M. Yves Rome, corapporteur. Très bien !
M. Jean-Claude Lenoir. … et je suis aussi convaincu que, quand bien même ils n’appartiennent pas forcément à mon groupe parlementaire, mes collègues qui interviennent dans ce débat ont les meilleures intentions. Comme d’autres avant moi à cette tribune, c’est cependant avant tout avec l’ambition de me faire le porte-parole des laissés-pour-compte que je m’adresse aujourd'hui à vous, de ces laissés-pour-compte qui ne supportent plus le discours lénifiant selon lequel la quasi-totalité des Français disposeraient du très haut débit, à l’exception d’une infime minorité vouée à attendre quelques années encore…
J’entends parfois dire que tel département serait moins bien servi qu’un autre. Mais la plupart des départements ont des zones déficientes, dites « zones blanches » ! Et les difficultés d’accès au réseau de téléphonie mobile ne font qu’aggraver le problème.
L’annonce que le 4G était en train de prospérer dans les zones urbaines a suscité une vraie colère chez les populations qui n’ont pas accès au téléphone mobile et qui ne veulent plus s’entendre dire, avec un peu de commisération : « Le très haut débit, vous l’auriez déjà si vous habitiez ailleurs… »
La vérité est tout de même quelque peu différente et beaucoup ont le sentiment que les chiffres avancés à propos de la situation présente ou du futur immédiat ne correspondent pas du tout à la réalité.
Deux exigences doivent guider l’action publique.
La première, c’est l’aménagement du territoire. Oui, nous avons des territoires qui ne demandent qu’à prospérer, qu’à favoriser l’implantation de petites entreprises, qu’à développer les services directs au consommateur, comme il est possible de le faire avec le très haut débit.
La seconde, c’est l’équité sociale. Il faut mettre un terme au décalage, dont j’ai moi-même souffert étant enfant, entre les zones urbaines et les zones rurales ; les secondes doivent attendre parfois des années pour bénéficier des mêmes services que les premières.
Comment faire ? À chacun sa méthode.
Le rapport qui nous a été présenté est excellent. Nous connaissons MM. les corapporteurs, ainsi que M. le président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois. Certes, le corapporteur Yves Rome appartenant à la majorité sénatoriale, son analyse est teintée d’un esprit quelque peu critique à l’égard de ce qui a été fait précédemment, mais voilà qui doit vous rendre encore plus exigeant vis-à-vis de ceux qui sont aujourd'hui au pouvoir et nous gouvernent, mon cher collègue !
M. Yves Rome, corapporteur. Bien sûr !
M. Jean-Claude Lenoir. Le moment venu, nous vous demanderons si vous avez bien obtenu les satisfactions que vous êtes aujourd'hui en droit d’espérer.
M. Daniel Raoul. On constate quand même de gros progrès !
M. Jean-Claude Lenoir. Je souhaite formuler quelques observations, autour de deux thèmes : l’efficacité et l’équité.
Premier thème : l’efficacité.
Je ne crois pas au déploiement de la fibre optique partout d’ici à 2022 ; ce n’est pas possible. Si quelqu’un pense le contraire, qu’il se lève ! (M. le président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois fait mine de se lever. – Sourires.) Je vois une ombre se lever furtivement, afin qu’on ne la remarque pas. Mais notre collègue est sénateur de Paris ; dans la capitale, la situation sera sans doute plus simple !
Toutefois, et je ne vous mets pas en cause, madame la ministre, car cela relève de la responsabilité des opérateurs, je suis tout de même un peu étonné de constater que la voie satellitaire n’apparaît pas comme une solution, au moins palliative, pour apporter rapidement le très haut débit.
Voilà peu, nous avons tenu, je l’ai dit, une table ronde au sein de la commission des affaires économiques. Quelques jours plus tard, le P-DG d’Eutelsat nous a adressé un courrier pour se plaindre de ne pas avoir été invité alors qu’il aurait souhaité s’exprimer devant nous sur le sujet.
Pour votre part, madame la ministre, considérez-vous la voie satellitaire comme une possible composante de l’offre ? Dans mon département, l’Orne, la réponse satellitaire ne s’est pas révélée satisfaisante et n’est pas apparue comme étant en mesure de répondre aux exigences des consommateurs, mais peut-être est-ce parce qu’on l’avait sollicitée trop tôt.
Deuxième thème : l’équité.
Madame la ministre, comme j’ai eu l’honneur de vous l’indiquer lorsque vous êtes venue devant la commission des affaires économiques, en matière de financement du très haut débit, je ne crois qu’au système de péréquation. Les montants annoncés sont tels que ni l’État ni les collectivités locales ne pourront apporter leur contribution, c'est-à-dire 3 milliards d’euros chacun. Les opérateurs devront verser les deux tiers des 20 milliards d’euros évoqués, pour peu que cette somme soit finalement retenue.
Je ne crois qu’à la mutualisation, à travers un fonds de péréquation. Comme je l’ai déjà souligné à plusieurs reprises, l’électricité a pu être distribuée dans tous les foyers en France après la guerre grâce au fonds d’amortissement qui a été utilisé par les collectivités territoriales chargées de l’électrification rurale. (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste.)
Demandons une participation à l’ensemble des clients avec un abonnement plus élevé. Je le dis clairement, la course à l’abonnement le moins cher est une grave erreur. Bien entendu, je ne suis pas partisan de faire payer des prix élevés. Mais on peut envisager un abonnement avec des tarifs un peu plus importants à condition – j’espère que tout le monde en sera d'accord – d’en affecter le produit à un fonds de péréquation et de donner davantage aux territoires les plus isolés et les moins bien pourvus.
Mme Mireille Schurch. Eh oui !
M. Jean-Claude Lenoir. Nous en avons besoin.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je fais confiance…
M. David Assouline, président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois. Au Gouvernement ! Et vous avez raison ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Claude Lenoir. … à l’avenir et à l’intelligence des hommes, plus qu’à ceux qui nous gouvernent. Je fais surtout confiance à la résolution des populations que j’ai l’honneur de représenter ; elles sont exigeantes, et elles sont raison de l’être. C’est en leur nom que je me suis exprimé aujourd'hui. (Applaudissements.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures dix, est reprise à seize heures vingt.)
M. Pierre Camani. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la nécessité d’un déploiement accéléré et équitable territorialement du haut débit fait aujourd’hui consensus.
En effet, l’économie numérique représente 4 % de l’emploi en France et a contribué à 25 % de la croissance française entre 2009 et 2010. Elle accélère le rythme de l’innovation. Elle constitue un levier majeur de croissance mais aussi de modernisation de l’action publique et de l’aménagement du territoire.
Le déploiement des infrastructures numériques à haut et à très haut débit favorise le développement des services innovants et constitue un gisement d’emplois. Il s’agit aujourd’hui de doter la France des infrastructures du XXIe siècle, de préparer l’avenir de nos concitoyens, de nos territoires et de nos entreprises.
Je salue la volonté de l’actuel gouvernement de s’engager avec force dans ce dossier majeur. Dès novembre 2012, il réaffirmait son ambition pour le très haut débit en le plaçant au cœur de sa stratégie pour la croissance, la compétitivité et l’emploi.
La feuille de route numérique du Gouvernement donne un signal fort et une échelle de temps à la mesure de l’importance de cet investissement structurant, tant aux collectivités qu’aux opérateurs.
Dans leur excellent rapport, Yves Rome et Pierre Hérisson établissent un état des lieux sans concession. Le modèle réglementaire mis en place par le précédent gouvernement s’est révélé inadapté et inefficace pour répondre à l’objectif de déploiement accéléré et équitable du très haut débit sur l’ensemble du territoire.
La France a perdu du temps et accuse un sérieux retard dans ce domaine. Notre pays occupe au sein de l’Union européenne le vingt-troisième rang pour le taux de pénétration du très haut débit.
Les raisons de ce déficit de déploiement, particulièrement en zones moyennement denses et en zones rurales, sont connues. Les choix qualifiés « d’opportunité » par l’Autorité de la concurrence dans le cadre du programme national très haut débit, le PNTHD, ont permis aux opérateurs privés de préempter et de geler les territoires qu’ils estiment rentables, sans aucune sanction en cas de non-respect de leurs engagements.
Le manque d’ambition et de vision de l’État sur le financement pérenne et à long terme du coût du déploiement a freiné le développement des réseaux. La mise en place du fonds d’aménagement numérique du territoire, le FANT, visant à réduire une fracture numérique déjà constatée, n’a pas véritablement eu les effets escomptés, faute d’un financement stable.
Certaines incohérences dans la mise en place du PNTHD ont figé les projets régionaux programmés, rendant difficilement opérant le système de péréquation prévu entre départements. L’aberration que constitue la possibilité pour les acteurs privés de venir concurrencer les réseaux d’initiative publique, les RIP, décidés et déployés, a créé une véritable instabilité financière pour les collectivités « opérateurs d’opérateurs » porteuses de projet.
Le résultat, très justement décrit par les rapporteurs, est celui d’un « modèle [qui] a “dégénéré” en une superposition sous-optimale d’un oligopole déséquilibré – celui des opérateurs privés –, et d’un monopole contrarié – celui des collectivités territoriales– ».
Face à ce constat, je suis convaincu que le développement de l’accès à l’internet très haut débit et la réduction de la fracture numérique ne pourront se construire qu’en élargissant la capacité d’initiative des collectivités territoriales, mais également par un accompagnement technologique et financier.
Dans ce cadre, les opérateurs, mus par leurs propres logiques, auront bien entendu un rôle à jouer et peut-être un peu plus de comptes à rendre... L’État, de nouveau stratège et porteur d’une véritable vision, sera un guide indispensable.
Les collectivités ont besoin d’un cadre d’intervention clair en termes tant juridique que technique. Le plan présenté par le Gouvernement va dans le bon sens. Les conventionnements multipartites constituent une avancée indéniable permettant aux collectivités d’intervenir, dans des conditions claires, en cas de défaillance des opérateurs.
Néanmoins, et nous attendons avec impatience le « modèle-type » de conventionnement, il conviendra de s’assurer que les logiques d’écrémage n’opèrent plus au sein des zones denses, pour ne pas mettre à mal la continuité du déploiement.
La mise en place d’une agence nationale visant à accompagner les initiatives existantes devrait permettre la définition d’un référentiel technique unique, que devront appliquer les réseaux d’initiative publique, et je m’en réjouis. Cette approche garantira l’interopérabilité des réseaux, assurant ainsi l’indispensable présence des opérateurs pour la commercialisation et l’accès au service.
La question du déploiement est aussi et avant tout une question de coût. Le Gouvernement estime que, sur les dix prochaines années, les opérateurs devraient assurer 12 milliards d’euros d’investissement, les pouvoirs publics 3 milliards d’euros et, enfin, les collectivités porteuses de projets 3 milliards d’euros également. Dans ce cadre, les collectivités auront besoin d’un modèle financier stable pour les futurs déploiements publics.
Les annonces d’accès aux crédits et aux aides vont dans le bon sens mais doivent être précisées. Les projets des collectivités pourront désormais prétendre à un accompagnement financier de l’État de l’ordre de 50 % en moyenne, contre 35 % auparavant, et je m’en félicite.
Néanmoins, il faudra faire jouer la péréquation et assurer des taux plus élevés en fonction du degré de ruralité. En effet, compte tenu de l’état des finances des départements, les plus ruraux d’entre eux ne pourront pas mobiliser les financements nécessaires si leur reste à charge est trop élevé.
Par ailleurs, les réseaux publics doivent être « sécurisés ». Le danger est grand que les réseaux publics constitués ne soient pas commercialisés. À ce jour, aucun opérateur important ne s’est déclaré sur les futurs RIP alors qu’eux seuls auront la capacité à desservir les centaines de milliers, voire les millions, de foyers et d’entreprises raccordables chaque année. Un cadre réglementaire précis offrant une visibilité suffisante dans le temps et garantissant une force de commercialisation adéquate doit se mettre en place.
Le succès des offres de service, rendues possibles par le déploiement des réseaux public très haut débit – et j’en finirai par là –, dépendra également de la concurrence à laquelle elles auront à faire face. À ce titre, la place du réseau cuivre est déterminante. Vous avez annoncé, madame la ministre, une mission de réflexion sur l’extinction du réseau cuivre. Il s’agit là d’une question essentielle.
Avec le nouveau cadre proposé par le Gouvernement, un signal clair et fort est donné aux trois acteurs du très haut débit : les collectivités, l’État et les opérateurs. À eux maintenant de transformer l’essai tous ensemble ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Leroy.
M. Philippe Leroy. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je voudrais d’abord rendre hommage aux collectivités locales. C’est en effet grâce à elles, notamment à celles du monde rural, que l’on a pu faire un grand progrès dans la compréhension du problème du haut débit en France.
Je me souviens des combats menés en 2004. D’autres l’avaient été avant, notre collègue Pierre Hérisson le sait bien, mais, en 2004, on a gagné une grande partie de la bataille en ouvrant aux collectivités locales la possibilité de devenir opérateurs d’opérateurs. Ce fut le début d’un large mouvement, initié par le monde rural, qui, dès le départ, a été le premier à réclamer la fibre optique à l’abonné : ce ne sont pas les villes qui ont d’abord demandé la fibre optique en France, ce sont des collectivités locales rurales, ce que l’on a un peu oublié !
Vous êtes ensuite arrivée, madame la ministre, après une longue histoire. Vous avez établi une feuille de route qui ne renie pas le passé, et je vous en rends hommage. La mission Darodes est un bon signal. Toutefois, il ne faudrait pas que ces bonnes intentions cachent des diableries !
Madame la ministre, permettez-moi de vous faire plusieurs mises en garde afin que, contrairement à certains de vos prédécesseurs, vous évitiez de vous tromper.
D’abord, n’écoutez pas, madame la ministre, ceux qui – ce ne sont d’ailleurs pas toujours les mêmes –, parmi les opérateurs historiques, tentent de prolonger la vie du cuivre au-delà du raisonnable et nous envoient des signaux sémantiques dangereux. Plutôt que de « haut débit de qualité », parlons de « très haut débit » !
M. Yves Rome, corapporteur. Très bien !
M. Philippe Leroy. On peut avoir du haut débit de qualité à très faible débit justement. Évitons donc de tomber dans les pièges sémantiques.
Évitons aussi de prolonger au-delà du raisonnable les délais de basculement vers la fibre optique. Évitons de croire ceux qui, par prudence et, parfois, par désinformation, se réfugient dans le « dopage » du fil cuivre. Toutes les technologies qui contribuent à ce dopage, y compris le satellite, sont utiles, mais elles ne doivent pas masquer le véritable objectif à atteindre : garantir l’accès à la fibre optique du maximum d’abonnés, le plus vite possible, car il y va de notre compétitivité !
N’oubliez pas, madame la ministre, que le réseau fixe et le réseau mobile sont différents, mais complémentaires. Ne laissons pas croire que le très haut débit mobile peut se substituer au très haut débit fixe, car ces deux réseaux ne répondent pas aux mêmes usages. N’écoutez pas non plus – même si vous pouvez essayer de les aider – ceux qui, par désespoir ou par résignation, tentent des solutions de dopage et engagent des dépenses qui, de toute façon, ne les conduiront pas à la fibre optique.
Madame la ministre, j’ai l’âge de vous donner des conseils et je vous supplie de bien vouloir les écouter. Dans votre camp comme dans le nôtre, à gauche comme à droite, vous entendrez ceux qui tiennent le discours de la désespérance : ne les écoutez pas ! Écoutez en revanche ceux qui espèrent et veulent avancer vite, ils appartiennent aussi à la majorité et à l’opposition, car ce sujet n’est pas politique et il intéresse tous les Français.
Madame la ministre, on oublie souvent qu’il existe, en France, des réseaux câblés. Écoutez ceux qui les gèrent, les régies des collectivités locales ou Numericable, ce diable dont on ne parle jamais ! Ces infrastructures mériteraient une grande attention, mais on n’en parle pas. « Fibrons » les réseaux câblés !
Madame la ministre, il nous manquera une loi. Vous n’avez pas voulu de la proposition de loi qu’Hervé Maurey et moi-même avions déposée…
M. Charles Revet. Et vous avez eu tort !
M. Philippe Leroy. Ce texte avait reçu un soutien assez important au Sénat, alliant la droite et la gauche. Je n’éprouve pas un sentiment d’abandon parce qu’une proposition de loi que j’ai cosignée a été rejetée, cela n’a pas d’importance, mais légiférez, madame la ministre !
Soumettez-nous un projet de loi qui prévoie un vrai basculement et son financement, qui reprenne certaines notions de fiscalité à revoir, car il y va de la morale publique ! Au Sénat, nous avons dénoncé quelques écarts dans la fiscalité frappant les usages des technologies numériques. Enfin, il faut que cette loi consacre complètement le rôle des collectivités locales, seules garantes de l’intérêt public et de l’équilibre entre acteurs privés et publics.
Madame la ministre, il nous faut une loi. Faites-la vite, parce que, si vous attendez trop, tous ceux qui désespèrent perdront patience et tous ceux qui espèrent que rien ne change seront contents ! Prenez le pouvoir au nom de l’État. Celui-ci doit reprendre la main dans le domaine des technologies numériques, car il n’y a plus d’État à bord. Ce ne sont pas les autorités de régulation, l’ARCEP, compétente pour les infrastructures, ou le CSA, compétent pour les contenus, qui concevront une stratégie : l’État doit redevenir stratège.
Enfin, madame la ministre, l’État doit exister à l’échelon local, celui des préfets, de façon que ce qui se décide à Paris soit appliqué en province. Chaque province, chaque département, chaque région, chaque collectivité, en France, a ses caractéristiques propres, démographiques, géographiques, technologiques. Il nous faut obtenir, province par province, préfet par préfet, des schémas contractuels adaptés aux réalités locales.
Madame la ministre, voilà ce qu’un vieux sénateur peut conseiller à une jeune ministre : allez vite, vous disposez de tous les matériaux pour réussir ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC, ainsi que sur plusieurs travées du groupe socialiste et au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Fichet.
M. Jean-Luc Fichet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le Président de la République s’est engagé à organiser, avec les collectivités territoriales et l’industrie, la couverture intégrale de la France en très haut débit d’ici à dix ans. Cet objectif de couverture numérique du territoire est essentiel pour la survie de nos communes.
Dans ce processus de relance du plan national de déploiement du très haut débit, la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois a adopté, le 19 février 2013, l’excellent rapport de nos collègues Yves Rome et Pierre Hérisson sur l’action des collectivités locales dans le domaine de la couverture numérique du territoire. L’objectif de ce travail était tout particulièrement de dresser un bilan des conditions d’intervention des collectivités territoriales au service d’une numérisation ambitieuse du territoire français. En effet, le Gouvernement a fait le choix de s’appuyer sur les dynamiques déjà engagées, tant par les opérateurs privés que par les collectivités territoriales, pour accélérer le déploiement du très haut débit.
L’engagement des collectivités est particulièrement évident dans le cas de la région Bretagne. Le projet « Bretagne très haut débit » vient de mettre en place sa structure de gouvernance qui s’appelle e-mégalis, avec l’objectif d’assurer le déploiement du très haut débit sur l’ensemble du territoire régional à l’échéance de 2025 et peut-être, si possible, de 2022.
Cette structure de gouvernance régionale s’est mise en place après des mois de concertation avec les départements, les communautés urbaines, les communautés d’agglomération et les communautés de communes. Elle est aujourd’hui opérationnelle et dispose des fonds de l’État, soit 65 millions d’euros pour la première phase de réalisation, en vertu du contrat d’engagement signé en novembre 2012 dans le cadre de l’aide au déploiement.
Un principe fondateur a permis de rassembler toutes les collectivités pour une stratégie régionale commune : « une prise installée en zone dense égale une prise installée en territoire éloigné ». Il s’agit d’irriguer l’ensemble du territoire de manière équilibrée. Les maires des communes ayant peu d’infrastructure ou dont le territoire communal est éloigné de la ville centre ont applaudi à cette initiative et ils en attendent beaucoup.
Actuellement, nous travaillons à élaborer une feuille de route pour chaque territoire afin de garantir une certaine lisibilité à tous les élus.
Pour ma part, je suis responsable du territoire de Morlaix, dans le Finistère, qui comprend une communauté d’agglomération et trois communautés de communes, soit environ 110 000 habitants pour ce bassin de pays. La ville de référence est Morlaix avec 16 000 habitants, seule commune retenue en zone AMII.
Le travail de territorialisation est en phase d’achèvement et j’ai récemment planché devant les élus afin de leur présenter les priorités et les avancées par zone d’ici à 2025. Bien évidemment, certains sont satisfaits, voire très satisfaits, et d’autres sont mécontents. Pour certaines communes, en effet, la fibre arrivera dans le meilleur des cas en 2022, si ce n’est en 2025. On peut comprendre la forte inquiétude des élus, car il y va tout simplement de la survie de leur commune, sans parler des artisans et des entrepreneurs qui s’impatientent.
Le déploiement des réseaux à très haut débit en fibre optique représente un enjeu industriel majeur pour notre pays, un levier pour la compétitivité de nos entreprises et, surtout, un facteur essentiel d’aménagement de nos territoires et de développement de nouveaux services innovants, tant pour les entreprises que pour les acteurs publics et les citoyens.
Je pense, par exemple, à l’e-santé qui est un des outils de la lutte contre les déserts médicaux. Grâce au très haut débit, le suivi médical de certains patients pourra être effectué à distance, de manière plus régulière et plus complète ; les traitements pourront être plus réactifs. Ainsi, l’installation de capteurs et de dispositifs d’alerte permet la surveillance à distance de maladies, en particulier pour les affections de longue durée.
Aujourd’hui, l’installation dans une commune, c’est-à-dire le choix d’y construire, est subordonnée à l’accès à internet. Et que dire des liens familiaux, notamment entre les générations, qui passent désormais par la toile !
Ces questions, chacun d’entre nous, dans cet hémicycle, les connaît. Mais quelle réponse apporter aux maires des petites communes du monde rural ? Peut-on leur demander d’être patients car tout sera réglé dans une douzaine d’années ? C’est impensable !
M. Hervé Maurey. Évidemment !
M. Jean-Luc Fichet. Je comprends les interrogations autour de la poursuite ou non du développement du haut débit. Je sais les subtilités stratégiques que nous devons développer pour trouver, avec les investisseurs et les fournisseurs de service, le meilleur équilibre pour des investissements judicieux et rapides dans la fibre optique.
Pour autant, il nous faut trouver des réponses et des modes de régulation qui soient autres que ceux qui laisseraient dans l’attente une bonne partie de nos populations rurales. Je plaide donc pour le développement du haut débit avec des investissements qui peuvent se faire rapidement, afin d’apporter une réponse à ceux qui, autrement, seront condamnés à une désertification rapide et inéluctable. Dix ans, voire douze ans d’attente sont des délais trop longs, injustes et incohérents par rapport à toutes nos politiques d’aménagement du territoire et de soutien au monde rural.
Je souhaite par conséquent que des négociations soient rapidement ouvertes avec les opérateurs pour qu’ils prennent conscience des grands enjeux d’aménagement du territoire et qu’ils n’y voient pas simplement des effets d’aubaine très lucratifs. Si la négociation et la contractualisation ne sont pas possibles, alors il nous faudra légiférer, et rapidement !
Le très haut débit est une urgence,…
M. Michel Bécot. Très bien !
M. Jean-Luc Fichet. … et le haut débit une nécessité à titre transitoire. À nous de faire le nécessaire pour développer une vraie politique d’aménagement du territoire et donc pour créer un futur à nos communes ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – MM. Alain Gournac et Alain Dufaut applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Éric Doligé. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Éric Doligé. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, je suis heureux de retrouver les rapporteurs Yves Rome et Pierre Hérisson. Un autre orateur a laissé entendre qu’il était exceptionnel de confier un rapport à deux sénateurs de sensibilité différente, mais cette pratique a toujours eu cours au Sénat ! Le rapport de nos collègues pose fort bien le problème et ils ont su nous faire toucher du doigt l’enjeu de ces prochaines années en matière de développement économique et d’équilibre de nos territoires.
Cet enjeu est celui du développement rapide et équilibré du très haut débit. C’est une chance à ne pas laisser passer si nous voulons regagner des parts de compétitivité. Après le choc de compétitivité et le choc de la simplification normative, nous allons peut-être connaître le choc du très haut débit ! En effet, chaque intervenant a pu remarquer que, sans l’intervention des collectivités locales, et notamment des départements, le développement du haut et du très haut débit sur nos territoires n’aurait pas eu lieu.
Le président Hollande s’est engagé à doter, d’ici à 2022, l’ensemble du pays d’un accès au très haut débit. Je suis curieux de connaître le contenu exact des moyens qui seront mis en œuvre. Comme mon collègue Hervé Maurey, je n’ai rien vu venir, pour l’instant, en ce qui concerne le haut débit ou la téléphonie mobile. En matière de haut débit et de très haut débit, les populations expriment une forte attente et pourraient être très vite déçues si les engagements n’étaient pas tenus.
J’ai bien compris que l’on comptait, comme par le passé, sur les collectivités locales pour apporter une grande partie de la réponse. J’ai bien compris également que l’on comptait, dans l’acte III de la décentralisation, avant tout sur les départements qui se verraient attribuer une compétence en la matière. Pour moi, ce choix n’est pas neutre, car il exprime la reconnaissance du savoir-faire, de la proximité et de la capacité des départements à être de véritables acteurs de l’économie.
Dans le cadre de cet acte III, il serait bon que le pouvoir réfléchisse bien avant d’exclure les départements de l’économie. L’économie de la proximité, l’économie du réel, l’économie du quotidien sur nos territoires, ce sont les départements !
Nous savons fort bien que les modèles qui sous-tendent aujourd’hui les déploiements des infrastructures de télécommunications fixes et mobiles risquent de créer, dans les mois et les années à venir, de fortes disparités entre les différents territoires qui auront décidé d’intervenir – ou pu intervenir – de manière significative et ceux qui auront laissé faire le marché.
Les collectivités locales sont donc contraintes d’intervenir en bâtissant des réseaux d’initiative publique, ne serait-ce que pour conserver l’attractivité de leur territoire. Mais une telle intervention ne pourra réellement être efficace que si un certain nombre de conditions sont réunies.
Toutefois, il ne faudrait pas que la réalisation de projets de compétence départementale soit suspendue à la conclusion d’accords régionaux.
Je souhaite vous faire part de quatre propositions.
Premièrement, le recours au cofinancement des réseaux d’initiative publique doit être facilité. Il faut, certes, des subventions, comme celles qui ont été instaurées avec le FSN, le Fonds national pour la société numérique, mais nous demandons aussi que ces aides soient pérennisées sur la durée des projets. Le FSN ne finance, par exemple, que les cinq premières années de déploiement.
Il faut aussi pouvoir accéder à des prêts à très long terme à des taux attractifs pour financer des investissements qui vont s’étaler sur dix à vingt ans.
La Banque européenne d’investissement donne aujourd’hui une enveloppe globale à l’échelle régionale qu’il est ensuite très difficile de flécher sur tel ou tel projet. Il faut plus de souplesse et il faut simplifier le recours à ces fonds pour toutes les collectivités.
Deuxièmement, le rôle des opérateurs est souvent illisible pour les élus locaux.
La logique qui sous-tend les investissements des opérateurs n’a plus rien à voir avec l’aménagement numérique d’un territoire. Que ce soit pour les réseaux de fibre à l’abonné ou mobiles, les opérateurs n’investissent aujourd’hui que dans des zones denses, qui sont déjà fort bien pourvues. À tel point que dans les immeubles équipés en fibre à l’abonné à Orléans ou dans les grandes métropoles, l’appétence pour la fibre demeure faible puisque les foyers disposent déjà du confort que procure un accès ADSL d’excellente qualité.
Même si, avec le temps, ces investissements s’avéreront globalement profitables, il faut aujourd’hui faire le deuil du modèle qui a permis à l’opérateur historique d’amener le téléphone dans tous les foyers à la fin des années soixante-dix.
Troisièmement, la réglementation et le rôle de l’ARCEP doivent évoluer.
Le cadre d’intervention des acteurs sur ce sujet est très fortement structuré par le cadre européen. L’ARCEP a essentiellement pour rôle de transcrire et d’adapter la réglementation européenne à l’échelle nationale. Il faut que l’intérêt général soit mieux valorisé dans cette réglementation.
La logique qui prévaut aujourd’hui conduit à des aberrations. Je prendrai l’exemple d’Amilly, dans l’agglomération de Montargis. L’opérateur historique pourrait être contraint, au titre du service universel, de réaliser une opération lourde consistant à créer un nouveau central téléphonique dans une zone fort bien pourvue en haut débit. Or cet opérateur ne serait pas autorisé à modifier légèrement son réseau téléphonique pour permettre à un quartier de cette même commune de disposer d’un haut débit de meilleure qualité. Comment les élus peuvent-ils comprendre cela ? Le cloisonnement des marchés issu des analyses menées par l’ARCEP et les principes qui sont à la base de la réglementation nationale et européenne mènent, et continueront de mener, à de telles aberrations.
Quatrièmement, il faut rétablir un équilibre entre collectivités et opérateurs.
Toute cette complexité impose aux collectivités voulant intervenir un recours systématique à des conseils, qui représentent, au bout du compte, des postes budgétaires significatifs. Outre qu’il faut simplifier le modèle d’intervention des collectivités, il importe aussi d’aider les décideurs territoriaux à mieux comprendre pourquoi et comment agir. Des guides existent ; je pense notamment à ceux qui sont édités par le Centre d’études techniques de l’équipement – CETE – de l’Ouest, l’ARCEP ou des associations comme l’Avicca – Association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l’audiovisuel – ou la FNCCR – Fédération nationale des collectivités concédantes et régies. Dans les préfectures de région, les Secrétariats généraux pour les affaires régionales, les SGAR, mettent à disposition leur expertise sur ces sujets. La mutualisation entre collectivités permet aussi de bénéficier des expériences des territoires voisins.
En résumé, je vous propose que le recours au cofinancement des réseaux d’initiative publique soit facilité, que le rôle des opérateurs soit rendu plus lisible pour les élus locaux, que la réglementation et le rôle de l’ARCEP évoluent et qu’un équilibre entre collectivités et opérateurs soit rétabli.
Dans l’introduction de son propos, Yves Rome nous a dit que, avant, tout était mauvais et que, maintenant, tout est bon – je le reconnais bien là –, je demande à voir. Il est toujours facile de dire en amont du problème que tout va être résolu. Mieux vaut juger après. Mais comme l’a indiqué notre collègue Leroy, votre feuille de route ne renie pas le passé. J’emprunterai plutôt ma conclusion à David Assouline : le scénario du succès reste à écrire, madame le ministre. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)