues, j’avais abordé ce débat avec une volonté constructive, mais je me suis aperçu qu’une telle volonté n’existait que d’un côté de l’hémicycle : si des opinions différentes se sont exprimées à droite et au centre, à gauche, on n’a entendu aucune différence – et on n’a d’ailleurs pas entendu grand-chose… Or, dans l’opinion publique, on le sait, le clivage se situe non pas entre la gauche et la droite, mais au sein même de chaque camp.
Je l’ai indiqué dans certaines de mes interventions, si des personnes ont osé s’exprimer à gauche, elles l’ont fait en dehors des hémicycles. J’ai cité Élisabeth Guigou, et ceux qui voudront bien se référer à l’intervention qu’elle a faite sur le PACS voilà quatorze ans la trouveront très instructive : son virage à 180° sur un tel sujet décrédibilise, à mon avis, la parole politique. Mais je pourrais également citer Lionel Jospin, ancien Premier ministre, son épouse (Mme Esther Benbassa s’exclame.), ainsi que beaucoup d’élus de gauche. Cela prouve qu’il y a aussi des courageux à gauche. J’aurais aimé en entendre ici, mais j’ai l’impression qu’on les a bâillonnés !
Mme Isabelle Debré. Tout à fait !
M. Vincent Delahaye. Cela donne l’impression que la discussion a été, comme je l’indiquais au début de mon propos, un dialogue de sourds. Le débat n’a pas eu lieu, et c’est fort dommage.
Pour des raisons tenant à la fois à l’attitude du Gouvernement, à la création d’un droit à l’enfant et d’un nouveau type d’enfant et à l’ouverture de la PMA et de la GPA – vous ne nous avez pas du tout rassurés sur ce point, madame la garde des sceaux –, suivies sans doute demain de la marchandisation des enfants, je voterai, comme la quasi-unanimité du groupe UDI-UC, contre ce texte. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Vincent Placé.
M. Jean-Vincent Placé. Monsieur le président, mesdames les ministres, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, madame la rapporteur pour avis, mes chers collègues, je veux me réjouir, au terme de ce débat, de la passion qui a embrasé nos travées.
Majorité, opposition, nous n’avons pas ménagé nos forces. Nous nous sommes battus, pied à pied, car nous avions malgré tout un point commun : la conscience que ce texte était tout, sauf anodin.
Ces derniers jours, divers arguments juridiques ont été égrenés, défendus, développés. Dans le cadre des explications de vote, je vous propose de les oublier.
Oublions tout cela ! Oublions la technique, les arcanes du droit pour nous attacher une ultime fois au cœur du projet de loi, le mariage !
J’entends la crainte profonde que certains d’entre vous ont exprimée, celle que l’on touche à quelque chose de sacré : le mariage. Aussi, c’est à vous, collègues de l’opposition, que je veux m’adresser.
Oui, le mariage est sacré. Bien sûr qu’il l’est ! Et je ne parle pas ici de religion. D’ailleurs, qui, ici, parle de religion ? Nous sommes laïcs et républicains !
M. Jean-Pierre Raffarin. Cela n’interdit pas de parler de la religion !
M. Jean-Vincent Placé. Nous parlons de mariage civil et, je vous le dis, le mariage civil est à mes yeux sacré !
L’essence du mariage, c’est le couple. Et le ciment de ce couple, c’est l’amour.
L’amour. Un mot que l’on n’a pas assez entendu ces derniers temps. Pourtant, c’est en cela que le mariage est sacré dans nos cœurs.
Chers collègues, nous en avons parlé hier, je vous propose de lever vos bulletins de vote ! Affichez fièrement la couleur ! Et dites que, oui, vous acceptez qu’ils s’aiment et qu’elles s’aiment !
Dites que, oui, en France, être homosexuel, c’est être et vivre comme tout le monde.
Dites que, oui, nous sommes du même monde, que nous partageons les mêmes envies dans la vie : être heureux, être compris, pouvoir dire « oui » devant un maire, sa famille, ses amis, tous ses proches, fonder une famille.
Dites, que, oui, il pourra déclarer à tous et à toutes : « c’est lui que j’ai choisi » et qu’elle pourra dire à tous et à toutes : « c’est elle que j’ai choisie. »
Cette loi semble heurter certaines sensibilités. C’est pourtant dans ces moments, rares, que l’on se trouve face à soi-même avec le pouvoir de participer, en toute liberté, à une révolution majeure de notre société. Chacun a le pouvoir de corriger une règle de notre société, en se disant que l’on devait être bien aveugle pour ne pas avoir pris cette décision plus tôt. Notre société doit se débarrasser de ses peaux mortes. Elle doit préserver et cultiver les belles choses qu’elle a construites au fil du temps, mais tourner le dos à l’inégalité.
Je suis hétérosexuel, comme la plupart d’entre vous. Si l’on venait ici vous dire que vous n’avez pas le droit d’épouser celle que vous aimez, vous répondriez : « Et de quel droit ? » Cela vous semble absurde ? Mais pourtant c’est bien de cela qu’on parle ! Et c’est ce que ressentent certains !
Cela a été dit, de nombreux pays ont déjà adopté cette loi. Sentez le vent de l’histoire qui souffle autour de nous sur ces travées ! C’est pour cela que je me suis engagé en politique. Et je n’ai plus de mots pour vous dire la fierté qui est la mienne d’être parmi ceux et celles qui, dans l’histoire de notre pays, auront soutenu ce noble combat aujourd’hui.
Nous avons débattu, et longuement débattu. Personne n’aura su me démontrer qu’il n’y a pas une injustice patente, et une injustice que nous devons enterrer maintenant !
On nous regarde – je ne parle pas de ceux qui suivent notre débat dans les tribunes, que je salue ; je vois nombre de visages amis… – dans la rue ou à la télévision. Mais je pense aux enfants, aux petits-enfants de la France de demain, qui seront d’ailleurs issus de couples hétérosexuels ou de couples homosexuels. Ceux-là regarderont ce jour avec le respect et l’émotion que l’on ressent pour les moments qui marquent les grandes avancées sociales, pour les jours historiques.
Mes chers collègues, comme vous, je suis sénateur ; mais, à la différence de beaucoup d’entre vous, je sais ce qu’est l’adoption.
J’ai été orphelin. J’ai eu la chance extraordinaire d’être adopté, par une famille française qui avait déjà des enfants naturels, trois frères et une sœur que j’ai eu la chance de côtoyer pendant ma jeunesse. Mes parents n’avaient pas un désir d’enfant supplémentaire, ils avaient envie de partager, de donner de l’amour, ils voulaient un autre modèle familial que la famille de papa-maman ressassée par nos collègues de l’opposition, qui est d’une certaine façon la famille du droit du sang.
Chers collègues de l’opposition, je souhaite que vous respectiez les couples homosexuels qui vont adopter dans les mois à venir. Ils ont envie non pas de se faire plaisir, mais de concrétiser leur amour dans des valeurs qu’ils veulent transmettre, dans un amour qu’ils veulent partager, avec le souci que notre société se perpétue avec ces valeurs partagées.
Permettez-moi de vous le dire : vous avez été extrêmement caricaturaux en ce qui concerne l’adoption, dont je crois que vous ne maîtrisez pas beaucoup les notions. Je ne vous demande qu’une chose, mais c’est du fond du cœur : respectez les familles qui vont voir le jour, avec leurs enfants, dans les prochains mois et les prochaines années !
Aujourd’hui, je vote pour que tous les couples puissent s’unir devant la loi, quelles que soient leur religion, leur couleur de peau, leur condition sociale et leur orientation sexuelle. Je vote pour le mariage, pour toutes et pour tous ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)