MM. Daniel Raoul et Gérard Le Cam. Très bien !
M. Richard Yung. De mon point de vue, l’État ne devrait intervenir par voie de décret qu’en dernier recours.
Compte tenu de la crise dans laquelle sont actuellement plongés nombre d’agriculteurs, il importe que l’indemnité versée en contrepartie de l’utilisation de semences de ferme soit sensiblement inférieure au montant perçu pour la production sous licence de semences de la même variété.
Je souhaiterais savoir, monsieur le ministre, si des accords similaires à celui relatif au blé tendre sont en voie de conclusion depuis l’adoption de la loi de 2011, et comment vous envisagez l’établissement de tels accords.
Je vous serais également reconnaissant de bien vouloir nous indiquer si vous envisagez d’exonérer du paiement de l’indemnité les agriculteurs qui produisent des semences de ferme dans un but d’autoconsommation, notamment pour l’alimentation du bétail.
Il faut aussi veiller à ce qu’une part importante des sommes versées en contrepartie de l’utilisation des semences de ferme soit consacrée au financement de la recherche variétale, et plus particulièrement à la recherche destinée à la production de semences reproductibles.
Pour ce qui concerne le triage à façon, monsieur le ministre, je souhaiterais savoir si vous prévoyez de préciser les conditions dans lesquelles les agriculteurs seront autorisés à trier, c’est-à-dire à séparer les graines destinées au réensemencement des champs et les graines dépourvues de qualités semencières suffisantes, qui peuvent notamment être utilisées pour l’alimentation du bétail.
La loi du 8 décembre 2011 a laissé plusieurs questions en suspens ; se pose ainsi le problème des décrets d’application.
Je pense en particulier à la remise en cause de « l’exception du sélectionneur » pour les agriculteurs qui n’ont pas les moyens d’« extraire » d’une variété génétiquement modifiée les caractères brevetés. Il conviendrait d’apporter une solution à ce problème, faute de quoi la création variétale deviendra le monopole des grandes entreprises semencières.
La législation française ne comprend pas non plus de dispositions destinées à permettre au titulaire du COV d’obtenir toute information pertinente des agriculteurs et des opérateurs de triage à façon, et aux agriculteurs d’obtenir des informations du titulaire du COV et de les faire circuler.
La loi du 8 décembre 2011 a aussi laissé en suspens la question, hautement polémique, des variétés anciennes.
Dans l’arrêt Association Kokopelli contre Graines Baumaux SAS du 12 juillet dernier, la Cour de justice de l’Union européenne a jugé que la réglementation actuelle, en ce qu’elle n’exclut pas la commercialisation de ces variétés, prenait en considération les intérêts économiques des vendeurs de variétés anciennes ne satisfaisant pas aux conditions d’inscription aux catalogues officiels.
La réglementation de l’Union a été déclinée dans notre droit. Ainsi, en 2008 et 2010, trois nouvelles listes de variétés anciennes ont été ouvertes au catalogue officiel des espèces et variétés de plantes cultivées en France : deux listes « variétés de conservation » et une liste « variétés dont la récolte est principalement destinée à l’autoconsommation ».
Monsieur le ministre, dans quelles conditions, en particulier financières, envisagez-vous le développement de ces inscriptions sur les listes des variétés anciennes ?
Afin de faciliter la diffusion des variétés anciennes, votre ministère et l’interprofession des semences prennent en charge l’intégralité des frais liés à l’inscription de variétés sur ces listes. Toutefois, il semble que ce dispositif ne soit pas pleinement satisfaisant aux yeux de certains professionnels. En effet, pour être homologuées, les variétés doivent être « distinctes, suffisamment homogènes et stables ».
M. Daniel Raoul. DHS !
M. Richard Yung. Exactement !
Or de nombreuses variétés anciennes ne remplissent pas ces conditions. Comment comptez-vous résoudre ce problème ?
J’en viens à l’aspect européen du dossier des semences. La Commission européenne devrait prochainement proposer de réviser la législation communautaire en la matière. Pouvez-vous nous donner des informations à ce sujet ?
Je souhaitais formuler un certain nombre de propositions concernant la lutte contre la contrefaçon, mais je m’aperçois que j’arrive à la fin de mon temps de parole. Je n’en évoquerai donc qu’une.
La proposition de loi que j’ai déposée, et qui a malheureusement disparu avec le changement de majorité – il y a beaucoup de raisons de se réjouir de ce changement, mais en voilà une de s’en réjouir un peu moins… (Sourires) –, prévoyait de regrouper le contentieux en matière de variétés végétales au sein d’une juridiction unique qui serait spécialisée sur ces dossiers.
Il y a deux considérations principales qui peuvent justifier une telle décision. En premier lieu, entre cinq et dix cas par an seulement font l’objet d’une procédure : il ne s’agit donc pas d’une jurisprudence de masse ! En second lieu, il est important que les juges aient une certaine expertise sur ces questions passablement complexes.
Nous avions d’abord pensé proposer d’installer cette juridiction spécialisée à Angers, ville qui accueille déjà l’Office communautaire des variétés végétales. Mais, dans la mesure où les semenciers se trouvent aussi à Angers, ce n’est peut-être pas une si bonne idée...
M. Daniel Raoul. Il faut éviter les conflits d’intérêts !
M. Richard Yung. C'est la raison pour laquelle nous avons songé au TGI de Paris, déjà seul compétent pour les contentieux concernant les brevets.
Monsieur le ministre, je tiens à votre disposition mes autres propositions visant à favoriser la lutte contre la contrefaçon en matière d’obtention végétale. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Mireille Schurch.
Mme Mireille Schurch. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, venant d’un département rural, je suis particulièrement sensible aux préoccupations des agriculteurs. Lorsque la loi relative aux certificats d’obtention végétale a été adoptée en 2011, un certain nombre d’entre eux ont exprimé leurs craintes devant cette nouvelle attaque contre les semences de ferme et les semences paysannes, ainsi que, plus généralement, contre un modèle agricole alternatif au modèle productiviste et industriel.
En 2011, le débat s’est focalisé sur l’opposition entre ces deux modèles, alors que, en réalité, ils sont complémentaires et forment la diversité du modèle agricole français.
Monsieur le ministre, vous avez dit vouloir faire de la France un modèle de l’agro-écologie. Nous saluons cette ambition et, dans ce cadre, les semences de ferme et les semences paysannes ont un rôle à jouer. En effet, en ressemant une partie de leurs récoltes, en procédant à des échanges de petites quantités de semences paysannes, les agriculteurs participent concrètement à la réalisation des objectifs de préservation de la biodiversité.
Mme Annie David. Voilà !
Mme Mireille Schurch. Ils proposent des pistes pour mettre en œuvre une agriculture durable et revenir à des pratiques agronomiques vertueuses.
Les travaux du Grenelle de l’environnement préconisaient déjà le recours à la technique traditionnelle des mélanges variétaux qui, en bousculant le dogme de la variété pure, a permis la lutte contre les maladies et la baisse des fongicides. Ainsi, moins de 20 % des semences de ferme sont enrobées avec un insecticide, contre près de la moitié des semences certifiées.
De plus, les semences de ferme respectent les circuits courts, elles ne sont pas délocalisables, alors que de nombreuses semences certifiées sont produites à l’étranger.
En 2005, la France a ratifié le traité international sur les ressources phylogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture, qui s’imposait à elle depuis 2003 puisque la Communauté européenne l’avait elle-même ratifié. Ce texte affirme « que les droits [...] de conserver, utiliser, échanger et vendre des semences de ferme et d’autres matériels de multiplication et de participer [...] au partage juste et équitable des avantages en découlant sont un élément fondamental de la concrétisation des droits des agriculteurs ».
Aujourd’hui, le traitement réservé aux semences fermières et paysannes ne nous semble pas respecter les objectifs du traité. Cela est d’autant plus injuste que les semences industrielles ont puisé dans les semences paysannes.
La loi de 2011 relative aux certificats d’obtention végétale, sous couvert de protéger les semences de ferme, les a reléguées au rang de pratiques interdites ou tolérées sous condition de rémunération. En effet, comme l’a dit mon collègue Gérard Le Cam, les semences de ferme ne sont autorisées que pour 21 espèces, contre paiement de royalties. En dehors de cette liste, elles sont tout simplement interdites et, considérées comme des contrefaçons, donnent lieu à de sévères sanctions.
Un premier pas vers la protection des semences de ferme serait d’élargir la liste des espèces prêtant à dérogation, comme vous en avez le pouvoir par voie réglementaire, monsieur le ministre. Il serait également possible de relever le tonnage au-delà duquel la pratique des semences de ferme donne lieu à paiement.
Plusieurs pistes sont donc envisageables. Il est important d’organiser sur ces questions une concertation avec tous les acteurs du secteur. Nous souhaitons connaître vos intentions en la matière, monsieur le ministre.
Comme l’atteste la proposition de loi que nous avons déposée au mois de juin 2012, nous portons l’exigence d’une légalisation totale des semences de ferme et paysannes. Nous souhaitons que l’agriculteur soit autorisé à ressemer sa récolte comme à faire de la sélection à partir de ses propres semences, à condition qu’elles ne reproduisent pas l’ensemble des caractères distinctifs de la semence certifiée et que le produit des récoltes ne soit pas vendu sous la dénomination variétale.
Nous souhaitons que des échanges puissent être autorisés. Je distingue bien les échanges de semences certifiées, donc industrielles, qui pourraient être limités à un contexte de crise, par exemple en cas de pénurie ou de sinistre grave touchant certaines exploitations, et les échanges des semences de ferme ou paysannes qui pourraient être limités en termes de quantité et de distance ou de périmètre d’échange.
Les semences de ferme ont montré leur utilité et leur complémentarité par rapport aux semences industrielles. Ainsi, souvenez-vous, en l’absence de semences commerciales disponibles pour assurer la relance des protéagineux et développer les couverts végétaux afin de répondre au verdissement de la PAC, on a utilisé des semences de ferme. On a encore fait appel à elles pour compenser le déficit fourrager provoqué par la sécheresse en 2011.
Il ne s’agit donc pas pour nous d’opposer deux systèmes, les semences industrielles et les semences fermières. La filière semencière en France a fait la preuve de son excellence. Elle joue, avec l’INRA, un rôle majeur en termes d’indépendance alimentaire et de recherche.
Lors des débats qui ont précédé le vote de la loi de 2011, on a souvent entendu l’argument selon lequel la pratique des semences de ferme mettrait en péril la recherche. Or le progrès génétique a été constant alors même que les semences fermières étaient tolérées. C’est donc une erreur de croire que la ressource financière dégagée par la taxation des semences de ferme est la condition du dynamisme de la recherche.
De plus, si des financements sont nécessaires, pourquoi les faire reposer sur les seuls agriculteurs, alors que toute la filière agroalimentaire bénéficie des progrès en termes de productivité et de qualité nutritionnelle des produits agricoles ?
Par ailleurs, si des partenariats, qui ont montré leur excellence, se sont constitués au sein des organismes publics de recherche, mais également entre la recherche publique et la recherche privée, les coupes budgétaires répétées depuis des années affaiblissent considérablement les moyens alloués à la recherche publique. Ainsi, l’absence de création de postes en 2013, les masses salariales bloquées, le refus d’intégrer dans les dispositifs de titularisation, en bref, la politique d’austérité que vous avez décidé de conduire, ne forment pas un environnement favorable au dynamisme de la recherche. Or le sujet exige une programmation de la recherche sur un temps long.
De plus, certaines activités liées au contrôle des semences, dont il est question dans la loi de 2011, sont aujourd’hui fragilisées.
En 2011, sous le précédent gouvernement, l’INRA et le ministère de l’agriculture avaient déjà constitué un groupe de travail ayant pour mission de « réfléchir aux conséquences de la baisse importante de la subvention accordée à l’INRA pour assurer les missions autres que la recherche stricto sensu ».
Pour certaines des missions « complémentaires » de l’INRA qui sont assurées par le groupe d’étude et de contrôle des variétés et des semences, le GEVES, se dessine au niveau européen une volonté dangereuse de dévier vers l’autocertification. En effet, avec le projet Better Regulation, la Commission européenne a proposé de simplifier l’actuelle certification des semences par une « autocertification » agréée par les pouvoirs publics, validant les systèmes de contrôle internes.
Confier aux industriels du secteur le soin de contrôler les critères d’évaluation et les modalités d’études des variétés, aujourd’hui missions du GEVES, nous semble très dangereux. Il nous faut être exigeants sur ces questions et, monsieur le ministre, nous aimerions connaître votre position sur ce point précis.
Enfin, je veux attirer votre attention sur les dangers de l’appropriation du vivant.
Depuis de nombreuses années, de grandes firmes ont développé une stratégie commerciale et financière afin de s’approprier les espèces végétales. Voici ce que l’économiste Benjamin Coriat explique à propos du brevet : « Il ne consiste plus en une "récompense" attribuée à l’inventeur en échange de la divulgation de son invention : le brevet se mue, pour la firme qui le détient, en droit d’exploration, cédé sous forme de monopole, pour toutes les inventions à venir, non décrites et non prévisibles, avant même que toute invention ait été effectuée et, a fortiori, divulguée. »
En Europe, la directive relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques n’interdit pas le brevetage d’un gène dans une plante ni même celui d’une espèce végétale. Récemment, l’Union française des semenciers, consciente qu’il s’agissait là d’une arme redoutable, s’est opposée à la brevetabilité des gènes natifs.
Monsieur le ministre, quelle voix portera la France sur ce sujet ? Si l’Europe veut maîtriser son progrès génétique, elle doit être claire et ne pas reconnaître les brevets sur les gènes natifs. C’est une décision politique qui doit être prise et qui, à nos yeux, serait une véritable protection pour le système du certificat d’obtention végétale. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Lasserre.
M. Jean-Jacques Lasserre. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous débattons aujourd’hui d’un sujet de société qui donne toujours lieu, surtout dans le monde rural, à des discussions très animées.
L’intitulé même de ce débat, « droit de semer et propriété intellectuelle », reflète parfaitement les interrogations des différents acteurs concernés.
Dans une vision beaucoup trop simplificatrice, on oppose souvent les agriculteurs et les semenciers.
Les agriculteurs estimeraient que leur droit de semer ne doit pas être altéré par des géants de l’industrie semencière, à qui ils doivent dans de nombreux cas verser une redevance au titre de la propriété intellectuelle. Cela reviendrait à les sacrifier au profit de l’industrie semencière et ils n’auraient bientôt plus qu’un seul choix : acheter toutes leurs semences à l’industrie avec des propositions sans cesse plus nombreuses, notamment d’OGM.
Les semenciers, eux, au nom de la propriété intellectuelle, revendiqueraient un droit de plus en plus étendu sur les semences et imposeraient aux agriculteurs une redevance de plus en plus lourde, notamment afin de financer la recherche. Ils concourraient, par le progrès végétal, à la sécurité de la chaîne alimentaire et à l’économie des filières de production, dans une démarche de respect durable de l’environnement, la recherche dans ce secteur étant primordiale puisqu’elle fait évoluer les variétés, transformant ainsi le potentiel végétal en vue d’une amélioration de la qualité des produits et d’une hausse des rendements.
Loin de ces deux visions caricaturales, il existe un juste équilibre, qui doit d’autant plus être conforté que l’objectif alimentaire est, aujourd’hui plus que jamais, déterminant : on prévoit 9 milliards de bouches à nourrir en 2050 ! Voilà qui impose un niveau de productivité toujours plus élevé, et, contrairement aux clichés, l’obtenir n’empêche pas pour autant le respect du monde végétal et de l’environnement en général.
Un autre point à prendre en compte est le poids économique du secteur des semences et des plants, qui réalise un chiffre d’affaires annuel de plusieurs milliards d’euros. Cela est d’autant plus vrai pour la France, qui est redevenue l’an dernier, avec 1,2 milliard d’euros d’exportations de semences et de plants, championne du monde dans ce domaine, devant les États-Unis et les Pays-Bas.
La France reste en outre le premier producteur européen de semences.
Il peut être également utile de rappeler l’évolution du métier de semencier.
Longtemps cantonné au monde agricole, composé de PME familiales fondées par des agriculteurs et de coopératives, le métier de semencier s’est ouvert aux investisseurs extérieurs au milieu des années soixante-dix. Des entreprises qui étaient aux antipodes du monde agricole, comme Shell ou Elf, se sont alors ruées sur ce secteur qu’elles considéraient comme porteur.
Dans un second temps, au cours des années quatre-vingt, les entreprises semencières sont devenues la proie des agrochimistes, la complémentarité des deux activités étant alors plus évidente.
Cela m’amène à évoquer la crainte, fondée, exprimée par des agriculteurs, mais aussi par des semenciers européens et français, d’un monopole exercé par certains grands groupes, notamment américains.
Aujourd’hui, deux tiers des semences du monde font l’objet d’un commerce. Elles sont vendues par une dizaine de firmes spécialisées, dont certaines bénéficient d’un quasi-monopole – Monsanto, Bayer ou DuPont de Nemours sont les plus connues –, doublé d’un monopole sur l’alimentation animale. Cela signifie donc qu’un tiers seulement est constitué de semences que les « familles paysannes » prélèvent sur leurs récoltes et troquent entre elles ou de semences produites par de petites entreprises d’obtenteurs.
Reste que le développement des entreprises semencières est un atout pour la recherche, et il convient de s’arrêter un instant sur ce point.
En France, le budget de recherche dans le secteur des semences est d’environ 250 millions d’euros, pour 72 entreprises, ce qui représente 13 % à 20 % de leur chiffre d’affaires. À titre de comparaison, le seul budget recherche de Monsanto est de l milliard d’euros : une seule firme américaine dispose donc d’un budget de recherche cinq à six fois supérieur à la somme des budgets recherche des 72 entreprises françaises spécialisées en la matière !
Il ne s’agit évidemment pas de prendre Monsanto pour modèle et de tomber dans l’excès, mais de montrer que le poids de la recherche en France reste marginal, voire dérisoire dans certains cas. Or il me semble important de donner les moyens à nos chercheurs pour qu’ils créent les variétés de demain.
Globalement, la France est le troisième marché pour les semences dans le monde, après les États-Unis et la Chine, qui, de leur côté, font de la recherche une priorité.
Ma région, l’Aquitaine, abrite de grands groupes qui sont des fleurons de la recherche dans ce secteur : Maïsadour et Pau Euralis. Et cette région n’est pas une exception ! La France ne doit pas se laisser dominer, non seulement parce que nous avons les connaissances et les capacités techniques et d’ingénierie pour rivaliser, mais aussi parce que nous ne devons pas laisser les autres pays maîtres de l’alimentation de demain.
Pour concilier l’impératif de recherche et la liberté des agriculteurs, le Parlement a légiféré dans le domaine des semences.
M. Christian Demuynck, quand il était sénateur, avait déposé une proposition de loi relative aux certificats d’obtention végétale. Cette dernière, cosignée par nombre de sénateurs centristes, notamment M. Deneux, a été adoptée par le Sénat et l’Assemblée nationale à la fin de l’année 2011, au terme d’un débat extrêmement animé.
À mon sens, ce texte a permis des avancées intéressantes et nécessaires.
Il assure tout d’abord la transposition en droit français de la convention internationale UPOV de 1991, confortant les spécificités du certificat d’obtention végétale.
Il offre ensuite un cadre juridique aux semences fermières pour certaines espèces et rend ainsi possible la rémunération de l’obtenteur de semences, tout en permettant à l’agriculteur de ressemer ses propres semences.
Il met enfin la France en conformité avec les textes européens, qui sont d’ailleurs en cours de révision.
La loi de 2011 constitue selon moi un bon compromis, à la fois pour les agriculteurs et les semenciers, tout en harmonisant la législation française avec celle de l’Union européenne, ce qui est gage de plus d’efficacité.
Mais, pour une parfaite mise en œuvre de cette loi, les décrets d’application sont extrêmement importants, monsieur le ministre. Or, actuellement, onze décrets sont encore en attente de publication. Notre vigilance doit donc être maintenue, car le contenu de ces décrets est loin d’être négligeable, ce débat en témoigne.
À la suite de l’adoption de cette loi, pourtant équilibrée, des associations se sont constituées qui y sont très hostiles ; ainsi, Semons la Biodiversité milite pour son abrogation, principalement au nom de la défense du revenu des agriculteurs. Mais, si les agriculteurs conservent et replantent leurs propres semences, sans aucune protection ni redevance pour les semenciers, la recherche ne peut que disparaître, emportant avec elle toute la valeur ajoutée qu’elle peut apporter à l’agriculture.
Quant à l’argument de la souveraineté alimentaire, souvent invoqué par ces associations qui se disent protectrices de la liberté des agriculteurs, il ne peut être soutenu puisque, sans recherche, justement, nous perdrons notre souveraineté alimentaire au profit d’autres États.
Toutes ces critiques ont amené certains élus à déposer de nouvelles propositions de loi. Je ne les évoquerai que brièvement, car, à mon sens, elles versent dans l’excès.
En juin 2012, certains de nos collègues ont déposé une proposition de loi en faveur de la défense des semences fermières et de l’encadrement des obtentions végétales. Elle me semble aller trop loin.
À l’Assemblée nationale, une proposition de loi encore plus radicale a également été déposée, le 12 décembre 2012, par le député Jean-Jacques Candelier, avec pour unique but d’abroger la loi de 2011. Les motifs sont clairs et malheureusement excessifs : la loi de 2011 viserait uniquement à protéger les intérêts des semenciers contre ceux des agriculteurs, ce qui me paraît inexact.
Nous serons peut-être amenés à examiner ces deux propositions de loi dans les mois qui viennent, si la grande réforme de l’agriculture que vous prévoyez, monsieur le ministre, ne revient pas sur cette question…
En vérité, deux grands modèles coexistent aujourd’hui : d’une part, le certificat d’obtention végétal, choisi par la France et les pays regroupés au sein de l’UPOV ; d’autre part, le brevet, choisi par les États-Unis, l’Australie ou encore le Japon.
Si les entreprises européennes ont accru leurs dépôts de brevets, 2012 étant une année record pour l’Office européen des brevets, comme le montre le rapport annuel de cet organisme en date du 6 mars dernier, ce système de protection ne paraît pas constituer, au sein de l’Union européenne, une solution opportune dans le domaine des semences agricoles.
Le certificat d’obtention végétale semble, en revanche, être une solution satisfaisante, et cela pour plusieurs raisons.
Au sélectionneur il garantit la protection de la dénomination de l’invention ainsi qu’une relative exclusivité sur la vente des semences pendant une durée de vingt à trente ans.
À l’agriculteur le COV laisse le droit de prélever une partie de sa récolte pour la ressemer, en payant un montant réduit : c’est ce que l’on appelle le « privilège de l’agriculteur » – peut-être faudra-t-il d’ailleurs revenir sur cette terminologie.
De plus, la mise au point d’une nouvelle variété à partir d’une variété protégée par un COV est permise et cette nouvelle variété peut être mise sur le marché sans que son inventeur doive quoi que ce soit au détenteur du COV. Il faut cependant que la nouvelle variété puisse se perpétuer indépendamment de la première variété. C’est l’exemption en faveur de l’obtenteur.
Enfin, il faut souligner que l’exemption de la recherche permet aux chercheurs d’utiliser gratuitement la variété protégée dans leurs travaux.
Ces caractéristiques distinguent bien le COV du brevet car, tout en reconnaissant la performance intellectuelle de l’inventeur et en garantissant à celui-ci un retour sur investissement, il met le savoir à la disposition de tous.
Contrairement aux variétés protégées par un COV, les variétés brevetées ne peuvent être librement utilisées à des fins de sélection par tous.
Le brevet est ainsi beaucoup plus contraignant, au point de constituer pour les agriculteurs un véritable handicap. C’est pourquoi les procès opposant les « géants des semences » à de « petits agriculteurs » se font de plus en plus nombreux.
Ce constat ne fait que renforcer l’idée selon laquelle le COV est une solution intermédiaire bien adaptée.
Je terminerai en évoquant les OGM, car les amalgames peuvent être faciles : défendre la recherche, préconiser un juste milieu entre la liberté des agriculteurs et la protection de la recherche, ne signifie pas prôner les OGM.
La recherche vise avant tout à faire évoluer les variétés en vue d’un meilleur rendement, d’une productivité accrue, sans toutefois s’écarter des processus normaux et naturels de sélection. Les OGM sont donc, à mon sens, un tout autre sujet, sur lequel nous aurons certainement un jour l’occasion de débattre, tout comme nous devrons sans doute distinguer, dans nos futurs débats, les espèces autogames des espèces hybrides, ces dernières ayant un rapport plus lointain avec nos discussions d’aujourd'hui. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Raoul.
M. Daniel Raoul. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite tout d’abord remercier le groupe CRC d’avoir pris l’initiative de réitérer en quelque sorte le débat que nous avions eu en décembre 2011.
Comme cela a été rappelé avant moi, ce débat fait en effet directement référence à la loi Demuynck sur les certificats d’obtention végétale adoptée en décembre 2011.
Élu du Maine-et-Loire, et scientifique de surcroît – j’accumule les défauts ! (Sourires.) –, vous le comprendrez, je pouvais difficilement ne pas intervenir ce soir.
Mon département abrite en effet, comme j’ai déjà eu l’occasion de le souligner lors de nos précédents débats, de nombreuses structures, mondialement connues, spécialisées dans l’obtention et la sélection de variétés végétales : l’Office communautaire des variétés végétales, l’OCVV, la Station nationale d’essais de semences, la SNES, le Groupe d’étude et de contrôle des variétés et des semences, le GEVES, ce dernier regroupant à la fois le ministère de l’agriculture, l’INRA et le groupement national interprofessionnel des semences et plants.
Tout le Val-de-Loire, y compris dans sa partie nord, cher Rémy Pointereau, est réputé pour son climat clément : je n’ai pas besoin de vous rappeler les vers qui célèbrent « la douceur angevine », ni de vous dire que, moi aussi, je peux préférer « mon petit Liré » au mont Palatin ! (Sourires.) C’est en partie pourquoi ce territoire contribue aujourd’hui au développement de ce secteur stratégique pour la France – notre pays est le deuxième exportateur mondial de semences – et essentiel pour le reste du monde, dont il faudra assurer et sécuriser l’alimentation.
Je voudrais souligner le rôle primordial des COV dans la protection de la recherche.
Contrairement au modèle du brevet, défendu par les États-Unis, l’Australie et le Japon, le système du COV autorise l’usage des variétés créées pour tout nouveau programme d’amélioration végétale. L’amélioration des plantes étant un processus continu, le droit de propriété conféré au créateur d’une nouvelle variété végétale ne concerne pas l’utilisation de cette variété pour en créer de nouvelles, en particulier en recherche et développement. Ainsi, une nouvelle variété, même si elle fait l’objet d’un COV, peut servir de base au développement de nouvelles variétés sans qu’il y ait de droit à payer ; c’est le modèle des logiciels libres, si l’on veut faire une analogie avec l’informatique.
Ce caractère ouvert offre la meilleure garantie de non-appropriation du vivant. Il existe, entre le brevet et le COV, une divergence quant à l’appropriation, et je considère que le COV reste la meilleure parade contre la brevetabilité du vivant.
En 2011, j’avais soumis au rapporteur de la proposition de loi Demuynck un amendement qu’il avait eu l’amabilité de reprendre et qui mettait en avant la notion de variété découverte, laquelle exclut toute valeur ajoutée apportée par le découvreur. Il est bien évident que, par exemple, le fer se trouvant dans la nature, on ne va pas breveter le fer en vertu de ses propriétés magnétiques ! C’est le même raisonnement concernant les variétés végétales.
Le maintien d’une liberté totale d’accès à la variété protégée, en tant que ressource génétique, est ce qui différencie fondamentalement le certificat d’obtention végétale du brevet. Les COV participent donc de la défense du bien commun en nous prémunissant contre la mainmise de certaines entreprises sur le patrimoine génétique mondial et en garantissant par ailleurs – c’est l’autre bout de la chaîne – le financement de la recherche et développement. Nous savons en effet combien le processus est long avant d’obtenir une nouvelle variété : peu importe la technique utilisée, que ce soit la mutagénèse ou la transgénèse, cela prend du temps et cela a un coût.
Vous l’aurez compris, les COV sont pour moi un modèle qu’il convient absolument de défendre sur le principe, tant au niveau français que sur le plan européen et mondial.
Je ne dresserai cependant pas un panégyrique de la loi de décembre 2011. Certes, elle a permis de mettre enfin en conformité notre droit interne avec la réglementation européenne, notamment en matière de semences de ferme et de variétés essentiellement dérivées. Toutefois, elle n’a pas réglé le problème, loin s’en faut, évoqué par plusieurs orateurs, de l’autoconsommation et de la nécessaire défense du droit des agriculteurs en la matière. Elle n’a pas non plus résolu la question du financement de la recherche publique. Autrement dit, elle n’a pas assuré l’indispensable prise en compte du pluralisme dans les interprofessions non plus que la protection des variétés anciennes.
Par ailleurs, monsieur le ministre, vous n’êtes pas sans savoir qu’aucun texte d’application, à l’exception de celui de juillet 2012, n’est encore paru. Le chantier est ouvert ! Nous sommes dans l’attente d’au moins dix textes réglementaires de toute nature : décrets en Conseil d’État, décrets simples, arrêtés…
Nos amendements avaient permis, en collaboration avec le rapporteur, M. Pointereau, d’améliorer le texte initial.
Nous avions ainsi obtenu que soit précisée, dans la loi, l’interdiction d’octroyer un COV pour les variétés existantes simplement découvertes et n’ayant donc fait l’objet d’aucun travail de recherche ou d’innovation de la part du candidat obtenteur.
S’agissant de la rémunération éventuelle des semences de ferme, nous avions obtenu que son montant soit forcément inférieur à celui de la rémunération payée sous licence, ce qui, pour certains, ne semblait pas aller de soi.
Nous avions aussi progressé sur la difficile question des variétés essentiellement dérivées. Ne disposant ni d’un écran, ni d’un tableau noir, ni d’un vidéoprojecteur, je ne me lancerai pas ici dans un cours sur les VED (Sourires.), notion extrêmement complexe et qui n’est toujours pas éclaircie. Qu’est-ce en effet qu’une variété essentiellement dérivée ? Même en prenant les critères DHS, nous ne savons pas jusqu’où remonter. Si, à partir d’une variété A, une variété B puis une variété C sont obtenues, à qui les droits d’auteur sont-ils dus ? Doit-on remonter jusqu’à A, ou seulement jusqu’à B ?
Rassurez-vous, mes chers collègues, je n’ai pas l’intention de vous soumettre à une interrogation écrite à la sortie de l’hémicycle – j’allais dire de l’amphi… (Nouveaux sourires.) – mais reconnaissez que tout cela mériterait d’être clarifié.
Quoi qu’il en soit, nous avions obtenu que le droit exclusif du titulaire s’étende aux variétés essentiellement dérivées d’une autre variété sauf lorsque cette variété est elle-même essentiellement dérivée d’une autre variété – et je m’arrêterai là, car on peut aller jusqu’à l’infini !