M. Charles Revet. Vous savez bien que nous vous écoutons, madame la ministre !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je pense cependant que ce sujet mérite que nous lui accordions le temps et les précisions nécessaires.
J’ai observé, mesdames, messieurs les sénateurs de l’opposition, que vous étiez pris d’une passion soudaine pour des personnalités de gauche, que vous avez abondamment citées. Je pense donc que vous serez sensibles à une citation de Jean Jaurès ! (Ah ! sur les travées de l'UMP.) Il faut bien que nous alimentions cette admiration récente ! (Sourires sur les travées du RDSE, du groupe socialiste, du groupe écologiste et du groupe CRC.) Elle vous permettra, surtout, de comprendre pourquoi nous livrons cette bataille et allons continuer à le faire avec détermination.
Nous sommes en effet persuadés qu’en termes aussi bien juridiques qu’éthiques et politiques, nous avons raison et œuvrons en faveur de l’égalité.
M. Charles Revet. Mais non !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Nous sommes par ailleurs convaincus que toutes les propositions, qu’elles soient formulées en toute lucidité ou en quelque sorte par inadvertance, qui tendent à instituer un mariage « spécial » pour les personnes homosexuelles, parce que l’on considère qu’il faut améliorer leurs droits sociaux, leur situation au regard de la fiscalité, leur protection sur le plan matériel, toutes ces propositions ne sont en fait que des ruses, visant à ranimer certaines croyances. Je ne parle pas ici des croyances religieuses, mais de celles qui, s’appliquant à des attitudes ou à des caractéristiques que l’on prête à certaines personnes, vont à l’encontre de l’égalité des droits.
Les personnes homosexuelles sont des citoyens à part entière… (Nous sommes d’accord ! sur les travées de l’UMP.)
M. Charles Revet. Personne ne le conteste !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. … et, en tant que tels, elles doivent avoir accès à cette institution du mariage, non pas retouchée, ripolinée ou restreinte, mais dans toute sa plénitude d’institution républicaine.
Nous allons donc continuer à nous battre,...
M. Charles Revet. Nous aussi !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. ... en vous écoutant, en vous respectant, en tenant compte de vos observations et en étudiant scrupuleusement vos amendements.
M. François Rebsamen. Allumons le soleil !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Et les étoiles ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
Je vous ai promis une citation de Jean Jaurès, la voici : « il vaut la peine de penser et d’agir, [...] l’effort humain vers la clarté et le droit n’est jamais perdu. »
Voilà pourquoi nous savons que nous ne perdrons jamais cette bataille ! (Vifs applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste, du groupe écologiste et du groupe CRC.)
M. le président. La discussion générale est close.
Mes chers collègues, ayant d’ores et déjà reçu quatorze demandes d’explication de vote sur l’article unique de cette motion référendaire, il me paraît préférable, pour la cohérence de nos débats, que nous interrompions maintenant nos travaux.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures trente-cinq, est reprise à quatorze heures trente-cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
Nous poursuivons l’examen de la motion tendant à proposer au Président de la République de soumettre au référendum le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe.
Je rappelle que la discussion générale a été close.
Nous passons à la discussion de l’article unique de la motion référendaire.
Article unique
En application de l’article 11 de la Constitution et des articles 67 et suivants du règlement, le Sénat propose au Président de la République de soumettre au référendum le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe (n° 349, 2012-2013).
Explications de vote
M. le président. Avant de mettre aux voix l’article unique, je donne la parole à M. Jean-Claude Lenoir, pour explication de vote.
M. Jean-Claude Lenoir. Monsieur le président, madame la ministre, nous allons donc être appelés à nous prononcer sur la motion référendaire qui, après avoir été brillamment défendue par notre collègue Bruno Retailleau, a donné lieu à un certain nombre d’échanges au cours de la matinée.
Néanmoins, nous aurons sans doute l’occasion, dans les jours qui viennent, de débattre sur le fond, de faire des propositions alternatives, éventuellement de modifier le contenu de ce projet de loi. Cependant, la question qui est posée à présent est la suivante : le texte qui nous est soumis doit-il être soumis à référendum ? En d’autres termes, le peuple français doit-il se prononcer par référendum sur cette question ?
Je répondrai que le peuple français doit se prononcer, parce que c’est un devoir que de le consulter, et qu’il peut se prononcer, ce qui signifie qu’il en a la possibilité, contrairement à ce que laissaient entendre certaines constructions juridiques qu’on nous a présentées ce matin.
Oui, le peuple français doit se prononcer, et les propos mêmes de Mme le garde des sceaux, étayés par ceux d’autres intervenants, me renforcent dans cette conviction.
Vous l’avez dit, madame la ministre, le texte qui nous est proposé ouvre un vrai changement de société. Ce changement n’est pas de ceux qui, à travers des textes de loi, meublent habituellement l’ordre du jour du Parlement. C’est un changement profond, qui concerne l’une des bases de notre société, et même son socle : la famille.
Je le dis devant l’effigie de Portalis,...
M. Charles Revet. Il est bien placé !
M. Jean-Claude Lenoir. ... que l’évocation de ses écrits, au demeurant, laissera sans doute de marbre. (Sourires.)
M. Jean-Claude Lenoir. Portalis a écrit à propos du mariage : « C’est la société de l’homme et de la femme qui s’unissent pour perpétuer leur espèce, pour s’aider, par des secours mutuels, à porter le poids de la vie, et pour partager leur commune destinée. »
Le fait que vous remettiez en cause la définition du mariage telle qu’elle fut rédigée par celui-là même qui l’a inscrite dans le code civil, définition selon laquelle la famille est constituée d’un homme et d’une femme, c’est bien un vrai changement, sur les implications duquel nous aurons l’occasion de nous exprimer au cours des jours et des nuits à venir. Rien que sur ce point, le peuple français doit être appelé à se prononcer.
Ensuite, le peuple français peut-il se prononcer ?
J’ai entendu un certain nombre d’arguments donnant à penser qu’il n’est pas possible d’organiser un référendum sur cette question.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. C’est évident !
M. Jean-Claude Lenoir. Je note que le président de la commission des lois, en ce début d’après-midi, veut bien faire entendre sa voix pour appuyer cette analyse formulée au cours de la matinée. (Sourires.)
L’argument qui consiste à se fonder sur une citation de Jacques Toubon n’est pas très pertinent.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Ce n’est pas gentil pour lui !
M. Jean-Claude Lenoir. En effet, les travaux préparatoires qui ont précédé la modification de la Constitution ne peuvent en rien se substituer au texte même de la Constitution.
Ces travaux, nous le savons, peuvent éclairer le lecteur de la Constitution, pour le cas où il y aurait une confusion. Or vous entretenez, avec une constance qui se vérifie à chacune de vos interventions, l’idée selon laquelle il y aurait une confusion autour du mot « social ».
Madame la ministre, je ne partage absolument pas votre avis : il n’y a pas de confusion !
Rappelez-vous : en 1995, nous siégions tous deux à l’Assemblée nationale au sein du même groupe parlementaire, qui s’appelait « Liberté et progrès ».
M. Charles Revet. Ah bon, vous étiez dans le même groupe ? C’est une révélation ! (Nouveaux sourires.)
M. Jean-Claude Lenoir. À l’époque, nous n’avons pas utilisé le mot « sociétal ». Ce mot, entré récemment dans notre vocabulaire, d’où vient-il ? C’est une transposition en français du mot anglais societal, qui lui-même n’est apparu qu’à la fin du XIXe siècle.
J’ai cherché à en savoir plus sur l’histoire de ce mot. Les étymologistes anglais nous expliquent qu’il s’agit d’une forme aristocratique du mot social. En réalité, c’est un de ses synonymes ; c’est même, selon l’un de ces savants, une forme pédante du mot social.
M. Jean-Claude Lenoir. Pour moi, « social » et « sociétal » veulent dire la même chose.
Dès lors, madame la ministre, les textes que nous avons votés ensemble en 1995 nous autorisent parfaitement à saisir le peuple français de cette évolution de la société, de ce changement profond auquel vous aspirez et qui est le contenu même de votre projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. J’invite les prochains orateurs à respecter scrupuleusement leur temps de parole. Monsieur Lenoir, je vous ai laissé aller au bout de votre raisonnement, qui était très intéressant,…
M. Jean-Claude Lenoir. Merci, monsieur le président !
M. le président. … mais je serai dorénavant plus intransigeant.
La parole est à M. Christophe Béchu.
M. Christophe Béchu. Si je comprends bien, monsieur le président, j’inaugure le cycle de votre intransigeance ! Je vais donc essayer de m’y soumettre d’avance. (Sourires.)
Je ne tiens d’ailleurs pas rigueur à mon collègue Jean-Claude Lenoir d’avoir quelque peu dépassé son temps de parole, car il a, ce faisant, servi une partie de mes arguments. C’est une raison de plus de ne pas prolonger mon intervention.
Madame la garde des sceaux, je tiens d’abord à vous dire que je n’ai aucun doute sur la sincérité avec laquelle vous défendez ce texte, pas plus que sur l’intensité de vos convictions et de vos valeurs. Je ne doute pas non plus que vous ayez la certitude de faire œuvre utile en présentant ce texte, ainsi que vous l’avez dit avant que la séance soit suspendue.
Mais croyez bien que je m’exprime dans cet hémicycle avec la même intensité dans les convictions et les valeurs, et avec le même sentiment de faire œuvre utile en m’opposant à ce projet de loi.
Nous avons effleuré, ce matin, un certain nombre d’arguments. Je concentrerai mon intervention, non sur l’adoption internationale ou sur la question de l’inconstitutionnalité, mais sur le sujet qui nous occupe à présent : la motion référendaire.
Vous nous dites en substance qu’il ne serait pas possible de recourir au référendum pour trois raisons.
Selon la première, ce référendum serait impossible juridiquement. Cela a été démontré, le lien entre le social et le sociétal est extrêmement étroit. Or ce texte concerne d’abord les familles. Je ne crois donc absolument pas à cette objection.
La deuxième raison, c'est que nous devons faire notre travail de parlementaire. Pour ma part, et comme beaucoup de mes collègues, quelle que soit leur appartenance politique, j'appréhende ma fonction avec beaucoup d'humilité. Aussi, je considère que, sur certains sujets, il n'est pas illogique que ce soient les citoyens qui aient leur mot à dire : après tout, s'il s'agit bien du mariage pour tous, ce doit être l'affaire de tous et chacun doit pouvoir s’exprimer de manière directe.
La troisième raison, c'est que le référendum aurait en quelque sorte eu lieu le 6 mai dernier.
M. Bruno Retailleau. Alors, là !
M. Christophe Béchu. Voilà un argument que je ne peux entendre !
M. Bruno Retailleau. Nous non plus !
Mme Catherine Troendle. Bien sûr !
M. Christophe Béchu. Si l’on envisage les choses de cette manière, force est de constater que nombre de décisions qui ont été prises depuis le 6 mai ne faisaient pas partie de la plate-forme sur la base de laquelle les Français ont élu le Président de la République. Avait-il annoncé qu'il augmenterait la TVA ou qu'il envisageait un allongement de la durée des cotisations ? (Non ! sur les travées de l'UMP.)
Sur ce point, je me sens assez proche du Front de gauche, qui considère qu'il y a un manquement à une parole. C’est pourquoi j’ai du mal à comprendre que l'on invoque cet argument pour justifier que cet engagement, et celui-là seul, doit être en quelque sorte « sanctuarisé », alors que tant d'autres ont fait l'objet de reniements ou d'ajustements et que la réaction de la population ou des corps sociaux est si vive.
Madame la garde des sceaux, vous avez cité ce matin cette phrase d’Aimé Césaire : « Une civilisation qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde. »
J'ai sincèrement le sentiment que vous rusez avec nos principes, sur la forme et sur le fond.
Sur la forme, vous refusez sur un sujet aussi important de laisser la parole au peuple.
Sur le fond, surtout, vous donnez à ce mot « égalité » un sens qu’il n’a ni en principe ni en droit : l'égalité n'a jamais consisté, à aucun moment de notre histoire juridique, à traiter tout le monde de la même façon ; elle consiste à traiter de façon identique ceux qui sont dans des situations identiques.
M. Christophe Béchu. De fait, cet argument ne tient pas.
Par-dessus tout, qu’y a-t-il de plus important que de se préoccuper des plus fragiles, au premier rang desquels se trouvent les enfants ? N’est-ce pas le premier des principes ? N’est-ce pas le premier rôle du législateur et des politiques ? C’est en ce sens que je considère qu'il y a là ruse avec nos principes.
M. André Reichardt. Absolument !
M. Christophe Béchu. Madame la garde des sceaux, je ne parle pas des enfants qui sont déjà là, pas plus que de la circulaire que vous avez prise pour reconnaître qu’il y avait des situations de fait et des réalités humaines qui, loin des abstractions juridiques, nous obligeaient à faire un geste, dans un souci de protection.
Je parle des conséquences de ce texte. En effet, au nom de la même argumentation spécieuse sur l'égalité, on nous expliquera demain que la PMA et la GPA sont obligatoires. Je rends d’ailleurs hommage à votre absence totale d'hypocrisie sur ce point puisque vous reconnaissez que l'égalité doit conduire à aller jusque-là. Mais c’est nous entraîner vers des effets dominos et nous amener sur des terrains éthiques que nous n'avons pas balisés. Cela ne pourra qu’avoir des conséquences très problématiques pour les plus faibles, ceux-là même que nous devons protéger, ces enfants qui seront conçus avec d'autres méthodes.
Voilà pourquoi je considère que la motion référendaire doit être approuvée. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP. – MM. Yves Détraigne et Philippe Darniche applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. André Reichardt.
M. André Reichardt. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, en qualité d'Alsacien, je ne peux pas ne pas rebondir sur la référence de Bruno Retailleau au référendum auquel sont conviés les Alsaciens dimanche prochain. Comme vous le savez tous maintenant, les médias nationaux s'étant enfin emparés du sujet, le 7 avril, les Alsaciens sont amenés à se prononcer sur la fusion du conseil régional d'Alsace et des conseils généraux du Bas-Rhin et du Haut-Rhin.
M. Bruno Retailleau. Très bien !
M. André Reichardt. Certes, nous sommes là très loin du mariage homosexuel et, subséquemment, de la filiation. Pourtant, permettez-moi, en tant qu'acteur engagé dans la campagne référendaire actuelle – et une campagne référendaire n'est pas très fréquente –, de formuler trois observations.
Premièrement, j'entends témoigner ici de la soif qu'ont nos concitoyens de débattre des sujets qui les préoccupent. Je m’appuie sur l’exemple des Alsaciens, mais je suis sûr que c’est le cas de tous les Français.
Dans le sillage de Philippe Richert, qui porte ce dossier, je parcours, matin, midi et soir – quand je ne suis pas au Sénat ou dans d'autres instances –, l'Alsace du nord au sud. J’ai ainsi participé à un grand nombre de réunions publiques : près de 150 ont été organisées depuis plusieurs mois.
Je peux attester que le référendum est une opportunité extraordinaire de débattre sur le fond du dossier avec nos concitoyens.
Soir après soir, réunion après réunion, nous échangeons nos arguments, nous complétons nos informations respectives, nous nous accordons – j’insiste là-dessus – sur les éléments du dossier au fond. La fusion des trois collectivités alsaciennes est complexe. Quand on les interroge sur cette mesure, les Alsaciens commencent par nous demander ce que sont un conseil général et un conseil régional. Le dialogue est donc absolument nécessaire : plus le dossier est complexe, plus il est important de parler le même langage pour décider ensemble.
À propos du présent projet de loi, on ne cesse de brandir ces chiffres : 53 % des Français semblent favorables au mariage de personnes du même sexe, mais 56 % d’entre eux sont défavorables à l'adoption dans ces conditions. Il faut s’assurer que nous parlons bien des mêmes choses. Dans ce dossier autrement plus complexe du mariage homosexuel, complété aujourd'hui par l'adoption et, qu'on le veuille ou non, compte tenu de la récente jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, complété demain par la PMA et la GPA, nous aurions intérêt, mes chers collègues, à nous accorder sur le fond avant de nous prononcer. Il y va de la bonne compréhension de ce dont nous parlons par nos concitoyens.
Deuxièmement, politique sociale ou politique sociétale, peu importe l'interprétation que l'on a de l'article 11 de la Constitution. Bien que je sois docteur en droit, tout cela me paraît tout à fait secondaire, en tout cas bien loin de nos préoccupations d’aujourd'hui. Le référendum présente à mes yeux un intérêt évident, celui d’apaiser le débat et de rassembler les Français, comme indique vouloir le faire le Président de la République. Pour rassembler les Français, il faut parler de la même chose !
Troisièmement, le référendum nous offre une occasion magnifique de rapprocher les Français des hommes et des femmes politiques, au moment même où nos concitoyens, du fait d'événements récents, s'interrogent. Il ne faut pas la laisser passer !
Mardi et mercredi derniers, j'ai passé deux soirées extrêmement difficiles. Chaque fois que les élus prenaient la parole, jaillissaient de la salle des sarcasmes, alors que nous ne sommes en rien concernés par la récente affaire sur laquelle je ne veux pas revenir.
Dès lors, je crois qu'il est essentiel que nous proposions résolument au Président de la République de soumettre ce projet de loi au référendum. J'ai cosigné cette motion référendaire. Ce que j’observe autour de moi depuis quelque temps m'incite à la défendre bec et ongles.
Mes chers collègues, j'espère vous avoir convaincus de voter, tous ensemble, massivement, cette motion référendaire ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Yves Daudigny. Nous ne sommes pas convaincus !
M. le président. La parole est à M. Jean-Noël Cardoux.
M. Jean-Noël Cardoux. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, comme l’atteste la mobilisation grandissante de nos concitoyens, qu’ils soient jeunes ou âgés, religieux ou laïcs, français de souche ou d’origine immigrée, de droite ou de gauche, homosexuels ou hétérosexuels, ouvrir le mariage aux personnes de même sexe va bien au-delà de nos logiques partisanes.
Récemment, le Président de la République déclarait : « En ce moment, il y a une radicalité, une montée des excès, une violence dans la rue. » Nos concitoyens manifestent dans la rue, à Paris, dans nos départements. Ils nous écrivent abondamment pour protester contre ce projet de loi. Oui, cher Jean-Pierre Sueur, le nombre de courriers que nous avons reçus dans le Loiret est considérable, et même des maires que vous connaissez aussi bien que moi sont révoltés par ce qui se passe actuellement.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Je leur réponds !
M. Jean-Noël Cardoux. Devons-nous plus longtemps rester sourds à leurs demandes ? Pouvons-nous abandonner ce débat à une minorité et admettre qu’une association comme LGBT, Lesbiennes, gays, bi et trans en France, qui compte 2 000 adhérents, puisse imposer un choix de société qui concerne 65 millions de Français ? Non, sauf à considérer, comme le rapporteur Jean-Pierre Michel, que le fondement du « juste », c’est le « rapport de force », selon « le point de vue marxiste de la loi ». Cette citation m’en rappelle une autre, de sinistre mémoire : « Vous avez juridiquement tort parce que vous êtes politiquement minoritaires. » (Mme Nathalie Goulet s’exclame.)
Ce n’est ni ma conception ni celle de la loi républicaine : la loi est l’expression de la volonté générale, non celle de l’envie de quelques-uns. Il ne peut en être autrement si le Président de la République considère que son mandat doit « permettre le rassemblement du pays, l’apaisement de la France », comme il le rappelait lors de ses vœux à la jeunesse.
Mes chers collègues, saisissez cet outil proposé par Bruno Retailleau : cette motion référendaire vient servir la volonté de dialogue social tout à fait légitime et si chère à la majorité. En effet, « le dialogue [...] n’est pas un obstacle sur le chemin des décisions, il permet de les prendre librement, de les assumer pleinement et surtout de les appliquer efficacement. [Le dialogue] doit être un processus constant et cohérent. » C’est le Président de la République lui-même qui a tenu ces propos au mois de juin dernier devant les membres du Conseil économique, social et environnemental en annonçant la conférence sociale.
Pourquoi le dialogue ne concernerait-il que les salariés et les entreprises, et pas les familles ? En quoi ces dernières ne sont-elles pas légitimes pour être entendues ? Parce qu’elles seraient « sociétales » et non « sociales » ? Je ne reviendrai pas sur le débat qui a été lancé. Dans ce cas, il faudrait renommer la commission des affaires sociales « commission des affaires sociales et des affaires sociétales », pour que son rapporteur, Michelle Meunier, ait toute sa légitimité à intervenir dans la discussion de ce projet de loi.
Refusez-vous ce référendum parce que vous craignez un rejet majeur de la politique du Gouvernement et de ses façons de faire ? Pensez-vous véritablement que la pression de la rue retombera une fois le texte adopté sans consultation référendaire ?
Je vous rappelle les propos que tenait François Hollande en 2006 sur le CPE, le contrat première embauche : « Quand il y a des milliers et des milliers de citoyens, jeunes ou moins jeunes, [...] aussi mobilisés, à quoi sert d’attendre la prochaine manifestation ? [...] Il suffirait d’un mot, un seul, que le pouvoir hésite à prononcer : l’abrogation. C’est un gros mot pour la droite. Mais quand on a fait une erreur, il faut savoir l’effacer. » Si cette motion référendaire est rejetée, j’espère que l’abrogation ne deviendra pas un gros mot pour la gauche...
Ce débat dépasse largement les frontières des partis politiques. Or il est à craindre que plusieurs parlementaires de la majorité, tel Janus, ne puissent exercer leur liberté de conscience et exprimer par leur vote leur opposition au texte, du fait du règlement intérieur du parti socialiste. Vous avez constaté qu’à l'UMP la liberté de parole et de choix est de rigueur, comme l'a souligné Alain Milon hier. (Mme Nathalie Goulet s’exclame.)
La colère de la rue et les pressions multiples sont une chose, la liberté de conscience en est une autre. Elle est l’honneur du Parlement. Aussi est-ce à cette liberté que j’en appelle. Je n’imagine pas que votre vote puisse être motivé par d’autres raisons que par le bien commun et l’intérêt national.
Peut-on imaginer qu'une personne sans racine puisse se développer sainement ?
Depuis la nuit des temps et dans toutes les sociétés, le mariage d’un homme et d’une femme a été le socle pour bâtir la cohésion des nations. Nul ne pouvait imaginer la conception d’un enfant en dehors de ce couple. Aujourd’hui, on nous propose de libérer l’homme de sa condition naturelle par la culture et par la technique.
« Chassez le naturel, il reviendra. » Ainsi, plus le droit de la famille s’est fragilisé, plus les recours en expertise génétique se sont développés pour établir les liens de filiation. Alors que se profile le passage d’une filiation intrinsèque à une filiation octroyée par la volonté d’adultes, tout le monde s’accorde à revendiquer la levée du secret des origines.
Mes chers collègues, au nom du bénéfice que la majorité d’entre nous a connu d’avoir ses géniteurs comme parents, je vous invite à faire le choix le meilleur pour l’enfant. Au-delà de tout calcul politicien, nous devons sans cesse nous poser la question : quel monde laisserons-nous à nos enfants ? C’est pourquoi je soutiendrai la motion défendue par Bruno Retailleau. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, pour moi, le peuple français doit se prononcer. Je voudrais en effet vous rendre attentifs au fait que personne, dans cet hémicycle, quelles que soient les travées sur lesquelles il siège, ne peut affirmer qu’il a reçu un mandat de ses électeurs pour décider de ce sujet du mariage pour tous.
Nous sommes, les uns et les autres, élus sur les positions politiques, économiques et sociales que nous défendons à propos, notamment, de la gouvernance et des compétences des collectivités. Mais aucun de nos électeurs n’a eu, au moment de notre élection, connaissance de notre position sur le mariage pour tous. Prenez n’importe quel département et écrivez à tous les maires pour leur demander s’ils nous ont vraiment mandatés pour voter dans un sens ou dans l’autre sur ce sujet !
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il y a, dans chaque camp politique, des positions différentes, voire opposées.
Aussi, donner la parole au peuple, qui la réclame très largement, serait tout simplement juste et prudent.
Vous n’ignorez pas qu’une vraie réforme de société ne peut qu’avoir été pensée, réfléchie, mais surtout conçue de manière consensuelle.
Disant cela, nous ne démissionnons nullement de notre fonction de législateur. Car, si le peuple dit oui, il nous faudra encore légiférer, et nous serons alors pleinement dans notre rôle.
Enfin, chers collègues de la majorité, vous ne pouvez pas vous fonder exclusivement sur l’engagement électoral de François Hollande pour défendre le mariage pour tous. En effet, le texte va bien au-delà du contenu de cet engagement. Si ce texte n’avait prévu que l’union des couples homosexuels, je vous le dis franchement, il y aurait eu une très large majorité pour le soutenir.
Le problème, c’est que vous êtes allés trop loin. Vous avez tout mélangé, le mariage, l’adoption et la filiation, de surcroît avec une très grande hypocrisie. En effet, vous ne le dites pas, mais vous êtes en train de mettre en place, dès ce texte, la PMA et la GPA. (Bien sûr que non ! sur plusieurs travées du groupe socialiste et du RDSE.)
N’ayez pas peur du peuple, mes chers collègues ! D’ailleurs, il ne vous pardonnera pas de l’avoir ainsi évincé et vous le rappellera longtemps !
Ce n’est pas une simple motion de procédure que nous défendons. L’affaire est bien plus grave. Croyez-moi, le peuple vous rappellera que vous n’avez pas voulu lui donner la parole sur cette affaire extrêmement importante !
Oui, aujourd’hui, le peuple français doit pouvoir se prononcer !
J’ai cosigné cette motion référendaire, je la soutiens et je la voterai ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – MM. Yves Détraigne, Philippe Darniche et Jean-François Husson applaudissent également.)